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Culture et Politique culturelle : quoi de neuf ?

 par José Alpha

Pourquoi n’existe-t-il pas une entreprise des métiers de la scène et du spectacle vivant en Martinique ? Une des nombreuses interrogations posées par de nombreux Martiniquais qui ont l’audace d’imaginer la production culturelle et artistique comme source de revenus et de développement pour la Martinique mais aussi comme vecteur dans le monde d’une culture insulaire caribéenne issue de notre métissage.

Cette question pose l’évident problème de la gestion des potentiels humains et culturels martiniquais quand on mesure les efforts consentis depuis plusieurs années par les collectivités aux nombreuses aides aux projets d’actions et d’exploitations culturelles et touristiques, à la formation des hommes et à la validation des acquis, dont les objectifs sont bien de favoriser l’économie culturelle et d’élever l’esprit critique populaire à la compréhension de ses origines et de ses potentiels existentiels.

Qu’a-t-on fait de nos expériences humaines et structurelles ?

Que deviennent les musiciens, les comédiens, les acteurs, les éclairagistes, les maquilleurs, les accessoiristes, les régisseurs de plateau, les costumiers, les dramaturges, les scénaristes, les auteurs, les administrateurs, les décorateurs, le public, qui ont été formés lors des nombreuses formations et stages dispensés à grands frais par les institutions associatives et les organismes de formation largement soutenus financièrement par les collectivités territoriales avec en arrière plan le ministère de la culture et de la communication ?

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« La part de l’autre », de MarlèneParize

— Par Elodie Quidal, professeur de philosophie au lycée Frantz Fanon, Martinique.

Ce livre, où se mêlent histoire et mythologie, est écrit du coeur de notre présent – présent des Antilles, de la France, de ce monde ouvert à de multiples transversalités qui est le nôtre. Marlène Parize y défend une proposition radicale contre tous les nationalismes et communautarismes, contre tous les mépris de soi: il est temps, il est grand temps de reconnaître, au sein même de notre modernité, de notre république, de nos valeurs, la trace de ces « lieux creusets » où est née, et naît encore, l’énergie qui nous porte à présent.

Jean Bourgault, professeur de philosophie au lycée Jeanne d’Arc, Rouen.

Plus que des héritiers de l’esclavage et de la colonisation, les Antillais sont le réceptacle des cultures et des philosophies de tous les continents. Parce qu’ils ont connu toutes les douleurs, ils se doivent de porter l’humanité à un autre niveau de conscience : continuer à se chercher et à se trouver sur le mode de l’ouverture « en abandonnant nos croyances d’avant la veille » (F.

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Traite des blancs, traites des noirs, par Rosa Amelia Plumelle-Uribe,

 

l’Harmattan, octobre 2008, 230 p.

par Maria Poumier

Sur l’origine de l’humanité, faute de la moindre science, on ne doit s’appuyer que sur la phylogenèse de nos mythes fondateurs. Ainsi, au lieu d’en rester à l’histoire médusante de la pomme et du serpent, qui fait que l’on soupçonne Dieu de malveillance imméritée en nous interdisant les fruits de l’arbre de la science, on devrait plutôt écouter sa conscience, et reconnaître que c’est le crime de cannibalisme contre nos semblables qui nous rassemble tous dans l’humanité pécheresse et à juste titre chassée du paradis. Comme les rats, comme les cochons, mais de façon bien plus systématique qu’eux, ce qui nous a rendus plus forts que d’autres espèces animales c’est que nous ne reculons pas devant le crime contre nos frères, et que c’est même notre nourriture hallucinogène, notre drogue vitale.

Les préhistoriens africains vont plus loin dans le dévoilement de notre inconscient coupable : ils affirment que du tronc noir, dans les contrées paradisiaques où l’on peut vivre nu et se nourrir simplement des fruits qui pendent aux branches, se sont détachés de pauvres types, des erreurs de la nature, blanchâtres et mauvais, probablement le fruit de quelque péché de leurs parents.

