Catégorie : Avignon

Le Off : réflexion et restructuration en marche avec AF&C et FTIAA

— Propos recueillis par Dominique Daeschler auprès d’Harold David et Sylvain Cano-Clémente—

Le Off reprend souffle cette année, après le covid et des turbulences internes, l’heure est au changement. Les réflexions menées tout au long de l’année au sein de commissions largement ouvertes ont conduit AF&C qui assure la coordination générale du festival Off et la Fédération des théâtres indépendants d’Avignon FTIAA à se rapprocher. Au-delà des premiers effets constatés par le spectateur : supports de communication jouant bien leur rôle de facilitateurs dans l’organisation de son parcours théâtral, village du off plus central très fréquenté, équipes d’accueil efficaces, l’état d’esprit général concernant l’organisation a changé. Assumant un rôle différent mais complémentaire, AF&C et FTIAA ont misé sur des présidences collégiales. Harold David, co-président d’AF&C et Sylvain Cano-Clémente co-président de FTIAA ont évoqué avec nous les nouvelles orientations du festival.

Avant de laisser Harold nous exposer méthodiquement le projet conduit par AF&C, Sylvain qui doit vaquer à ses occupations de directeur du théâtre du rempart, avec une fougue toute méditerranéenne, nous balance d’un trait les 1570 spectacles créés cette année avec les 33000 levers de rideau, la nécessité de l’intervention financière de l’État tant en ce qui concerne les moyens et la légitimation à sa juste valeur du 0ff que le projet porté par AF&C et auquel la FTIAA s’associe pleinement, présenté à la ministre de la culture pour la filière du spectacle vivant.

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Festival OFF 2022 : instantanés (2 / 2)

Petite sélection des spectacles vus à Avignon, entre légèreté et gravité 

– Par Janine Bailly –

Leurs enfants après eux, d’après Nicolas Mathieu

Adaptée du roman éponyme de Nicolas Mathieu, dont on se souviendra qu’il fut lauréat du Prix Goncourt en 2018, la pièce est mise en scène par Hugo Roux, qui en confie l’interprétation aux jeunes acteurs de sa compagnie Demain dès l’Aube, ex-élèves de l’ENSATT (L’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre).

De cet épais roman, écrit comme un portrait de la Lorraine, qui dans les années quatre-vingt-dix regardait mourir ses derniers hauts fourneaux éteints, de cette région où, reprenant les mots de Bernard Lavilliers, on parlerait de “cheminées muettes, de portails verrouillés, de vieux châteaux forts bouffés par les ronces, le gel et la mort”, Hugo Roux retient en premier ce qui concerne une jeunesse en recherche d’avenir, en mal d’espoir, en quête d’elle-même. 

Il y aura ceux qui partent, et ceux qui resteront, ceux qui iront à la ville y poursuivre des études, et les autres. Mais dans ces étés où l’adulte cherche à percer sous l’adolescent, dans la touffeur des jours étirés, dans les fêtes nocturnes comme dans la langueur d’après-midis torrides à soigner son ennui aux rives plus fraîches et plus intimes d’un lac, chacune et chacun cherche qui aimer, d’amour ou d’amitié.

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Festival OFF 2022 : instantanés (1 / 2)

Une petite sélection hasardeuse et non exhaustive des spectacles vus à Avignon 

–– Par Janine Bailly ––

Les passagers, de Frédéric Krivine

Frédéric Krivine dit s’être senti “hanté” par un fait divers dont Israël a été le théâtre, « la rencontre explosive entre un homme et une femme, un terroriste et une passagère, le premier sauvant la deuxième avant de tuer à l’aveugle ».  De cet épisode tragique, il a fait un huis clos théâtral pour deux personnages, ici mis en scène par Laurent Capelluto.

Emmanuel Salinger en officier de police israélien mène un interrogatoire pervers et sarcastique, en ce sens qu’il suscite, par son intransigeance, l’aveu de ce qu’il sait déjà, ou de ce qu’il pressent après qu’a été menée une enquête minutieuse. Débusquer les mensonges, de part et d’autre ! Le regard bleu se fait d’acier face à Amina, qu’incarne la comédienne chevronnée, Axelle Maricq. Commerçante palestinienne, Amina va poser son étal et vendre son poisson sur la place de Jérusalem, pour ce faire emprunte une ligne de bus fort fréquentée, connaît les arrêts et les fouilles sans raison aux points de passage.

