Catégorie : Littératures

Toni Morrison, le retour de la Prix Nobel de littérature

— Par Laëtitia Favro —toni_morrison_delivrances
La Prix Nobel de littérature 1993 revient, à 84 ans, avec Délivrances qui raconte l’histoire d’une fille rejetée par sa mère à cause de la noirceur de sa peau.
S’ils dépeignent la communauté noire américaine des prémices du XXe siècle à nos jours, les romans de Toni Morrison ne se répètent jamais. Auréolée d’un Pulitzer, du prix Nobel de littérature en 1993 et, plus récemment, de la médaille présidentielle de la Liberté décernée par Barack Obama, la papesse de la littérature afro-américaine traite pour la première fois dans Délivrances de l’Amérique d’aujourd’hui et surprend encore, à 84 ans, par le mordant de sa prose et la vigueur de ses idées.
Cette peau noire, si sombre qu’elle en paraît bleutée, Lula Ann Bridewell l’a d’abord vécue comme une malédiction, abandonnée à la naissance par son père, rejetée par sa mère, Sweetness, de carnation plus claire. Devenue adulte, celle qui se fait désormais appeler « Bride » est une femme d’affaires courtisée : à la tête d’une entreprise de cosmétiques florissante, elle collectionne les conquêtes, roule en Jaguar et ne s’habille plus que de blanc pour accroître le magnétisme de sa beauté hors du commun.

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Denis Lachaud, la révolution en 2037

— Par Sophie Joubert —

denis_lachaud_ca_iraCe roman d’anticipation explore les nouvelles formes de contestation, 
entre intime et collectif.

Ah ! ça ira… de Denis Lachaud. Actes Sud. 432 pages, 21,80 euros. Ah ! ça ira… commence comme un épisode de la série américaine 24 Heures chrono. Rapide et efficace. Un groupuscule dont les membres se nomment Robespierre, Marat et Saint-Just enlève le président (fictif) de la République française. Leur objectif : « rendre sa dignité au peuple ». Déshabillé, séquestré, l’homme est jugé devant un tribunal révolutionnaire et reconnu coupable. Il est retrouvé mort dans un coffre de voiture. L’assassinat a eu lieu hors champ. Comme les hommes de 1793, les membres de ­Ventôse veulent, en coupant la tête 
de l’État, fonder « la possibilité d’une autre histoire ». Mais l’opération est un échec. Le groupe est mis en sommeil et Antoine, alias Saint-Just, arrêté par la DGSI et emprisonné. Fin du suspense et de l’acte I. Avant le basculement dans l’anticipation.

Le livre fait écho à un environnement multipolaire et aux communications rapides

À travers le destin de quelques personnages, Denis ­Lachaud a voulu embrasser tous les mouvements d’émancipation, de la Révolution française aux printemps arabes en passant par la Résistance et les mobilisations citoyennes de par le monde.

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« Les Désenfantées » de Nathalie M’Dela-Mounier

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En collaboration avec Aminata Dramane Traoré

Alors que de jeunes migrants tentent en vain de gagner l’Europe depuis une plage africaine, deux femmes guettent les appels téléphoniques de leurs enfants respectifs séduits par un ailleurs qu’elles n’imaginaient pas. Amadou a en tête de rejoindre les djihadistes au nord du Mali ; Alice a pris la route de la Syrie où ils recrutent également.

Du déni à la colère, au-delà des efforts que font ces mères – qui n’ont apparemment rien en commun – pour que leurs enfants reviennent et pour comprendre les causes de leur départ, elles mesurent ce qui les rapproche toutes les deux. Non dénuées d’humour, repoussant déterminisme et fatalisme, elles nous font aussi percevoir comment ce qui se passe à un endroit de la terre peut affecter l’autre partie.

En donnant la parole aux mères et en interrogeant le système sous un angle inhabituel, cette pièce nous invite à réaliser notre communauté de destin. Elle souligne la nécessité de remonter à la source des événements qui tissent puis déchirent les vies de femmes et d’hommes refusant de n’être que les jouets cassés d’un monde chaotique.

