Le lycée Schoelcher et les schoelchéristes tardifs


 

Le mardi 29 juillet 2008, la Région entamait la destruction du bâtiment G du lycée Schoelcher. Le jeudi 31, le Conseil Municipal PPM de Fort-de-France dénonçait cette démolition ; un collectif pour la « sauvegarde » était créé, une pétition mise en circulation. France-Antilles du vendredi 1er août 2008 titrait : « Serge Letchimy part en guerre », et mettait en exergue le « oui, je m’oppose à la démolition du lycée Schoelcher » du maire. Assez étonnamment, il se trouve que c’est le même Serge Letchimy qui, peu de temps auparavant, avait donné un avis favorable à cette opération de destruction !

 

S’il est légitime que des points de vue différents s’expriment sur l’avenir de cet ensemble architectural datant des années 1930, l ‘observateur simplement attentif n’aura néanmoins pas manqué de s’interroger sur les silences, les absences, les incohérences et les insuffisances du PPM dans ce dossier. L’exemplarité douteuse de la « ville-capitale » en matière de politique patrimoniale et les effluves d’un schoelchérisme tardif dans la posture actuelle des letchimistes n’auront pas non plus échappé à sa vigilance.

 

L’avenir appartient à ceux qui dorment

 

La stratégie médiatique du PPM, dans une tentative de manipulation grotesque et peu honorable de l’opinion publique, consiste à faire croire que la Région, sans débat, aurait décidé de « raser » le lycée Schoelcher.

 

La chronologie et la réalité des faits montrent l’étendue de la perversité de ce discours. En fait, les dirigeants du PPM se réveillent en sursaut d’une longue sieste patrimoniale pendant laquelle l’avenir du lycée Schoelcher s’est décidé sans eux…

 

En effet, à partir de 1986, le Conseil Régional hérite de la gestion du lycée Schoelcher. D’ailleurs, l’Etat, l’ancien propriétaire, ne s’était pas illustré par la qualité de l’entretien de cet établissement. Dès lors, des travaux de réhabilitation seront entrepris par la collectivité. Mais celle-ci, dirigée par le PPM jusqu’en 1992, n’arrêtera pas de mesures de nature à apporter une solution durable au vieillissement et à l’insécurité du lycée, pourtant connus de longue date.

 

Le diagnostic de structure et de stabilité aux séismes, réalisé en 2002, par une autre majorité, révélait l’étendue des dangers auxquels se trouvent exposés les usagers du site. Pour des raisons de sécurité, de financement, d’adaptation aux exigences pédagogiques actuelles et d’accessibilité pour tous les utilisateurs, la reconstruction s’imposait comme l’alternative la plus viable.

 

En 2006, un concours d’architecture était alors lancé. Cette étape faisait suite à une décision de reconstruction arrêtée par le Conseil d’Administration du lycée Schoelcher, en date du 23 mars 2004. L ‘opinion publique sait, en effet, que la communauté scolaire s’était fortement mobilisée sur cette question, depuis plusieurs années : la presse s’en était fait l’écho.

 

 

Le Conseil d’Administration du 23 mars 2004 qui, « après une suspension de séance qui a duré  vingt minutes », votait à l’unanimité « la démolition/reconstruction du lycée Schoelcher » concluait ainsi un long débat interne à l’établissement.

 

Le procès verbal de cette instance nous apprend par exemple que « le conseil de vie lycéenne (qui regroupe les élèves) s’est réuni le mardi 23 mars à 11 h 30, pour la préparation de ce Conseil d’Administration » ; le même document mentionne les déclarations des délégués enseignants : « Le lycée est à reconstruire car il ne répond ni aux normes parasismiques, ni aux exigences pédagogiques actuelles… »

 

Par contre, à aucun moment n’apparaît une proposition, une réflexion, une interrogation du Conseiller Municipal représentant de droit la « ville-capitale » dans cette importante instance de décision… La représentation municipale est absente ce jour-là comme elle fut régulièrement absente des Conseils d’Administration du lycée Schoelcher alors même que la communauté scolaire se battait pour trouver une solution à l’insécurité.