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Avignon 2022: récapitulatif des comptes-rendus de spectacles

Avignon 2022 : « La Tempesta », « Futur Proche »

Par Dominique Daeschler —

La Tempesta. Shakespeare, m.e.s. Antonio Serra. Opéra théâtre.

Futur Proche. Chorégraphie Jan Martens. Cour d’honneur Palais des Papes.

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La Tempesta. Shakespeare, m e s Antonio Serra. Opéra théâtre.

Féru des travaux de Grotowski et Brook, Antonio Serra en a gardé la certitude que le théâtre c’est d’abord l’acteur, que c’est lui qui fait sens. Le décor sera minimaliste, se transformant comme un couteau suisse dont on retient d’abord l’efficacité, traçant une aire de jeu où vont se débattre des corps-énergie. L’île où Prospero s’est retiré est un monde oscillant entre sa magie et son bon vouloir. Des pouvoirs qui s’exercent sur les plus faibles (Caliban, Ariel esclaves) à défaut de pouvoir se venger des plus puissants. C’est compter sans la finesse psychologique d’ Ariel et une judicieuse tempête. Voilà le roi de Naples et sa suite à la merci de Prospero ! Se succéderont de joyeuses ripailles, un mariage de Miranda la fille de ce dernier , les pulsions meurtrières de Caliban, l’immersion dans un cérémonial proche de la transe … Lavie de la même essence que nos rêves se joue de ses excès et de ses incessants allers-retours sous l’impulsion discrète d’Ariel.

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Avignon 2022-9 : Banque centrale, Jeanne etc. (OFF)

– par Selim Lander –

Banque centrale de et avec Franck Chevalley

Cette pièce qui a déjà beaucoup tourné dans des théâtres et des lieux associatifs est un modèle de théâtre politique, à la fois instructif et très distrayant car mené avec beaucoup d’humour et un sens du jeu étonnant. Il faut dire que Franck Chevalley est un ancien de l’école du TNS et qu’il a bénéficié des conseils d’Alexandre Zloto, assistant à la mise en scène d’Ariane Mnouchkine.

La pièce est sous-titrée « Histoire de la monnaie racontée par un fou ». Le narrateur, qui est en effet pensionnaire d’un asile, est censé changer de service et d’étage quand il change de rôle : de simple trafiquant dans un système d’échange local jusqu’à l’Europe en passant par l’État et la banque centrale. Il donnera d’ailleurs largement la parole à un banquier, à la fin, pour expliquer la crise des subprimes. Il serait fastidieux de raconter cette pièce, nous manquerions du sens de l’humour qui la caractérise. Car le fond est des plus austère puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de l’abrégé d’un cours d’économie sur la monnaie et la finance.

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Avignon 2022-8 : Descartes & Pascal, Téléphone-moi (OFF)

– Par Selim Lander —

L’Entretien de M. Descartes avec M. Pascal le Jeune de Jean-Claude Brisville

Mesguich père et fils, Daniel et William, qui sont présents dans plusieurs pièces, ensemble ou pas lors de ce festival, soit pratiquement non stop (!), interprètent à deux (et mettent en scène) en milieu d’après-midi la rencontre entre Descartes et Pascal telle qu’imaginée par J.-Cl. Brisville. Car s’il est attesté qu’une telle rencontre a bien eu lieu et qu’on en connaît la date, le 24 septembre 1647, on ignore tout de son contenu sinon qu’elle ne s’est pas bien passée. Tandis que le Descartes de Brisville est un monument de bon sens, son Pascal est présenté au contraire comme un dangereux dogmatique. Pour nous en convaincre, Brisville, très intelligemment, utilise tout ce qu’il peut trouver dans la vie de Pascal comme l’affaire Saint-Ange qui surgit dans la pièce comme un coup de Jarnac (le jeune Pascal, à Rouen, s’était acharné contre un malheureux capucin qui se distinguait par des positions théologiques quelque peu hétérodoxes). Autre élément mis en avant, le livre De la fréquente communion d’Antoine Arnaud (qui date de 1643 et qui était donc connu par les deux protagonistes lors de leur rencontre).