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L’homme rapaillé des Caraïbes

Recension de Métaspora. Essai sur les patries intimes de Joël Des Rosiers

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— Par Pascal Chevrette —

À première vue, Métaspora est un titre qui fait sourciller. Néologisme forgé par le poète québécois d’origine haïtienne Joël Des Rosiers, il recèle de nombreuses significations et s’apparente à « diaspora » ; disons qu’il approfondit l’idée de la dispersion en l’amenant du côté de l’art et de l’imaginaire.

Les essais, notes de lecture, conférences et entretiens qui composent cet essai original explorent les aspects d’une esthétique se voulant « transnationale » et « postcoloniale ». Après un texte d’introduction où il présente sa notion (« Fabriques de la métaspora »), Des Rosiers l’applique aux œuvres de plusieurs écrivains, poètes et artistes, principalement originaires des Caraïbes, qui ont tâché, par l’art – par la sublimation – de se guérir des blessures et drames issus d’un passé colonial.

Des Rosiers est un poète prolifique, médecin, psychiatre et aussi psychanalyste. Sa prose, précieuse et élégante, florissante, se nourrit à ces trois racines et allégeances. Ayant étudié en Europe, il réside actuellement au Québec où il exerce la médecine.

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11 août 2015 : le centenaire de Suzanne Roussi

Le centenaire d’une pionnière

— Par Culture & Égalité* —

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« …Ma mère, assise, à la nuit tombée, auprès de nos lits,
Villa Week-End, Petit Clamart,
pour nous conter l’histoire éternelle, celle de Koulivikou, qui n’avait pas de fin
et dont elle inventait la suite chaque soir…
Ma mère militante avide de liberté,
sensible à toutes les douleurs des opprimés,
rebelle à toutes les injustices,
éprise de littérature et férue d’histoire,
nous imposant le silence lorsque notre père travaillait,
écrivant inlassablement, de sa mystérieuse écriture,
sur des feuilles blanches à l’en-tête de l’Assemblée nationale.
Ma mère, enseignante appréciée, bien que longtemps surnommée
la « Panthère Noire » par certains de ses élèves,
occupant toutes ses soirées à corriger des copies,
souvent agrémentées de dessins par les plus jeunes d’entre-nous,
Ce dont, loin de nous gronder, elle s’amusait.
Ma mère active féministe avant la lettre,
attentive à chaque progrès de la libération des femmes.
« Ta génération sera celle des femmes qui choisissent » m’a-t-elle dit un jour… »

Ina Césaire. Suzanne Césaire, ma mère

L’ENFANCE
Jeanne Anna Marie Suzanne Roussi naît le 11 août 1915 à La Poterie, aux Trois Ilets, où résident alors ses parents : Benoît Roussi, géreur à la fois de l’habitation sucrière et des ateliers de fabrication de pots, briques et carrelage de La Poterie et Flore, son épouse, née William, institutrice sur le même site, au plus près de la rue cases-nègres.

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Ninet’InfernO : un chant d’amour et de désespoir

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— Par Marina Da Silva —

Roland Auzet adapte les Sonnets de Shakespeare pour Pascal Greggory et Mathurin Bolze. 
Un poème sur mesure d’une beauté à couper le souffle.

Le rideau se lève sur une forêt de chaises où sont assises des silhouettes humaines. Elles vont s’éclipser à cour et à jardin, rejoindre la tapisserie d’instruments composée par l’Orchestre symphonique de Barcelone et national de Catalogne (OBC). Ils restent à deux. Lui est un homme d’âge mûr, à la beauté solaire, Pascal Greggory, acteur révélé d’abord au cinéma par Rohmer puis par Chéreau. Il a commencé à jeter les chaises et jette aussi les mots de sa rage et de son amour blessé, trahi. Face à lui, Mathurin Bolze déploie sa jeunesse étincelante et insolente. Le premier est aimanté par le second, qui ne le regarde plus, suit sa trajectoire d’astre fasciné par son destin. L’un est à bout de souffle, laisse couler son chant d’amour comme une lave de volcan. L’autre est muet, mais tout son corps vibre d’un prodigieux langage qui éblouit. Ninet’InfernO s’inspire des Sonnets de Shakespeare (154 poèmes publiés en 1599), que Roland Auzet, compositeur et dramaturge, a sélectionnés.

