Étiquette : Selim Lander

Soundiata l’enfant buffle

— Par Selim Lander —

Rien de tel qu’un spectacle « jeune public » pour se changer les idées par un dimanche pluvieux. Ces pièces conçues pour les enfants sont tout autant appréciées par les adultes chez qui elles ravivent le sens du merveilleux étouffé par les responsabilités et les vicissitudes diverses qui sont leur lot ordinaire.

Venu de Marseille, Soundiata l’enfant buffle conte l’histoire de Soundiata Keita, fondateur au XIIe siècle de l’empire du Mali. Un personnage historique dont la geste, pour autant, n’est pas moins merveilleuse. Né d’une femme contrefaite créée non pas engendrée à partir du sang d’un buffle sauvage, lui-même infirme jusqu’à la fin de l’adolescence, nourri de glorieuses légendes, guerrier accompli et enfin, devenu empereur, humaniste avant l’heure puisqu’il édicta une charte décrétant, entre autres dispositions généreuses, l’abolition dans son empire de l’esclavage.

Mohamed Adi (et non Ali !) et Laurence Chanot pratiquent un théâtre d’ombre particulier puisque leurs marionnettes (des silhouettes articulées) sont fabriquées dans une matière translucide, laquelle, teintée « au vernis à ongles » (dixit L. Chanot), donne des images colorées sur l’écran.  Ou plutôt les écrans puisqu’il y en a deux, de tailles différentes, qui permettent de jouer sur deux échelles.

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« Rivages » de Rachid Akbal – Un théâtre qui se cherche

— Par Selim Lander —

Il est impossible de prévoir l’avenir mais l’on peut quand même se demander ce que penseront les humains du XXIIe siècle (s’il en reste) de l’évolution de l’art lors des deux siècles précédents. Le branle a été donné par les plasticiens, Cézanne, suivi par Picasso, les suprématistes, etc. pour arriver jusqu’à Duchamp et sa fière revendication d’un non-art. Au culte du beau a succédé la recherche de l’originalité à tout prix et une nouvelle conception de l’art privilégiant l’événement, le happening, le scandale. Même si les littérateurs se sont longtemps montrés plus conservateurs, les préoccupations des deux grands modernes que sont Proust puis Céline (pour s’en tenir à la langue française) s’étant concentrées exclusivement sur la seule forme, sans abandonner l’objectif premier de raconter des histoires captivantes pour le lecteur. La littérature a néanmoins succombé, elle aussi, avec, d’une part le Nouveau Roman où la forme l’emporte clairement sur le fond, et, d’autre part, la mode de l’autofiction qui produit des œuvres souvent moins passionnantes pour leurs lecteurs que pour leurs auteurs.

Et le théâtre dans tout ça ?

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L’ Afrique d’hier et d’aujourd’hui à la Fondation Clément

Exposition ouverte jusqu’au 6 mai 2018

Masque Dan (Côte d’Ivoire)

— Par Selim Lander —

Depuis que les locaux de la Fondation Clément se sont agrandis de nouveaux espaces muséaux, des expositions prestigieuses y sont organisées chaque année. Après la rétrospective Télémaque, en 2016, puis Le Geste et la Matière, en partenariat avec le Centre Pompidou, en 2017, voici, tirées des collections de la Fondation Dapper, une sélection d’œuvres majeures de la statuaire africaine accompagnée de quelques créations de plasticiens africains contemporains.

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2147 – Et si l’Afrique disparaissait ?

— Par Selim Lander —

« Tu n’as rien vu en 2147 », pourrait-on dire à Mark M. Brown, en paraphrasant le leitmotiv d’Hiroshima, mon amour de Duras-Resnais, ce M. M.M. Brown ne prévoyait-il pas en effet (en 2004) que l’Afrique devrait attendre jusqu’en… 2147 pour que la proportion des pauvres y diminue de moitié. Pourquoi 2147 exactement, pourquoi pas 2150, les prévisions des économistes sont-elles à ce point précises ? Il faut d’ailleurs constater qu’ils peuvent changer d’avis puisque les collègues de M.M. Brown voient désormais dans la terre-mère de l’humanité une zone en forte croissance et surtout riche de promesses pour l’avenir, au point que certains vont jusqu’à suggérer qu’elle pourrait devenir le centre d’une prochaine économie-monde. Puissent-ils ne pas se tromper, cette fois ! Confrontés aux réalités du présent, les Africains – du « Continent » ou de la diaspora – se montrent néanmoins moins optimistes en général. Tel est en particulier le cas de Moïse Touré qui a conçu et mis en scène ce spectacle dont le titre est suffisamment éloquent à cet égard.