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Avignon 2022 : « Pourquoi les lions sont-ils si tristes ? »,  » Bananas »

— Par Dominique Daeschler —

Pourquoi les lions sont-ils si tristes ? Leila Anis, Karim Hammiche, m.e.s. K.Hammiche. Le 11.
Bananas. Julie Timmerman, texte et m e s. La Factory .

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Pourquoi les lions sont-ils Modifier la date et l’heure si tristes ? Leila Anis, Karim Hammiche, m.e.s. K.Hammiche. Le 11.

La pièce écrite sur les mutations de la société du travail suit un processus désormais courant. Tout d’abord une collecte de témoignages (avec vidéo) dans différents milieux professionnels et statuts (santé, agriculture, industrie, cadre, ouvrier, retraité … ) suivie d’ une recherche documentaire, d’une première écriture modifiée au plateau constituent les étapes du travail. L’inter- vention de l’acteur sur le texte au plateau est désormais courante et change le rôle de ce dernier dans le processus de création. La plongée dans le réel, dans la connaissance de la vie des autres ( cheminement personnel, territoire) est l’axe de création choisi par la compagnie de l’œil brun : nous n’allons pas rêver, nous allons constater, nous faire une opinion pour mieux comprendre les hommes et la société dans laquelle nous sommes.

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Avignon 2022 : « L’Art de perdre », « Ghazal »

— Par Dominique Daeschler —

L’Art de perdre. Alice Zeniter, m.e.s. Sabrina Kouroughli. Le 11.

Ghazal. Collectif, m.e.s. Tiffany Duprés. La Factory.

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L’Art de perdre. Alice Zeniter, m.e.s. Sabrina Kouroughli. Le 11.

Sabrina Kouroughli adapte « l’art de perdre »  d’Alice Zeniter dans une sororité : toutes deux nées en France, passées par « l’école de la république » ont de la terre algérienne de leurs ascendants, une histoire trouée. Ici deux grand’mères analphabètes, là un grand père harki, des déracinements où la culture est piétinée, les souvenirs enfouis. Seul le silence permet de garder le respect de soi-même, ultime armure d’une identité fêlée par la honte sociale.

Nous entrons dans une enquête mémorielle où tout est raconté à partir de la famille et y retourne avec des confidences, des souvenirs, des fantasmes et des rêves. Naïma, jeune galériste navigue dans un milieu intellectuel pseudo mondain sans état d’âme particulier jusqu’aux interrogations violentes que suscitent les attentats de Paris. Un burn out, une invitation à se rendre en Algérie pour préparer une exposition seront des prises de conscience qui l’engageront, sautant la génération de son père, à engager le dialogue avec cette grand-mère ( formidable Fatima Aibout) arrachée à ses champs d’olivier, parquée pendant des années dans un camp pour atterrir dans un HLM de Normandie, sauvée quelque part par les exigences du quotidien.

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Avignon 2022 : « La galerie. Machine de cirque », « Ici la nuit »

— Par Dominique Daeschler —

La galerie. Machine de cirque. La Scala Provence
Ici la nuit. Jon Fosse, m.e.s. Frédéric Garbe. Théâtre Transversal.

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La galerie. Machine de cirque. La Scala Provence.

Nouveau lieu à Avignon, la Scala Provence a repris les salles d’un ancien cinéma : plus de places et de grands plateaux , ce qui est rare en off. Le luxe ! Comme à la Scala Paris, la programmation est axée sur des spectacles mêlant le cirque, la performance, la danse faisant souvent appel à des références plastiques.