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« L’invention de la culture hétérosexuelle » par Louis-Georges Tin

(Ed. Autrement) 

Introduction

Pour éclaircir le propos, on pourrait établir une comparaison avec la nourriture. Dans toutes les sociétés humaines, il y a bien sûr des pratiques alimentaires, et elles sont indispensables à la survie des individus. Pour autant, toutes les sociétés ne construisent pas nécessairement une culture gastronomique, comme c’est le cas en France. L’art de la table, du vin et des fromages, les rituels, le service, la convivialité, les livres de recettes, les guides, les classements et les étoiles pour les bons restaurants, les émissions culinaires à la télé, sont autant d’éléments qui définissent la gastronomie à la française. D’autres sociétés développent des pratiques alimentaires moins diverses et moins ritualisées, elles se fondent sur les ressources matérielles nécessaires pour vivre. Certes, ces pratiques s’organisent selon des principes et des codes, et  elles s’inscrivent parfois dans des célébrations où l’alimentation occupe une place particulière. Pour autant, elles ne produisent pas ce que l’on pourrait appeler véritablement une culture de la gastronomie. Dans ces contextes nombreux, et pas seulement dans les sociétés anciennes ou éloignées, en Amazonie ou en Nouvelle Guinée, l’alimentation est à la fois nécessaire et secondaire, et on ne se croit pas obligé d’en faire un objet d’euphorie, un rite permanent, une exaltation collective.

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Le lycée Schoelcher et les schoelchéristes tardifs


 

Le mardi 29 juillet 2008, la Région entamait la destruction du bâtiment G du lycée Schoelcher. Le jeudi 31, le Conseil Municipal PPM de Fort-de-France dénonçait cette démolition ; un collectif pour la « sauvegarde » était créé, une pétition mise en circulation. France-Antilles du vendredi 1er août 2008 titrait : « Serge Letchimy part en guerre », et mettait en exergue le « oui, je m’oppose à la démolition du lycée Schoelcher » du maire. Assez étonnamment, il se trouve que c’est le même Serge Letchimy qui, peu de temps auparavant, avait donné un avis favorable à cette opération de destruction !

 

S’il est légitime que des points de vue différents s’expriment sur l’avenir de cet ensemble architectural datant des années 1930, l ‘observateur simplement attentif n’aura néanmoins pas manqué de s’interroger sur les silences, les absences, les incohérences et les insuffisances du PPM dans ce dossier. L’exemplarité douteuse de la « ville-capitale » en matière de politique patrimoniale et les effluves d’un schoelchérisme tardif dans la posture actuelle des letchimistes n’auront pas non plus échappé à sa vigilance.

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La reconstruction du lycée Schoelcher ou le bal des hypocrites

Photo Madinin-Art

Le projet X-TU non retenu et qui avait la  faveur des enseignants du Lycée

Madinin’art a publié il y a plus d’un an un dossier sur le projet retenu par la Région pour reconstruire le lycée Schoelcher. Pourquoi reconstruire? Parce que le désintérêt manifesté pendant si longtemps par les tutelles précédentes a causé une telle détérioration des bâtiments que leur utilisation pose aujourd’hui de graves problèmes de sécurité pour les usagers. La rénovation des locaux si elle était décidée couterait environ 40 millions d’euros soit à peu près le prix d’un lycée neuf. On peut donc se demander pourquoi choisir la démolition et la reconstruction. Et bien parce que même restaurés les bâtiments ne permettraient pas, pour des raisons qui tiennent à la fois aux déplacements des handicapés, aux impossibilités d’isolations acoustiques, aux normes administratives en vigueur, etc. sa fréquentation par des élèves. Il faudrait donc déplacer le lycée dans un autre endroit, qui compte tenu des manques d’espaces en ville, ne pourrait être qu’à la périphérie de Foyal. Cette solution supposerait donc une dépense supplémentaire de 40 millions pour la construction.

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« L’éloge de la rencontre », de Dominique Berthet

par Cécile Bertin-Elisabeth

Cette présentation de l’ouvrage de Dominique Berthet,

André Breton, l’éloge de la rencontre. Antilles, Amérique, Océanie,

été lue lors de la soirée littéraire organisée à l’Habitation Clément, le 12 juin 2008

Cécile BERTIN-ELISABETH

Afin de vous présenter l’ouvrage qui nous réunit ce soir, je me permettrais d’embrayer en posant cette question a priori inattendue et ô combien ardue :

– « Qui suis-je ? »

N’ayez crainte, loin de moi l’idée de vous parler de ma propre personne ou de me lancer dans des débats hautement philosophiques même si la philosophie ne saurait être tout à fait absente sous la plume de Dominique Berthet, Docteur en philosophie et en esthétique.

