« Eloge de la servilité ». L’écrier, la nuit A tous les Quashie

 

L’écrier, la nuit


A tous les Quashie



Eloge de la servilité. Là où loge la servilité. Non pas son bwabwa pitoyable, l’ancêtre esclave dérespecté dans son maintien et sa retenue, mais la résidence coloniale, au cœur (au corps, an kò’y menm) de nos élites. Déloger la servilité. La tracer, la traquer, la détraquer, tout à trac. Kri ! Est-ce que la cour dort ? Car il était temps de la réveiller de ce cauchemar académique et liturgique qui creuse nos renoncements, et notre abandon au pillage plutôt qu’à la Parole.

 

Ce qui habite Monchoachi c’est le cri. Monchoachi n’écrit pas, il é-crie (yékri) il est cri. Le cri est souffle, il est mantra, il est Nom. Kriyé c’est nommer. Le cri est Création (criation). Il figure un lieu, possiblement habitable et partageable, que nul ne possède en propre (malgré que les lieux communs soient toujours des noms propres). Le cri vient de l’envers des choses, il vibre sa vérité, et d’un saut nous révèle (i ka fè nou soté !). Poétique de l’événement, co-naissance à ce qui vient dans la fatalité tragique, ignorant l’inconnu qui déborde de toute sa grandeur (sa ou pa konnèt gran pasé’w). L’appel du yékri redouble le lieu nomade du guerrier, le géryé-géryé de Mona, autre initié à la réalité de l’envers. Monchoachi é-crie la langue créole dans sa posture grave et classique, dans sa dénonciation minutieuse, dans l’approfondissement de son frottement à la terre et du marquage des corps, dans son rapport circonstancié de la possession de l’île et de la dépossession des hommes qui réclament la voix-égale…

Césaire avait écrit : « On tremble en pensant à la qualité des âmes formées ici depuis un siècle bientôt… Un égoïsme féroce. Un conformisme répugnant… On ne saurait imaginer le degré d’indifférence et de mépris que professe à l’égard du prolétariat noir, la bourgeoisie de ce pays. On peut admettre que 90% des jeunes gens fabriqués ici par l’école (hélas !) la famille, oui la famille, et le Reste, le Reste surtout (i.e. l’Eglise, ndlr), sont dans une torpeur morale voisine de l’abrutissement… » Il avait reconnu la prévalence du mana et le fracas surréaliste du chevauchement dionysiaque. Mais il avait dénié à la langue créole ce pouvoir démiurgique qu’on dit inspiration. Les dieux lui parlaient en français, il écrivit en français au Dieu du Livre…Il y eut -sans doute plus radical encore- l’é-crier rêche comme une graj de Suzanne Césaire (Malaise d’une civilisation), son voir-clair dénonçant l’imposture techniciste, réhabilitant la sérénité païenne et végétale des peuples de la Caraïbe. Khôkhô (Joseph René-Corail, défen), lui aussi jan ga (engagé), a figuré le guerrier marron comme absorbé par le végétal des razyés dans lequel il se fond pour disparaître au regard de l’Habitation domestiquée. Libérer l’essentiel c’est demeurer dans la retenue et le tenir-raide (encore aujourd’hui, passant par le rond-point de Place d’Armes, au Lamentin, nombreux sont ceux qui ne voient qu’une espèce d’arbre de bronze au lieu monumental du Nèg Mawon…) Il y eut cette prière d’un petit enfant nègre. Et l’écho mystico-rationaliste de Papa Yaya (l’AMEP préhistorique). Il y eut Suffrin et Granzong, Bèkànò èk Galfètè …

Et puis Fanon, qui tourna Ibrahim… Fanon, psychiatre affolé par le lynchage de Césaire (malgré son consentement à l’écrit) : « Ni les nègres, ni les mulâtres ne comprirent ce délire… Deux siècles de vérité blanche donnaient tort à cet homme. Il fallait qu’il fut fou, car il ne pouvait être question qu’il eût raison ». Fanon n’appellera jamais la Martinique… Il y eut des nuits kalachnikovs arraisonnées d’Etat. Il y eut l’inouï de Louis-Appolinaire Ginapé (Je ne suis pas civilisé…) relayant les Hoquets de Damas. Il y eut tant de prophètes aux Croix-Mission du soleil noir… Il y eut Bob Marley et le natural mystic ; mais depuis le dernier convoi de rastas pour Colson, jamais mon corps ne vibra d’une telle nuée ardente à l’aplomb de Babylone. Eloge de la servilité…

