— Par Juan BRANCO Chercheur, Yale Law School (Connecticut) et Alphonse CLAROU Doctorant (Arles)—
ll y a quelques années, Jean-Luc Godard évoquait publiquement son affection pour le livre de Jacques Rancière, le Maître ignorant. Le postulat de l’égalité des intelligences qui y est présenté fait écho à la confiance que JLG a toujours eue en l’«intelligence» de ses interlocuteurs, en leur répartie, leur capacité tennistique à renvoyer la balle. Ainsi Godard s’est-il toujours contenté, en entretien comme dans ses films, de dire sans expliquer. Parole pensive et sacerdotale. Au spectateur de saisir ou de laisser passer. On aurait pu penser que les nouvelles technologies, offrant une réticularité beaucoup plus importante que les médias traditionnels, donneraient à ce jeu une nouvelle dimension. La polémique de ces derniers jours vient prouver le contraire. Accaparés par des médias dominants en manque chronique de spectres et d’audience, les réseaux sociaux ont en effet ouvert une troisième voie : arracher la parole au cheminement de la pensée, écraser et triturer sans effort la balle qui venait d’être lancée⋅ En d’autres mots, instrumentaliser pour faire peur, s’indigner pour se rendre populaire, sans en avoir l’air⋅ Godard donc, dans un entretien au Monde se félicite de la victoire de Marine Le Pen aux élections européennes, ajoutant qu’il l’aurait souhaitée Premier ministre⋅ Dans une hystérie qui fait signe, l’effusion est immédiate.