Théâtre patrimonial – « Le Petit Prince »

Par Selim Lander

LE-PETIT-PRINCE-Qui n’a pas lu le Petit Prince quand il était enfant, qui n’a pas été ému par ce jeune et beau garçon venu d’ailleurs, qui cache sous une fausse naïveté une sagesse immémoriale, celle-là même qui fait tellement défaut à l’homme et à la femme modernes, ceux-là qui – selon une formule célèbre mais insuffisamment méditée – perdent leur vie à la gagner (entre autres) ?

« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants. Mais peu d’entre elles s’en souviennent », a écrit Saint-Exupéry dans sa préface. La formule est erronée, ou plutôt elle date d’avant la vulgarisation de la pensée freudienne. Contrairement à ce que pensait « Saint-Ex », la plupart des adultes d’aujourd’hui, ceux de nos contrées en tout cas, qui ont échappé à la guerre et se sont accoutumés à vivre dans le confort (certes très variable), sont restés des enfants égoïstes et jouisseurs. Car, au-delà de la formule précitée, Saint-Ex s’est également trompé dans sa définition (implicite) de l’enfant, lequel n’est nullement l’être virginal qu’il veut faire accroire : pervers polymorphe apparaîtrait en effet une définition plus adaptée.

Ceci rectifié, il reste que nous avons besoin de mythes et que celui de l’enfance pure et sans tache en fait partie, ce qui explique pourquoi le succès du Petit Prince se perpétue à travers les générations, les enfants étant les premiers, bien entendu, à adhérer à une image aussi flatteuse d’eux-mêmes. En ce qui nous concerne, nous n’avons aucune honte à avouer avoir toujours adoré le Petit Prince, même si nous recommanderions plutôt à des adultes la lecture de Citadelle, du même auteur.

Contrairement à Citadelle, trop peu connu, le Petit Prince fait partie du patrimoine littéraire des Français. Ceci explique pourquoi  la représentation à l’Atrium d’une adaptation théâtrale du récit de Saint-Ex a fait salle comble, parents et enfants pour une fois réunis. Rafaell Madel (qui interprétait le petit prince à côté de François Frapier dans le rôle de l’aviateur), comédien habitué des planches martiniquaises, n’a pas reçu cependant la même ovation que dans Andromaque, la semaine précédente.

La comparaison s’impose, non seulement en raison de la présence d’un même interprète apprécié du public dans les deux pièces mais encore parce que la pièce de Racine fait également partie de notre patrimoine littéraire. A priori, on penserait que le tragédien de Port-Royal étant plus éloigné de nous dans le temps, plus  « difficile » à ce titre que l’aviateur héros de la Deuxième guerre mondiale, le Petit Prince serait mieux reçu. S’il n’en a rien été, c’est que, contrairement à Andromaque qui a fait l’objet d’une véritable adaptation propre à la mettre à portée de tous les publics, le Petit Prince a simplement été représenté, au plus près du texte. Or si ce dernier se prête merveilleusement à la lecture (de préférence aux enfants déjà couchés dans leur lit, en leur laissant admirer les images de l’auteur), il n’a pas été écrit pour le théâtre. Passe sans doute pour les spectateurs qui n’auraient jamais été en contact avec ce texte ; les autres attendaient davantage de créativité. Or la seule originalité véritable de la mise en scène réside dans l’évocation très réussie du désert (à laquelle a contribué une « plasticienne de sable », Lucie Joliot). Quant aux deux interprètes du Petit Prince, ils maintiennent – sans doute sans le vouloir – une distance peut-être propre à séduire certains théoriciens de la chose théâtrale mais qui, en l’occurrence, les empêche de convaincre complètement.

 

Fort-de-France, Tropiques-Atrium, 27 mai 2016.