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Haïti est une blessure et une jouissance que je traine avec moi

— Entretien réalisé par 
Muriel Steinmetz —

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Un fort alcool de contrebande
La Nuit des terrasses, de Makenzy Orcel. Éditions La Contre Allée, 62 pages, 9 euros. recueil De bars en bars à Port-au-Prince l’auteur dans une langue de la rue réinventée au grè de ses errances redevient poète pour aller à la rencontre de ses frères de terrasses avec la force et la tendresse des chants populaires.

Makenzy Orcel est né en 1983 dans le quartier pauvre de Martissant, à Port-au-Prince. Son roman les Immortelles (Zulma, 2012), texte forgé dans une langue de la rue réinventée, à la fois crue et poétique, donnait voix aux prostituées de la capitale haïtienne dont tant sont mortes écrasées sous les décombres du terrible tremblement de terre qui a ravagé l’île en janvier 2010. Makenzy Orcel nous confiait l’avoir écrit dans la rue, après le séisme, derrière une vieille voiture abandonnée, à côté du cadavre d’une femme enceinte. Avec la Nuit des terrasses, le romancier redevient poète. Il trinque à la convivialité, invite à sortir la tête de son verre pour célébrer à plusieurs, présents et absents, « l’heure ivre », « la lumière pintée », car « boire nous sort du temps ».

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Dans la maison du père, danser au risque du péril

— Par Sophie Joubert —

dans_la_maison_du_pereDans la maison du père, de Yanick Lahens. Coll. «SW Poche», Sabine Wespieser éditeur, 9 euros. Le premier roman de la Haïtienne Yanick Lahens [première parution en 2000] suit l’émancipation par la danse d’une jeune fille de bonne famille.

Dans la maison du père est un roman doublement initiatique. Au sens classique, parce qu’il suit la formation d’Alice Bien-aimé, une jeune mulâtresse de la bonne société haïtienne. D’une manière plus souterraine, parce qu’il pénètre au cœur des cérémonies vaudoues, interdites par un décret de Toussaint Louverture, le 4 janvier 1800. C’est dans une villa de Port-au-Prince, à l’insu de ses parents, qu’Alice découvre cette danse du diable qui libère les corps et les esprits.

Un corps et une île 
en pleine ébullition

Alice Bienaimé est véritablement née d’une image, à l’âge de treize ans. Portée par un air de ragtime à la mode, l’adolescente esquisse quelques pas de danse, aussitôt réprimés par une violente gifle de son père, Anténor le Sévère. Ce traumatisme originel est le cœur du très beau roman de Yanick Lahens, raconté à la première personne par la petite fille devenue une vieille femme.

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Nous valons mieux qu’une vaine bataille électorale

— Par Sarah Johannes Elisabeth *—

lajenes_douvanNous reconnaissons que nos brèves années ne sauraient mesurer avec justesse l’éternité de votre engagement envers la jeunesse martiniquaise.
Quelles que soient vos formations politiques, vos ambitions personnelles, vos considérations intimes, vous nous avez régulièrement rappelé votre détermination à créer les conditions de notre épanouissement… futur.
Confrontés à un niveau de chômage structurellement et indécemment élevé, à une précarité angoissante et parfois même à une lassitude ankylosante, vous avez su, faut-il savoir le reconnaître, prouver votre capacité à vous rassembler sur ces sujets pour agir ensemble. Parfois. Lucides, vous avez pris conscience que vos seules actions ne suffisent plus, ni à satisfaire nos espérances ni à libérer nos entraves.
Nos expressions diverses ont permis d’aboutir à la parution d’un livre blanc « contribution de la jeunesse au PADM » soit un ensemble de propositions qui concerne notre avenir. Nous ne pouvions que nous réjouir de la reprise à un niveau politique des propositions issues du livre blanc comme le dispositif Migration Retour et le Césairus, bien que nous n’ayons malheureusement pas été associés au pilotage et à l’élaboration des projets.

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Alain Borer « Ce qui frappe chez Rimbaud, c’est la continuité des ruptures »

— Entretien réalisé par Muriel Steinmetz —
rimbaudHéritage L’écrivain Alain Borer (1), qui vient de présider le Printemps des poètes, a consacré trente ans de sa vie à la fouroyance du poète (1854-1891).

Comment expliquer que ce géant poétique foudroyant qui a tout écrit à dix-sept ans avant de jeter l’encrier, soit devenu ­ensuite un trafiquant colonial, autrement dit comment ce jeune homme en sympathie avec la cause des communards se retrouve soudain dans le vertige de la conquête ­coloniale du XIXe siècle ?

