Selim Lander

Avignon 2015 (9) : Corps meurtris, esprits troublés – Aïda Asgharzadeh, Côme de Bellescize, Lars Noren, Lacan

—Par Selim Lander —

Quatre pièces sur les corps et les esprits souffrants, que ce soit par suite des ravages de la guerre, d’un accident de la route ou d’une maladie mentale.

Les Vibrants

Les VibrantsCette pièce justement ovationnée par la presse et le public l’année dernière, de retour en Avignon pour une deuxième saison, est celle que nous  classons en premier parmi toutes celles que nous avons vues jusqu’ici. On y trouve tous les ingrédients nécessaires, à notre sens, pour réussir dans un certain théâtre, de moins en moins présent de nos jours, il faut le dire, bien que toujours très prisé des spectateurs : un propos pertinent et prenant, une langue qui n’est ni celle de l’écrit, ni celle de l’oral mais bien celle du théâtre, une histoire bien tournée qui ménage des surprises, des comédiens affutés qui respirent le bonheur de jouer, même dans le malheur, un décor capable de créer l’illusion que nous sommes bien là où dit le texte, sans qu’il ait besoin pour autant d’être réaliste, enfin une musique et des lumières intervenant à bon escient sans nécessairement se faire remarquer.

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Avignon 2015 (8) : Akapo, Brecht, Carbunariu, Dickens, Kermann

— Par Selim Lander —

Sélection cosmopolite et aléatoire de cinq pièces du OFF dues à des auteurs de cinq pays différents, soit dans l’ordre : le Togo, L’Allemagne, la Roumanie, L’Angleterre et enfin la France.

A petites pierres

A-Petites-Pierres_c Ronan LietardGustave Akopo est né en 1974 au Togo. Sa pièce, A petites pierres a reçu le prix d’écriture théâtrale de Guérande en 2006. Elle est montée par Ewelyne Guillaume avec de jeunes comédiens issus de Kokolampoe, le théâtre école plurilingue installé à Saint-Laurent du Maroni, en Guyane. L’histoire est édifiante. Dans un village africain aux mœurs très austères, une jeune fille fiancée à un jeune homme du village est séduite par un émigré de retour au village, auréolé du prestige du « Parisien ». Leur « affaire » est découverte. Gros émois au village. L’honneur du père, celui du père du fiancé sont bafoués. La règle doit s’appliquer : lapidation pour la fautive et amende pour le fautif. Cependant le séducteur n’est pas celui qu’on croit. Il est révolté par la sanction qui s’abat sur la jeune fille plus innocente que coupable et décide de la défendre.

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Avignon 2015 (7) : Les fâcheux – Koltès, Molière

« Sous quel astre bon dieu faut-il que je sois né
Pour être de fâcheux toujours assassiné ? » (Molière)

Dans la solitude des champs de Coton

Koltès

— Par Selim Lander —

Qui ne connaît le titre, au moins, de cette pièce de Bernard-Marie Koltès montée pour la première fois en 1987 par Patrice Chéreau (auquel justement la Fondation Lambert rend hommage par une exposition en Avignon) ? Dans la solitude des champs de Coton est jouée aujourd’hui et pas par n’importe qui, puisque le comédien dans le rôle du client est celui-là même pour qui Koltès écrivit La Nuit juste avant les forêts et qui l’a créée, en 1977. Mais revenons au Champ de coton. Deux personnages se rencontrent la nuit, dans un lieu obscur : le « dealer » (mais le mot n’est pas prononcé ; il se dit simplement prêt à satisfaire tous les désirs, sans préciser lesquels) et le « client », lequel prétend aller à ses affaires et n’avoir besoin de rien. Il se revendique comme étant du monde d’en haut, où l’on travaille suivant des règles strictes dans des bureaux éclairés à la lumière électrique, contrairement à son interlocuteur qui se plaît dans la noirceur et se livre à des trafics de toute façon inavouables.

