« Iphigénie à Splott », de Gary Owen, m.e.s. Geroges Lini

— Par Michèle Bigot —

Iphigénie habite à Splott, un quartier déshérité de Cardiff. elle s’appelle Effie, Iphigénie, c’est le nom de son destin. Du père, il ne sera pas question. On ne parlera que de sa grand-mère. Famille même pas mono-parentale. Effie est livrée à elle-même et à son présent désespérant. Devant no future! La friche industrielle, la cité, les ordures, les pubs pleins à craquer, les parcs abandonnés, et la rue pour tout horizon, les merdes de chien sur le trottoir. alors l’alcool, la baise, et encore l’alcool. Rien d’autre n’existe, de toute façon. Effie, c’est la marginale, la paumée, celle qu’on évite dans la rue, celle qu’on ignore et que beaucoup insultent. Mais elle festive, drôle, combative, pleine de vie. Elle a pour elle sa clairvoyance et son franc-parler. Elle ne recule devant rien, ne baisse les yeux devant personne. C’est une guerrière, pas comme son blaireau de petit copain qui la suit comme un toutou.

Et puis voilà qu’un jour elle rencontre l’amour, le vrai, celui qui change tout. Elle y croit ferme, pour la première fois elle ne se sent plus seule. Mais ce qui s’annonçait comme une résurrection va prendre les allures de voyage en enfer. Et Effie sera sacrifiée au bénéfice de la collectivité.

Le texte à lui seul représente déjà un « raz de marée émotionnel », au dire de Georges Lini. Mais la mise en scène et l’interprétation par Gwendoline Gauthier portent l’émotion à son comble. Le jeu de cette comédienne exceptionnelle nous emmène sur les montagnes russes du sentiment. Passionnée, endiablée, d’une totale sincérité, elle nous captive pour ne plus nous lâcher. On a rarement vu une telle générosité dans le jeu. Elle parle à jet continu, elle crie, elle va au bout d’elle-même et elle danse. Frénétique et sensible, parfois brisée et vaincue, elle est portée par la force du texte et la complicité de la musique. Celle-ci est véritablement incorporée aux différentes scènes, allant de la saturation sonore à la douceur pour laisser place au blanc du silence dans les moments les plus douloureux.

Georges Lini a su faire ce travail de metteur en scène qui a le souci d’orchestrer un cri de détresse pour le rendre audible, d’équilibrer les les composantes, le jeu, la lumière, le texte et la musique. Une remarquable direction d’acteur a permis à Gwendoline Gauthier de donner toute sa mesure. Cette région sinistrée de Cardiff, en proie à une crise économique et sociale depuis des décennies, n’est finalement pas très éloignée de ce que vivent certains régions de Belgique et de France. Et Georges Lini doit connaître ça, non moins que Gary Owen. Quant au spectateur français, il est plongé dedans depuis des mois que ça gronde en France, que la colère fulmine de partout!

A l’évidence, ce drame est porteur d’une dimension universelle, tout ancré qu’il soit dans une ville particulière. C’est même en raison de cet ancrage qu’il a une portée universelle. Car ce n’est pas une idée, c’est un fait brut, incarné, du vécu immédiat, de la douleur et de l’amour ressentis dans la chair.

Les spectateurs ne s’y sont pas trompés. Ils accourent en masse. Le bruit court dans le off, depuis le début du festival que c’est un des meilleurs spectacles de la cuvée 2023. Vérifié.

Le 11 • Avignon
Traduction Blandine Pélissier et Kelly Rivière
| Mise en scène Georges Lini
| Avec Gwendoline Gauthier
| Collaboration artistique Sébastien Fernandez
| Direction musicale François Sauveur
| Musiciens Pierre Constant, Julien Lemonnier et François Sauveur
| Création lumières Jérôme Dejean
| Costumes Charly Kleinermann et Thibaut De Coster