Étiquette : Michèle Bigot

« Le Bonheur », texte & m.e.s. de Tatiana Frolova/ KnAm Théâtre

— Par Michèle Bigot —

L’affiche est alléchante, Le Bonheur, spectacle monté par Tatianan Frolova et sa troupe du KnAm, théâtre de Komsomolsk-sur-Amour, on croit rêver! À moins que ce rapprochement de termes ne fasse oxymore pour beaucoup! Le nom est formidablement exotique, pourtant il vient tout droit de l’enfer, cet Orient soviétique qui se recommande surtout pour son Goulag. Le paradoxe s’installe d’autant mieux dans l’esprit que « knam » est un vocable russe qui pourrait se traduire approximativement en français par: « Venez chez nous »!

Mais faisons confiance à Tatiana Frolova. En 1985, pendant la période de la Perestroïka, elle fonde dans sa ville natale de Komsomolsk-sur-Amour le théâtre KnAm, un des premiers théâtres indépendants de Russie. Dans l’ambiance de l’époque, le public lui est plutôt hostile, mais rien ne l’arrête. Après avoir pratiqué les classiques, elle éprouve la necessité de renouveler la forme théâtrale, de trouver une esthétique et une matière propres à toucher les spectateurs contemporains, mue par l’urgence de la situation politique de son pays. Elle se tourne alors vers le théâtre documentaire non sans faire penser au travail de Svetlana Alexievitch.

→   Lire Plus

« Carte noire nommé désir », texte & m.e.s. de Rébecca Chaillon, au gymnase du lycée Aubanel

— Par Michèle Bigot —

Ce n’est pas le tramway, mais le café que l’on nomme désir, slogan publicitaire oblige. Le titre annonce la couleur, littéralement. A la fois ironique, satirique et corrosif. L’ensemble du spectacle est à l’avenant, mordant, caustique, agressif, dérangeant. Le festival n’est pas dans sa zone de confort!

Dès l’entrée, vous êtes prévenus. Les femmes « noires et métisses afro-descendantes, trans ou non binaires ayant un vécu de femme » sont invitées à s’asseoir à l’arrière du plateau, sur des sofas moelleux, où elles seront servies en rafraîchissements. Le reste c’est le tout-venant du public, bonne bête à bétaillère, qui va se faire houspiller, provoquer, agresser. L’homme cis-genre noir égale l’homme blanc, même combat! Dans les gradins, bien serrés, pas de cadeau! Même faute, même punition.

Première scène, ou plutôt premier tableau de cette performance: une femme noire alourdie d’un corps énorme lave le sol (blanc, le sol), elle récure, elle frotte, elle s’échine, elle s’épuise et peu à peu se défait de ses vêtements (blancs) qu’elle transforme en serpillières . Elle souffre, et nous avec, mais ce n’est que le début.

→   Lire Plus

« Antigone in the Amazon », conception & m.e.s. Milo Rau

— Par Michèle Bigot —

Milo Rau et sa troupe du NT Gent een compagnie de l’atelier des activistes du MST revient en Avignon, aprè avoir présenté en 2018 La Reprise- Histoire(s) du théâtre (I). Si le festival d’Avignon n’a pas accueilli comme il l’aurait dû Augusto Boal, avec son Théâtre de l’Opprimé dont Milo Rau est le meilleur héritier, en revanche il a accueilli Christiane Jatahy par deux fois en 2019 et 2021. Or les points communs entre ces deux dramaturges sont légion. Outre le fait de travailler la vidéo de façon originale et de puiser aux sources grecques ( Notre Odyssée 1 &2 pour Jatahy, Antigone et Oreste à Mossoul pour Milo Rau) les deux se nourrissent de l’histoire et de l’actualité du Brésil, depuis la dictature (1964 à 1885) jusqu’à la lutte contre l’extrême droite de Bolsonaro et le soutien au MST (Mouvement des sans-terre). Dans Antigone in the Amazon, l’action se situe dans l’État de Parà, où la forêt amazonienne est en grand danger, victime du pillage organisé par l’agro-industrie. Le coeur du drame est constitué par le massacre de 1996.