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Avignon 2015 (6) : Du Québec – Carole Frechette, Michel Tremblay et Nathalie Boisvert

La Peau d’Elisa

La peau d'Elisa— Par Selim Lander —

Après une première série d’articles consacrée au festival IN, il est temps de présenter quelques pièces du OFF et, pour commencer, celles de trois Québécois. Carole Frechette est une auteure reconnue qui écrit des textes souvent émouvants joués sur des scènes du monde entier. La Peau d’Elisa, déjà interprétée l’année dernière en Avignon par une autre comédienne, est jouée cette année et mise en scène par Mama Prassinos (accompagnée à deux moments du spectacle par Brice Carayol). Une femme se raconte, ou plutôt, comme on le découvrira, elle raconte des histoires qui peuvent ou non être les siennes. Quoi qu’il en soit, elle n’est pas comme toutes les femmes. Elle est perpétuellement anxieuse ; son corps, sa peau l’inquiètent. Est-ce qu’il n’y en a pas trop, de peau, sur ses joues, son cou, ses coudes, ses genoux ? Elle s’inquiète et interroge les spectateurs : qu’en pensent-ils ? Un tel texte, qui dégage une poésie douce-amère, réclame une interprétation à l’unisson. 

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Avignon 2015 (5) : Stéfano Massini / Anna Politkovskaïa

Par Selim Lander

Femme-non-reeducable-Jeremy-F-Marron-882x450Anna Politkovskaïa est morte en 2006. L’année suivante paraissait Donna non rieducabile, Memorandum teatrale su Anna Politkovskaja (Femme non rééducable) du dramaturge italien Stéfano Massini. Un texte écrit dans l’émotion de l’assassinat sauvage de la journaliste russe. Une pièce ? Non, un « mémorandum », autrefois on aurait dit un « tombeau d’Anna Politkovskaïa ». Un récit parfois pédagogique car il faut bien expliquer la situation, au besoin en utilisant des textes de la journaliste elle-même, souvent dramatique quand elle interagit avec son partenaire chargé de la sale besogne, celle qui consiste à interpréter les salauds auxquels A. Politkovskaïa s’est frottée, pour son malheur.

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Avignon 2015 (4) : August Strindberg

— Par Selim Lander —

Andreas1Après des succès initiaux, l’existence du romancier et dramaturge suédois August Strindberg (1849-1912) est devenue compliquée, malheureuse, déprimée, comme il le raconte dans son récit Inferno (1897). Le Chemin de Damas, qui date de l’année suivante, se situe dans la même ambiance. Le spectacle présenté, toujours dans le IN, par le jeune metteur en scène Jonathan Châtel, est une adaptation de la première partie de « Till Damaskus ».

Il faut d’abord parler du Cloitre des Célestins qui abrite les représentations, le lieu le plus magique du festival.

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Avignon 2015 (3) : « Les Idiots »

— Par Selim Lander —Les idiots

Après N° 51 venue d’Estonie, voici, toujours dans le IN, une pièce en russe surtitré. Kirill Serebrennikov, directeur du Gogol Center de Moscou présente une version scénique des Idiots inspirée du film de Lars von Trier (1995). Pour protester contre une société qui ne leur convient pas, quelques individus décident de faire les « idiots », c’est-à-dire de se comporter de manière ridicule et/ou choquante, comme par exemple se faire pousser dans une chaise roulante en imitant un infirme psychomoteur. Ils se réunissent dans l’appartement de la tante de l’un d’entre eux.

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Avignon 2015 (2) : « N° 51 – Mu naine vihastas »

Après le Richard III d’Ostermeier en allemand surtitré, un spectacle en estonien.

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— Par Selim Lander —

En 2004, deux Estoniens Ene-Lis Semper, vidéaste et scénographe, et Tiit Ojasoo, metteur en scène ont créé la compagnie « Teater n° 99 ». Ce nom revêt une signification précise. Leur premier spectacle portait le numéro 99 ; les suivants sont numérotés en comptant à rebours et ils préparent actuellement le n° 43. Celui présenté cette année dans le IN d’Avignon porte le numéro 51. Son titre en français explique l’argument de la pièce (« Ma femme m’a fait une scène et effacé toutes nos photos de vacances »). Ce dernier, cependant n’apparaît pas immédiatement. Au début, un homme se trouve dans une chambre d’un hôtel moderne, de bon standing.

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Avignon 2015 (1) : Shakespeare et compagnie

Par Selim Lander

richard3_c_arno_declairPremière journée au festival d’Avignon 2015 avec deux Shakespeare au programme. Le très attendu Richard III de la Schaubühne (Berlin), mis en scène par Thomas Ostermeier, à l’Opéra d’Avignon, et le Roi Lear présenté dans la Cour d’honneur par le directeur du festival, Olivier Py.