2147 – Et si l’Afrique disparaissait ? est une pièce composite qui fait alterner récitation de textes emblématiques de la situation actuelle du Continent, marquée par toutes les tares qu’on ne connaît – hélas !

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Fin des Rencontres Cinémas Martinique 2018

— Par Selim Lander —

Les meilleures choses ont une fin : les cinéphiles martiniquais ne pourront plus visionner plusieurs films par jour (sur grand écran, cela va sans dire)… jusqu’à la prochaine édition des RCM, en 2019, qu’on espère aussi riche que cette année. Même si nous n’avons pu assister à autant de séances que nous l’aurions souhaité, nous garderons en mémoire quelques longs métrages qui nous ont particulièrement séduit – Carpinteros du Dominicain Jose Maria Cabral, Ailleurs du Québécois Samuel Matteau, enfin Razzia du Marocain Nabil Ayouch –, ce qui ne signifie pas que d’autres films n’avaient pas non plus leurs qualités. Du côté des « courts », nous retiendrons Selva de la Costa-Ricaine Sofia Quiros Ubeda et Möbius du Canadien Sam Kuhn, dans les deux cas pour la qualité de la photo. A nos lecteurs de faire émerger un palmarès plus complet en se reportant aux articles consacrés aux RCM par les autres chroniqueurs de Madinin’Art.

Un seul bémol, à vrai dire récurrent, à apporter à cette édition des RCM. Si l’on fait abstraction des quelques modifications inopinées de la programmation, qui semblent inévitables, il est vraiment fastidieux pour les spectateurs du festival un tant soit peu assidus, de devoir ingurgiter pendant dix bonnes minutes (sinon davantage) les mêmes tonitruantes séquences publicitaires avant chaque film projeté à Madiana.

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Rencontres Cinémas Martinique 2018 (4) – « Moving Parts », « Selva », « Möbius »

— Par Selim Lander —

Moving Parts d’Emilie Upczak. Quelques heures après la projection à Madiana du film Human Flow[i] consacré aux migrations par le Chinois Ai Wei Wei, un film venu de Trinidad qui raconte les tribulations d’une jeune immigrée chinoise, Zhen Zhen (Valerie Tian), était présenté dans la salle Frantz Fanon de l’Atrium, toujours dans le cadre des RCM. D’abord employée dans la cuisine d’un restaurant, Zhen Zhen sera forcée de se prostituer pour rembourser les dix mille dollars dus au passeur.

S’il n’y avait que cela, le film pourrait passer pour une docu-fiction. Une grande part de l’intérêt soulevé par Moving Parts tient en effet à son aspect documentaire, en particulier à tout ce qui concerne l’organisation de la diaspora chinoise, depuis les travailleurs des chantiers jusqu’aux bars à hôtesses en passant par les inévitables restaurants. Cependant la cinéaste (jeune Américaine installée à Trinidad depuis quelques années) a introduit, à côté de Zhen Zhen et de son frère, un troisième personnage important, une autre jeune femme (interprétée par Kandyse McClure) qui appartient, elle, à la classe supérieure (elle gère une galerie d’art contemporain) et s’intéresse à Zhen Zhen jusqu’à la prendre sous son aile secourable.

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Les Rencontres Cinémas Martinique 2018 (3)

Carré 35 et Corniche Kennedy, deux films qui sans jamais toucher au fantastique ressortissent néanmoins de l’étrange.

— Par Selim Lander —

Carré 35 d’Eric Caravaca, qui est présenté comme un documentaire, est en réalité un récit intimiste au cours duquel le réalisateur, hors champ, fait part de ses états d’âme ou interroge ses parents. Il a appris tardivement qu’il y avait eu un premier enfant avant lui et son frère, avant que la famille n’émigre en  France, une sœur nommée Catherine, morte à l’âge de trois ans de la maladie bleue (malformation cardiaque qui entraîne le décès par asphyxie). Cette maladie étant fréquente chez les enfants trisomiques, il interroge là-dessus sa mère : en vain. Par ailleurs ses parents vivaient à Casablanca quand ils se sont mariés, là justement où Catherine est morte et où elle est enterrée. Cependant le narrateur découvre que ses parents étaient absents de Casablanca au moment de la mort de Catherine. Et il ne reste a priori aucune photo de la petite fille. Lorsque le narrateur se rend sur la tombe de sa sœur, au carré 35 du cimetière des Français, la photo a là aussi disparu de la pierre supportant la croix.

