Tchok en Doc : le cinéma autrement !

« Amours aveugles » un film de Juraj Lehotsky

— Par Roland Sabra —

tchok_en_doc-400Née en 2008, l’association Tchok en Doc organise depuis une quinzaine d’années l’événement cinématographique, le Mois du Documentaire. Mise en lumière de films rares ou inédits, hommages à des réalisateurs, rencontres, avant-premières, débats, expositions et concerts sont organisés pour mettre en valeur un « cinéma du réel » explique la page d’accueil du site. Si l’association fonctionne plutôt en réseau fermé, c’est qu’elle n’est pas très douée pour la communication. Comme beaucoup d’associations elle n’a pas de service de presse attitré et elle repose sur le bénévolat. Le canal de circulation des informations est le bouche-à-oreille. Serait-on dans le monde du même celui de l’auto-référentialité, peu enclin, par définition à s’ouvrir à l’hétérogène, à l’altérité? Pas vraiment. Ouverte à tous Tchok En doc accueille chaleureusement les nouveaux venus comme nous en avons fait l’expérience il y a peu lors de la projection de « Slepe lasky», un documentaire slovaque de Juraj Lehotský que l’on peut traduire sous le nom « Amours aveugles »⋅⋅
Le lieu de la projection se situe dans la Packit’s guest house à For-de France au 142 bld de la Pointe des Nègres tout près du Rond Point Emma Ventura⋅ L’entrée est libre et l’on peut moyennant deux euros prendre un verre avant ou après la séance⋅ « Féwòs, amène ton coussin » est le principe qui règle la soirée. Si vous n’en n’avez pas apporté, soyez tranquille l’association en dispose répartis sur le sol où l’on prend place⋅ Il y a aussi quelques fauteuils pour les rhumatisants !
Ce soir là une douzaine de personnes, assises, allongées sur les coussins en grande majorité des femmes, assistaient à la projection sur un écran tendu au fond de la salle d’un documentaire salué par la critique lors de sa sortie en France en 2009.

Dans le sombre parcours qui mène de l’être à l’avoir, de l’avoir au paraître et qui réduit l’existence à l’apparence trompeuse du donner à voir qu’en est-il des amours d’aveugles ? C’est-à dire des amours entre aveugles, dans un monde où la beauté physique ne peut être lue ou supposée que par le toucher de la main. Au fil de quatre petites histoires Juraj Lehotsky montre que l’amour se situe bien, pour tout un chacun, aveugle ou non entre imaginaire et symbolique, deux registres qui se distinguent l’un par la gradation continue, on aime dans l’autre ce que l’on retrouve de soi-même, et l’autre par un système d’opposition, de discontinuités, l’autre comme irréductiblement autre. « Aimer, c’est aimer un être au-delà de ce qu’il paraît être » nous dit Lacan.

Le film est lui aussi construit sur un entre deux, mi documentaire, mi-fiction. Certaines scènes ont été préparées, sans doute répétées quand d’autres relèvent du reportage. Cette opposition, qui pourrait être inconfortable en renvoie à une autre qui parcourt l’ensemble du film, celle d’une différence ressemblante entre aveugles et voyants. Car ce que vive les héros du film qu’il s’agisse des premiers émois amoureux bordés d’une jalousie naissante, des troubles causés par l’arrivée d’une grossesse prématurée, de la peur d’une rencontre réelle avec une relation nouée dans la virtualité d’internet, concerne voyants et non voyants, à ceci près, et ce n’est pas rien, que tout cela est exacerbé dans un monde dominé par les images. Par exemple le film nous donne à voir, au delà de tout voyeurisme, ce que nous refusons de voir, en imposant, d’une façon ou d’une autre, aux aveugles le port de lunettes opaques. Ne pas voir un regard qui ne voit pas.
Un agréable soirée. Un beau film. Un bon choix de Tchok en Doc qui donne envie renouveler l’expérience des coussins

Fort-de-France le 24/06/2013

R.S.