Femmes en terre d’islam : « Dégradé » et « Fatima »

— Par Selim Lander —

Dégradé

Dégradé d’Arab et Tarzan Nasser

Un film palestinien : rien que cela justifie de se précipiter pour voir à quoi cela peut bien ressembler. Et cela vaut effectivement le déplacement. Réunir une petite dizaine de femmes dans un salon de coiffure n’est pas absolument original mais quand il s’agit, pour ces femmes, d’à peu près le seul endroit où elles peuvent se retrouver entre elles, donc sans voiles, loin des hommes, cela devient très intéressant. A-t-on remarqué que le cinéma est devenu aujourd’hui, pour qui n’est pas « grand reporteur »,  l’un des rares moyens, le seul peut-être de découvrir des sociétés qui nous sont en général inaccessibles. Parmi ces sociétés, les terres d’islam nous intéressent particulièrement, compte tenu de la propension à l’expansionnisme de cette religion, sans parler de la violence qui se déchaîne en son nom, jusque chez nous.

A Gaza, la violence est omniprésente, et constante, s’il faut en croire le film, et elle ne vient pas seulement d’Israël, elle semble ancrée chez les hommes comme un chancre dont ils n’ont aucun moyen de se défaire. Nous n’imaginons pas, nous les occidentaux, parce que nous n’avons pas connu la guerre chez nous depuis trois quarts de siècle, et la guerre civile depuis bien plus longtemps, ce que c’est que de vivre dans une atmosphère où l’on craint en permanence pour sa vie, et de vivre dans cette atmosphère comme s’il n’y en avait pas d’autre possible, et de considérer comme normal de se trucider entre voisins. Bien qu’il ne nous montre les combattants que de loin, à travers la vitre du salon de coiffure, le film fait bien sentir cette atmosphère et la manière dont les humains peuvent s’y adapter.

Suivant l’opinion générale qui semble être celle des personnages féminins du film, à propos de leurs hommes, ces derniers sont fondamentalement des brutes stupides ou des partenaires bien peu dignes de confiance. Quant aux femmes elles-mêmes, elles ont comme principale faiblesse ces hommes dont elles parlent, qu’elles estiment peu mais dont elles ne savent pas se passer. Même la moins conformiste se montre très perturbée par les défaillances de son mari, au lit. Il y a également une femme âgée (Hiam Abbass, la star israélienne) qui cherche à rester belle et qui désespère de ne pas y parvenir. L’assistante de la coiffeuse est, quant à elle, follement amoureuse de l’un des voyous – et pas le moins taré d’entre eux – qui squattent, lourdement armés, en face de la boutique et paradent avec le lionceau qu’ils ont enlevé au zoo. La plus pathétique est la jeune femme qui doit se faire belle pour son mariage,  accompagnée par sa mère et ses futures belle-mère et belle-sœur (c’est d’elle dont on se demande s’il convient de la coiffer en « dégradé »). Celle qui semble avoir le plus de plomb dans la tête, avec en plus un certain humour, qui ne quittera pas son jilbad du début à la fin du film est seule à se revendiquer pieuse (alors que les autres se contentent de se couvrir les cheveux lorsqu’elles quittent l’abri du salon de coiffure ou lorsqu’un homme est annoncé).

À considérer les costumes, les discours et l’ambiance générale, ce film pourrait être situé à n’importe quel moment postérieur à la Guerre des six jours (juin 1967). Les téléphones portables signalent néanmoins qu’il est bien d’aujourd’hui. Toutes ces femmes à l’abri dans le salon de coiffure ne sont nullement coupées du monde extérieur : elles communiquent, le plus souvent avec leurs hommes, pour leur intimer des ordres qu’ils suivront ou pas !

Le film est une comédie qui ne cherche pas à paraître réaliste à tout prix. Ainsi, pendant toute la durée du film, la coiffeuse ne parviendra pas à venir à bout de la coiffure et du maquillage de la mariée, tandis que son assistante ne réussira pas davantage à en finir avec la dame à la beauté fanée. Le service traîne et le spectateur a lui aussi parfois l’impression que le film traîne en longueur. Peu importe, le spectacle que nous avons sous les yeux est si exotique que nous ne pouvons pas détacher nos yeux de l’écran.

Fatima de Philippe Faucon

FatimaChangement radical d’ambiance avec Fatima, César du meilleur film en 2015, tourné dans la banlieue lyonnaise. Terre d’islam ? Pas vraiment ou en tout cas pas complètement, mais dans certains quartiers, oui, ou presque. Ainsi Fatima, à l’instar de ses voisines originaires comme elle du Maghreb, ne sort-elle jamais sans son hiljab. Fatima est divorcée, mère de deux filles auxquelles elle parle arabe car bien que comprenant le français, elle ne le  parle pas. L’une chante, Nesrine, qui entame des études de médecine et l’autre pas, Souad, la figure-même de l’échec, scolaire et au-delà. L’une aime sa mère et la respecte ; l’autre la méprise parce qu’elle gagne durement sa vie comme femme de ménage. Ambiance !

De fait, le personnage de Souad est horrible : elle n’a rien qui puisse la sauver. Non seulement elle ne fait rien au collège (quand elle daigne y paraître) mais elle se montre injustement cruelle envers sa mère. Certes, on peut la comprendre – sans doute n’est-elle pas assez douée pour marcher sur les traces de sa sœur – mais on ne l’excuse pas. Le personnage de Souad, entièrement négatif, est de loin le plus fort du film : on respire dès qu’elle n’est plus à l’écran. Nesrine, à l’inverse, nous réconcilie avec le genre humain et partiellement avec la société française : mais si ! un rejeton des quartiers difficiles et des milieux défavorisés peut s’en sortir (surtout s’il est une fille pourvue d’une brillante intelligence, évidemment !).

Et Fatima ? Cette femme qui se sacrifie pour ses filles est poignante. Le contact avec les petits chefs (secteur public) ou les patronnes (secteur privé) est humiliant : de fait, la « France » n’aime pas les « arabes », tout au plus peut-elle se montrer paternaliste à leur égard. Cependant Fatima n’est pas qu’une victime : analphabète en français, elle écrit fort bien l’arabe, langue dans laquelle elle confie ses états d’âme sur des cahiers. Elle a cependant un passage à vide lorsqu’elle découvre que Souad fait partie des « décrocheuses », et puis le succès de Nesrine au concours de l’année prépratoire à la médecine est loin d’être assuré…

Que dire de plus, sinon que ce film mérite incontestablement son César ? Quant au reste, quant à l’interprétation qui en sera faite, le film peut conforter aussi bien les belles âmes (« on ne fait pas assez, dans notre pays, pour les minorités, musulmane en particulier ») que les islamophobes (en dehors d’une petite élite ces gens-là sont inassimilables »).

Tropiques Atrium à Madiana, respectivement les 18, 26 et les 19, 28 avril 2016.