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Les Rencontres Cinémas Martinique 2018 (2)

— Par Selim Lander —

Soleil noir. Même si les Martiniquais ont déjà pu voir et revoir ce documentaire qui date de 1983, il a toute sa place dans la section « Patrimoine » qui rend hommage à quelques cinéastes martiniquais. Il s’agit ici de Michel Traoré, ancien élève de l’IDHEC (qui deviendra la FEMIS). Après une introduction consacrée à un déplacement du groupe Fromajé à Washington, à l’invitation de l’université Howard[i], le film se concentre sur un membre du groupe, Victor Anicet (né en 1938), artiste talentueux et personnalité charismatique. Le film nous promène dans son œuvre, au gré des rencontres avec quelques-uns de ses amis (poète, romancier, chanteur, architecte, « inventeur » ou simple paysan). Cela permet de découvrir les multiples facettes de cet artiste d’abord formé à l’art du feu (il sortit premier de sa promotion à l’école des Métiers d’art de Paris dans la section céramique) mais qui est aussi peintre et qui travaille souvent un matériau composite.

Le film s’attarde sur des peintures en noir et blanc qui furent montrées au public lors de l’exposition princeps intitulée « Soleil noir » (en 1970).

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Premières impressions des RCM 2018

— Par Selim Lander —

Une fois de plus les cinéphiles seront comblés par l’abondance et (souvent) la qualité des films proposés dans les cadre des « Rencontres Cinémas Martinique » concoctées par Steve Zebina. Comme à l’accoutumé des réalisateurs seront présents avec lesquels il sera possible de dialoguer. Devant l’impossibilité pour un critique amateur (lequel, contrairement au critique professionnel, n’est pas mobilisé à 100% pour le festival) de rendre compte d’un sous-ensemble quelque peu significatif d’une sélection qui compte près de quatre-vingt films, nous signalerons simplement quelques films, au gré de notre curiosité et de nos disponibilités. Heureusement, Madinin’Art bénéficie des services d’autres critiques, parmi lesquels Jeanine Bailly qui participe au jury de la compétition dans la catégorie « Documentaires », signe de la  reconnaissance de Madinin’art comme médium culturel incontournable en Martinique. Une reconnaissance dont Roland Sabra, le directeur et fondateur du site, peut se glorifier.

La soirée d’ouverture, le 16 mars, a proposé après les discours d’usage un spectacle original aux deux sens du terme. Original au sens d’inusité, puisque deux films muets étaient accompagnés par un ensemble instrumental (deux violons, alto, violoncelle, contrebasse, tambour en plus du piano utilisé au temps du cinéma muet).

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« Départ » de Stéphane Martelly. José Exélis met en scène Jann Beaudry.

— Par Selim Lander —

Tropiques-Atrium-Scène Nationale contribue de plusieurs manières à la création théâtrale. Une fois par trimestre, ou à peu près, le metteur en scène José Exélis présente l’ébauche d’un spectacle qui sera appelé ou non à devenir une production à part entière. Mise en lecture, mise en espace ou davantage comme dans le cas de Départ, qui, en dehors du fait que Jann Beaudry lit une partie de son texte, lequel texte n’est que la fin de la pièce de Stéphane Martelly, apparaît déjà très abouti.

Disons tout de suite que nous fûmes constamment sous le charme de l’interprète déjà citée, J. Beaudry, qui démontre ici qu’elle est une comédienne complète, capable de montrer aussi bien la colère que la séduction, capable également de nous émouvoir en faisant sonner quelques notes sur un piano ou, dans un tout autre genre, de camper une chanteuse de music-hall accrochée à son micro dans une pose quelque peu équivoque. Dans une simple robe blanche qui pourrait être une chemise de nuit, jouant de sa longue chevelure blonde et bouclée, elle se livre devant nous à la comédie de la mort.