C’est en fait ainsi, tout simplement ou plutôt aussi difficilement, que débute Nadja, célèbre œuvre de Breton comme chacun sait, publiée en 1928. Cette première interrogation est complétée dans l’incipit de Nadja par une seconde question :

– « Qui je « hante » ? »

Pour essayer de répondre, notamment lorsque cela s’avère malaisé, il est fréquent d’éluder la difficulté en posant une autre question.

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André Breton, L’éloge de la rencontre. Antilles, Amérique, Océanie.

 — Par Yves Bernabé—
Ce texte est la traduction écrite, donc nécessairement infidèle, de la présentation orale faite à la Bibliothèque Schoelcher de Fort-de-France le 25 mai 2008. Cette présentation du récent ouvrage de Dominique Berthet s’intéresse à la signification de sa structure et aux questions qu’il suggère et qui rendent compte de l’intérêt de sa lecture.

 I. Ce que dit la structure.

 Le titre de l’ouvrage de D. Berthet rappelle dans un premier temps l’ « âme errante » qui fait le cœur de Nadja, et l’on s’attend d’emblée à des développements sur cette thématique. De fait, en reliant très fortement la vie de Breton avec son œuvre, D. Berthet montre que la rencontre et le hasard sont pour le poète un art de vivre et que la vie et l’écriture ont partie liée. Ainsi, dès le premier chapitre, D. Berthet évoque et analyse cette disposition de Breton à la rencontre, cette disponibilité qui permet l’éclosion subite d’instants vrais, et l’éclosion de la Beauté convulsive, en laissant libre cours à l’inconscient. La trouvaille, la rencontre, dit D. Berthet, répondent au désir enfoui.

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Aimé Césaire et les  » vieilles colonies » : une politique ambiguë

par Thierry Michalon

L’œuvre politique du député Aimé Césaire restera pour la postérité marquée par le rôle-clé qui fut le sien dans la transformation, par la loi du 19 mars 1946, des « vieilles colonies » en départements. Rapporteur de la proposition de loi, il plaida avec vigueur pour que la République prenne acte de l’assimilation culturelle de ces populations à la Nation française, qu’il présentait comme réalisée, et leur étende désormais ses lois, non applicables aux colonies. Mais il ne tarda pas à découvrir et à déplorer les effets de l’application des lois sur la culture de ces peuples, et à regretter cette départementalisation – comme s’il avait pris conscience trop tard de l’impact socio-culturel du droit – au profit d’une vigoureuse revendication d’autonomie…qu’il mit en veilleuse au lendemain de la victoire de la gauche aux élections de 1981.

L’expansion coloniale française se fit, on le sait, en deux phases historiques distinctes, au XVIIème puis au XIXème siècle. Lorsque s’amorça la seconde de ces phases, seuls ne subsistaient sous souveraineté française – le Canada, l’immense Louisiane, la partie ouest de Saint-Domingue (qui produisait à la veille de la Révolution les trois-quarts du sucre du monde et faisait la fortune des ports français) notamment, ayant du être abandonnés – que quelques-uns des territoires ayant constitué le premier empire colonial : la Martinique, la Guadeloupe et ses dépendances, la Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Réunion, Saint-Louis et Gorée au Sénégal, enfin les « comptoirs » de l’Inde.

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Des nègres et des juges « La scandaleuse affaire Spoutourne » (1831-1834), de Caroline Oudin-Bastide

« Des petits juges » ballotés au gré de l’Histoire

— par Roland Sabra —

un ouvrage de Caroline Oudin-Bastide.

Caroline Oudin-Bastide est historienne, spécialiste de l’histoire de l’esclavage aux Antilles françaises. Après avoir publié en 2005 «  Travail, capitalisme et société esclavagiste », elle nous livre aujourd’hui, en un peu moins de deux cents pages une étude sur l’affaire Spoutourne qui défraya la chronique martiniquaise entre 1831 et 1834. Elle montre combien les colons martiniquais, dont l’opportunisme politique les conduisit à se « faire anglais » ou français selon le moment afin de préserver au plus près de ses origines le système esclavagiste, ont été incapables de prévenir et d’anticiper sur les mouvements de fonds qui allaient conduire à l’effondrement de l’exploitation servile. Pour échapper à l’abolition le refuge dans le giron anglais n’aura fait que retarder, trop longtemps certes, l’inéluctable. L’abolition de la Traite avant celle de l’esclavage était annonciatrice de la fin. Les engagements de la France, vaincue à Waterloo, auprès des autres puissances européennes, l’ont contrainte dans un premier temps à tenter de reprendre en main la justice coloniale, jusqu’alors totalement sous la coupe des colons.

