L’ici et l’ailleurs de l’Atrium

 — Par Roland Sabra —

 

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 Guillaume Gallienne :  » Un acteur qui sent le public est comme un violoniste qui ne regarde plus ses mains ni son archet. Il entend les notes qu’il fait et écoute la résonance. »

Les 22 èmes Rencontres théâtrales de Fort-de-France battent son plein. Commencées au lendemain de la reprise générale du travail dans l’ile elles ont atteint aujourd’hui leur rythme de croisière : une quinzaine de manifestations en quatre semaines, du 26 mars au 23 avril 2009. Le programme est un mélange de théâtre amateur, innovation de cette année, avec du théâtre professionnel, de théâtre d’outre-Atlantique avec des productions locales. Toujours ce même souci de métissage, d’allées et venues entre un ici et un ailleurs, qui est semble-t-il la ligne directrice de Manuel Césaire , qu’il s’agisse de théâtre, de musiques ou de tout autre art de la scène. On ne peut que saluer ce souci d’ouverture au monde. Reste bien sûr la question du contenu. Sage comme toujours, trop sage diront certains, mais tous se retrouveront sur la qualité. L’ouverture s’est faite avec l’excellent travail de Claude Mathieu qui mettait en scène Guillaume Gallienne sur un texte de Dario Fo, Prix Nobel de littérature 1997, et qui s’intitule « Saint-François, le divin jongleur ».  Librement inspiré de la vie du Saint d’Assise le texte est un hommage à la liberté de penser, à l’insolence nécessaire face aux pouvoirs institués qu’ils se nomment église ou parti, encore que la distinction n’a  que trop souvent plus lieu d’être. Ce spectacle du Studio-Théâtre de la Comédie-Française, excusez du peu, est marqué du  double sceau de son origine : classicisme et professionnalisme. Néanmoins, la performance du comédien qui tient, littéralement, la salle en haleine, est telle qu’il ne manquait que les yé cric, yé crac pour l’emmener définitivement sur des terres plus familières que celles de l’Ombrie et plus proches que celles des bords de Seine.  Le jeu est à la fois distancié, avec une once d’ironie qui transperce dans la diction et grave par la critique sociale qu’il laisse deviner plus qu’il n’assène. Fort heureusement sinon on se serait lassé. Un travail très corporel dans un espace nu et qui par conséquent ne pardonne aucune faiblesse. Et de faiblesse il n’y eut pas! Le public martiniquais qui s’était déplacé en petit nombre a joui avec bonheur de ces instants magiques. Ceux qui ne sont pas venus en sont bien punis.

Le deuxième spectacle proposé, illustration du mouvement de balancier évoqué ci-dessus, était « Le Collier d’Hélène », un texte de la québecoise Carole Fréchette, mis en scène par Lucette Salibur. La pièce a évolué depuis sa création il y a un an à Terreville à l’espace A’zwel.  Rudy Sylaire remplace Hervé Deluge. Et comme lui il ne réussit pleinement à incarner que deux des trois personnages dont il à la charge, mais ce ne sont pas les mêmes. Si Deluge ratait  le rôle du « rôdeur », Sylaire ne convainc pas dans celui du  » contremaitre ». Le jeu de Daniely Francisque à perdu son aspect mécanique de la première version  et c’est tant mieux, mais alors qu’elle semblait à l’étroit dans le local de l’A’zwel, elle semblait un peu perdue sur la scène de la Salle Frantz Fanon. Mais il est vrai que le thème de la pièce est celui de la perte et qu’il lui faut bien suggéré combien elle est désemparée! Son interprétation a gagné en humanité et donc en fragilité. Patrice Le Namouric suggère avec beaucoup de force et une grande économie de moyens, un chauffeur de taxi tout à fait crédible, et ce, depuis la création de la pièce. La métamorphose la plus spectaculaire est celle de Lucette Salibur à qui l’on avait reproché un « sur-jeu » réducteur  qui ne laissait aucun doute quant à la dimension schizophrénique de son personnage, déploie et installe désormais une ambigüité suffisamment déstabilisatrice pour émouvoir jusqu’aux larmes quelques spectateurs quand ils découvrent ce que dissimulait la recherche de la petite balle rouge. Les transformations, les améliorations, les perfectionnements que présentent de ce spectacle sont la preuve irréfutable que ce dont souffre le théâtre martiniquais est bien le manque de possibilités de représentations. On ne le dira et ne le répètera jamais assez car la surdité à cet égard des pouvoirs politiques, départementaux, régionaux, communaux est infinie. Il faudra bien qu’ils finissent par entendre raison car si le mot que l’on prête à Edouard Glissant est juste  » Il n’y a pas de nation sans théâtre » l’urgence est grande.

Roland Sabra

04/04/09