Le Richard III de Thomas Ostemeier

Grand succès de Richard III, qui tient essentiellement à l’interprétation de Lars Eidinger dans le rôletitre. Il joue avec un réalisme étonnant l’être contrefait, jaloux du monde entier, dévoré d’ambition et foncièrement maléfique imaginé par Shakespeare. Affublé d’une bosse sur l’épaule gauche et d’un casque de cuir, avec un soulier démesurément allongé qui dissimule une autre malformation congénitale, les jambes torves, vouté, la démarche ondulante, physiquement inquiétant,  il l’est plus encore par son cynisme, ses manipulations constantes, les mensonges grossiers et les clins d’œil destinés à nous rendre complices de ces crimes.

Richard restera toute sa vie avec sa bosse et ses jambes torves[i] mais connaîtra une transformation physique notable au moment de son accession à la royauté, grâce au corset qui fait disparaître son voûtement.

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Un atelier dans la jungle : Ernest Breleur

— Par Selim Lander —

Ernest Breleur (le Christ rouge)Sous les tropiques, la conjonction du soleil et de la pluie produit facilement une végétation luxuriante ; un bout de terre suffit pour faire pousser un rideau de verdure impénétrable. La villa du plasticien martiniquais Ernest Breleur[1] a beau être située dans un lotissement assez récent à la périphérie de Fort-de-France, pour qui a le privilège de partager un moment avec lui dans sa véranda, l’écoutant s’exprimer sur sa démarche artistique, sa maison cernée par les plantes en rangs serrés nommées oiseaux de paradis, semble perdue dans une jungle[2].

L’œuvre d’Ernest Breleur mérite qu’on s’y intéresse. J’ai souligné ailleurs la fécondité des arts plastiques en Martinique, seulement comparable à sa fécondité littéraire[3]. Ce n’est pas un hasard si je mettais alors Breleur en premier. Il est à coup sûr le plus « chercheur » de tous les plasticiens martiniquais, celui qui a le plus su (et voulu) se renouveler au fil des années. Une visite dans son atelier le confirme : aucun des lecteurs de l’ouvrage – par ailleurs remarquable mais qui date déjà de 2008[4] – qui lui a été consacré ne pourrait anticiper l’état actuel de ses recherches, au vu de son œuvre telle qu’elle se présentait il y a une dizaine d’années.

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Une soirée théâtrale pas comme les autres

Les Trois Grâces, Une bataille navale

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— Par Selim Lander —

Ce n’est pas d’hier que les comédiens excursionnent en dehors des salles de théâtre pour aller à la rencontre du public qui n’est justement pas habitué aux dites salles. Il est plus rare que les critiques se hasardent à les suivre. Mais la Martinique n’est pas Paris, on n’est pas sans cesse sollicité par des dizaines de spectacles nouveaux à voir. Aussi, lorsque la création mondiale des Trois Grâces (même incomplète car amputée du dernier acte) d’Appoline Steward, pièce primée à l’avant-dernier concours d’ETC-Caraïbe, est annoncée, on se précipite, fût-ce à la salle des fêtes de Rivière-Salée, lieu que l’on devine pourtant peu propice au théâtre. Et, de fait, la scène bien que surélevée ne l’est pas suffisamment pour que les spectateurs aient une vue confortable sur y-celle (la scène) en dehors des tout-premier rangs. Mais ne faisons pas de façons. Nous étions, en ce qui nous concerne, bien placé. Et la salle avait été aménagée aussi bien qu’elle pouvait l’être, profitant de deux poteaux pour distinguer l’espace de la scène de celui des coulisses improvisées.

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Les fous d’Allah et les trafiquants de drogue

— Par Michel Herland —

11 janvier 2015 Paris, Place de la République

Les événements tragiques du mois de janvier 2015 ont provoqué chez quelques intellectuels classés à gauche une réaction paradoxale, que l’on peut identifier au communautarisme le plus extrême : l’État ne devrait pas seulement une forme de respect minimale aux cultures minoritaires, y compris les religions (ce qui est conforme au consensus national), il deviendrait comptable de la survie culturelle de chaque communauté. Qui plus est, nous serions, nous les Occidentaux, et les Français en particulier, collectivement responsables de ces événements et l’islam n’aurait rien à y voir.