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« Eloge de la servilité ». L’écrier, la nuit A tous les Quashie

 

L’écrier, la nuit


A tous les Quashie



Eloge de la servilité. Là où loge la servilité. Non pas son bwabwa pitoyable, l’ancêtre esclave dérespecté dans son maintien et sa retenue, mais la résidence coloniale, au cœur (au corps, an kò’y menm) de nos élites. Déloger la servilité. La tracer, la traquer, la détraquer, tout à trac. Kri ! Est-ce que la cour dort ? Car il était temps de la réveiller de ce cauchemar académique et liturgique qui creuse nos renoncements, et notre abandon au pillage plutôt qu’à la Parole.

 

Ce qui habite Monchoachi c’est le cri. Monchoachi n’écrit pas, il é-crie (yékri) il est cri. Le cri est souffle, il est mantra, il est Nom. Kriyé c’est nommer. Le cri est Création (criation). Il figure un lieu, possiblement habitable et partageable, que nul ne possède en propre (malgré que les lieux communs soient toujours des noms propres). Le cri vient de l’envers des choses, il vibre sa vérité, et d’un saut nous révèle (i ka fè nou soté !). Poétique de l’événement, co-naissance à ce qui vient dans la fatalité tragique, ignorant l’inconnu qui déborde de toute sa grandeur (sa ou pa konnèt gran pasé’w).

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Édouard Glissant : « Agis dans ton lieu, pense avec le monde! »

 Pour le philosophe du Tout-Monde, une énorme question reste

 en suspens: « celle du repentir et de la repentance. » Il s’agit, dit-il,

 « d’éclairer un passé pour que nous entrions tous ensemble

 dans un monde nouveau ». Rencontre.

 

 

L’année 2006 a été marquée à la fois par un très vif débat sur la colonisation et par la première journée de reconnaissance et de commémoration de la traite et de l’esclavage. Pourquoi cette violente résurgence des questions mémorielles ?

 

Édouard Glissant : Les non-dits, en ce qui concerne l’esclavage, sont innombrables. D’abord de la part des descendants d’anciens esclaves, dont certains ne veulent pas entendre parler de ce passé. C’est un non-dit très grave, car il laisse en suspens quelque chose qui n’est pas résolu. Du côté des descendants des anciens esclavagistes, le non-dit est tout aussi présent. Il y a des maladies de la mémoire. Tant individuelles que collectives. Traiter la question de l’esclavage est une manière d’essayer de guérir ces maladies de la mémoire. D’un côté comme de l’autre. L’an dernier, nous nous sommes disputés sur cette question, mais en réalité nous ne l’avons pas traitée.

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Un poète politique : Aimé Césaire

MAGAZINE LITTÉRAIRE n° 34. Mensuel. La littérature et la drogue. Novembre 1969. 59 p.



aime_cesaire-9_300Il est député de la Martinique depuis la Libération, il a été avec Senghor, reconnu comme le plus grand poète noir d’expression française. Comment s’accordent, en lui, la négritude, la poésie et la politique ?


Le Magasine Littéraire. — Quels ont été vos sentiments, quelle a été votre impression quand vous avez quitté la Martinique pour venir terminer, en tant que boursier, vos études à Paris ?

Aimé Césaire. — Je n’ai pas du tout quitté la Martinique avec regret, j’étais très content de partir. Incontestablement, c’était une joie de secouer la poussière de mes sandales sur cette île où j’avais l’impression d’étouffer. Je ne me plaisais pas dans cette société étroite, mesquine ; et, aller en France, c’était pour moi un acte de libération.

— Est-ce qu’alors vous vous sentiez colonisé ?

— C’était confus ; je ne savais pas grand chose de ça. Existentiellement, je me sentais mal à l’aise ; j’étouffais dans cette île, dans cette société qui ne m’apportait rien et dont, très tôt, j’ai mesuré le vide.

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« Cahier d’un retour mal assuré au pays des bonnes intentions» « Mann ist, was mann isst »

— Par Roland Sabra —

Yé Mystikwi! et Mangeons!