 

Mais ni les absences ni les silences des inquisiteurs de la dernière minute ne les ont incités à moins d’arrogance et à plus d’humilité. Bien au contraire. Des enseignants du lycée Schoelcher, venus exposer en toute bonne foi leurs réflexions au forum du PPM organisé le vendredi 5 septembre 2008 ont été remerciés par une salve d’injures du Parti Progressiste Martiniquais dans « le Progressiste » du mercredi 17 septembre 2008 : « Pauvres d’esprit » ; « petits bourgeois satisfaits et suffisants » là pour « gloser » ; « partie de nos élites décérébrée » ; « zèbres » occupés à « se démener, se contorsionner, s’agiter, se secouer » dans des « élucubrations d’obscurantistes… » Il ne manque que la mise à mort.

 

Ces insultes injustes, violentes, inutiles, lourdes de haine et de mépris, sont inacceptables de la part d’un parti, surtout quand c’est lui qui convie les citoyens à un débat qui se veut démocratique. Une telle attitude exigerait des excuses publiques de la direction du PPM à ces enseignants… Cette dérive, après d’autres, illustre les méthodes et les conceptions profondes de ce parti quant à la démocratie.

 

Il reste, indépendamment de l’appréciation que chacun peut avoir de la politique de la Région en général et du projet retenu en particulier, que la propagande du PPM sur un prétendu arbitraire de cette collectivité relève de la mauvaise foi et d’une misérable politique politicienne.

 

Les tremblements de terre tels que compris par le PPM

 

Les thèses du PPM sur les risques sismiques auxquels sont exposés les usagers du lycée Schoelcher donnent froid dans le dos. Dans l’éditorial du « Progressiste » en date du 4 juin 2008, pompeusement intitulé « De l’appui parasismique », le 1er  Secrétaire  du PPM écrit : « J’invite les Martiniquais à se souvenir du 29 novembre 2007, de ces vieux bâtiments du lycée Schoelcher que l’on veut démolir pour de sombres raisons, qui curieusement ont résisté, lorsque d’autres plus modernes, récents et parasismiques ont dû fermer de longues semaines durant ».

 Il est rare, dans une même phrase et dans un même élan, d’atteindre à la fois les sombres sommets de la démagogie et ceux de l’irresponsabilité. Cette prouesse du 1er Secrétaire  fera sans aucun doute date dans les annales et pourra être citée comme un cas d’école.

 

Cette croyance, qui aboutit à magnifier le lycée Schoelcher en citadelle inébranlable résistant fièrement aux assauts furieux du temps et des cataclysmes, est reprise avec un lyrisme pathétique par une conseillère municipale de Fort-de-France : « Et bien ! Il est là, et bien là, solide (aucun cataclysme même récent ne l’a ébranlé) beau »… etc… etc…

 

Tout cela est peut-être passionnément beau –si on veut- mais pas très solide et pas sérieux du tout.

 

Ce que l’on doit savoir c’est que, dès 1950, Jacques CHEVALIER, alors proviseur de l’établissement, en notait les fragilités dans un rapport :

 

« De nombreuses galeries, ceinturant les étages, sont soutenues par des colonnes. Leur armature de fer a rouillé en maints endroits et fait craqueler les revêtements de ciment ». En 1950 !

 

Au lendemain du tremblement de terre du 19 mars 1953, le proviseur en place,
R. SEGUIN, adressait au ministre de l’Education un courrier révélant l’impact du phénomène sur les
bâtiments :

 

« J’ai l’honneur de vous rendre compte que le séisme ressenti à Fort-de-France le 19 mars 1953, de 04 h 30 à 04 h 31 environ a causé des dégâts au lycée Schoelcher. Tous les joints de dilatation placés entre les différents corps des bâtiments ont éclaté et sont à reprendre […]. Des murs de remplissage ont été fissurés, leur consolidation est à envisager… »

 

« Aucun cataclysme ne l’a jamais ébranlé », disait la conseillère municipale précitée…

 

On imagine aisément que ces structures ne sont pas devenues plus résistantes après plus d’un demi-siècle. En outre, ce qui semble si curieux aux yeux du 1er Secrétaire du PPM s’explique facilement. Chaque tremblement de terre est en effet unique et se définit par sa puissance, sa profondeur et sa fréquence (la vitesse de propagation des ondes souterraines). Ce qui a sauvé le lycée Schoelcher et bien d’autres édifices, en dépit de la puissance du séisme du
29 novembre 2007, c’est la profondeur de la secousse (150 Kms) et la faiblesse de sa fréquence. Un tremblement de terre moins puissant mais aussi moins profond, avec des fréquences plus hautes aurait provoqué des dégâts bien plus considérables sur l’ensemble de la Martinique. Réjouissons-nous qu’il n’en ait pas été ainsi et que nous n’ayons pas eu à déplorer une catastrophe humaine…