Il suffit pourtant de réfléchir un tout petit peu pour comprendre que si les politiques suivies en  France sont, pour partie au moins, à l’origine, d’un certain nombre des difficultés que rencontrent beaucoup de membres de la minorité musulmane, ces politiques ne sont pas responsables du djihad ici ou ailleurs. D’une part parce que la montée de l’intégrisme musulman est un phénomène global. D’autre part parce que, en France même, les ratés de l’assimilation ne se sont pas tous rangés sous la bannière d’un islam revanchard et cruel.

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Créole jazz à l’Atrium

— Par Selim Lander —

pianoEn prélude à la fête de la musique, l’EPCC programmait ce samedi 20 juin 2015 cinq pianistes jazz, martiniquais au moins d’origine. Une nouvelle fois, la preuve était faite de l’engouement du public  pour la musique. La grande salle de l’Atrium était en effet quasi-remplie alors que le Théâtre municipal programmait lui-même, ce soir-là, trois concerts consécutifs et qu’un autre événement musical se déroulait sur la Savane. Laissons de côté ce dernier qui visait son propre public ; la concomitance des concerts de l’Atrium et du Théâtre municipal n’est pas sans laisser quelques regrets, car de nombreux auditeurs de l’un auraient bien voulu écouter les autres (et réciproquement). Sans vouloir offenser personne, on ne peut que déplorer cette concurrence qui n’a pas lieu d’être.

Encore la grande salle de l’Atrium était-elle à peu près pleine ce 20 juin au soir. Il n’en va plus de même lorsque les événements qui se font concurrence à la même date s’adressent à un public potentiellement moins important. Ainsi fut-il, le 30 mai dernier, lorsque trois spectacles de danse se déroulèrent simultanément.

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RCM 2015 – Celle qui ne voulait pas

Hong Sang Soo : La Vierge mise à nu par ses prétendants

la_vierge_qui_voulait_pas-2—- Par Selim Lander —

Plus de deux heures d’horloge avant que la vierge ne consente à renoncer à son pucelage !  Dans la vraie vie, ça ne serait pas bien long, et même pas long du tout. On dirait d’une qui exigerait si peu avant de succomber qu’elle est une fille facile. Cependant, au cinéma, le temps est arbitraire. Un film de deux heures peut raconter minute par minute une action qui prend précisément 120 minutes. Il peut aussi bien raconter – condenser en l’occurrence – une histoire qui s’étire sur plusieurs siècles. Dans le film d’Hong Sang Soo (HSS), la vierge effarouchée dit non pendant des jours et des semaines et même des mois avant de se décider. Entretemps, elle aura néanmoins couché, ou plutôt nous l’aurons aperçue couchée dans le même lit qu’un homme, sans qu’elle veuille ailler au-delà d’un flirt dont on ne dira pas qu’il était aussi frustrant pour elle que pour lui, même s’il le fut, sans nul doute, pour le mâle considéré.

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Les Rencontres Cinéma de Martinique (édition 2015) – Premières impressions

Ma Manman D’lo, Los Hongos.

— Par Selim Lander —

rcm_2015Prenant les « RCM », en marche, nous avons par définition raté beaucoup de choses. Quelques impressions néanmoins sur les premiers films visionnés. Parmi les courts métrages récompensés par le Prix de Court, seul le film couronné, Ma Manman D’lo, retient l’attention. Cette histoire d’un jeune garçon perturbé depuis la mort de sa maman, navigue avec bonheur entre réalisme et fantastique, entre jeux d’enfants et chagrin inguérissable. Les personnages sont émouvants, pas seulement celui du petit garçon, mais encore celui du père, veuf, impuissant à toucher le cœur de son fils. Et tant d’autres : ainsi cet homme qui vient de perdre son frère. Il y a des scènes relevant de l’ethnologie, comme la veillée mortuaire, ou chaque fois qu’intervient le quimboiseur (?), prêtre autoproclamé d’un culte improbable, acharné à rappeler la morte – ou plutôt son esprit – afin qu’elle revienne apaiser son fils. Ce film de Julien Silloray, tourné à Vieux Port, en Guadeloupe (?), est une plongée dans l’univers magico-religieux. Et le spectateur de s’interroger sur l’authenticité de ce qui lui est montré : ces rituels ont-ils toujours cour, ces croyances en les esprits sont-elles encore vivaces ?