Machine de cirque, compagnie québécoise composée de sept acrobates et d’une musicienne y présente un spectacle déboulonnant les codes d’une galerie d’art branchée terriblement monochrome, adepte d’un dépouillement ascétique. Tabernacle ! Ils foutent le souk, le boxon, le bordel en exécutant des numéros de haut vol, réglés à l’américaine, valorisant la performance en toute décontraction. Le décor bouge autant qu’eux : tout se transforme pour que l’imaginaire reprenne possession de l’espace et de la poésie qu’une musicienne intemporelle distille d’un saxo impertinent. La couleur éclate sur d’immenses toiles, avec un sourire de connivence à Pollock, barbouillant salopettes et cheveux.

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Avignon 2022 : « La diversité est-elle une variable d’ajustement? », « Jogging »

— Par Dominique Daeschler —

La diversité est-elle une variable d’ajustement… Collectif : A Adjina, G Akakpo, M Navajo.
Jogging. Hanane Hajj Ali. Théâtre Benoît XII. In.

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La diversité est-elle une variable d’ajustement… Collectif : A Adjina, G Akakpo, M Navajo. Le 11.

Trois écrivains de théâtre, Amine Adjina, Gustave Akakpo, Metie Navajo se plient à un exercice à la mode : la conférence où le public est pris à partie. C’est tout bénef, pas de décor, un minimum de mobilier qui fait qu’on peut jouer n’importe où sans compter qu’on s’économise car on peut très bien lire son texte quand on passe l’autre à la question ! Chiche ! en route pour la diversité car ces auteurs ont en commun soit d’être nés dans un autre pays que la France, soit d’être liés à d’autres pays par leurs ascendants. La diversité est un fait mais quelle est sa reconnaissance sociale, culturelle, politique ? Les auteurs qui jouent leur propre rôle vont, lors de leurs présentations respectives émettre des doutes, glisser quelques peaux de banane .

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Avignon 2022-7 : Richard II, Una imagen interior (IN)

—Par Selim Lander —

Richard II, M.E.S. Christophe Rauck

Si Richard II n’est pas la pièce la plus jouée de Shakespeare, elle mérite d’être découverte dans la mise en scène de Christophe Rauck, directeur des Amandiers à Nanterre, présentée cette année. Deux pièces de Shakespeare dans le IN, toutes deux dans des mises en scène respectueuses du texte : on aura garde de s’en plaindre ! Après le comédie de la Tempesta, place au drame historique avec Richard II. Les historiens discutent toujours de la personnalité de ce roi : avait-il réellement des problèmes mentaux ? On s’accorde à dire qu’il était efféminé et – ce qui n’a aucune espèce de rapport – qu’il ne se comportait pas toujours normalement. Quoi qu’il en soit, le Richard II de Shakespeare manque pour le moins de sérieux. Constamment dans l’outrance, il mêle l’insulte à la dérision, voire à la fin, quand il est contraint d’abdiquer, à l’autodérision.

Le succès d’un passage du texte (ici superbement traduit par Jean-Michel Déprats avec des alexandrins bien frappés) à la scène repose en très grande partie sur le comédien chargé d’interpréter le roi et Micha Lescot est, ici, royal !

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Avignon 2022 : « La mort grandiose des marionnettes », « Double jeu de l’amour et du hasard », « Moi, Kadhafi », « Macbeth »

— Par Dominique Daeschler —

La mort grandiose des marionnettes. Création de Old trout puppet.
Double jeu de l’amour et du hasard. m.e.s. Patrick Ponce.
Moi, Kadhafi. Véronique Kanor, m.e.s. Alain Timar
Macbeth. Shakespeare, m.e.s. Geoffrey Lopez

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La mort grandiose des marionnettes. Création de Old trout puppet. Girasole.

Trois filles en frac manipulent des marionnettes à tige dans et devant un castelet, démystifiant l’histoire de la marionnette et la tentation d’une réception ébahie. La mort, la disparition, la dévoration, le rejet sont au rendez vous dans toutes les scénettes qui développent un humour sarcastique. Le travail est raffiné, inventif . Défilent à toute allure le chanteur d’opéra qui se fait régulièrement casser la gueule, l’animateur exsangue et mortifère, le grand cordon des intestins-tuyaux d’arrosage de l’homme mort devant le castelet. Tout est passage à l’acte, désinhibition, volte-face avec parfois, le temps de reprendre souffle une accalmie poétique (l’homme feuille). C’est avec férocité que les trois marionnettistes canadiennes enterrent leurs créatures nous renvoyant à un parterre de figurants dans le castelet, histoire d’enfoncer férocement le clou. C’est détonant : un seul regret on voit parfois les mains.