Monchoachi a traqué le lieu de la servilité en nous-mêmes. Non l’opportune aliénation, mais l’ankayaj du vouloir, du bien-vouloir qui ne moralise pas à vouloir le bien, mais mobilise une certaine volonté comme d’autres le bon cholestérol. En désertant l’en-vers de la langue créole (sa poésie, sa philosophie) l’homme de cette terre-là a renoncé à sa propre épaisseur. En aplatissant la langue au plus trivial de ses masques, l’homme d’ici-dans laisse échapper sa profondeur et sa hauteur même. Il consent alors à la réduction du pays, à son désenchantement et à sa numérisation. Certes bien-vouloir n’est pas toujours Pouvoir, mais engagement en vérité à la co-opération du monde. Ou encore bailler-chaîne à l’écoute vigilante du mutisme disert de nos hommes grands (sé gran nonm lan) : non pas ceux qui s’étalent en gammes et en dièses, mais ceux qui savent rester dans leur grandeur, debout derrière la parole…

Faire éloge de la servilité c’est réhabiliter le tenir-raide entêté et philosophe de nos ancêtres qui furent moins esclaves de nos maîtres que nous-mêmes qui crions ‘22 Mé’. Car ils furent humblement à l’écoute de la terre. Ils consentir à exprimer l’esprit du lieu, passive activité. Démonstration des monstres de nos désirs (dowlis, lantikri, chouval twa pat, lagyablès, lanmen nwè etc.). Cosmogonie de l’envers ; là ou tout imaginaire conjoint dans la migration des dieux et leur adoubement au lieu vivant. Ainsi perdure l’Afrique en pleine Amazonie (Saramaka & co), ayant dressé, à l’école de leurs frères réducteurs de têtes, la société contre l’Etat. Renverser la bête, c’est renverser les illusions du Progrès, de la Raison et de l’écrit. L’illusion des droits de l’homme (détergence du white spirit). L’illusion de l’Etat…

Nos ancêtres dans ce langage furent amenés-venir, mais ne furent pas démunis. Ils ne crurent jamais dans l’Etat (Babilòn). Pour eux quand Léta vous prend, vous êtes en crise. Léta est un dieu (est-ce Legba ? est-ce Léthée ?) qui vous possède dans l’oubli et vous nourrit de ses grâces si vous restez dans le prendre-garde (prangad). Car l’excès menace la fragile homéostasie écodivine. Léta, quand il vous prend, peut vous mener à la congestion, comme d’autres à l’embouteillage : un flux brutal et désordonné de convoitises qui déborde la moindre expression. De même les générations de l’échec scolaires qui leur ont succédé dans le parler ont démystifié ‘le système’ et proclamé que le roi était nu.

Ils ont mesuré la descente (désant !) et la hauteur de la fumée (wotè zèb la). Ils ont répudié le ‘je’ et proclamé le I-an-I (ayànay) qui est harmonie trismégiste des deux mondes (andidan/andéwò, toi et moi). Je est un autre. L’homme est relation. La bonne fortune dans une société régie par l’à-part raide (l’apartheid mesquin), tient à la transversalité du carnet d’adresse. Mais la véritable richesse appartient à ceux qui restent. Ceux qui, de l’enclos régalien de l’Habitation (géto a), ont contourné le Code Noir et, habitant la nuit, proféré le voir-clair de la Parole dans l’oracle de la veillée (sound system)…

Monchoachi pitjé bèt-la ; i matjé’y, i lélé’y (adan kalbas Lakouzémi a) èk i fésé’y atè. Affaissement du jetable. Il a tourné la langue sept fois sur elle même pour prendre la bête à revers. Désertant les rocades et les sites propres, il a laissé vibré l’esprit et tressaillir la nuit sur le palimpseste de notre mémoire-pays. Il crie la terrible désertion des temples de nos corps, l’aphasie de toute volonté qui est la caye des serfs.

