De mai 68 au Mouvement de Libération des Femmes (MLF)

— Par Michèle Bigot —

« A l’occasion des 40 ans de Mai 68, le réseau féministe « Ruptures » a organisé trois tables rondes, au cours desquelles diverses personnalités féminines sont venues témoigner du creuset qu’a représenté le mouvement de Mai 68 pour la création de ce qui deviendra en 1970 le MLF. Le présent ouvrage figure donc le recueil de ces interventions à vocation historique. Il se divise en trois parties, la première consacrée à l’héritage de Mai 68 et à la création du MLF (100 pages), la seconde à la révolution féministe des années 1970-80 (50 pages) et la troisième aux résonances et à la transmission telles qu’on a pu les connaître des années 90 à aujourd’hui. On remarquera d’emblée que la plus grande part de l’ouvrage est consacrée à revisiter la fin des années soixante, comme le titre de l’ouvrage le laissait supposer. Ce retour en arrière n’est certes pas inutile, ne fût-ce que pour corriger certaines idées qui se sont imposées dans les générations d’aujourd’hui, à savoir que les prémices du mouvement se sont inscrites contre le marxisme et les combats révolutionnaires. C’est rendre justice aux créatrices du féminisme que de rappeler qu’elles n’ont en rien sous-estimé l’importance de la lutte des classes mais qu’elles se sont érigées contre l’idée que la révolution devait passer en premier et que le combat des femmes relevait d’une « contradiction secondaire ». Elles ont eu à cœur de rappeler que tout au long de l’histoire des révolutions sociales, les femmes qui se sont portées à la tête du mouvement furent ensuite reléguées voire éliminées par un pouvoir révolutionnaire largement phallocratique. Il a donc fallu « se libérer des libérateurs »!

La création du MLF s’est donc présentée comme une « révolution dans la révolution ». Il est salutaire de rappeler aussi que dès les années 70 on doit parler d’une nébuleuse féministe plutôt que d’un féminisme, tant le mouvement a irrigué l’ensemble de la société et a vécu en se diversifiant, preuve de sa vitalité. On peut donc regretter que la seconde partie n’insiste pas davantage sur les antagonismes fructueux qui ont animé le débat dans les années 70-80. L’enrichissement théorique, l’expérience des combats, le progrès de la législation ont ouvert le mouvement à d’autres horizons, ce qui ne s’est pas fait sans conflit. Il n’est que de mentionner l’hostilité qui s’est alors manifestée à l’égard de Monique Wittig et des Gouines Rouges pour comprendre à quel point la nébuleuse s’est enrichie en se fractionnant. Ce serait une erreur de penser que cela s’est fait au détriment du féminisme, bien que le conflit ait pu apparaître comme un frein momentané à l’extension du mouvement. En fait, son implantation aux États-Unis n’est pas étrangère à cette diversification, pour le plus grand enrichissement de ses bases théoriques.

Il en va de même pour la troisième partie. Il ne serait pas inutile de mentionner la nouvelle hostilité qu’ont pu rencontrer parmi les féministes le mouvement queer et la question trans. Parce que ces nouvelles approches remettaient en question la certitude de l’identité sexuelle, parce que la question du genre, telle qu’initiée par J. Butler a malmené les représentations figées de la division des sexes, parce que la remise en cause de l’hétérosexualité comme modèle dominant et pilier du patriarcat a pu en déranger plus d’une, on a préféré mettre la question sous le boisseau, et c’est bien dommage, tant il est vrai que ce sont ces débats qui irriguent la pensée des jeunes générations.

Tout en reconnaissant le bien-fondé de cette démarche historiciste, on regrettera que le recueil puisse être interprété comme une entreprise mémorielle là où on aurait davantage besoin d’envisager de front les débats théoriques d’aujourd’hui, comme celui de l’intersectionnalité. Il ne faudrait pas donner à penser que le féminisme reste la prérogative de la génération de 68. La nébuleuse féministe a tout à gagner, en théorie et en pratique, à se mettre à l’écoute des revendications qui se forment aujourd’hui, voire à se porter à la tête du mouvement pour en éclairer les enjeux. »

Michèle Bigot

De mai 68 au Mouvement de Libération des Femmes (MLF)
Monique Dental
Marie-Josée Salmon
(sous la direction de)