 

Enfin, contrairement aux insinuations mensongères des dirigeants du PPM, et comme le rappelait Daniel DONAT, architecte et diplômé en génie parasismique, qui a participé à l’expertise de plusieurs bâtiments suite au séisme du 29 novembre 2007, aucune des constructions sur appui parasismique n’a été endommagée. Elles sont au nombre de quatre : Le lycée de Ducos, le lycée de Bellefontaine, le Centre Départemental des Sciences de la Terre et l’école primaire de
Pointe-Savane, au Robert. Pas une fissure n’a été décelée. Le lycée professionnel André Aliker, lui aussi sur appui parasismique, n’a été mis en fonction qu’en septembre 2008.

 

L’aléa sismique constitue un facteur déterminant dans la décision de conserver ou non un édifice accueillant quotidiennement plus de 1 500 élèves, professeurs et personnels divers. Faut-il faire l’expérience douloureuse et irréparable d’une hécatombe pour en être convaincu et commencer à devenir un peu plus sérieux ?

 

Il est, en tous cas,  pour le moins inquiétant que les responsables d’un parti qui dirige la capitale adoptent, pour les besoins de leur polémique, une attitude aussi désinvolte sur un risque majeur dont on connaît les conséquences dévastatrices et qui exige encore des efforts substantiels d’éducation et de préparation de notre population…

 

Les guerres les plus utiles sont souvent

celles que l’on mène contre soi-même…

 

Comme on l’observe donc, les enjeux de cette « guerre » déclenchée par le PPM ont peu à voir avec les intérêts de la communauté scolaire, la « sauvegarde » du lycée Schoelcher et encore moins avec une « promesse d’avenir » du patrimoine. L’article d’une porte-parole de la ville (« Agrégée d’histoire, Professeur de chaire supérieure », c’est elle qui le précise), paru dans France-Antilles du vendredi 5 septembre 2008, achève de démontrer que l’objectif se révèle être essentiellement  d’ordre idéologique, et la cible celles et ceux qui, contre coups bas et diffamations, portent l’idée nationale martiniquaise… Et pas  par coquetterie de langage.

 En effet, l’auteur de l’article, après quelques considérations générales sur la question patrimoniale, se déleste très vite des contraintes méthodologiques de la démarche scientifique qui doit pourtant s’imposer, y compris, et surtout peut-être, quand on se veut au service d’une cause politique.

 Elle affirme ainsi, doctement, à propos de la décision de reconstruction du lycée Schoelcher :

 « Il ne s’agit pas seulement de résoudre un problème de vétusté et d’absence de conformité aux normes actuelles parasismiques et bioclimatiques. Cela s’apparente plutôt à une volonté d’effacer une certaine mémoire, une certaine histoire, celle de l’émancipation par l’éducation des humanités et certaines valeurs et principes dont celui de la fidélité et de la  filiation, depuis Toussaint Louverture jusqu’à Aimé Césaire en passant par Victor Schoelcher »… On y arrive !

 

Et de poursuivre : « On peut entrer dans la modernité en assumant sereinement son passé, tout son passé ou alors on peut faire table rase du passé et réécrire une nouvelle histoire faisant fi des exigences d’honnêteté historique. Une nouvelle forme de résistance patrimoniale, culturelle et politique doit s’affirmer contre les politiques de l’oubli et d’instrumentalisation de l’histoire ».

 

Le procès en sorcellerie parfait, avec en sus la marmite de l’arrogance et les ingrédients méthodologiques habituels des maîtres en inquisition !

 Notre messager du ciel dénonce donc quelque chose qui « s’apparente » à « une volonté d’effacer une certaine mémoire, une certaine histoire » (tout cela est bien flou et bien fumeux !), de « faire table rase du passé » (où donc a-t-elle vu ça ?), « de réécrire l’histoire » (serait-il interdit par l’inquisition de revisiter l’histoire officielle en pays dominé ?). 

On peut sans doute comprendre que l’esprit de chacun puisse être hanté par les talibans destructeurs des Bouddhas de Bamiyan -patrimoine de l’humanité remarquable et perte désormais irréparable- mais cette angoisse ne saurait justifier l’absence de rigueur intellectuelle.