Photo Philippe

Yé Mystikwi ! Deux spectacles pour clore la biennale de danse contemporaine. Tout d’abord une chorégraphie de Lucien Peter inspirée du « Cahier d’un retour au pays natal » dont on retiendra la belle mise en lumière de José Cloquel et la difficulté à passer des bonnes intentions à la réalisation. Dès la lecture du prologue(1) par le psychanalyste Guillaume Suréna, les danseurs apparaissent sur scène un peu, et dans la salle, beaucoup, en se déplaçant comme des automates, de façon mécanique mi zombies mi-âmes errantes à la recherche d’un havre sur le fond de la scène une sorte de lune bleue tordue qui servira d’écran aux projections multimédia, à dire vrai beaucoup d’écrans de veille repiqués d’un Winamp quelconque. Sur la scène se dessine un espace qui semble figurer l’île yougoslave dont le nom et la vue vont déclencher l’écriture du cahier. En fond musical plus qu’en accompagnement la voix de Césaire se fait entendre dans un environnement sonore confus : sur la voix du poète la gestuelle de la danseuse se construit en opposition aux gestes des automates.

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Le trait d’union-monde chez Edouard Glissant

 —Par Manuel Norvat —

La préoccupation d’Édouard Glissant, c’est avant tout le monde. Dans le manifeste intitulé Pour une littérature-monde, sous la direction de Michel Le Bris et Jean Rouaud, Glissant est explicite sur ce point :

« S’agissant de poésie et de politique, je crois [dit-il] avoir toujours obéi à un instinct qui me portait d’abord à considérer que l’objet le plus haut de la poésie était le monde : le monde en devenir, le monde tel qu’il nous bouscule, le monde tel qu’il nous est obscur, le monde tel que nous voulons y entrer1 »

Cet allant, ce goût pour l’altérité, puisque le monde tel qu’il est appréhendé par l’auteur n’est qu’altérité ; ce souci du monde, de l’ouverture, du laisser advenir, au lieu d’un enclos de soi, n’est pas l’appétit des écrivains prisonniers des enracinements, disponibles ainsi à toutes les dérives. Le cas de Maurice Barrès en est un exemple éloquent. Le prestige littéraire voilera de son mieux l’obscurantisme de cet écrivain. « Les étrangers n’ont pas le cerveau fait comme le nôtre » écrivait-il. Par une dénégation aux loges de l’immonde l’un de ses épigones Antillais qualifia les Juifs d’« Innommables »2.

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Aimé Césaire

Compagnon de Léopold Sédar Senghor, célébré par Jean-Paul Sartre, Michel Leiris, André Breton, le grand poète de la « négritude » fut également, pendant plus d’un demi-siècle, la principale figure politique martiniquaise

 

aime_cesaire-9_300Fou de sa langue, de Rimbaud,de Breton, enfant caraïbe de Shakespeare et Brecht, né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe (Martinique), député de la Martinique de 1945 à 1993, proche de De Gaulle et de Mitterrand, maire de Fort-de- France de 1945 à 2001, conseiller général à deux reprises (1945-1949 ; 1955-1970), Aimé Césaire, hospitalisé mercredi 8 avril 2008, est mort le 17 avril à Fort-de-France. Il était âgé de 94 ans.

 

Le 23 mars 1964, face à De Gaulle en visite en Martinique : « On ne pourra pas éluder davantage un problème qui obsède notre jeunesse, le problème de la refonte de nos institutions pour qu’elles soient plus respectueuses de notre particularisme, plus souples et plus démocratiques. » Il aura ainsi admonesté tous les présidents de la République d’une voix nette, timbrée, en porte parole de son peuple et de son devenir. C’est cette parole, politique et poétique, qui impressionne le plus dans un corps sûr et si timide.

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De Césaire à Glissant, état de l’insurrection poétique

  –— Par Hubert Artus —

 Il y a un an, à l’occasion des Etonnants Voyageurs de Saint-Malo, un manifeste faisait du bruit: « Pour une littérature-monde » [1] contrait le concept un peu colonialiste de « francophonie ». La disparition d’Aimé Césaire nous oblige à un état des lieux de l’insurrection poétique. A commencer par l’indispensable « Mondialité » d’Edouard Glissant.