→   Lire Plus

Avignon 2022 & Almada 2023 : « Ulysse de Taourirt », texte & m.e.s. Abdelwaheb Sefsaf

— Par Michèle Bigot —

« O Muse, conte-moi l’homme aux mille tours qui erra longtemps sans répit… » Cet inventif des temps modernes, c’est Areski le père, autant qu’Abdelwaheb, le fils. Le premier est né à Taourirt en 1948, le second à Saint-Etienne. Le premier découvre la France, le second découvre le théâtre. Deux adolescences racontées en parallèle, sur le mode de l’épopée. Aventure, guerre, périls, souffrances et joies jalonnent les deux odyssées. Chacun incarne un héros contemporain, héros du travail et de la libération pour le père, héros du théâtre pour le fils. Et comme dans toute épopée, la poésie le dispute au drame, grandeur et misère s’y cotoient, l’humour et le pittoresque nourrissent le texte. Dense, riche, le texte est encore enrichi par la musique. Le récit est rythmé par la musique, le chant, la danse. Peu à peu le puzzle de ces deux vies parallèles se dessine, à la faveur d’un récit alternant les deux intrigues. Par une habile construction narrative, les scènes font alterner la vie au village de Kabylie et la vie à St-Etienne. Abdelwaheb raconte sa vie et celle des siens, la famille, les amis.

→   Lire Plus

« Je ne suis pas d’ici je suis ici », texte, m.e.s. & jeu Véronique Kanor

Festival d’Avignon off 2023

— Michèle Bigot —

Troisième édition de ce spectacle à la Chapelle du verbe incarné. En l’occurrence le lieu n’a jamais si bien porté son nom car Véronique Kanor en est à la fois l’autrice et l’interprète. Ce seule-en-scène est une performance poétique, rythmée de danse, de mélopée et ponctuée d’images vidéo qui soulignent le propos. Incarné au plus haut point, ce spectacle l’est en vertu de la présence physique de l’interprète, de sa voix, de son regard. Le lieu est intime, presque confidentiel et rien n’est perdu de l’émotion de la poétesse, de sa colère, de son espoir, de son amour du langage.

C’est son histoire qu’elle raconte, une histoire vécue dans sa chair, on ne peut s’y tromper. Mais c’est aussi un questionnement sur l’altérité, sur la couleur de la peau comme différence. « Je suis seule en scène…mais il y a mille regards, mille présences, mille paroles qui surgissent derrière moi sur l’écran qui m’accompagne » dit-elle. Ajoutons que l’écran lui-même possède une force d’émotion remarquable. C’est tout sauf une surface neutre, puisqu’il est fait des vêtements, lambeaux d’étoffe qu’on dirait récupérés sur des corps humains oubliés.

→   Lire Plus

« Iphigénie à Splott », de Gary Owen, m.e.s. de Geroges Lini

— Par Michèle Bigot —

Iphigénie habite à Splott, un quartier déshérité de Cardiff. elle s’appelle Effie, Iphigénie, c’est le nom de son destin. Du père, il ne sera pas question. On ne parlera que de sa grand-mère. Famille même pas mono-parentale. Effie est livrée à elle-même et à son présent désespérant. Devant no future! La friche industrielle, la cité, les ordures, les pubs pleins à craquer, les parcs abandonnés, et la rue pour tout horizon, les merdes de chien sur le trottoir. alors l’alcool, la baise, et encore l’alcool. Rien d’autre n’existe, de toute façon. Effie, c’est la marginale, la paumée, celle qu’on évite dans la rue, celle qu’on ignore et que beaucoup insultent. Mais elle estvive, drôle, combative, pleine de vie. Elle a pour elle sa clairvoyance et son franc-parler. Elle ne recule devant rien , ne baisse les yeux devant personne. C’est une guerrière, pas comme son blaireau de petit copain qui la suit comme un toutou.

Et puis voilà qu’un jour elle rencontre l’amour, le vrai, celui qui change tout. Elle y croit ferme, pour la première fois elle ne se sent plus seule.