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Avignon 2022 : « Mon village d’insomnie », « Surexpositions », « Je te pardonne Harvey Weinstein »

— Par Dominique Daeschler —

Mon village d’insomnie. Samuel Gallet, m.e.s. Vincent Garanger. Le11
Surexpositions. Marion Aubert, m.e.s.  Julien Rocha. La Factory -Théâtre de l’Oulle.
Je te pardonne Harvey Weinstein Conception et écriture Pierre Notte. Théâtre des Halles.

Mon village d’insomnie. Samuel Gallet, m.e.s. Vincent Garanger. Le 11.

Huis clos à trois dans un centre pour mineurs migrants non accompagnés : Harouna angoissé par la disparition de son copain Drissa, Elise jeune éducatrice un rien rigide angoissée par ses responsabilités et André l’homme mûr qui débarque pour la remplacer. Dehors un village qui dort, ressenti comme hostile et la mer qui fait des siennes complètent une atmosphère pesante déjà lourde des mensonges des uns et des autres, d’une hostilité latente, d’une solitude tangible. L’ inquiétude monte, les téléphones coupés ou cassés c’est l’heure des peurs réelles ou fantasmées, de la paranoïa. Qui est qui ? Construite comme un polar, la pièce distille son poison à petites doses. Et si Drissa avait été assassiné ? André est-il l’éducateur qu’il prétend être ? La réalité de l’ici maintenant, c’est le café, le marathon pour obtenir des papiers d’identité, le cancer de la mère d’Elise, l’impression de tourner en rond dans une société qui ne sait que mettre des bâtons dans les roues.

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Avignon 2022 : « Chasser les fantômes », texte Hakim Bah, sur une idée de Sophie Cattani, m.e.s. Antoine Oppenheim

— Par Janine Bailly —

Dans cette pièce contemporaine à deux personnages – le il et le elle – que présente au Théâtre des Halles la Compagnie ildi ! eldi, on redécouvre Nelson-Rafaell Madell, assumant ici le rôle de l’homme dans ce couple mixte dont on suivra la formation, le trop bref chemin de vie, et la dissolution finale. Ainsi que dans Au plus noir de la nuit – adaptation du roman éponyme d’André Brink, par Nelson-Rafaell Madell justement –  l’homme noir est celui qui transgresse la « règle » sociale, et qui doit mourir. Il est venu d’Afrique en Europe sur les pas de la femme blanche, qui fut touriste en son pays mais mais n’y vit qu’une Afrique enchantée et fantasmée. Elle et Lui sont tombés en amour, dans un bal-poussière. Elle est rentrée chez elle, a fait en sorte qu’il la rejoigne de l’autre côté de l’eau. Il espère se construire là un avenir, et l’impossibilité de réaliser ce rêve, comme celle de rentrer dans son pays – et le retour serait un aveu d’échec –, la mort qui s’ensuivra, sont bien le reflet de ce que vivent aujourd’hui nombre d’exilés s’ils parviennent jusqu’en France.

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Avignon 2022-6 : « Salina », « Chasser les fantômes », (OFF)

– par Selim Lander –

Salina, les trois exils de Bruno Bernardin et Khadija El Mahdi d’après Laurent Gaudé

Laurent Gaudé est l’un des romanciers les plus marquants d’aujourd’hui. Ses récits écrits dans une langue incantatoire sont généralement situés dans un univers exotique. On se souvient du Soleil des Scorta (prix Goncourt 2004) et auparavant de l’extraordinaire Mort du roi Tsongor, sorte d’OVNI littéraire paru en 2001. Salina, les trois exils qui date de 2018 est dans la même veine. Le roman raconte l’histoire de Salina, un bébé abandonné dans le désert et recueilli par une tribu farouche. Elle sera mariée de force à un homme qu’elle n’aime pas et ne cessera de chercher à se venger jusqu’à l’ultime fin, celle de l’improbable réconciliation, quand la nouvelle reine de la tribu lui donnera un de ses fils en réparation. C’est ce dernier, Malaka, qui raconte l’histoire de Salina dans la barque qui conduit sa dépouille vers un mystérieux cimetière.