Alain Borer En aucun cas, Rimbaud n’a été colonialiste. Parmi les personnages qui débarquent des bateaux de messagerie en 1880, on ne voit que des prêtres, des diplomates, des marchands de canons et des commerçants. Rimbaud n’est rien de tout ça. Il vient chercher du travail. C’est un jeune homme ­ouvert à toutes les perspectives et, parmi celles-ci, il y eut celle de vendre des armes, mais du côté du libérateur de l’État éthiopien, à travers la figure de Ménélik et avec l’accord du gouvernement français. Je dirai que Rimbaud en Abyssinie, c’est la figure de l’idiot au sens grec.

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Pour une insurrection poétique permanente

poesie_sauveuse_du_monde— Par Marie-José Sirach  —

La poésie sauvera le monde, de Jean-Pierre Siméon. Éditions Le Passeur, 86 pages, 15 euros. Directeur du Printemps des poètes, Jean-Pierre Siméon signe un pamphlet nerveux et enthousiaste. Pour la poésie.

C’est le livre d’un homme en révolte, comme on dirait, en colère. Jean-Pierre Siméon, poète, ose la poésie, le poème, la langue. Un livre comme un cri, Urgent crier !, proclamait André Benedetto, un cri pour dire haut et fort, sans détours ni faux-semblants, que « la poésie sauvera le monde ».

« Le poème demande un effort (…) : le silence, la lenteur, la patience », écrit-il. Affirmer cela aujourd’hui, dans nos sociétés où l’imaginaire est piétiné sur l’autel de l’image, où la langue est aseptisée, lissée jusqu’à la vider de son sens (de son sang), c’est nager à contre-courant des flots et du flux, de ces torrents d’images et de mots-mensonges qui prétendent parler du réel… Or « tout poème est un grain de sable dans les rouages de la grande machine à reproduire le réel », poursuit-il, quand tout concourt, par le truchement du divertissement, de la domination du conceptuel dans l’art, « à une lecture passive du monde ».

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De la poésie de toutes les couleurs

ce_qui_est_ecritCe qui est écrit change à chaque instant, anthologie poétique. Le Castor Astral, 315 pages, 12 euros.

Cent un poètes pour un ouvrage qui est en même temps un manifeste de diversité et d’éclectisme.
C e qui est écrit change à chaque instant, c’est le titre de l’anthologie qui paraît ces jours-ci au Castor Astral. Il s’agit d’une citation du poète suédois Tomas Tranströmer, auteur vedette de la maison. Cent un poètes y sont présents sous forme d’extraits de leurs œuvres, véritable pot-pourri de ce que la maison d’édition s’honore d’avoir publié depuis sa création en 1975. La majorité des écrivains sont francophones, mais on trouve aussi des voix venues de l’étranger (Chine, Flandres, Pays basque, Angleterre, Colombie, États-Unis, Irlande, Italie, Norvège, Jamaïque, Suède, Russie, Allemagne…). Les choix de Jean-Yves Reuzeau et Marc Torralba sont très divers. Ils embrassent aussi les auteurs de la Beat Generation et ceux du Manifeste électrique (1971) et du Manifeste froid (1973), ainsi que les participants aux revues Chorus (Franck Venaille, Daniel Biga et Pierre Tilman) et Exit (Patrice Delbourg, Daniel Fano, Yves Martin, Marc Villard), sans omettre les changements formalistes sans cesse à l’œuvre dans la sphère poétique.

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La légende du Super Mama Djombo

— Par Sophie Joubert —
les_grands_s-prudhomme« Les Grands », de Sylvain Prudhomme, un roman qui raconte l’histoire 
de la Guinée-Bissau à travers 
un groupe de musiciens mythique, vient de recevoir le Prix de la porte dorée*.