La validation de la thèse de la représentante du PPM aurait exigé de sa part soit la mise en évidence de déclarations suffisantes prouvant « une volonté d’effacer une certaine mémoire, une certaine histoire » et de « faire table rase du passé », soit l’exposé d’un faisceau de faits, dans le domaine du patrimoine, dûment établis et attestant de la dérive incriminée.

Or, il n’en est rien… où sont les arguments ? Où sont les faits matériels ? Où est la démonstration ? C’est le désert ! Les affirmations péremptoires seules ne sauraient tenir lieu d’argumentation. La méthodologie de l’insinuation sournoise et de l’anathème n’est pas initiatrice de la démarche scientifique.

 Pour notre part, nous assumons sereinement notre passé… Mais sereinement n’est pas béatement. Nous l’assumons en lucidité, en vigilance, en exigence et en responsabilité par rapport à nous-mêmes… Et nous considérons comme de notre devoir d’interroger l’histoire, de la revisiter, d’interpeller les faits, de bouleverser les paradigmes, de soumettre au scanner de la raison critique tous les poncifs de l’héritage aliénant de la colonisation et, sur la base de ce travail harassant et exigeant, de « réécrire » les pages de notre histoire là où justement ont régné les volontés « d’effacer » et « les politiques d’oubli et d’instrumentalisation de l’histoire » dont notre détracteur ne connaît que trop bien les auteurs.

 

Loin des sempiternels chapelets de louanges à Schoelcher, nos plus belles conquêtes sont nées de cette démarche là, n’en déplaise aux gardiens de la fable rassurante et complaisante du « consensus social et culturel de la sortie de la société esclavagiste », consensus démenti par l’histoire de notre pays.

 

L’illusion d’une histoire définitivement écrite, figée dans ses certitudes et ses prétentions (et qu’il ne faudrait surtout pas réécrire…) est un mythe pour conservateurs que l’historien récuse et que la vie elle-même se charge de réduire à néant.

 

Lorsque l’on réclame des autres « l’honnêteté historique », il est toujours bienvenu de se hisser soi-même à hauteur de cette exigence éthique et de commencer à balayer devant sa porte… Même si cette précaution peut coûter une petite guerre contre soi-même !

 

De ce point de vue, et sans verser dans un excès toujours vain, la ville de Fort-de-France, depuis 2001, n’a pas brillé par son exemplarité dans la capacité à assumer « sereinement son passé ». C’est bien Serge Letchimy qui, sans débat, sans forum citoyen, sans mobilisation médiatique (il est des œuvres dont l’accomplissement exige un silence de moine d’ordre contemplatif), a « rasé » le Pensionnat Colonial des Jeunes Filles qui a vu passer tant de belles figures de notre histoire telles, en 1914, Marie-Thérèse GERTRUDE, Docteur es sciences, ou encore  en 1926, Jane LERO, membre fondatrice et présidente de l’Union des Femmes de la Martinique jusqu’en 1949. Il n’a même pas été jugé utile d’apposer une plaque à l’emplacement de ce pensionnat… Il a paru plus pertinent à des esprits bien plus passionnés de patrimoine que les nôtres, d’« ériger » sur le site une merveille de l’architecture post-moderne : Un parking…

 

C’est encore l’édilité foyalaise qui, entre le 12 et le 13 décembre 2001, a « rasé » la chapelle de l’ex hôpital civil. Cet hôpital avait été mis en service le 14 mars 1899 et était représentatif de l’architecture de la fin du XIXe siècle. La chapelle avait été inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques par arrêté en date du 16 mars 1995 et était, à ce titre, protégée. La municipalité foyalaise qui veut aujourd’hui transformer la capitale en ville d’art et d’histoire n’en a eu cure à l’époque : Le bulldozer tenait alors lieu de pinceau d’artiste…

 

Une information judiciaire sur les conditions de démolition de ce patrimoine inscrit fut d’ailleurs ouverte contre la mairie de Fort-de-France qui plaida « le droit à la sécurité » des foyalais… Le même droit qui se voit aujourd’hui dénié aux usagers du lycée Schoelcher.

 

Dans France-Antilles du vendredi 1er août 2008, Serge Letchimy déclarait avoir « découvert par hasard la maquette du futur lycée« . Il a fait mieux… Dans une lettre au Préfet, datée du 26 mars 2002, il s’étonnait de « découvrir », –7 ans après l’arrêté du 16 mars 1995 !- que la chapelle rasée quelques mois plus tôt par ses soins était inscrite : « Après vérification, il s’avère en effet et de façon surprenante que l’ensemble du site est inscrit… » On peut légitimement s’interroger sur un tel fonctionnement.