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« Revoleo » – L’art du flamenco

— Par Selim Lander —

RevoleoSalles combles pour les trois représentations de Revoleo, le spectacle en tournée du chanteur Luis de la Carrasca et de sa compagnie « Flamenco Livo ». À en croire les articles joints dans le dossier de presse, le succès rencontré par ce spectacle est général et n’est donc pas spécifique à la Martinique où la danseuse, la très ravissante Ana Pérez, se trouve avoir, paraît-il, quelques racines. Le même dossier de presse expose les intentions du meneur de jeu : « transmettre un message humain, d’espoir et d’amour », tout cela nous étant présenté comme la « mission première du flamenco qui doit absolument être perpétuée ». Dont acte. Remarquons simplement que pour le spectateur français lambda, qui ne comprend pas l’espagnol (ou est-ce de l’andalou ?) ce message humaniste est bien difficile à percevoir. Pour lui, il s’agit simplement de musique et de danse, ce qui n’est déjà pas si mal.

La compagnie Flamenco Vivo a la particularité d’être basée – contre toute attente – non pas à Grenade ou à Séville mais… en France, en Avignon.

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« La Ronde de Sécurité » : mettre en scène la perversion

Par Selim Lander

Un homme qui en manipule un autre. Un pervers contre un pauvre innocent sans défense. Cet argument en forme de duel totalement déséquilibré au profit du méchant est rarement développé au théâtre, lequel répugne à la peinture du mal à l’état pur. Selon Schopenhauer, philosophe pessimiste – mais les pessimistes ont, hélas, trop souvent raison – l’homme est gouverné par trois déterminants principaux : l’égoïsme, la méchanceté et la pitié. Le pervers combine tout cela de la plus désastreuse façon : il ne pense qu’à son égo, n’éprouve aucune pitié et prend plaisir à faire le mal. La perspective de voir agir un tel personnage tout au long d’une pièce de théâtre n’est pas vraiment attrayante et c’est sans doute pourquoi les auteurs, s’ils n’échappent pas à la mise en scène d’individus malfaisants, évitent, en général, de leur consacrer une pièce entière. Ce qui n’empêche pas, évidemment, les exceptions. L’une des plus remarquables, en l’occurrence, est la pièce Big Shoot de Koffi Kwahulé : un bourreau ne cesse d’y torturer mentalement un pauvre type, pratiquement muet de bout en bout, qui meurt assassiné à la fin de la pièce.

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« Bouki fait gombo » : histoire d’une plantation en Louisiane

— Par Michel Herland —

BoukiFaitGomboNous avons présenté ailleurs le mémorial de l’esclavage inauguré récemment sur le site de la Plantation Whitney en Louisiane[i]. Ibrahima Seck, son directeur scientifique, a consacré à l’histoire de la plantation un livre intitulé Bouki fait Gombo[ii]. Si le sous-titre est explicite, il n’en est pas de même du titre, compréhensible seulement pour qui connaît le proverbe entier (Bouki fait Gombo, lapin mangé li), proverbe dans lequel l’auteur propose de voir la description imagée de l’exploitation telle qu’elle existait en particulier dans les sociétés esclavagistes. Le brave bouc qui prépare à manger[iii], ce serait l’esclave et le lapin qui s’en régale serait le maître.

Cette interprétation proposée par I. Seck dans l’Introduction à son livre paraît néanmoins sujette à caution car le proverbe – dans ses diverses variantes et depuis ses lointaines origines au Sénégal où la hyène se trouve opposée au lapin – met traditionnellement en scène la ruse et non la force. Or c’est cette dernière qui est à la base de la société esclavagiste. Lafcadio Hearn, qui donne ce proverbe dans son Petit Dictionnaire des proverbes créoles, note qu’il résume un grand nombre de contes mettant en scène Compé Bouki épis Compé Lapin[iv].

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Joseph René-Corail : le talent et l’engagement

— Par Selim Lander —

ChèvreUn artiste sorti du peuple et qui y est resté, ce n’est pas si fréquent, surtout quand cet artiste fut aussi prolifique que talentueux. Faut-il y voir l’influence du soleil des Antilles ? Toujours est-il que Joseph René-Corail (dit Khokho), né en 1932 (la Martinique est encore une colonie ; elle ne deviendra département français qu’après la Deuxième guerre mondiale) dans une pauvre masure de paysans, mourra dans la misère, en 1998[1].