Le Super Mama Djombo est né peu après l’indépendance de la Guinée-Bissau, petit pays d’Afrique de l’Ouest, frontalier du Sénégal et de la Guinée Conakry, qui s’est libéré en 1974 de la domination portugaise. La formation a connu son âge d’or entre 1977 et 1981, portant la fierté nationale lors de mémorables tournées à l’étranger où elle a notamment chanté la gloire d’Amilcar Cabral, le Commandante, figure de la libération du pays. Le Super Mama Djombo existe toujours, certains membres ont disparu, d’autres se sont exilés en France ou au Portugal. Mélangeant réalité et fiction, Sylvain Prudhomme s’est approprié les noms des musiciens pour en faire des héros de roman. Seul le personnage principal, Couto, grand patron de la guitare, « mélange d’ancienne gloire grisonnante et de branleur impénitent », est inventé. Les Grands commence aujourd’hui, en avril 2012, à la veille d’un coup d’État bien réel qui a secoué le pays.

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Le créole : une obligation d’expression

— Par Pierre Pastel* —

pousse_creoleAu moment où le Président de la république vient d’annoncer son intention d’engager la procédure de ratification de la charte européenne datant de 1992, faisant obligation aux États signataires (dont le France) de reconnaître les langues régionales et minoritaires, le sociologue Martiniquais Pierre Pastel* nous fait découvrir, en quelques clichés, le créole dans sa lutte pour  éviter l’étouffement face au français et face à la mondialisation culturelle.

Lajol pa bon ba’w é i bon ba mwen ?

Qu’est-ce qu’exister pour un homme si ce n’est de s’exprimer par tous les moyens qu’il a à sa disposition, de dire au monde « son monde » d’abord  tel qu’il a été façonné par son environnement premier ? Exister c’est vivre certes, mais c’est d’abord un réflexe congénital de respiration. Respiration pour … vivre avec soi et au milieu des autres. Peut-on donc attendre d’un homme qu’il vive épanoui sans respirer ? Non.
Il en est de même pour tout groupe humain habité par sa culture racine, sa langue poto mitan, véhicule complice par lequel et avec lequel il se sait exister et se signale.

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Dany Laferrière : un anti-Senghor à l’Académie française

— Par Saïdou Alcény Barry —

laferriere_academieAprès Léopold Sedar Senghor, premier Noir à siéger à l’Académie française en juin 1983, voilà Dany Laferrière, trente-deux ans plus tard. Deux noirs, deux styles. Autant le premier était coulant, autant le second est rugueux. Un nouveau venu qui risque d’ébranler la Coupole.

Le romancier canado-haïtien Dany Laferrière est devenu, à 62 ans, membre de l’Académie française dont il occupe désormais le fauteuil n°2. Celui qu’avaient occupé Montesquieu, Dumas fils et que lui cède le romancier argentin Hector Biancotti, son dernier occupant.

L’admission de l’auteur du roman Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer dans cet univers compassé de vieux gardiens surprend. Dany Laferrière, contrairement à Senghor qui était béat de reconnaissance devant la France, est un trublion, un Haïtien fier de l’être.

On se souvient que Senghor répondant à la question de savoir pourquoi il écrit en français dira: « Parce que nous sommes des métis culturels, […] parce que le français est une langue à vocation universelle. […] Et puis le français nous a fait don de ses mots abstraits – si rares dans nos langues maternelles -, où les larmes se font pierres précieuses.

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Il y a 70 ans mourrait Robert Desnos

Desnos, alias Robert le Diable, le veilleur du Pont-au-Change

— Par Marie-José Sirach —

robert_desnos-2Il est mort d’épuisement et de maladie le 8 juin 1945 au camp de Terezin

Toute sa vie durant, sa courte vie, Robert Desnos l’a consacrée à la poésie, à l’écriture. Il est né en 1900 près de la Bastille, on l’imagine baguenauder dans les ruelles de ce quartier encore populaire de la capitale. Mauvais élève, il quitte très vite les bancs de l’école, ce qui ne l’empêche pas, à tout juste dix-sept ans, de publier ses premiers poèmes dans la Tribune des jeunes, revue socialiste d’alors. Déjà, il retranscrit sur des petits carnets ses rêves. En 1919, il se consacre pleinement à l’écriture et compose en alexandrins, soigneusement ordonnés en quatrains, le Fard des argaunotes. Ami de Benjamin Péret, c’est par son entremise qu’il rejoint les surréalistes qui se retrouvaient alors au Certa, un café passage de l’Opéra, où Breton organisait des soirées d’écriture poétique sous hypnose. Le 25 septembre 1922, Desnos fait un tabac auprès de ses pairs bluffés par les vers qu’il prononce en état de sommeil hypnotique.