 

D’une manière générale, l’actuelle équipe municipale a détruit ou laissé se détériorer bien des objets patrimoniaux de la ville (soit dit en passant, il faudra bien un jour que l’on se penche par exemple sur les conditions de préservation par la ville de ses propres archives…) et, sous l’excitation de la défiscalisation Girardin et de la théorie du « repeuplement » de la capitale, a défiguré plusieurs sites et quartiers foyalais.

 

Il faut à l’évidence conserver tout ce qui est rationnellement conservable car toutes les traces de notre parcours historique, de l’héroïque jusqu’à l’humiliant, ont concouru à la formation de notre conscience et nous prépare à prendre en charge notre avenir. Mais nous devons conserver sans conservatisme, sans ruser avec le bon sens et l’histoire, sans puéril procès en sorcellerie, sans instrumentalisation perverse du patrimoine. Au-delà, le défi de notre génération ne se réduit pas à faire piteusement de la « résistance patrimoniale » ; il consiste surtout à générer du patrimoine, à inscrire dans nos paysages notre propre perception du monde et notre propre imaginaire.

 

Le parfum rance du schoelchérisme tardif

 

Le mensonge et les injures, nous l’avons vu, font partie de l’attirail argumentatif du PPM. La preuve flagrante nous en est  à nouveau fournie par « Le Progressiste » du mercredi
17 septembre 2008 qui accuse « les néo-nationalistes, révisionnistes, négationnistes » –il y en a décidément pour tous les goûts- de vouloir « effacer du fronton du lycée le nom de Schoelcher » et même « le nom de Schoelcher de l’histoire martiniquaise ».

 

Ce n’est pas faire honneur à Schoelcher que de se vautrer aussi indécemment dans les caniveaux fangeux de la manipulation.

 

Chacun sait en effet que ni la Région pour les lycées, ni le Conseil Général pour les collèges ne peuvent attribuer un nom à un établissement scolaire sans l’accord dûment formalisé de son Conseil d’Administration composé de membres de droit (Elus de la commune d’implantation, Elus du Conseil Général ou du Conseil Régional, Administration) et de représentants élus des élèves, des enseignants, des parents d’élèves et des autres personnels. C’est chercher à tromper délibérément les martiniquais que de laisser croire que la Collectivité Régionale pourrait, unilatéralement, décider d’« effacer le nom de Schoelcher du fronton du lycée ».

 

Dans un registre encore plus mélodramatique, le maire de Fort-de-France tenait des propos pour le moins singuliers dans le France-Antilles du 1er août dernier. Il réclamait « un peu de respect pour ceux qui ont contribué (notamment Victor Schoelcher) à une nouvelle humanité dans le monde ».

 

On veut bien… Mais en quoi la démolition et la reconstruction d’un établissement que l’on sait dangereux pour ses usagers –et qui continuera de s’appeler lycée Schoelcher à la fin des travaux- pourrait constituer un manque de respect pour l’abolitionniste ?

 

C’est, au contraire, l’utilisation  bassement politicienne du nom de Schoelcher qui, non seulement disqualifie les auteurs de cette parodie d’indignation sélective, mais constitue de plus un manque de « respect ».

 

Mais, à entendre les cris d’effroi et les gémissements des letchimistes, on se croirait revenu à plus d’un siècle en arrière, aux pires moments du délire assimilationniste dont la fonction idéologique a été de renforcer l’aliénation culturelle,  d’ancrer dans l’esprit de nos compatriotes qu’ils n’ont joué qu’un rôle passif dans leur propre histoire et qu’ils doivent leur liberté au seul Victor Schoelcher. Cette vision de notre place, -ou de notre absence- dans l’histoire, alimentée par le colonialisme français, véhiculée aussi par des esprits occidentaux éclairés qui ne s’étaient pas pour autant affranchis de l’idéologie eurocentriste, entretenue, décennie après décennie, par des politiciens locaux, eux-mêmes aliénés, a considérablement pesé sur les mentalités en Martinique.

