« Welfare », par Julie Deliquet d’après le film de Frederick Wiseman

Cour d’honneur du palais des Papes, festival d’Avignon 2023

—Par Michèle Bigot —

Il s’agit de l’adaptation théâtrale du documentaire de Frederick Wiseman (1973). On est à New York dans le bureau de l’aide sociale où vont défiler tour à tour les gens des catégories populaires les plus en difficulté, beaucoup de vieilles femmes abandonnées à leur solitude, des vétérans , des drogués en cure de désintoxication, d’anciens détenus, des chômeurs en fin de droit, tous les plus démunis, qui viennent chercher un chèque ou une place en logement social. L’enjeu était de porter sur le plateau ce défilé de personnes marginalisées, porteuses d’histoires compliquées, douloureuses et toutes désireuses d’être écoutées, entendues, prises en considération. En face d’elles quelques fonctionnaires des services sociaux débordés, mal payés, impuissants et souvent réceptacles involontaires d’une violence verbale ou physique qui ne demande qu’à se déchaîner. On voit l’actualité de la chose…..

Julie Deliquet n’en est pas à son premier exercice d’adaptation théâtrale. Elle a déjà travaillé à partir de Bergman, Desplechin et Fassbinder. Elle avoue être motivée par la puissance des dialogues au cinéma. C’est particulièrement vrai ici puisqu’il s’agit d’un documentaire où chacun narre son histoire et entre en communication avec un employé, voire en conflit. S’il est vrai que le conflit nourrit le langage théâtral, alors ici la situation est on ne peut plus favorable. Naturellement les allocataires, démunis, souvent désespérés entrent en conflit ouvert avec l’administration. C’est l’occasion idéale pour dépeindre le tableau de la misère sociale dans toute son étendue. A cela s’ajoute beaucoup de verve, d’imagination, d’humour, voire de poésie, car il arrive parfois, assez souvent, qu’un artiste se révèle chez un plaignant. Des personnages forts, souvent drôles, ne reculant devant rien, des histoires tourmentées, exemplaires, en somme l’aliment parfait d’un bon scénario et d’une satire sociale mordante. L’administration étant le lieu où se déchaînent les règlementations les plus absurdes, la scène où l’individu est confronté au non-sens , à l’arbitraire et à l’incompréhension de la machine sociale, dont il semble que la vocation soit de le broyer.

Tous les ingédients sont là, y compris le talent des comédiens de la troupe qui font merveille et déploient toute la palette de leur jeu théâtral. Rien à dire de ce côté là et les spectateurs sont enthousiastes. Le problème vient pour l’essentiel du lieu. La cour d’honneur se prête difficilement à ce type de spectacle, trop vaste, trop solennelle, trop marquée d’histoire théâtrale. De par ses dimensions, elle appelle la magie théâtrale, les lumières, les sons puissants, les images, elle convient au mises en scène opératiques, et mal au dialogue subtil nuancé, grinçant, humoristique. Les paroles se perdent dans la vastitude du lieu, le son est mauvais, on perd une bonne partie de la saveur des réparties. L’expression des visages nous échappe, tout ce drame demande à être regardé de près, l’empathie se nourrit de cette communion. C’est ainsi que ce défilé des personnages vus de loin finit par engendrer la lassitude et se résumer à une procession, somme toute linéaire et interminable. C’est une question de gestion de l’espace et d’écriture dramatique qui doivent s’adapter à la Cour d’honnuer. Nul doute que dans le cadre d’une salle parisienne, mieux éclairée, moins vaste, mieux sonorisée, le spectacle gagnerait en intensité. Se pose pourtant la question essentielle du rythme car il est nécessaire de rompre la monotonie de la succcesion de ces cas sociaux qui défilent devant nous. Le cadrage au cinéma, les ruptures de tempo y remédient, mais sur scène c’est plus difficile car tout se réduit à un plan large qui surajoute à la monotonie.

Pour louable que soit l’intention, le résultat n’est pas au rendez-vous. Aussi sympatique que soit le projet, il ne réussit pas à faire vibrer le spectateur, à faire naître l’émotion et fait appel à nos convictions plus qu’à notre sensiblité. Un exercice d’école, brave, enthousiaste et généreux, mais en somme peu convaincant.

Michèle Bigot

Avec Julie André (Elaine Silver) Astrid Bayiha (Mme Turner) Éric Charon (Larry Rivera) Salif Cisse (Jason Harris) Aleksandra de Cizancourt (Elzbieta Zimmerman) Évelyne Didi (Mme Gaskin) Olivier Faliez (Noel Garcia) Vincent Garanger (M. Cooper) Zakariya Gouram (M. Hirsch) Nama Keita (Mlle Gaskin) Mexianu Medenou (Lenny Fox) Marie Payen (Valerie Johnson) Agnès Ramy (Roz Bates) David Seigneur (Sam Ross) et Thibault Perriard (John Sullivan, musicien)
D’après
 le film de Frederick Wiseman
Traduction 
Marie-Pierre Duhamel Muller
Mise en scène
 Julie Deliquet
Adaptation scénique 
Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos
Collaboration artistique
 Anne Barbot, Pascale Fournier
Scénographie 
Julie Deliquet, Zoé Pautet
Lumière 
Vyara Stefanova
Musique 
Thibault Perriard
Costumes 
Julie Scobeltzine
Marionnette 
Carole Allemand
Assistanat aux costumes
 Marion Duvinage
Habillage
 Nelly Geyres
Décors 
François Sallé, Bertrand Sombsthay, Wilfrid Dulouart, Frédéric Gillmann, Anouk Savoy – Atelier du Théâtre Gérard Philipe Centre dramatique national de Saint-Denis
Régie générale
 Pascal Gallepe
Régie plateau 
Bertrand Sombsthay
Régie lumière 
Jean-Gabriel Valot
Régie son 
Pierre De Cintaz
Traduction en anglais pour le surtitrage 
Panthea