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« Bouki fait gombo » : histoire d’une plantation en Louisiane

— Par Michel Herland —

BoukiFaitGomboNous avons présenté ailleurs le mémorial de l’esclavage inauguré récemment sur le site de la Plantation Whitney en Louisiane[i]. Ibrahima Seck, son directeur scientifique, a consacré à l’histoire de la plantation un livre intitulé Bouki fait Gombo[ii]. Si le sous-titre est explicite, il n’en est pas de même du titre, compréhensible seulement pour qui connaît le proverbe entier (Bouki fait Gombo, lapin mangé li), proverbe dans lequel l’auteur propose de voir la description imagée de l’exploitation telle qu’elle existait en particulier dans les sociétés esclavagistes. Le brave bouc qui prépare à manger[iii], ce serait l’esclave et le lapin qui s’en régale serait le maître.

Cette interprétation proposée par I. Seck dans l’Introduction à son livre paraît néanmoins sujette à caution car le proverbe – dans ses diverses variantes et depuis ses lointaines origines au Sénégal où la hyène se trouve opposée au lapin – met traditionnellement en scène la ruse et non la force. Or c’est cette dernière qui est à la base de la société esclavagiste. Lafcadio Hearn, qui donne ce proverbe dans son Petit Dictionnaire des proverbes créoles, note qu’il résume un grand nombre de contes mettant en scène Compé Bouki épis Compé Lapin[iv].

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Dany Laferrière sous la Coupole de l’Académie française

— Par Joël Des Rosiers —

lafrerriere_academicienEn ce jeudi 28 mai sous le Haut patronage de M. François Hollande, Président de la République, du Premier Ministre du Québec M. Philippe Couillard, des Ministres de la Culture Fleur Pellerin de France, Hélène David du Québec et Dithny Joan Raton d’Haïti, du chef de l’Opposition M. Pierre Karl Péladeau, du chef du parti Québec Solidaire Mme. Françoise David, de quatre ex-premiers ministres, MM. Bernard Landry, François Charest, Pauline Marois du Québec et Mme. Michèle Duvivier Pierre-Louis de Haïti ainsi que de Mme. Michaëlle Jean, ex-gouverneure générale, Secrétaire générale de la Francophonie.

Par un temps magnifique, dans une langue aussi élégante que précise, le nouvel immortel, Dany Laferrière, a prononcé comme l’exige la tradition, l’éloge en tout point remarquable d’Hector Bianciotti, le romancier italo-argentin, son prédécesseur au fauteuil numéro 2. Ce siège inchangé et immobile, s’il avait été occupé naguère par Montesquieu, l’auteur des Lettres persanes, le fut surtout par un Dumas, le petit-fils du Général Alexandre Dumas dont la grand-mère Marie-Cessette Dumas était une esclave de Saint-Domingue. Car le fils du Général, le célèbre Alexandre Dumas, le plus traduit des romanciers français qui nous donna tant à lire et à rêver dans des allusions si nombreuses à ses origines créoles, eut à son tour un fils naturel, le romancier et dramaturge Alexandre Dumas fils.

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Tchicaya U Tam’si, sa vie, son œuvre et sa mémoire

—Entretien réalisé par Muriel Steinmetz —

tchicaya_u_tamsiRencontre avec Boniface Mongo-Mboussa, biographe du poète congolais, grande voix de l’Afrique et ancien compagnon de Lumumba, 
qui a contribué à la publication du deuxième tome de ses œuvres complètes.

Gallimard sort, dans sa collection « Continents noirs », la trilogie romanesque du Congolais Tchicaya U Tam’si (1931-1988). Boniface Mongo-Mboussa qui, il y a un an, publiait une biographie de ce grand poète de l’Afrique, en a composé la postface. Il répond à nos questions.

Paraît enfin ce second volume des œuvres complètes de Tchicaya U Tam’si auquel vous avez grandement contribué. Vous avez en outre écrit sa biographie, le Viol de la lune. Vie et œuvre d’un maudit (Vents d’ailleurs)…

Boniface Mongo-Mboussa Il s’est éteint en avril 1988. Deux ans après, la revue Europe lui rendait hommage. Il y a eu deux colloques. L’un à Brazzaville (Congo), en avril 1992, et l’autre à Yaoundé (Cameroun), un an après. En 1998, ses anciens collègues de l’Unesco ont publié un bel ouvrage, Tchicaya, notre ami. Il convient d’ajouter la biographie de Joël Planque, Tchicaya U Tam’si, le Rimbaud noir, sans oublier l’essai de Pierre-Henri Kalinarczyk, où il compare sa poésie à celles de René Char et d’Aimé Césaire à travers le thème du pays natal.

