Mort de Pierre Guyotat, l’écrivain qui racontait les corps dans la guerre et la guerre des corps

En 1970, Éden, Éden, Éden avait été interdit de publicité et avait manqué le Médicis. Il recevra ce même prix en 2018 pour L’Idiotie.

L’écrivain Pierre Guyotat, lauréat du prix Médicis en 2018, est mort dans la nuit de jeudi à vendredi à l’âge de 80 ans, a annoncé sa famille vendredi à l’AFP. Il est décédé «dans la nuit de jeudi à vendredi» à l’hôpital, a indiqué à l’AFP son neveu Florent Guyotat.

Premier à réagir, l’ancien ministre de la Culture Jack Lang a fait part de son «immense chagrin» après la disparition de son «très cher ami». «Cet orfèvre des lettres, véritable virtuose, poète possédé par les mots, était un artiste unique, déterminé et exigeant», a posté Jack Lang sur ses comptes Twitter et Facebook.

Préférant la discrétion à la lumière, l’écrivain restera comme l’auteur de deux œuvres majeures de la littérature française du XXe siècle: Tombeau pour cinq cent mille soldats (1967), peut-être le plus grand livre sur la guerre d’Algérie (adapté par Antoine Vitez à Chaillot en 1981) et Éden, Éden, Éden (1970), livre jugé pornographique par les autorités françaises de l’époque, interdit de publicité, d’affichage et de vente aux mineurs.

Né en 1940, Pierre Guyotat a publié en 1967 Tombeau pour cinq cent mille soldats, qui mêle sexe et guerre et connaît un grand retentissement. Le général Massu fait interdire le livre dans les casernes françaises en Allemagne. Il se lie avec Philippe Sollers et fréquente le groupe «Tel Quel», dont il se détachera à partir de 1973.

En mai 1968, Pierre Guyotat crée avec Nathalie Sarraute et Michel Butor l’Union des écrivains. En 1970, paraît Éden, Éden, Éden, préfacé par Michel Leiris, Roland Barthes et Philippe Sollers. Il est aussitôt interdit de publicité et de vente aux mineurs par le ministère de l’Intérieur. Le monde des lettres s’insurge. Une pétition de soutien est signée par les plus grands noms de la littérature, Pasolini, Foucault, Sartre, Genet, Kessel, Blanchot, Calvino, Derrida, Duras, Robbe-Grillet, etc. Pourtant, le milieu littéraire se divise sur la valeur de l’ouvrage. Au jury du Médicis, Claude Simon, futur Prix Nobel de littérature, défend la candidature de Guyotat avec passion, mais Jean Cayrol, qui l’avait pourtant lancé lorsqu’il avait 18 ans, s’y oppose violemment. Guyotat manque le prix Médicis d’une voix. Claude Simon démissionne avec fracas… L’interdiction ne sera levée qu’en 1981. Guyotat poursuit alors son œuvre, riche de plusieurs textes, entretiens et pièces de théâtre.

En 2004, il a fait don de ses archives à la BNF. Il y a quinze jours, Pierre Guyotat avait déjà reçu le prix de la langue française, un prix littéraire créé par la ville de Brive pour récompenser une personnalité dont «l’œuvre a contribué de façon importante à illustrer la qualité et la beauté de la langue française».

Près de 50 ans après la polémique sur Éden, Éden, Éden, le chemin de Pierre Guyotat recroise la route du Médicis : L’Idiote est sacré en 2018. Prolongement de Formation (2007), il s’agit du récit autobiographique de l’entrée dans l’âge adulte. Pierre Guyotat se souvient de la «recherche du corps féminin», le «rapport conflictuel à ce que l’on nomme le “réel”», la «tension de tous les instants vers l’Art et le plus grand que l’humain» et la «pulsion de rébellion permanente» qui l’ont accompagné de ses 18 à ses 22 ans. Un moment clé de sa vie, où l’écrivain est appelé à défendre la patrie en Algérie alors qu’il commence à être publié, au Seuil par Jean Cayrol. Fugue, vol, enfermement suivront. Idiotie est un appel à l’émancipation, Guyotat observe ses jeunes années d’un œil âpre et témoigne de la naissance d’un poète. En plus du Médicis, L’Idiotie a reçu le prix de la Langue française et le prix spécial du jury Femina.

 

Source :  Le Figaro avec AFP