→   Lire Plus

« Iphigénie à Splott », de Gary Owen, m.e.s. Geroges Lini

— Par Michèle Bigot —

Iphigénie habite à Splott, un quartier déshérité de Cardiff. elle s’appelle Effie, Iphigénie, c’est le nom de son destin. Du père, il ne sera pas question. On ne parlera que de sa grand-mère. Famille même pas mono-parentale. Effie est livrée à elle-même et à son présent désespérant. Devant no future! La friche industrielle, la cité, les ordures, les pubs pleins à craquer, les parcs abandonnés, et la rue pour tout horizon, les merdes de chien sur le trottoir. alors l’alcool, la baise, et encore l’alcool. Rien d’autre n’existe, de toute façon. Effie, c’est la marginale, la paumée, celle qu’on évite dans la rue, celle qu’on ignore et que beaucoup insultent. Mais elle festive, drôle, combative, pleine de vie. Elle a pour elle sa clairvoyance et son franc-parler. Elle ne recule devant rien, ne baisse les yeux devant personne. C’est une guerrière, pas comme son blaireau de petit copain qui la suit comme un toutou.

Et puis voilà qu’un jour elle rencontre l’amour, le vrai, celui qui change tout. Elle y croit ferme, pour la première fois elle ne se sent plus seule.

→   Lire Plus

« An oak tree » texte, m.e.s. & interprétation Tim Crouch

— Par Michèle Bigot —

Cloître des Célestins, Festival d’Avignon 2023

La foire aux illusions, tel est ce spectacle de Tim Crouch créé en 2005 et tournant largement de par le monde aujourd’hui. Il répond parfaitement à l’ambition affichée par Tiago Rodrigues, faire de cette 77ème édition un focus sur le théâtre britannique. Britannique jusqu’au bout du plateau, cette pièce l’est bien. Digne fils de Vanity fair, émule du baroque shakespearien, Tim crouch fait de la scène théâtrale une foire au boniment, du metteur en scène un hypnotiseur et/ou un thérapeute, un « entertainer » de bas étage. Comment?

Deux personnages occupent le plateau: Tim Crouch et un acteur prélevé dans le public, hier AdamaDiop) qui ignore tout du scénario et à qui il va souffler ses répliques. Première entorse délibérée au fonctionnement ordinaire de l’illusion théâtrale. Le motif est pourtant tragique; il s’agit d’un père confronté au chauffard qui vient de tuer sa fille dans un accident de la circulation. L’idée est que le père va consulter un hypnotiseur pour conjurer son chagrin.

Mais qui est qui? Les deux interprètes vont assumer tous les rôles, celui du père, Andy, celui du chauffard, celui de la mère en deuil, dans un tourbillon des apparences qui exprime le vacillement de la réalité caractéristique d’un tel deuil.

→   Lire Plus

« Neandertal », texte & m.e.s. David Geselson

— Par Michèle Bigot —

Cette création de David Geselson repose sur une synthèse des recherches sur Néandertal, auxquelles la lecture de l’ADN a donné un nouveau souffle.La question qui hante tous les esprits est de savoir s’il existe une filiation directe entre Néandertal et Homo sapiens. Les résultats de ces programmes montreront que l’on a affaire à deux espèces humaines différentes et qu’il y a eu du métissage entre les deux espèces sur quoi débouche l’homme moderne.

Pourtant ce qui intéresse David Geselson c’est la série d’interférences et de croisements qui se sont opérés entre l’histoire de la recherche et l’histoire politique d’une part , et de l’autre entre la vie des chercheurs et leur recherche. Ces interférences, il en trouve témoignage grace à la biographie du prix Nobel Svante Pääbo, et des vies de Rosalind Franklin, Gregor Mendel Craig Venter et Maja Paunovic. Voilà une démarche d’écriture que le metteur en scène avait déjà éprouvée avec Doreen , adapté à la scène d’après la « Lettre à D. » d’andré Gorz (2017).

Ces croisements sont un matériau parfaitement idoine pour la dramaturgie.