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La Trilogie romanesque. 
Les Cancrelats. Les Méduses. 
Les Phalènes, de Tchicaya U Tam’si

tchicaya_u_tamsi_trilogieUne somme romanesque à l’échelle d’un continent

La Trilogie romanesque. 
Les Cancrelats. Les Méduses. 
Les Phalènes, de Tchicaya U Tam’si, Œuvres complètes, II. Éditions Gallimard, « Continents noirs », 957 pages, 20 euros. romans Dans la Trilogie romanesque de Tchicaya U Tam’si, le réalisme magique africain, entre autres modes de récit, est mis en œuvre.

Le second tome des œuvres complètes de Tchicaya U Tam’si, la Trilogie romanesque – les Cancrelats, 1980 ; les Méduses, 1982 ; les Phalènes, 1984 – paraît donc ces jours-ci dans la collection « Continents noirs » (Gallimard). Henri Lopes en assure la préface. Après avoir abandonné la poésie et s’être consacré au théâtre, Tchicaya U Tam’si finit par suivre le conseil de René Depestre, son voisin de bureau à l’Unesco, qui lui disait : « Trêve de tchicayeries. Tu as du talent à revendre, mets-toi au roman. Fais de ton pessimisme du soir la santé des matins du romancier U Tam’si. (…) Parle-nous du Congo, nom de Dieu ! » Dans cette trilogie, Tchicaya U Tam’si œuvre sur des récits qui refusent de s’ancrer dans l’actualité comme c’est pourtant si souvent le cas dans le roman africain.

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Dany Laferrière à l’Académie française : un pied de nez à la vision misérabiliste d’Haïti

— Par Jean-Robert Leonidas, Médecin et écrivain —

dany_laferriereLe Canadien d’origine haïtienne Dany Laferrière a rejoint l’Académie Française jeudi 28 mai. C’est une consécration pour l’écrivain de 62 ans mais aussi pour tout le peuple haïtien. Jean-robert Léonidas, lui aussi écrivain et haïtien, nous explique pourquoi cela représente la montée en puissance de son pays.

Plus de 30 ans après Marguerite Yourcenar, la première femme à l’Académie Française, plus de trente-trois ans après Léopold Sédar Senghor, le premier Africain à y siéger, Dany Laferrière vient d’être effectivement admis sous la Coupole.

Il y fait une entrée triomphale et avec lui toute une culture, tout un pays. Haïti existe bel et bien dans tous les secteurs.
Elle est même devenue immortelle en littérature, après tant d’éclats réalisés dans le domaine par plusieurs de ses fils et filles. Mais Dany Laferrière a porté tout cela au paroxysme.

La montée en puissance d’Haïti
Cette montée en puissance d’Haïti au niveau des lettres, c’est un pied de nez à une certaine vision misérabiliste, au questionnement sans doute malencontreux de la réalité existentielle même du pays.

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Simone Schwarz-Bart et Philipp Meyer lauréats du prix Littérature Monde

ancetre_en_solitudeCes prix récompensent un ouvrage écrit en français ainsi qu’un roman traduit – prix Littérature Monde étranger – et chacun d’eux est doté de 3.000 euros par l’AFD, en charge de la politique publique française d’aide au développement au plan mondial.
« L’ancêtre en solitude » est cosigné par Simone et André Schwarz-Bart, décédé en 2006, car il est le fruit de la réflexion commune du couple qui avait imaginé d’écrire ensemble un vaste cycle romanesque retraçant l’histoire des Antilles. Leur projet s’était heurté à l’incompréhension de nombre d’intellectuels antillais.
Simone Schwarz-Bart est notamment l’auteure de « Pluie et vent sur Télumée Miracle » (1972), considéré comme un classique de la littérature caribéenne, tandis que son époux avait été récompensé par le Goncourt en 1959 pour « Le dernier des Justes« .

