Culture et Politique culturelle : quoi de neuf ?

 par José Alpha

Pourquoi n’existe-t-il pas une entreprise des métiers de la scène et du spectacle vivant en Martinique ? Une des nombreuses interrogations posées par de nombreux Martiniquais qui ont l’audace d’imaginer la production culturelle et artistique comme source de revenus et de développement pour la Martinique mais aussi comme vecteur dans le monde d’une culture insulaire caribéenne issue de notre métissage.

Cette question pose l’évident problème de la gestion des potentiels humains et culturels martiniquais quand on mesure les efforts consentis depuis plusieurs années par les collectivités aux nombreuses aides aux projets d’actions et d’exploitations culturelles et touristiques, à la formation des hommes et à la validation des acquis, dont les objectifs sont bien de favoriser l’économie culturelle et d’élever l’esprit critique populaire à la compréhension de ses origines et de ses potentiels existentiels.

Qu’a-t-on fait de nos expériences humaines et structurelles ?

Que deviennent les musiciens, les comédiens, les acteurs, les éclairagistes, les maquilleurs, les accessoiristes, les régisseurs de plateau, les costumiers, les dramaturges, les scénaristes, les auteurs, les administrateurs, les décorateurs, le public, qui ont été formés lors des nombreuses formations et stages dispensés à grands frais par les institutions associatives et les organismes de formation largement soutenus financièrement par les collectivités territoriales avec en arrière plan le ministère de la culture et de la communication ?

Où sont passées toutes ces expériences humaines et structurelles, tous ces acquis qui ont participé à la formation et à l’éducation autant de la jeunesse que des seniors par la mise en situation du conte, de la fable, de la musique, des rythmes, des mythes, des philosophies, de l’histoire et des imaginaires créoles ? Que deviennent ces talents reconnus et ces capacités artistiques à favoriser la fréquentation des lieux, des textes et de la pensée universelle qui constituent aussi nos sociétés et nos identités ? Pourquoi la formation à l’esprit critique et à l’éveil comparatif des langues et des traditions s’est elle subitement arrêtée face à la mondialisation ?

Des questions dont les réponses accumulées dans la confidence, dans le silence des politiques culturelles inachevées voire détournées, sont tout simplement identifiées à l’échec parce qu’on continue de penser que l’évidence de la réussite ne peut être avalisée que par l’extérieur à partir de conceptions inadaptées à nos évolutions.

L’exemple de la Nouvelle Calédonie

Des conceptions qui furent pourtant fortement dénoncées par Aimé Césaire et notamment par Jean-Marie Tjibaou (les promesses rendent les couillons heureux) lors des accords de Matignon en 1988 en prévision de l’édification du Centre culturel kanak de la Nouvelle Calédonie. Autant de doctrines et de principes européens, disait le leader kanak « qui divisent et freinent les élans, immobilisent les essors, éteignent les inspirations » et dont les intentions sont manifestement d’étalonner la créativité endogène pour la dissoudre dans l’universel.

Il s’agit bien de domestication, d’acte de civilisation, de colonisation dénoncée par Jean Marie Tjibaou qui martelait en 1975, lors du premier Festival d’Art Kanak qu’il organisait sur les lieux où 23 ans plus tard sera édifié le Centre culturel éponyme : « c’était aussi la première fois, dans notre histoire, que la société européenne a pris conscience de l’existence d’un peuple et d’une culture originels, d’une différence. Jusqu’alors, comme on dit chez nous, on rasait les murs car toutes les valeurs qu’on nous inculquait étaient les valeurs françaises. Nous en étions arrivés à avoir presque honte d’être Kanak parce que le modèle valorisant était français. Ce premier festival a donc été déterminant pour nous Kanak. »

Aujourd’hui, le peuple kanak n’est il pas respecté dans le monde grâce aux moyens qu’il s’est donné pour que sa culture, ses systèmes économiques et ses projets fonctionnent ?

Le Centre culturel Jean Marie Tjibaou est, il est nécessaire de le rappeler :

  • Un pôle de développement de la création artistique kanak et un centre de diffusion de la culture contemporaine kanak. Il affirme la culture kanak dans son patrimoine, dans son actualité et ses créations.

  • Un lieu privilégié de rencontre et de création culturelle en Nouvelle-Calédonie. Tout en donnant à la culture kanak sa place de « culture de référence », il suscite l’émergence de pratiques et de références culturelles nouvelles et communes à la Nouvelle-Calédonie .

  • Un pôle de rayonnement et d’échanges culturels internationaux que Marie-Claude Tjibaou, la veuve du leader kanak, présidente de l’agence de Développement de la culture kanak, explique de la manière suivante : «  il s’agissait de combler un déséquilibre que la colonisation avait installé. (…) Le Centre a en effet vocation à soutenir les arts contemporains, soutien d’autant plus essentiel pour un peuple qui est de culture orale et qui a aussi besoin de s’exprimer avec les moyens nouveaux de communication, les moyens audiovisuels, les techniques modernes…»

L’évidence est là : la Martinique comme la Nouvelle Calédonie possède les structures nécessaires à son développement culturel et artistique, généralement créées et gérées par les collectivités. La Martinique possède les compétences issues de l’expérience et des formations dispensées par les collectivités, elle a les projets et les volontés de les réaliser avec le peuple martiniquais, mais la détermination politique d’un Tjibaou ou d’un Césaire, l’unique, est totalement absente ou s’est diluée en cours de route, au gré des fourberies néo-coloniales de division qui affectent les relations humaines, créent la défiance et par voie de conséquence l’immobilisme et la perte de sens.

