14°N 61°W : réflexions autour de la question de progrès

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21 Juin – 02 Aout 2014

espace d’art contemporain 14°N 61°W 19, rue du Mérite Artisanal -Z.A Dillon 97200 Fort de France Martinique FWI

RÉFLEXIONS
(autour de la notion de progrès)avec/ with Robert Charlotte, Ronald Cyrille, Jean-Marc Hunt, Norville Guirouard-Aizée, David Gumbs, Ricardo Ozier-Lafontaine & Raymond Médélice
21 Juin – 02 Aout 2014
A l’occasion de la prochaine exposition de groupe des artistes de l’espace d’art contemporain14°N 61°W, caryl* ivrisse-crochemar a demandé à Robert Charlotte, Ronald Cyrille, Jean-Marc Hunt, Norville Guirouard-Aizée, David Gumbs, Ricardo Ozier-Lafontaine & Raymond Médélice de réfléchir à une œuvre récente qui traduirait leur réflexion sur la notion de progrès dans l’environnement caribéen et au delà.
Cette manière de présenter de récentes productions des artistes à travers une thématique particulière est née il y a plusieurs années de reflexions partagées avec l’artiste français Cyril de Commarque sur cette dite notion de progrès.Depuis 2009, ce dernier a mis en place le projet Undergreen -projet interactif entre artistes, chercheurs, scientifiques, penseurs, etc. -mettant au cœur du débat la notion de progrès et nous interroge sur les conséquences de celui-ci sur l’environnement, mais aussi les armes de destruction massives, les mutations génétiques, la communication et les restrictions de libertés,nos modes de consommation, la médecine, les migrations…
“La perception que nous avons du progrès a un impact sur l’ensemble de nos mutation. Aujourd’hui nous sommes en mesure de détruire et créer artificiellement la vie, nous pouvons cloner, soigner, modifier génétiquement. Nous consommons rejetons, polluons et chacun de nos actes à un impact au-delà de notre propre vie.”
“Et l’Art dans tout çà!? Pour Bacon à la fin du XVIème siècle, le progrès consistait à réaliser toutes les choses possibles.L’homme était maître de son destin. Au XIXème siècle le progrès est devenu une notion économique, puis scientifique. Le XXème siècle représente la possibilité de détruire la planète au travers du progrès technologique et d’une exploitation incontrôlée de ses ressources.
Que sera le XXIème siècle? Quel rôle a l’art dans ce débat? Peut-il contribuer à un tel débat? Peut-il redevenir politiquement et éthiquement engagé? Est-il, possible de penser la ré¬introduction du discours politique dans l’art, en établissant un lien entre la notion de progrès et les mutations sociétales?”
Reprenant à son compte cette thématique, Réflexions est une exposition, un lieu interactif de confrontation d’idées, de dialogues, de réflexions sur la notion de progrès, partagées par les artistes de l’espace d’art contemporain 14°N 61°W. Ces derniers répondent de manière libre à ce « briefe » et montrent à voir ce que leur inspirent le sujet en Martinique, en Guadeloupe, en Caraïbes, ailleurs au travers d’une œuvre, installation, une photo, autres..