→   Lire Plus

« K. », texte, m.e.s. Alexis Armengol & « On n’est pas là pour disparaître », adaptation, m.e.s. Mathieu Touzé, d’après le texte d’Olivia Rosenthal

— Par Michèle Bigot —

K., Alexis Armengol

Alexis Armengol, acteur, scénographe et metteur en scène avec toute sa troupe, Théâtre à cru, créée en 1999, est désormais un habitué des plateaux. Son projet artistique se déploie autour de l’accessibilité des nouvelles formes théâtrales. Sa particularité est de croiser les disciplines, créant ainsi un véritable renouveau formel, une aventure théâtrale dans laquelle l’objet scénique est investi d’un rôle important. Sur le plateau se rencontrent les images vidéo, les dessins sur écran, les formes découpées dans des planches, l’image animée, le son, la musique et une prodigieuse gestuelle des personnages, autant comédiens que danseurs, jongleurs et acrobates. Une sorte de théâtral total où tous les sens sont sollicités pour stimuler l’imagination. Le texte fait partie intégrante de cette circulation de vie, il est pris dans la dynamique du drame, jamais isolé. Il y a là un langage scénique vraiment original et renouvelé autant que l’exige le sujet.

Le sujet est ici l’autisme, ou du moins ce qu’on appelle ainsi, faute d’en avoir une plus exacte compréhension. Le spectacle s’ingénie à déconstruire cette étiquette.

→   Lire Plus

« Les Femmes de la maison », écriture et m.e.s. de Pauline Sales

— Pazr Michèle Bigot —

Incontestablement Pauline Salles est la fabuliste d’aujourd’hui, du moins en France, elle n’en est pas à son coup d’essai. Régulièrement présente au off d’Avignon (Normalito en 2011, J’ai bien fait? en 2017 avec son complice Vincent Garanger de la Cie A L’envi ( dans le rôle de monsieur Joris, le seul représentant masculin de l’histoire). Cette fois elle s’empare du mouvement féministe pour en écrire une histoire parodique. L’histoire se déroule sur trois époques de 50 à nos jours, autour d’une seule et unique maison, lieu central de l’intrigue. C’est la Cerisaie d’aujourd’hui, réécrite sur le mode satirique. Au centre, un homme, monsieur Joris, sorte de mécène qui met sa maison à la disposition des femmes artistes, assurant insensiblement son emprise sur elles. Sa seule exigence est qu’on respecte quelques règles de bonne intelligence, laisser une œuvre en fin de séjour et accepter la présence d’une femme de ménage. Mais il reste le maître, le propriétaire et le mécène. Sa domination ne peut être fondamentalement entamée. Les femmes artistes vont s’y succéder, plasticiennes la plupart du temps, (l’histoire s’inspire de Womanhouse, exposition de femmes en Californie de 1972) sauf dans le dernier tableau où la maison devient une résidence d’écriture.

→   Lire Plus

« Le Songe d’une nuit d’été », adaptation & m.e.s. Jean-Michel d’Hoop

— Par Michèle Bigot —

Avignon ne se lasse pas de Shakespeare, non moins que le théâtre en général. S’il survit aussi merveilleusement (littéralement parlant) , c’est bien sûr grace à son inépuisable richesse mais encore de par sa dimension immédiatement intemporelle et universelle. Chacun y trouvera à boire et à manger, selon sa soif et son appétit. Ses problématiques, aussi vieilles que le monde sont inépuisables. Dans cette comédie, la triangulation fonctionne à plein régime, Lysandre aime Hermia, qui est aussi aimée par Démétrius , qui est quant à lui aimé par Héléna. Et ça va tourner en rond, la machine amoureuse ronronne pour notre plus grand plaisir. C’est prévisible à cent pour cent mais ça fonctionne et ça nous amuse. Le mécanisme est exacerbé par l’intervention par l’intervention de malins génies: Obéron le roi des fées, Puck son fidèle serviteur et Titania, la reine de fées. La confusion qui s’ensuit est étourdissante . Sans oublier l’effet de « théâtre dans le théâtre » cher au monde baroque: c’est l’intervention d’une troupe de comédiens bouffons qui joue Pyrame et Thisbé.