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Césaire ? Ma liberté

 — par Patrick Chamoiseau—


Prix Goncourt 1992 pour son roman «Texaco», c’est un autre grand écrivain martiniquais qui dit ici sa dette à l’égard de l’immense poète disparu le 17 avril

 aime_cesaire-9_300«Et puis ces détonations de bambous annonçant sans répit une nouvelle dont on ne saisit rien sur le coup sinon le coup au coeur que je ne connais que trop.»
Lorsque celui qui s’en va est une magnificence, ce n’est pas un abîme qui se creuse mais un sommet qui se dévoile. Confrontée à certaines existences, la mort n’est qu’un révélateur, et c’est sa seule victoire. Le silence de Césaire s’est soudain rempli du verbe de Césaire, de ses armes miraculeuses, de ses combats, de ses lucidités et de ses clairvoyances. De son amertume aussi. «Regarde basilic, le briseur de regard aujourd’hui te regarde.»
La mort n’est ici qu’une paupière brutale, écarquillée sur une splendeur qui ne frémit même pas. Soudain total, un monde se dégage des cécités du petit ordinaire de la vie. La mort n’est pas la seule à se voir désemparée en face d’une telle présence que l’absence renforce.

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Césaire ou les Antilles

Par Lyonel Trouillot —
lyoneltrouillot@lematinhaiti.com

 

aime_cesaire-9_300Demander qu’un pays renonce à lutter pour son indépendance, c’est lui demander de consentir au suicide (Le rebelle, Et les chiens se taisaient !)
Aimé Césaire

Il est des hommes dont le rôle d’éveilleurs de consciences s’évalue à la lueur d’une large perspective historique. Aimé Césaire est de ceux-là. Et nous n’avons pas encore pris toute la mesure de la signification de son œuvre dans l’élancement de tant d’hommes de notre continent contre les forteresses qui étouffaient naguère les clameurs de nos peuples.
Mario de Andrade Poète brésilien

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«Nègre je suis, nègre je resterai»

 —  Par NATALIE LEVISALLES —

aime_cesaire-9_300Quelques jours avant d’être hospitalisé, Aimé Césaire faisait comme il avait fait chaque jour toutes ces dernières années. Après avoir passé la matinée à la mairie de Fort-de-France où il recevait tous ceux qui voulaient le rencontrer, des mères qui venaient lui présenter leurs enfants aux lycéens qui lui demandaient de l’aide pour un exposé, il mangeait un peu de riz, montait dans la voiture conduite par son chauffeur et partait se promener dans l’île.

L’écrivain Daniel Maximin, qui le connaît depuis près de quarante ans, a fait cette balade avec lui en décembre. Ils se sont arrêtés à l’endroit préféré d’Aimé Césaire, le sommet d’une colline d’où on voit, à droite, la mer des Caraïbes, à gauche, l’océan Atlantique. Ils se sont aussi arrêtés sous l’arbre préféré du poète, un énorme fromager dont les branches et le feuillage traversent la route. Dans un entretien avec Maximin, paru en 1982 dans la revue Présence africaine (1), Césaire raconte qu’il a toujours été fasciné par les arbres. «Le motif végétal est un motif qui est central chez moi, l’arbre est là.

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Féminisme et psychanalyse : l’ingratitude…

par Guillaume Suréna —

 Le grand mérite de la psychanalyse est et sera pour toujours d’agacer les porte-paroles de ce qui est convenu, de ce qui est institué, y compris dans les rangs de ceux qui se réclament d’elle. L’ingratitude des divers mouvements féministes à l’égard de Sigmund FREUD est d’une dimension telle qu’elle frise souvent l’absurdité. Il est vrai que FREUD, pessimiste s’il en est sur la nature humaine, (le 20ème siècle et le début du 21ème ne lui ont pas encore donné tort), n’a pas été de ceux qui ont crû que « la révolution s’arrêtera à la perfection du bonheur » et qu’il s’agira de modifier le cadre de vie démocratiquement ou pas pour que cessent les drames existentiels collectifs et individuels.

 

« Madinin’art » journal bien connu pour sortir des sentiers battus a un goût pour la provocation contre l’orthodoxie psychanalytique que j’accepte de représenter contre sécheresses, cyclones et tsunamis. Il donne consciemment un petit avantage à toutes les psycho-philosophies qui cultivent l’illusion de dépasser FREUD. A l’occasion de la journée internationale des femmes, ce journal électronique a donné la une aux femmes et à la plus célèbre et conséquente d’entre elles : Simone DE BEAUVOIR.