Réflexions sur la notion de progrès et l’art
Nos sociétés divisent les activités humaines en productives -les secteurs qui produisent soit des objets d’utilisation courante, soit l’argent permettant d’acquérir ces mêmes objets – et non productives -les autres secteurs de l’activité, notamment les activités éducatives et artistiques.Ainsi l’art est considéré comme un loisir quelconque auquel on peut substituer tout autre loisir :on va au musée comme on va à la plage. Ce n’est dans les deux cas que du divertissement sans conséquences contrairement aux activités sérieuses qui permettent d’améliorer le sort des humains comme la technique, l’économie ou la politique. Toutefois la création ou la contemplation d’œuvres d’art sont-elles sans effet sur l’artiste ou le spectateur? L’œuvre d’art est-elle un simple objet de consommation gratuite ou au contraire, tout comme les activités dites utiles, l’art peut-il être un moyen pour l’homme de s’améliorer ou d’évoluer? Autrement dit, l’art permet-il à l’homme de progresser? De quelle manière oppose-t-on couramment l’art au progrès? Si l’art permet à l’homme de progresser, de quel progrès s’agit-il? Comment se fait-il que l’art puisse remplir cette fonction? La notion d’œuvre d’art connote quelque chose de statique, sans rapport avec le niveau technique ou social de son époque, et qui donc se situe en dehors du temporel. Toute société,archaïque ou technologique, oppressive ou libérale, riche ou pauvre a produit des choses belles et une société opulente et libérale ne produit pas des œuvres plus belles qu’une société indigente et oppressive. Au contraire, la notion de progrès est temporelle. En effet par progrès nous assumons un processus de changement, lent ou rapide, d’un état vers un état supérieur, donc une évolution vers le mieux. Ainsi par progrès économique on parle principalement de l’accroissement du pouvoir d’achat d’une population, par progrès social l’évolution d’une société dans le sens de la justice et de la tolérance, et enfin par progrès scientifique la transition d’un état de connaissance vers un autre, plus complet, plus efficace.La notion de progrès est donc tout sauf statique et implique une comparaison entre deux faits ou objets dans un temps linéaire où le dernier apparu est meilleur que le premier et peut donc le remplacer. Il s’ensuit que l’objet qui se distingue de l’œuvre d’art et qui, en un sens lui est  antithétique, c’est l’objet technique. Par conséquent l’objet technique a pour seule fonction d’être utile et ne dure que jusqu’au moment où un autre objet qui remplit mieux la même fonction peut lui être substitué. L’art intemporel et inutile ne permet pas à l’homme de progresser puisqu’il n’y a en art que de la différence, mais pas d’évolution et donc pas de progrès. Aucune statue aussi belle soit-elle,aucun tableau ou roman n’a permis à l’homme de mieux se nourrir, se déplacer ou soigner les maladies qui l’affligent. C’est la technique, en évolution constante, qui permet à l’homme de progressivement se rendre comme maître et possesseur de la nature pour reprendre la formule de Descartes dans Discours de la Méthode, “d’élever son niveau de vie et de se mettre quelque peu à l’abri de la nature par les avancées de la science”.
Quant au progrès de l’homme, ce n’est pas seulement la lutte collective de l’humanité contre une nature ou un tyran hostiles, mais aussi l’évolution personnelle d’un être humain. C’est le chemin que parcourt tout individu au cours de sa vie, le développement progressif de ses facultés et sa maturation au contact du monde. Un homme progresse lorsque s’accroissent ses connaissances,lorsqu’il cultive son talent et lorsque s’approfondit sa dimension humaine, qu’il devient plus tolérant, moins étroit et davantage capable de jugement autonome.L’art reflète donc les vibrations invisibles qui nous apparaissent grossièrement comme des objets du monde, mais que nous ressentons également en nous-mêmes car elles sont notre conscience dans son aspect le plus fondamental : ses lois inconscientes, son virtuel enfoui. L’art nourrit cette force psychique somnolente en chacun de nous, l’éveille, le stimule, et fait de nous des êtres plus conscients et plus capables.

Il se révèle donc que l’art est non seulement un moyen pour l’homme de progresser, mais que seul l’art permet ce progrès. L’art en effet, contrairement à la science ou au discours du moraliste,ne s’adresse ni à l’intellect, ni aux émotions, mais à ce qu’on pourrait appeler la racine de la conscience, là où les idées et les sentiments d’un être humain sont en gestation. La contemplation ou la création d’œuvres d’art ont des répercussions bien plus profondes sur l’individu que le discours du sophiste ou les faits prouvés par la science et qui n’influencent que les couches superficielles de la conscience. L’art s’adresse à l’intuition et permet à la conscience de saisir la totalité de l’objet dans sa durée, d’en voir en un coup d’œil toutes ses facettes et même sa raison d’être, sa place dans la création.
Cependant si l’art est à ce point essentiel au progrès spirituel de l’homme, nous comprenons le danger d’une société mercantile et utilitaire qui voudrait réduire le temps consacré à l’étude des œuvres et qui, de par son ignorance invétérée de la nature et du rôle de l’art, tend à confondre art et divertissement, culture et culture de masse. Dans une société où tout doit enfin de compte servir à quelque chose, et où le destin de tout objet quel qu’il soit est d’être consommé et donc de disparaître, la distinction entre une œuvre dont le propos est de nous révéler la nature profonde de notre monde et un objet qui n’est qu’un banal maillon dans l’interminable chaîne des choses fabriquées et consommées, tend à s’estomper, voire à s’effacer tout à fait. De cette incapacité à discerner l’œuvre d’art de l’objet ordinaire témoignent le mélange de l’un et de l’autre. Ainsi dans La Crise de la Culture Hannah Arendt s’inquiète pour le futur des grandes œuvres à une époque comme la nôtre où une version feuilleton télévisée d’un roman est considéré remplacer la lecture de l’original, d’accès plus « difficile », et où on va voir Othello au théâtre, non parce que c’est une œuvre immortelle, mais parce que c’est samedi, qu’il n’y a plus de places pour le dernier blockbuster et que de toute façon la carte cinéma illimité a expiré. Si l’art doit pouvoir permettre à l’homme de progresser, il faut que l’homme sache au moins ce qu’est une œuvre d’art, pourquoi il la contemple et pourquoi elle ne lui révèle pas nécessairement tout de suite son essence. A la crise de la culture est liée une crise de l’éducation qui ne forme plus les élèves au goût et au discernement, alors que ceux-ci sont le point de départ inconditionnel du progrès par l’art. Une culture du divertissement, une civilisation technocrate et commerciale en son essence, ne s’adresse qu’à des sauvages incapables à autre chose qu’ingérer un objet après l’autre dans une orgie incessant de la consommation…

 

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