→   Lire Plus

« Celle qui regarde le monde », écriture, m.e.s. et scénographie Alexandra Badea

— Par Michèle Bigot —

Ce n’est pas la première performance d’Alexandra Badea à Avignon. Elle a participé à l’édition 2019 du festival avec le second volet de sa trilogie Points de non-retour, en l’occurrence Quais de Seine. l’ensemble de la trilogie revisite l’histoire du colonialisme français et Quais de Seine revenait sur le massacre des Algériens à Paris en octobre 1961. Elle pratique donc un théâtre ouvertement politique, ce que nul ne songe à lui reprocher. On peut légitimement estimer qu’elle a largement contribué à une prise de conscience en France, à faire sortir le public du déni où il s’est longtemps réfugié au regard de la guerre d’Algérie. Donc salutaire entreprise de démystification. Les textes portés au plateau étaient alors articulés autour de la confrontation de plusieurs générations face à un drame historique. Quelqu’un se met en quête de la vérité et confronte les témoignages. Mais il semble qu’aujourd’hui une page soit tournée et qu’Alexandra Badea se confronte au monde contemporain.

Celle qui regarde le monde nous expose l’odyssée d’un adolescent de 16 ans fuyant son pays en guerre, traversant la méditerranée et le territoire français pour se retrouver dans la jungle de Calais, espérant passer en Angleterre, puis reconduit en Grèce.

→   Lire Plus

« Méduse.s », une création du collectif La Gang / What’up

— Par Michèle Bigot —

Elles sont trois sur scène, Sophie Delacollette, Alice Martinache et Héloïse Meire, nouvelle version des trois soeurs, à se partager le rôle de la legendaire Méduse, épaulées par la musique de Loïc Le Foll, présence discrète et efficace sur le plateau. Dans la plus entière complicité, elles vont faire revivre le mythe antique de Méduse, mais en écrivant leur propre version des faits, donnant la parole à Méduse elle-même. Ce n’est plus l’histoire contée par Ovide, ce n’est plus la story, ni l’history mais « l’herstory ». Le point de vue est celui de l’héroïne elle même qui nous conte à la première personne ses parents, ses soeurs, son enfance, son viol par Poseïdon et la haine d’Athéna qui la transforme en monstre.

Et ça change tout. Que lui arrive-t-il avant d’être décapitée par Persée? D’ailleurs, sera-t-elle tuée par Parsée ou réussira-t-elle à infléchir le sort? La légende devient tout à coup très moderne, très contemporaine, et les trois actrices ne vont pas se priver de mêler les scènes de la mythologie grecque avec les témoignages de jeunes femmes violées que l’on entend en voix off pour scander les pricipaux moments du drame.

→   Lire Plus

« L’Ecriture ou la vie », d’après Jorge Semprun, adaptation & m.e.s. Jean-Baptiste Sastre et Hiam Abbass

— Par Michèle Bigot —

L’Ecriture ou la vie est un récit publié en 1994 mais que, de son aveu même, Jorge Semprun a commencé à écrire en 1987, le 11 avril 1987, au moment où Primo Levi se donnait la mort. Ce fut l’événement déclencheur, qui l’a décidé à consentir l’effort de se tourner vers le passé, de le laisser refluer en lui avec l’angoisse de mort qui l’accompagne. Au soir de sa vie, il ressent l’urgence de témoigner sur l’horreur du camp de Buchenwald, parce qu’il est un des derniers à en conserver un souvenir vécu dans sa chair. Longtemps, il avait fait le choix de se tourner vers l’avenir, en militant politique, mais voilà qu’avec la mort de Primo Levi, le retour au souvenir est inévitable. Entre écrire et vivre, il choisit alors écrire, car c’est l’unique façon de faire face à l’angoisse de mort qui l’assaille. Après avoir banni de sa mémoire ces heures atroces, voilà q’il y revient, mêlant le récit autobiographique, le dialogue, la poésie et la réflexion philosophique sur le mal absolu. Car comment dire l’expérience des camps?

→   Lire Plus

« Welfare », par Julie Deliquet d’après le film de Frederick Wiseman

Cour d’honneur du palais des Papes, festival d’Avignon 2023

—Par Michèle Bigot —

Il s’agit de l’adaptation théâtrale du documentaire de Frederick Wiseman (1973). On est à New York dans le bureau de l’aide sociale où vont défiler tour à tour les gens des catégories populaires les plus en difficulté, beaucoup de vieilles femmes abandonnées à leur solitude, des vétérans , des drogués en cure de désintoxication, d’anciens détenus, des chômeurs en fin de droit, tous les plus démunis, qui viennent chercher un chèque ou une place en logement social. L’enjeu était de porter sur le plateau ce défilé de personnes marginalisées, porteuses d’histoires compliquées, douloureuses et toutes désireuses d’être écoutées, entendues, prises en considération. En face d’elles quelques fonctionnaires des services sociaux débordés, mal payés, impuissants et souvent réceptacles involontaires d’une violence verbale ou physique qui ne demande qu’à se déchaîner. On voit l’actualité de la chose…..