Le lieu, même dans l‘exigence d’intégrité, échappe aux fonctionnaires de la Patrie et aux intégrismes totalitaires. Le lieu se ménage toujours des ailleurs, comme le Nom d’autres noms. Le lieu se cache du cadastre et de l’arpenteur. Le lieu, même dans l’absolu de sa singularité, se raboute au monde enchanté de tous les lieux du monde. Par où Miquelon voisine au loin, sur l’Alsace et la Lorraine débouche la mer sève de savane, Guinée le reposoir au retour des âmes quand Madras retient les longs cheveux noirs de la femme soyeuse… La cartopoétique n’accumule ni ne juxtapose : elle emboîte, elle chevauche, elle dé-li(v)re, elle tremble, elle révèle. Ainsi au Marigot, un lieu crié Ladorasyon

Le lieu est mystique. Il tient de la Parole et du Corps (Kò a, chair et esprit). La Parole comme le corps bornent deux univers jumeaux et in-versés dans leur conversation. Ils conjoignent dans le Nom. Monchoachi :  littéralement, ‘le Morne de Kwasi’ (ou ‘Kwachi’, marron gwadloupéyen). Insurgence du Nom… Hauteur et suspens de la parole (i pann wo) ; dédicaces à Ogun et à Gédé (Kwachi : ‘né un lundi’), lutte et mort, stoïcisme tragique du guerrier… Pourtant la bourgeoisie jamaïcaine -plus victorienne qu’Elizabeth- raille jusqu’au dérayé Quashiei, le petit-nègre bouseux, flanqué de sa Nansi (Anansi, par ailleurs l’Araignée qui camoufla le Prophète) qui jargonnent un bourdonnement parfaitement inaudible, plein de silences et d’entendement ; dont le regard vous fusille ou vous traverse, quand il ne reste pas éperdument baissé ou mutiquement levé, extasié de visions… Quahie, l’autre face de la retenue. Celui qui reste-là même.

Ecouter battre le bèlè de la langue. Le doumbédoum de notre consentement au lieu. Y puiser la force d’être soi-même et le tiens-bon qui persévère face au pilori des Pères sévères et des maîtres véreux. Démasquer le vide derrière les masques. Offusquer l’offense faite à l’enfance et à l’errance. Faire planter-banane le doute et l’esprit colon (l’esprit Colomb). Ecrier l’esprit du lieu c’est faire œuvre de vivant, donner passage à la décharge des forces…

Alors, en vérité, Lakouzémi trace Larèl nouvelle et salutaire (la marque. La nouvelle Relation qui n’est chronique ni journal. L’écrier de nos lieux essentiels)!

Car il s’agit du droit à l’opacité. De l’identité et de sa résonnance. Il s’agit de la capacité des lieux du monde à s’énoncer des passerelles légendaires. Il s’agit du nœud coulant de la cravate les soirs de cocktail, mais plus encore du décrier de la retenue. Il s’agit aussi de l’oubli et de l’initiatique. Du dogme et de l’épiphanie. De Bernard Coard et de Maurice Bishop (Caïn et Abel), de Thomas Sankara, de George Marie-Louise et de toute fondation sacrificielle… Il s’agit bien de l’unique possibilité d’un Nous-mêmes, en ce lieu où le monde nous convie depuis Mathusalem.

Kenjah,

La Baie noire

i Adrian A. McFarlane écrit :  “Quashie is a stereotypical characterization of persons who lack the intelligence and ability to know that someone is exploiting them.” (“The epistemological significance of ‘I-an-I’ as response to Quashie and Anancyism in Jamaican culture”, in Chanting down Babylon, Temple Univ. Press, 1998)

 

 

 

Monchoachi
Eloge de la servilité

Juliette Smeralda
Servitude ou domination incorporée

Georges-Henri Léotin
Ecrits de la montagne

Jean Morisset
Lettres de Bellechasse

 

 

Le projet Lakouzémi 

 

Publications, Journées rencontres, Boutique d’Art

 

Vient de paraître :

LAKOUZEMI

 

Eloge de la servilité

de Monchoachi

 

avec des contributions de

Juliette Smeralda, Georges-Henri Leotin, Jean Morisset

 

 

Un élégant ouvrage de 246 pages, au format 260 *280

Dos cousu collé , Titre 2 Couleurs

ISBN : 978-2-9530120-0-2

 

 

Le principe de base de Lakouzémi est son indépendance de pensée. Lakouzémi doit l’assurer grâce à sa totale indépendance financière. Celle-ci ne peut lui venir que de la mise en œuvre de réseaux de solidarité diversifiés : pour la large diffusion et la récolte optimisée des recettes de ses publications ; la participation multiforme à l’organisation des journées rencontres (spectacles, restaurations…) ; les soutiens financiers et les dons en nature (œuvres d’art…) ; la mise en place et la gestion du dispositif Internet (Lakouzémi.org, en cours de création) … Bref, il est impératif pour Lakouzémi de tisser ses réseaux afin de ne dépendre de personne. La mise en œuvre et l’animation de ces réseaux relèvent d’une association : Lakouasos.

 

 

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