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Aimé Césaire. La passion du poète

 

— par Édouard Glissant —

aime_cesaire-9_300La route de Balata monte à travers la forêt primitive de Martinique jusqu’au Morne-Rouge et au delà vers les plateaux d’Ajoupa-Bouillon, du Lorrain et de Basse-Pointe, où le poète est né, et où l’on découvre et l’on éprouve « la grand’lèche hystérique de la mer. » Pas un ne sait ni ne peut dire à quel moment, sur cette route, vous quittez le sud du pays, ses clartés sèches, ses plages apprivoisées, ses légèretés soucieuses, pour entrer dans la demeure de ce nord de lourdes pluies, parfois de brumes, où les fruits, châtaignes et abricots ou mangues térébinthes, sont pesants et présents, et où l’on peut entendre d’au loin les conteurs et les batteurs de tambour. Chacun s’y plante sans doute dans ses enfances sans bouger, comme dans la boue rouge qui piète à l’assaut des mornes Pérou et Reculée.

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« Les Bonnes » : vertiges et folie dans le grenier des morts-vivants

 — par Selim Lander —

  au Théâtre de Fort-de-France

 10, 11 et 12 avril 2008

« Au moins cette beauté doit-elle avoir la puissance d’un poème, c’est-à-dire d’un crime ». Jean Genet

 Le théâtre de Genet est fait d’outrance et d’excès. Il ne se complaît pas dans le médiocre. Les sentiments ordinaires n’y ont pas leur place. Les vertus, surtout, n’existent pas. Il n’y a pas d’amour sans haine, de respect sans moquerie, de modestie sans orgueil, d’attention sans dérision. Et puis, au-delà de tout ce qui précède, il y a la malédiction suprême – « La scène est un lieu voisin de la mort » – et les comédiens ne sont déjà plus de notre monde : il leur faut « des accoutrements terribles, qui ne seraient pas à leur place sur les épaules des vivants ». Impossible donc d’aborder une pièce de Genet sans accepter d’être confronté à la cruauté sous toute ses formes : jalousie, mépris, méchanceté, jusqu’au meurtre. Il faut « que le mal sur la scène explose ».

Mais le théâtre a sa logique propre qui s’impose même à un Genet. Il est faux-semblants, retournements de situations, coups-de-théâtre.

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Habiter « le pan d’un grand désastre »

— Par Jeanne Wiltord —

Je remercie, Mme Suzanne Ravis et M. Georges Aliker de m’avoir transmis certains documents sans lesquels je n’aurais pu écrire ce texte.

«Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur à l’abrutir au sens propre du mot… et montrer que chaque fois qu’il y a au Viêt-Nam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère…il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.»

A. Césaire Discours sur le colonialisme (1950)

«C’était l’inconscient qu’on leur avait vendu en même temps que les lois de la colonisation, forme exotique, régressive, du discours du maître, face du capitalisme qu’on appelle impérialisme.»

J. Lacan, L’envers de la psychanalyse (18/02/1970)

Dans son numérod’Avril -Juillet 1955, la revue «Présence Africaine» publiait un poème d’Aimé Césaire intitulé :

« Réponse à Depestre, poète haïtien

(Éléments d’un art poétique).

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« Les mémoires de la faim », par Edouard Glissant

 

« DES IMAGINAIRES NOUVEAUX… »

Le scandale de la faim dans le monde, et de l’irresponsabilité affichée par ceux qui en sont la cause directe, les producteurs mondiaux et leurs systèmes impitoyables de rentabilité, nous oppose la double difficulté du rassemblement des opinions éparses dans l’espace international, et des mémoires des peuples, qui se dissipent rapidement dans les exaspérations de l’actualité.

Ce qu’on a appelé les émeutes de la faim, dans les pays les plus pauvres du monde, émeutes déclenchées par les augmentations brutales des produits de consommation de base, le riz principalement, et dont une des explications les plus scandaleuses, avancée par ces mêmes producteurs, a été que « le marché donne ainsi le signal que la production agricole est insuffisante », explication outrageuse et indigne de l’humanité même la plus basse, nous devons nous avouer, quelques jours à peine après leur explosion, que l’écho s’en dissipe déjà dans les autres torrents de ce qui inlassablement court dans le monde, et que ces émeutes ne sont désormais commentées que dans les pays qui n’ont pas eu (encore) à souffrir de telles famines.

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