Avignon 2022 : « L’Art de perdre », « Ghazal »

— Par Dominique Daeschler —

L’Art de perdre. Alice Zeniter, m.e.s. Sabrina Kouroughli. Le 11.

Ghazal. Collectif, m.e.s. Tiffany Duprés. La Factory.

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L’Art de perdre. Alice Zeniter, m.e.s. Sabrina Kouroughli. Le 11.

Sabrina Kouroughli adapte « l’art de perdre »  d’Alice Zeniter dans une sororité : toutes deux nées en France, passées par « l’école de la république » ont de la terre algérienne de leurs ascendants, une histoire trouée. Ici deux grand’mères analphabètes, là un grand père harki, des déracinements où la culture est piétinée, les souvenirs enfouis. Seul le silence permet de garder le respect de soi-même, ultime armure d’une identité fêlée par la honte sociale.

Nous entrons dans une enquête mémorielle où tout est raconté à partir de la famille et y retourne avec des confidences, des souvenirs, des fantasmes et des rêves. Naïma, jeune galériste navigue dans un milieu intellectuel pseudo mondain sans état d’âme particulier jusqu’aux interrogations violentes que suscitent les attentats de Paris. Un burn out, une invitation à se rendre en Algérie pour préparer une exposition seront des prises de conscience qui l’engageront, sautant la génération de son père, à engager le dialogue avec cette grand-mère ( formidable Fatima Aibout) arrachée à ses champs d’olivier, parquée pendant des années dans un camp pour atterrir dans un HLM de Normandie, sauvée quelque part par les exigences du quotidien. Ce quotidien qui fera sens dans le récit ouvrant et refermant le passé comme une boîte à biscuits, avec précaution, pour ne rien casser, à sa place. Comment se tourne t’on vers quelque chose de déconstruit ? Du côté des exilés ou de la jeune génération française une même question sur l’identité : des racines ou des branches c’est selon.

Sabrina Kouroughli s’empare du texte avec sensibilité dans son adaptation , lui donnant une lisibilité immédiate, renforcée par la sobriété de l’espace de jeu. Est-ce trop porter qu’être l’actrice principale ? Est-ce le fait que la construction même de la pièce la convoque plus en récitante qu’en jeu ? Elle demeure plus la passeuse d’une histoire qu’un membre de cette histoire.

 

Ghazal. Collectif, m.e.s. Tiffany Duprés. La Factory.

A partir d’ateliers faits avec des femmes réfugiées syriennes, partant du constat de la nécessité de la transmission et du sentiment d’indifférence que ces femmes éprouvaient, un projet pluridisciplinaire s’est mis en place (écriture, danse, film documentaire, musique) dans l’esprit d’une création faite au plateau pour en garder le côté complice. Dans une chambre qui semble dévastée, les interprètes de Lena, Ebtesam, Afraa racontent leur histoire autour de la violence de la guerre, de la domination, de la révolution réprimée, de l’exil : douceur du thé et des dattes, rudesse de la transformation de ces matelas qui deviennent objets du récit projeté en images sans redondance. Ce qui impressionne c’est le travail fait dans l’intimité des réfugiées : filmées chez dans leur quotidien, le déclic s’est souvent fait à partir d’un objet, d’une photo. Le renvoi aux interprètes a commencé par la lecture de notes prises lors des ateliers et l’écoute des enregistrements sonores, leur laissant toute latitude pour créer du présent de même pour la musique en live et la danse : le travail sur le ressenti a été primordial. Alors on est au théâtre sans être au théâtre, plongé dans des histoires données sans garde-fou, comme si nous allions forcément partager leur mémoire, leur révolte, leurs traumatismes. Pour le spectateur c’est aussi à prendre ou à laisser car il est inclus dans le déroulement sans échappatoire, convoqué en tant que membre de l’humanité.