Julie Deliquet n’en est pas à son premier exercice d’adaptation théâtrale. Elle a déjà travaillé à partir de Bergman, Desplechin et Fassbinder. Elle avoue être motivée par la puissance des dialogues au cinéma.

→   Lire Plus

« La Question » texte de Henri Alleg, m.e.s. Laurent Meininger avec Stanislas Nordey

— Par Michèle Bigot —

Le texte de Henri alleg a été écrit en 1957. Ce n’est pas une fiction, c’est le témoignage sans concession de ce que son auteur a subi en fait de torture. Nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Henri Alleg est arrêté en même temps que Georges Hadjadj et Maurice Audin. Les trois militants seront torturés impitoyablement et Maurice Audin mourra sous les coups. Henri Alleg résiste à un traitement dont la barbarie est sans égale. Miraculeusement il s’en sort vivant et décide de raconter par le menu les tortures qu’il a subies. Il écrit pour les autres, pour tous ceux qui sont morts sous les coups et pour alerter l’opinion, conformément à son éthique de journaliste. Jérôme Lindon décide courageusement d’éditer ce texte aux éditions de Minuit. Le texte fut écrit par morceaux sur du papier toilette que la femme d’Henri Alleg sortait clandestinement. Alors que les tortionnaires ont tous été amnistiés, Henri Alleg a continué à être inquiété. L’État français lui a longtemps gardé rancune d’avoir raconté ce dont ses sbires étaient capables et il commence à peine à reconnaître sa responsabilité.

→   Lire Plus

Avignon 2022 : « Le Septième jour », texte Yu Hua adaptation et m.e.s. de Meng Jinghui

— Par Michèle Bigot —

Le spectacle mis en scène par Meng Jinghui est adapté du roman Le septième jour de Yu Hua, publié en France chez Actes Sud en 2014. En France, Yu Hua s’est fait connaître du grand public par l’adaptation au cinéma de son deuxième roman Vivre! par Zhang Yimou.

Le roman est inspiré du mythe de la création du monde, à ceci près que les sept jours en question ne sont pas ceux de la création mais au contraire, les sept premiers jours de Yang Fei dans les enfers, (ou ce qui leur ressemble) après sa mort brutale dans une explosion. L’adaptation qu’en fait Meng Jinghui est fidèle au sujet du roman et à son esprit. On y retrouve une sorte de relecture des mythes essentiels de la culture occidentale, une paraphrase de la Divine comédie mais aussi les visions du monde infernal qui viennent à Ulysse, lors de la Nekuia au chant XI de l’Odyssée et encore plus la catabase d’Enée à la recherche de l’âme de son père, aidé dans cette quête par la Sybylle de Cumes.

→   Lire Plus

Avignon 2022 : « Le Sel », texte de Karima El Kharraze & Christelle Harbonn, m.e.s. de Christelle Harbonn

Par Michèle Bigot

Ce spectacle en français, hébreu et arabe surtitré est intitulé Le sel, « le Mellah » en arabe et en hébreu, parce que ce nom représente le symbole de l’amitié, le sel étant l’aliment essentiel que partagent les vrais amis. C’est donc l’histoire d’une amitié recherchée, au-delà des diaspora qui dispersent les voisins d’autrefois. C’est ainsi que nous est contée l’histoire de la diaspora des Juifs du Maroc sur plus d’un siècle, de 1890 à 2020. Une histoire qui commence dans le quartier juif de Marrakech, justement nommé le Mellah, pour aboutir en France en 2020. Et c’est à un va-et-vient entre les deux lieux et les deux temporalités que nous invite l’histoire.