Adapter un roman aussi purement littéraire est une gageure dont la compagnie Les Apicoles se sort avec les honneurs. Bruno Bernardin avait déjà interprété en solo Sang Négrier de L.

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Avignon 2022-5 : Là où je croyais être il n’y avait personne, Flesh (IN)

— Par Selim Lander —

Là où je croyais être il n’y avait personne de et avec Anaïs Muller et Bertrand Poncet

Une pièce drôle dans le IN, on n’y est pas vraiment habitué mais des comme celle-là, on en redemande. Les deux jeunes comédiens ont concocté un mélange loufoque à propos d’une histoire d’amour entre un frère et une sœur. Il y est question de Musil et de Duras puisque la seconde a trouvé chez le premier l’idée de sa pièce Agatha, laquelle traite justement de ce sujet.

Là où je croyais être il n’y avait personne est le deuxième volet, après Un jour j’ai rêvé d’être toi, d’une œuvre toujours en construction intitulée Les Traités de la perdition. Les titres indiquent déjà le registre, celui d’un comique tout en finesse, souvent allusif. S’il y a bien quelques traits appuyés, ceux-ci sont loin d’être les plus nombreux. Au début, nos duettistes sont vêtus d’un costume bricolé qui pourrait évoquer celui de mousquetaires en campagne. Après ce prologue placé sous l’égide de Musil, place à Duras et aux choses sérieuses, les comédiens désormais habillés pour l’une d’une robe classique et pour l’autre d’un smoking avec chemise et nœud papillon blancs.

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Avignon 2022 danse : Futur proche, de Jan Martens 

Quand la danse investit avec bonheur la Cour d’Honneur du Palais des Papes

––Par Janine Bailly ––

Sous la direction du chorégraphe belge Jan Martens, le corps de ballet OBV (Opéra Ballet Vlaanderen), dynamique et convaincant, et qui accueille en son sein des danseurs de tous âges, s’empare du plateau, occupe pendant une heure trente son vaste espace pour dire à sa façon « le monde futur » . 

Un long banc dessine sa frontière horizontale – limite entre le devant et le fond de scène – de côté jardin à côté cour. S’y accrochent un clavecin et Goska Isphording, sa musicienne, qui soutiendront de leurs notes métalliques et contemporaines les évolutions de la troupe. Musique comme lien indéfectible entre les danseurs et les tableaux enchaînés. Le banc en fin de spectacle se défera, partagé en ses diverses parties, posées ou retournées à maints endroits du plateau – se défera comme pourrait se défaire notre monde en péril ?

Mais d’abord, ce banc sera la colonne vertébrale de la danse, hommes femmes et jusqu’à deux enfants répartis sur et devant et derrière lui, assis ou debout voire accroupis.

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Avignon 2022 (4) : Le Nez, Frantz (OFF)

– Par Selim Lander –

Le Nez adapté de Gogol et mis en scène par Ronan Rivière

Un beau matin, Kovalev, assesseur de collège mais homme de quelque importance dans la société pétersbourgeoise découvre qu’il a perdu son nez. Ce serait déjà bien ennuyeux mais voilà-t-y pas que le nez s’est sorti tout seul des eaux de la Neva où les pauvres gens qui l’avaient découvert dans une miche de pain ont cru bon de le jeter et qu’il se met à faire des frasques, comme séduire la fiancée de Kovalev ou semer du désordre dans la ville en promettant monts et merveilles à qui veut l’entendre. Sous la farce, en un temps (la publication date de 1836) où la censure ne laissait pas passer grand-chose, ce récit dissimule une critique acerbe de la Russie impériale, des inégalités sociales exacerbées et de la crainte engendrée par une police attelée à défendre l’ordre social.