Enfant brillant, reçu premier de son école au certificat d’études, boursier de la République jusqu’à la fin de ses études, faut-il pourtant conclure de son échec au BEPC qu’il était déjà un rebelle ? Quoi qu’il en soit, c’est au cours complémentaire qu’il a découvert l’art, grâce à son professeur de dessin. Il a seize ans quand il entre à l’École des Arts appliqués de Fort-de-France, expédie le cursus en deux années au lieu des trois prévues, et intègre alors l’École nationale des Arts appliqués, à Paris. Il reviendra en Martinique en 1956 et enseignera, brièvement, la céramique dans l’école dont il fut l’élève.

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Scène de racisme à l’envers – Décryptage (1)

photo_campusUn « blanc-métro » victime d’une agression raciste en Martinique. Certains trouveront peut-être des excuses : qu’il « l’avait bien cherché » (voir plus loin le récit de l’action) ou que, en tout état de cause, ce qui lui est arrivé n’est rien à côté de tous les actes racistes dons sont victimes les Antillais en France. Le premier argument (« il l’avait bien cherché ») revient à entériner la force sur le droit. Le second est plus pernicieux car si les Antillais revendiquaient le droit de se montrer racistes chez eux, ils n’auraient plus d’argument véritable à opposer à ceux qui se montreraient raciste à leur encontre ailleurs. Mais examinons le cas d’espèce.

À l’entrée du campus de Schoelcher, Université des Antilles, le 26 mai 2015, vers 15h.

Le contexte : ce jour-là prenait fin la sanction pesant sur deux professeurs de sciences économiques de l’université. Ces deux professeurs étaient donc légalement autorisés, pour la première fois ce jour-là après douze mois de « suspension administrative », à réintégrer leur poste, et donc, concrètement, à pénétrer à nouveau sur le campus, à retrouver leur bureau et à reprendre leurs fonctions d’enseignants-chercheurs.

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« Abstraction » – Quand le hip-hop rejoint la danse contemporaine

— Par Selim Lander —

Abstraction (affiche)Scotché, nous étions ! Mais que se passe-t-il donc en Martinique ? Pourquoi la grande salle de l’Atrium ne débordait-elle pas ce 30 mai 2015 ? Un samedi soir qui plus est – au jour et à l’heure où, traditionnellement, on « sort » ! –, alors que le programme était propre à réunir aussi bien les plus jeunes (le hip-hop) que les plus âgés (le bélé programmé en deuxième partie). Et pourquoi, surtout, la première partie n’a-t-elle pas suscité davantage d’enthousiasme de la part des spectateurs présents, alors qu’il s’agissait d’une représentation de classe internationale ? Certes, il y eut des applaudissements, et même nourris, mais ils se sont interrompus bien plus vite qu’ils n’auraient dû.

Scotché, nous étions: par Abstraction, la pièce de hip-hop. On se fait trop facilement des idées sur une pratique considérée souvent davantage comme un sport que comme un art. Tout le monde a vu, une fois ou l’autre, des adeptes de cette forme d’expression s’exhiber sur un coin de trottoir. On admire éventuellement la prouesse physique et, le plus souvent, on ne va pas chercher plus loin.

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Courtes Lignes est de retour

— Par Selim Lander —

Diable d'hommeCourtes Lignes est de retour en Martinique, comme chaque année à la même époque. Régulièrement invitée dans le cadre du festival du théâtre amateur, cette compagnie guadeloupéenne remplit régulièrement le Théâtre municipal pendant cinq représentations, une performance qu’aucune des autres compagnies amateurs se produisant pendant le festival ne saurait – jusqu’à preuve du contraire – reproduire. Ce succès a évidemment son explication : une notoriété qui s’est bâtie au fil des années et ne cesse – visiblement – de croître ; la qualité de l’interprétation, parfois excellente et toujours au moins honnête, alors qu’elle peut être catastrophique chez certaines autres troupes ; enfin un répertoire, celui du théâtre de boulevard, à peu près complètement délaissé en Martinique. Or, s’il faut en croire la fréquentation des théâtres parisiens privés (ceux qui sont capables de gagner assez d’argent pour rémunérer correctement les auteurs, comédiens, techniciens, etc. sans faire appel à des subventions), le vrai théâtre populaire (celui qui correspond aux attentes des amateurs), c’est peut-être celui-là. Evidemment cela se discute, car ces amateurs-là ne sont pas le peuple au sens restrictif, celui par exemple de la formule senatus populusque romanus ou de La Bruyère (« il y a le peuple qui est opposé aux grands, c’est la populace et la multitude »).