En 1980 à Marrakech, Ephraïm et Efrat vont se voir séparés par le désir d’Efrat d’aller étudier en terre sainte pour devenir rabbin. Et en 2022, Jésus (ironie du prénom!) l’arrière petit fils d’Efrat, rêvant d’adopter un enfant pour fonder une famille avec son compagnon, part pour enquêter sur une légende aux termes de laquelle son aïeul Ephrat aurait voyagé de Marrakech à Jerusalemn sur un âne pour mener à bien ses études bibliques.

→   Lire Plus

Avignon 2022 : « Iphigénie » de Tiago Rodrigues, m.e.s. d’Anne Théron

— Par Michèle Bigot —

Iphigénie est le premier volet d’un trilogie écrite par Tiago Rodrigues, Iphigénie, Agamemnon, Electre, mise en scène avec la troupe du Théâtre National Dona Maria II, dont Tiago Rodrigues fut nommé directeur en 2014. Ce texte a été découvert par Anne Théron en 2010, intéressée qu’elle fut pas sa dimension féministe , non moins que par ses qualités littéraires. Dans la droite ligne de son travail de romancière et de metteuse en scène, elle trouva dans cette réécriture de la tragédie d’Euripide et de Racine l’héroïne qui lui correspondait, celle qui à l’heure de sa mort s’adresse à son père en ces termes:  » Non. C’est terminé. Il faut arrêter cette mémoire. Je vais mourir, mais je vais mourir en femme libre. Je vais mourir parce que je refuse le mensonge. Je refuse ce monde. »

La réécriture de la tragédie par Tiago Rodrigues offre une réflexion sur le libre arbitre, la question du choix d’Agamemnon y demeure centrale mais elle est envisagée sous l’angle de sa liberté et sous l’angle du refus que lui oppose sa fille Iphigénie, autant que son épouse Clytemnestre.

→   Lire Plus

Avignon 2022 : One Song. Histoire(s) du théâtre IV

— Par Michèle Bigot —

Miet Warlop est la quatrième artiste de la série « Histoire(s) du théâtre, inaugurée en 2019 par Milo Rau avec La Reprise , suivi par Faustin Linyekula et Angelica Liddell, à l’initiative du NTGent de Gand. Sous forme de concert rituel, la performeuse nous propose une sorte de requiem, une ode à l’épuisement, dans une parodie satirique de concours de chant doublé de manifestation sportive. Un groupe de performeu(euse)s s’épuise à jouer sur divers instrument la même et unique chanson, chacun d’entre eux se livrant à un exercice sportive tout en jouant. L’ensemble crée un spectacle répétitif jusqu’à l’achèvement des acteurs, voire à celui des spectateurs. Dans cette arène, les performeur(euse)s sont accompagné(e)s par un groupe de fans, une pom-pom girl (un homme en fait) et un commentateur sportif (une femme en fait). Il s’agit d’aller au bout de ses limites physiques, de se faire une concurrence acharnée, de mener une surenchère acoustique jusqu’à l’effondrement.

«Comment une chanson pourrait donner une unité à toute une société?» se demande Miet Warlop.

On se le demande aussi. Le spectacle hésite en effet entre satire du heavy metal, satire des manifestations sportives et des concours de chant.

→   Lire Plus

Avignon 2022 : « Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? » Concepteurs et interprètes : Pierre Solot et Emmanuel De Candido

— Par Michèle Bigot —

Présenté ainsi, vous diriez qu’il s’agit encore d’une de ces bluettes dont les séries télévisées américaines sont friandes. Et en effet, ça commence comme ça: Brandon a rendez-vous avec Jessica dans un Starbucks et elle lui met le marché en mains: « Brandon, ou bien tu me parles ou bien je te quitte! ». Que va faire Brandon? Assurément, Jessica va le quitter, mais pourquoi?

Pour connaître la suite, il va falloir se pencher sur la vie de Brandon, le monde dans lequel il évolue. Ici commence l’enquête. Et il s’avère que Brandon a été pendant toute son adolescence accroc aux jeux video. On va suivre avec lui l’évolution de la technique et de l’IA qui les crée. En s’emparant d’outils numériques variés, les auteurs refont l’histoire des jeux vidéo avec dérision. Brandon se révèle être un « digital native » de la plus pire espèce. Il est taiseux, isolé, on peut s’inquiéter pour lui. Mais où cela va-t-il le mener?