L’adaptation de Roman Rivière joue délibérément sur le côté farce du texte, tout en gonflant le rôle d’Alexandrine, la fiancée de Kovalev, laquelle bien qu’appartenant au beau monde se montre ici particulièrement délurée.

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Avignon 2022 : « Le Sel », texte de Karima El Kharraze & Christelle Harbonn, m.e.s. de Christelle Harbonn

Par Michèle Bigot

Ce spectacle en français, hébreu et arabe surtitré est intitulé Le sel, « le Mellah » en arabe et en hébreu, parce que ce nom représente le symbole de l’amitié, le sel étant l’aliment essentiel que partagent les vrais amis. C’est donc l’histoire d’une amitié recherchée, au-delà des diaspora qui dispersent les voisins d’autrefois. C’est ainsi que nous est contée l’histoire de la diaspora des Juifs du Maroc sur plus d’un siècle, de 1890 à 2020. Une histoire qui commence dans le quartier juif de Marrakech, justement nommé le Mellah, pour aboutir en France en 2020. Et c’est à un va-et-vient entre les deux lieux et les deux temporalités que nous invite l’histoire.

En 1980 à Marrakech, Ephraïm et Efrat vont se voir séparés par le désir d’Efrat d’aller étudier en terre sainte pour devenir rabbin. Et en 2022, Jésus (ironie du prénom!) l’arrière petit fils d’Efrat, rêvant d’adopter un enfant pour fonder une famille avec son compagnon, part pour enquêter sur une légende aux termes de laquelle son aïeul Ephrat aurait voyagé de Marrakech à Jerusalemn sur un âne pour mener à bien ses études bibliques.

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Avignon 2022 : « Iphigénie » de Tiago Rodrigues, m.e.s. d’Anne Théron

— Par Michèle Bigot —

Iphigénie est le premier volet d’un trilogie écrite par Tiago Rodrigues, Iphigénie, Agamemnon, Electre, mise en scène avec la troupe du Théâtre National Dona Maria II, dont Tiago Rodrigues fut nommé directeur en 2014. Ce texte a été découvert par Anne Théron en 2010, intéressée qu’elle fut pas sa dimension féministe , non moins que par ses qualités littéraires. Dans la droite ligne de son travail de romancière et de metteuse en scène, elle trouva dans cette réécriture de la tragédie d’Euripide et de Racine l’héroïne qui lui correspondait, celle qui à l’heure de sa mort s’adresse à son père en ces termes:  » Non. C’est terminé. Il faut arrêter cette mémoire. Je vais mourir, mais je vais mourir en femme libre. Je vais mourir parce que je refuse le mensonge. Je refuse ce monde. »

La réécriture de la tragédie par Tiago Rodrigues offre une réflexion sur le libre arbitre, la question du choix d’Agamemnon y demeure centrale mais elle est envisagée sous l’angle de sa liberté et sous l’angle du refus que lui oppose sa fille Iphigénie, autant que son épouse Clytemnestre.

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Avignon 2022 – 3 : Fin de partie (OFF), Futur proche (IN)

– Par Selim Lander –

Fin de partie (aux Halles)

Le théâtre des Halles accueille régulièrement une pièce de Beckett mise en scène par Jacques Osinski avec Denis Lavant dans la distribution : Cap au pire en 2017, La Dernière Bande en 2019, Fin de partie pour cette édition. Succès assuré à chaque fois, ne serait-ce qu’en raison de la présence de Denis Lavant, acteur beckettien par excellence. Il se meut dans l’absurde comme un gardon dans la Garonne. Ce qui ne veut pas dire qu’il ressemble à un vif poisson. Au contraire, courbé, emprunté, « la démarche raide et vacillante », écrit l’auteur, il ferait peine à voir si le texte, faisant fi de tout réalisme, n’était pas là pour nous rappeler constamment que nous sommes au théâtre. Miracle de la prose de Beckett : nous tenir en haleine avec des histoires qui n’ont ni queue ni tête délivrées sur un ton sentencieux par des comédiens fatigués ! Encore faut-il que les comédiens tiennent la route et personne ne prétendra que ce n’est pas le cas ici.