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Expressions diverses à l’Atrium

— Par Selim Lander —

Mon corps est le corps de tout le monde (affiche)Une soirée pas comme les autres que celle du 28 mai 2015. Cette soirée s’inscrivant dans le cadre de la biennale de la danse en Martinique, les spectateurs s’attendaient à assister à un spectacle de danse, ou plutôt deux enchaînés comme annoncé sur le programme. D’abord l’une des « Mythologie actuelles de Guadeloupe » produites par l’Artchipel, en l’occurrence une « Mythologie sportive » consacrée à Marie-José Perec. Ensuite une production martiniquaise de la compagnie Art&Fact, quelque chose sur le corps (humain) et les contraintes qui pèsent sur lui.

Arrivé(s) sur les lieux, nous apprenons qu’un interlude poétique est prévu dans le Patio avec Joby Bernabé. Nous n’étions pas venus pour cela mais pourquoi pas ? Joby (qui expose concurremment ses œuvres au premier étage de l’EPCC) est apprécié en Martinique pour la qualité de ses textes et son art de les interpréter. Hélas, comme trop souvent, l’usage du micro dans un espace dont l’acoustique n’a pas été étudiée pour cela, s’est avéré pour le moins contre-productif. Puisqu’il s’agissait avant tout, semble-t-il, d’occuper le temps du changement de décor dans la salle Frantz Fanon (au demeurant assez simple : remplacer des rideaux blancs par des rideaux noirs), il eût été sans doute plus judicieux, après avoir fermé l’espace scénique, d’installer le conteur-poète à l’avant-scène de la salle Frantz Fanon, et l’on aurait d’ailleurs pu se dispenser, pour une fois, de lui donner un micro.

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« L’Esclave »[1] ou qu’est-ce que la littérature ?

Note d’intention rétrospective par Michel Herland

couv 1 - CompresséeL’écriture romanesque est un acte spontané. L’auteur se découvre capable d’une imagination dont il ne se croyait pas capable ; il donne naissance à des personnages bientôt dotés d’une autonomie propre, si bien qu’il ne sait plus si c’est lui qui les conduit ou s’il est conduit par eux[2]. Autant dire que l’auteur n’est pas le mieux placé pour expliquer ce qu’il a voulu dire ; c’est pourquoi la lecture des critiques s’avère souvent si déroutante pour lui. Comme l’explique fort bien Jean-Paul Sartre dans Qu’est-ce que la littérature ?[3], le roman n’existe que par la rencontre de la subjectivité du l’auteur avec celle d’un lecteur. Celles-ci étant différentes, parfois très éloignées, voire incompatibles, il n’est pas surprenant que le premier, parfois, ne retrouve rien de ce qu’il croyait avoir voulu exprimer dans les commentaires des critiques littéraires et plus généralement de ses lecteurs.

On connaît peut-être la formule surprenante de Jean-Paul Sartre, toujours dans Qu’est-ce que la littérature ? : « Ecrire c’est à la fois dévoiler le monde et le proposer comme une tâche à la générosité du lecteur ».

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La cuisine créole d’Arthur H et Nicolas Repac

Par Selim Lander

arthur h l'or noirOn apprend par les gazettes (Le Monde des Livres du15 mai) que Maryse Condé vient de publier un livre pas vraiment de mais sur la cuisine (Mets et Merveilles, J.-CL. Lattès, 2015). On se demande ce qu’elle penserait de la drôle de tambouille poético-musicale à base d’ingrédients (principalement) antillais concoctée par deux Français de France. Rien à dire en ce qui nous concerne, sinon des éloges, sur les ingrédients : les textes de Césaire (tirés du Cahier, des Armes miraculeuses, de Corps perdu) sont « étranges et pénétrants » comme il se doit ; et ceux qui l’accompagnent sans être aussi puissants (comment se comparer à Césaire ?) méritent néanmoins d’être entendus. On remarque en particulier, pour leur originalité, l’humour macabre d’Amos Tutuloa (L’Ivrogne dans la brousse traduit Raymond Queneau) ainsi qu’une définition de l’amour vrai comme l’art du voyage à motocyclette par Édouard Glissant (Marie-Galante). Rien à dire non plus, sinon des éloges, sur le chef, le nommé Arthur H (comme Higelin), lequel, incontestablement, sait dire des textes : mieux que ça, sa manière concentrée et inspirée, ménageant là où il faut les silences qu’il faut, est celle d’un maître.

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