L’enquête théâtrale autour de Brandon, sous forme de conférence gesticulée, va nous mener sur les traces d’un lanceur d’alerte.

→   Lire Plus

Avignon 2022 : « À ne pas rater », écriture, scénographie et m.e.s. Nicolas Heredia

— Par Michèle Bigot —

“Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans application.” Alors comment traduire cette vacuité sur un plateau, alors même que le théâtre relève du divertissement au sens où l’entendait Pascal (même si hélas il relève aussi souvent du divertissement tel que l’entend la telereality, la programmation du off en témoigne)?

Chaque spectateur qui choisit un programme se demande avec anxiété ce qu’il a raté comme performance pendant ce temps là. Peut-être quelque chose de plus intéressant?

C’est d’emblée ce que nous jettent à la face les deux personnages en scène. “ À la base, un spectacle, c’est d’abord ça: un certain nombre de personnes enfermées dans une salle pendant un certain temps. Voilà. Pendant une heure, vous allez donc être coincés ici, pour assister à ce spectacle. Et forcément pendant que vous assisterez à ce spectacle, vous allez rater tout ce qui se passe ailleurs. ‘

Nous sommes tous pris par l’angoisse d’être en permanence en train de rater quelque chose, même si ça se passe au bout du monde.

→   Lire Plus

Avignon 2022 : « Le Moine noir » d’après Anton Tchekhov, m.e.s. Kirill Serebrennikov

— Par Michèle Bigot —

En pleine tourmente et au beau milieu de la guerre en Ukraine, un artiste russe présente dans la Cour d’honneur un spectacle sur la folie. Proposition théâtrale adaptée d’un récit de Tchekhov, lui-même intitulé Le Moine noir. L’histoire que raconte Tchekhov est simple, c’est celle de Kovrine, philosophe en perdition, recueilli à la campagne chez un horticulteur, Pessotki, qui le considère comme son fils adoptif et lui destine sa fille Tania. Ce qui lui paraît être une façon de sauvegarder la pérennité de son domaine. Mais peu à peu Kovrine va sombrer dans la folie, précipitant ainsi le malheur de tout son entourage.

A la différence de Tchékhov, K. Serebrennikov présente l’histoire dans quatre versions successives, chacune d’elle illustrant le point de vue d’un des protagonistes, Pessotski puis Tania, Kovrine et enfin le moine noir. Le fil de l’intrigue est ainsi repris quatre fois, avec les adaptations nécessaires. Cette reprise illustre également la progression du délire, la déconstruction du réel qu’il entraîne et les brouillages référentiels qu’il occasionne. Le procédé consistant à alterner les regards et à modifier la perception fait entrer le spectateur dans une sorte de tourbillon souligné par les chants, la chorégraphie et l’alternance des idiomes, anglais allemand (le spectacle est produit par le Thalia Theater de Hambourg) et russe se faisant concurrence.

→   Lire Plus

Avignon 2022 : « Together » de Dennis Kelly, m.e.s. Arnaud Anckaert

— Par Michèle Bigot —

Together est le dernier texte de Dennis Kelly, écrit en février 2021. En pleine pandémie de Covid et à la suite de la désastreuse expérience du confinement. On a beaucoup dit que le confinement a été une épreuve extrême pour les familles et également pour les couples. Surtout ceux qui ne se supportent qu’à la faveur d’une vie professionnelle leur permettant de sortir de chez eux et de se réaliser à l’extérieur. Mais quand il faut se supporter à l’intérieur et à longueur de journée, c’est l’implosion! C’est bien ce qui arrive à nos deux protagonistes qui finissent par se détester, parce que tout les oppose, tempérament, idéologie, activité professionnelle… Et leur fils adolescent se trouve pris dans ce maelström, victime OKdes querelles, taiseux , sombre et solitaire. Un schéma hélas bien trop banal. On assiste en direct aux affrontements où explosent la colère et le ressentiment. Leur mésentente débouche sur une hostilité très physique. Ils se disent leur haine en usant de métaphores plus cruelles les unes que les autres. Mais voilà que le Covid les rappelle au sens de la vie, à sa fragilité, à son impermanence car la grand-mère meurt du Covid dans un abandon général orchestré par l’hôpital.

→   Lire Plus