Clov est le fils adoptif, serviteur, souffre-douleur de Hamm, lequel endosse donc les rôles inverses.

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Avignon 2022 – 2 : Le Septième jour, La Tempesta (IN)

– par Selim Lander –

Le Septième jour : Meng Jinghui (again)

Les fidèles du IN connaissent le metteur en scène chinois Meng Jinhui déjà invité en 2019 avec la Maison de thé, une production qui bénéficiait de très gros moyens tant pour la distribution que les décors gigantesques, avec, faut-il le répéter, un résultat bien décevant : beaucoup de bruit (et d’argent dépensé) pour rien ! Le voici à nouveau avec une adaptation à nouveau très personnelle, celle d’un roman de Yu Hua (l’auteur de Vivre adapté au cinéma par Zhang Yimou), au titre directement évocateur de l’Apocalypse de Jean.

Yang Fei, le protagoniste, est mort. Expédié au paradis, ou plutôt en l’occurrence dans l’enfer, il y rencontre des proches arrivés avant lui, en particulier son père adoptif et son ex-femme. La relation entre le père et le fils est le point fort de l’histoire. Le premier, employé des chemins de fer, a trouvé le bébé au cordon ombilical non encore coupé. Il l’a récupéré, élevé avec beaucoup d’amour, compromettant ainsi ses chances de se marier, aucune femme ne voulant épouser un homme ainsi encombré.

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« Le Déparleur » démarre en Avignon !

Mardi 19 juillet à 12h30, coup d’envoi du Déparleur au théâtre de l’Observance.

Tous les jours sauf le lundi jusqu’au 30 juillet.

Sur la photo, le comédien s’apprête à franchir l’entrée du théâtre le 18 juillet pour l’installation de la pièce.

Pour mémoire, deux articles écrits lors de la création de la pièce en Martinique :

« Le Déparleur » de et avec Michel Herland

— Par Roland Sabra —

Un petit banc de bois blanc sur le sol parsemé de journaux parmi lesquels on reconnaît, le Monde, le Diplo, France-Antilles, les pages saumon du Figaro. Le décor est planté en décalage avec l’univers supposé d’un clochard, tout comme son apparence. La soixantaine bien tassée, barbe naissante, sous un smoking défraîchi, foulard noué autour du cou, il porte une chemise bien blanche. Son mode d’énonciation est marqué de l’hésitation de celle ou celui dont la parole est restée trop longtemps sans adresse. Ses mots font référence aux poètes, aux plus grands, et empruntent à l’argot d’un temps qui n’est plus mais qui fût le sien. Proche et lointain, il est d’un monde où l’humain déclinant est en fuite.

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Avignon 2022 : One Song. Histoire(s) du théâtre IV

— Par Michèle Bigot —

Miet Warlop est la quatrième artiste de la série « Histoire(s) du théâtre, inaugurée en 2019 par Milo Rau avec La Reprise , suivi par Faustin Linyekula et Angelica Liddell, à l’initiative du NTGent de Gand. Sous forme de concert rituel, la performeuse nous propose une sorte de requiem, une ode à l’épuisement, dans une parodie satirique de concours de chant doublé de manifestation sportive. Un groupe de performeu(euse)s s’épuise à jouer sur divers instrument la même et unique chanson, chacun d’entre eux se livrant à un exercice sportive tout en jouant. L’ensemble crée un spectacle répétitif jusqu’à l’achèvement des acteurs, voire à celui des spectateurs. Dans cette arène, les performeur(euse)s sont accompagné(e)s par un groupe de fans, une pom-pom girl (un homme en fait) et un commentateur sportif (une femme en fait). Il s’agit d’aller au bout de ses limites physiques, de se faire une concurrence acharnée, de mener une surenchère acoustique jusqu’à l’effondrement.

«Comment une chanson pourrait donner une unité à toute une société?» se demande Miet Warlop.

On se le demande aussi. Le spectacle hésite en effet entre satire du heavy metal, satire des manifestations sportives et des concours de chant.

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