 

Le schoelchérisme tardif des letchimistes, 160 ans après l’abolition de l’esclavage, constitue donc une régression historique, politique et morale. Les letchimistes se complaisent en l’attitude de l’éternel affranchi, psalmodiant à tous vents : « Viv Schoelchè ! Viv Schoelchè ! », oubliant que les premiers abolitionnistes ont d’abord été les esclaves africains eux-mêmes, nos ancêtres…

 

Ecrire cela ne signifie nullement mésestimer le rôle de Schoelcher en 1848, et encore moins vouloir « effacer son nom de l’histoire martiniquaise ». D’ailleurs, la mystification schoelchériste   n’incombe nullement à Schoelcher  lui-même mais principalement à ceux qui avaient compris quels profits politiques personnels ils pouvaient tirer de son nom. La recette vaut toujours…

 

Victor Schoelcher appartient à l’histoire de la Martinique. Définitivement. Au-delà , il appartient à l’histoire de cette humanité multiple qui, dans les jours sombres de l’esclavage, a vu des femmes et des hommes dénoncer l’immoralité de ce système et trouver la force et l’intelligence de l’affronter. Mais nous ne faisons de Schoelcher ni un « papa » ni un saint dont il faudrait à n’importe quel prix préserver les reliques, et nous ne dansons pas « grâce à Schoelcher » sur les places publiques ni ne nous contorsionnons dans la poussière des édifices en pleureuses ridicules.

 

L’affaire du lycée Schoelcher révèle les ambiguïtés idéologiques permanentes du PPM et s’inscrit dans une crise d’identité bien plus profonde. A sa création, en1958 (congrès constitutif), le Parti Progressiste a rassemblé sur une base très hétéroclite. La fin des années 60 et les années 70, dans le contexte d’une droite française répressive et de l’affirmation d’un mouvement de libération nationale qui contestait le réformisme du PPM, voient la radicalisation progressive du parti de Césaire : adoption officielle de l’idée de l’existence d’une nation martiniquaise (allocution d’Aimé Césaire le 22 mars 1968 pour le 10e anniversaire du parti), convention du Morne-Rouge en 1971, dénonciation du génocide par substitution dans le « progressiste » du 22 juin 1977…

 

L’arrivée de François Mitterrand au pouvoir et, subséquemment, le moratoire décrété par Césaire signent la fin du processus de radicalisation du parti et l’abandon de la revendication d’autonomie. Plus fondamentalement, cette période a contribué à la régression politique, théorique et idéologique du PPM.

 

Ni l’enterrement du  « génocide par substitution », ni le refus de voter l’existence d’une nation martiniquaise en février 2002 au Congrès des élus départementaux et régionaux, ni les aveux publics de certains dirigeants en faveur du « libéralisme », ni la haine des indépendantistes (que Césaire lui-même n’a jamais partagée), ni les positions zanzolantes sur la consultation du
7 décembre 2003 ou sur le plan Jégo ne sont dus au hasard ou à des accidents de parcours. C’est l’expression constante de reculs idéologiques et politiques.

 

La montée en puissance du nationalisme sur le plan électoral durant les dix dernières années, l’effondrement de la droite locale et les nouveaux espaces politiques ainsi créés ont conduit les letchimistes à liquider la part d’héritage radical de Césaire aux cris de « vive Césaire ! », à adopter un discours soporifique et de droite, à s’ouvrir enfin en direction des départementalistes oxydés comme Jean Crusol ou d’éléments affairistes mus essentiellement par leurs ambitions et leurs intérêts personnels.

 

Dans le contexte des années 2000 et dans le cadre des nouveaux rapports de force qui sont apparus, le PPM, dissimulé derrière la personnalité hors du commun et le verbe transcendant d’Aimé Césaire, est devenu le parti du statu quo et le plus sûr relais politique des sarkozistes et de l’Etat français en Martinique. La « guerre » du lycée Schoelcher ne constitue, en définitive, qu’une simple péripétie dans cette triste évolution.

 

Sans doute, eût-il mieux valu ne pas répondre à la polémique rétrograde déclenchée par le PPM. Le risque eût été alors de laisser se propager et s’installer le mensonge. Mais chacun doit être convaincu que le « Kankannisme » institué par le PPM comme praxis politique  détourne l’attention des martiniquais de l’essentiel et tend à ramener la politique à sa dimension la plus vulgaire.

 

Fort-de-France, le 2 octobre 2008

 

Pour le PALIMA, Francis CAROLE     Clément CHARPENTIER-TITY