Alors on se justifie en colloques, en tables rondes, « on fait table rase de tout pour mieux affronter l’avenir », on se satisfait en hommages au « politiquement culturel correct » tandis que le peuple martiniquais, le peuple guadeloupéen, le peuple guyanais et les peuples de la Caraïbe demandent comme le peuple kanak, aujourd’hui comme hier, à retrouver ses ruses, ses techniques de pèche, sa technicité agricole, sa relation au cosmos, à l’invisible, à la mort, à l’univers. Que sont devenues ses rêves, ses sensibilités, ses générosités, ses codes fraternels de solidarité et de pouvoir, ses humanités, ses stratégies de combat, de pensée et d’existence pour un mieux être sur ses territoires et après, dans le monde ?

La question est de savoir comment nous accédons au troisième millénaire avec notre héritage.

Ni la DRAC, ni toute organisation prétendant à l’universel et au commerce culturel international ne parviendront à transmettre mieux que nous, l’essence du bèlè, la truculence et la générosité de la comédie créole, la sensualité de la biguine, le mystère de la voix bef, l’exubérance de la charanga, du mérengué, le romantisme du boléro, les mystères des piétinements et des chants gutturaux amérindiens et la fierté sonore du matalon indien, du requinto cubain, du grajé guyanais, du ka guadeloupéen, du tambou ladja, du bèlè et du tambou-di-bass martiniquais. Autant d’éléments anthropologiques qui nous constituent et qui demandent à être sans cesse révélés à nous mêmes et au monde. Ce que confirme Mme Marie-Claude Tjibaou qui ajoute en confidence que « le dernier aspect est l’action d’insertion du Centre Culturel Tjibaou dans son environnement géographique, parce que nous sommes dans le Pacifique, nous faisons partie de la Mélanésie, par conséquent des pays du Vanuatu, de la Polynésie, etc.. Nous inscrivons donc le Centre dans cette dynamique parce que devons nous ouvrir à notre région et avoir des relations privilégiées avec ces différents pays. C’est aussi dans ce cadre que s’inscrit le Festival des arts du Pacifique qui réunit l’ensemble des peuples indigènes du Pacifique. Ce festival dure depuis trente-deux ans et la Nouvelle-Calédonie l’a accueilli en 2000 autour du thème « Parole d’hier, parole d’aujourd’hui, parole de demain. »

Or en Martinique, quoiqu’on dise, « la culture » est encore prétexte

« Le spectacle vivant » exclusivement domicilié au centre du pays pour le Festival culturel foyalais de juillet-août au grand carbet de Fort de France et à l’Atrium de la capitale, structure rêvée par Aimé Césaire et réalisée par le Conseil général de la Martinique, s’excuse presque de résister dans les mornes, dans l’arrière pays et dans les pôles culturels départementaux et régionaux, aux assauts d’une importation européenne insipide et à bout de souffle parce que usée mais pourtant favorisée par une programmation sans ambition qui se justifie par « le divers et la différence », parait il sources de richesse et de rencontre des peuples. Quels peuples, quelles cultures ?

Encore l’Europe, toujours la France et peu de derrière-morne, d’arrière-pays, de colères péléennes, de sournoiseries de botrops, de ruses de compè lapin, de ténèbres pacifiées, de « tripotage » antillais et de mystéres abyssaux caribéens. Autant d’épopées qui caractérisent notre culture, la culture martiniquaise, aussi prégnante que celle du Caucase ou de l’Italie profonde, qui constitue les imaginaires et la résistance existentielle d’un peuple situé au centre d’un archipel ignoré si ce n’est que pour le délassement et le divertissement touristiques.

Alors que les projets des bibliothèques, du centre de découverte de la terre, des musées d’archéologie, d’ethnologie, des établissements scolaires, des associations sentinelles, tous ces pôles culturels, scientifiques, issus des Conseils Général et Régional pour la valorisation de notre Histoire, de notre patrimoine et de nos intelligences, attendent qu’une vraie coordination soit mise en œuvre sur l’ensemble du territoire (recommandation et proposition personnelle déposée en 2006), les dernières rencontres théâtrales 2009 proposent de parler encore, après plus de 30 ans, des résolutions, des vœux pieux, des livres blancs, des possibles et des freins, des expériences dont pourtant on se méfie parce que jugées subversives, pour noyer encore une fois le poisson dans une pathétique et hypothétique description de la justesse du « théâtre de rue » pratiquée depuis plus de 20 ans en Martinique et dont plus de trois générations se souviennent encore.

La territorialisation culturelle *

Il faut considérer le développement culturel non plus comme un luxe ou un passe-temps dont on pourrait se passer, mais comme un moteur du développement économique et social de la Martinique. Notre projet recommande encore, et je le répète, la territorialisation de l’action culturelle à partir du Centre culturel de Fort de France, l’Atrium, qui réactiverait l’économie culturelle en lien avec les collectivités communales, les associations et les espaces de vie. Un territoire sans offre culturelle réelle connaît un dynamisme moins important que lorsque la culture participe au développement. L’environnement culturel, la qualité de ses équipements et de ses propositions artistiques sont clairement de sérieux facteurs, complémentaires à d’autres, d’attractivité pour un territoire. Il est générateur de cohésion et de liens sociaux en recréant l’activité pour nos techniciens de plateau, nos artistes, nos comédiens, nos acteurs, nos musiciens, nos danseurs, nos auteurs compositeurs interprètes, nos plasticiens, nos photographes, et bien d’autres encore, parce que  le fer de lance culturel est indissociable de la détermination politique pour agir le développement du peuple et du pays. Sans cela nous serons toujours dans l’errance et l’à peu près, attendant inéluctablement la déshérence.

José ALPHA le  29-03-09

* Démocratie culturelle – Projet 2007-2015 de José Alpha