L’Ancêtre en Solitude s’inscrit dans la lignée des grands romans guadeloupéens écrits à quatre mains par Simone et André Schwarz-Bart : Un plat de porc aux bananes vertes (1967) et La Mulâtresse Solitude (1972). André Schwarz-Bart a obtenu en 1959 le prix Goncourt pour Le Dernier des Justes.

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Discours de réception de Dany Laferrière à l’Académie française

— Par Dany Laferrière —

M. Dany LAFERRIÈRE, ayant été élu à l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. Hector BIANCIOTTI, y est venu prendre séance le jeudi 28 mai 2015, et a prononcé le discours suivant :

Mesdames et Messieurs de l’Académie,
Permettez que je vous relate mon unique rencontre avec Hector Bianciotti, celui auquel je succède au fauteuil numéro 2 de l’Académie française. D’abord une longue digression – il y en aura d’autres durant ce discours en forme de récit, mais ne vous inquiétez pas trop de cette vieille ruse de conteur, on se retrouvera à chaque clairière. C’est Legba qui m’a permis de retracer Hector Bianciotti disparu sous nos yeux ahuris durant l’été 2012. Legba, ce dieu du panthéon vaudou dont on voit la silhouette dans la plupart de mes romans. Sur l’épée que je porte aujourd’hui il est présent par son Vèvè, un dessin qui lui est associé⋅ Ce Legba permet à un mortel de passer du monde visible au monde invisible, puis de revenir au monde visible⋅ C’est donc le dieu des écrivains⋅
Ce 12 décembre 2013 j’ai voulu être en Haïti, sur cette terre blessée, pour apprendre la nouvelle de mon élection à la plus prestigieuse institution littéraire du monde⋅ J’ai voulu être dans ce pays où après une effroyable guerre coloniale on a mis la France esclavagiste d’alors à la porte tout en gardant sa langue.

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« Nouvel an chinois », de Koffi Kwahulé, Lauréat du Prix Mokanda 2015

koffi_kwahuleOn ne sait jamais trop quand défilera le carnaval chinois dans le quartier de Saint-Ambroise. C’est en tout cas l’hiver, un jour de janvier ou février. Un jour comme tous les autres pour Ézéchiel qui, depuis la mort de son père, occupe les longues journées qu’il ne passe plus au lycée en fantasmes flamboyants et débridés. Ézéchiel qui, de questions sans réponses en désirs sans fond, s’épuise à comprendre un monde qui se dérobe. Tandis que l’insaisissable Melsa Coën prend peu à peu, dans ses rêveries, la place d’une mère absente à tous comme à elle-même. Seule sa sœur maintient le lien comme elle peut, continuant pour Ézéchiel le récit de sa vie au loin, perchée « dans une cabane dans les arbres ».

C’est pourtant ce jour-là, au son des gongs et des cymbales, que choisit le funeste Demontfaucon, alias Nosferatu, pour revenir prêcher sa haine…

Dans ce roman écrit dans l’énergie syncopée de l’improvisation, tout commence par le rythme, dans le grand balancement du désir et de la répulsion qui porte les personnages de cette nouvelle dramaturgie urbaine.

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Luz, page après page, poursuit sa thérapie par le crayon

— Par Audrey Loussouarn —
luz_catharsisAlors qu’il vient d’annoncer son départ de Charlie Hebdo, le dessinateur publie un livre, « Catharsis », où il couche sur papier son quotidien, fait de noirceur et de reconstruction. On le voit reprendre goût à la vie et au dessin, deux éléments hantés par le deuil de ses amis disparus dans l’attentat du 7 janvier.

Catharsis. Le titre du livre que publie Luz est si lourd de sens (1). D’ailleurs, dès la première page, il l’annonce : depuis l’attentat du 7 janvier, le dessin l’avait « quitté », comme il dit, mais revient « petit à petit », « à la fois plus sombre et plus léger ». Ce « revenant », Luz apprend à le réapprivoiser, durement, au prix de l’omniprésence de nombreux traumatismes.

Au fil des pages de ce journal intime illustré, qui sortira demain en librairie, le lecteur prend l’ampleur d’une telle entreprise. C’est grâce à cette « troisième épaule » que, « pour la première fois de (sa) vie », il n’avait « pas peur d’une page blanche », disait-il à Libération hier.

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