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Ephémères jardins de la Martinique

— Par Michel Herland —

A l’initiative de Bernard Hayot et avec le soutien de la Fondation Clément, ont été publiés plusieurs ouvrages mettant en valeur le patrimoine matériel martiniquais et incitant à sa conservation, à commencer par Le Patrimoine des communes de la Martinique (1998, 2e éd. 2013), puis, à partir de 2010, une série de petits guides consacrés à telle ou telle commune particulière.[i].

Voici maintenant Jardins de la Martinique, un gros ouvrage richement illustré comme il se doit, mais dont l’intérêt réside également dans les commentaires abondants d’Isabelle Specht, lesquels sont nourris par les récits des nombreux visiteurs de l’île qui n’ont pas manqué de se montrer frappés par l’exubérance et la générosité de sa végétation, depuis Jean-Baptiste du Tertre (1667) jusqu’aux deux André surréalistes, Breton et Masson (1941), en passant par le Père Labat (fin XVIIe), Jean-Baptiste Leblond (fin XVIIIe) et bien d’autres comme Louis Garaud,  vice-recteur de la Martinique à la fin du XIXe siècle. Une admiration parfois tempérée par un sentiment d’oppression, à l’instar de Lafcadio Hearn qui voyait dans les forêts montagneuses une « beauté étrange et effroyable ».

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« Le Fabuleux destin d’Amadou Hampâté Bâ », message subliminal ?

— Par Selim Lander —

« En Afrique, chaque fois qu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Cette maxime a été si souvent citée qu’on en a perdu la trace. Elle est pourtant d’un écrivain connu, Amadou Hampâté Bâ (ci-après AHB, né en 1900 – mort en 1991), qui l’a prononcée au moins à deux reprises sous des formes légèrement différentes[i]. La vie d’AHB est un roman (fils – adoptif – de chef, initié à la voie soufie des Tidianes, membre du conseil exécutif de l’Unesco, etc.) et cela pourrait suffire pour légitimer un spectacle autour de sa personne. Entre autres anecdotes, alors qu’il était admis à la prestigieuse école William Ponty de Gorée, il fut empêché par sa mère de se rendre au Sénégal. En rétorsion, l’administration coloniale le nomma « écrivain auxiliaire temporaire à titre essentiellement précaire et révocable » (sic, ce qui ne manque pas de sel quand on sait qu’AHB passera sa vie à écrire), avec obligation de rejoindre son poste à pied (à 900 km du domicile familial !) sous la surveillance d’un policier. Bienheureuse punition, puisque c’est en cheminant ainsi qu’AHB prit l’habitude transcrire les éléments de littérature orale qu’il récoltait sur sa route.

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« Simone Veille » : divertissant et instructif

Le 10 mars au Robert à 19h30.

Quatre comédiennes de la troupe martiniquaise les « Buv’Art » ont monté Simone Veille, résultat d’une écriture de plateau par quatre comédiennes (TrinidadCorinne BerronBonbonHélène SerresVanina Sicurani), parisiennes celles-là. Sous les apparences d’une comédie, elles déroulent l’histoire du féminisme, en France, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Un thème sérieux et toujours d’actualité traité avec humour et fantaisie : martingale gagnante qui explique que la pièce ait été jouée presque sans interruption, en Métropole, depuis sa création.

Elles sont donc quatre sur la scène, quatre jeunes dames pleines d’entrain qui nous font partager leur récit enjoué des transformations de la condition féminine. La plus grande, qui incarne Simone Veil, tient le rôle de la meneuse de jeu, celle aussi qui est chargée des rappels historiques qui s’imposent concernant les principales lois qui ont fait évoluer les règles concernant la participation des femmes à la politique, le divorce, la contraception, l’avortement, la parité…

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« Mami Wata » de et avec Astrid Bayiha

— Par Selim Lander —

Astrid Bayiha est une comédienne talentueuse et l’on est toujours curieux de la retrouver dans des rôles où elle tient la vedette (l’adaptation de La Vie sans fard de Maryse Condé, Jazz de Koffi Kwahulé), ou non (Tram 83, au dernier festival de Limoges, d’après le roman du Congolais YY). Dans Mami Wata elle est à la fois auteure, metteuse en scène et interprète.

La pièce se tient dans la chambre d’un hôpital psychiatrique. Lorsque les spectateurs pénètrent dans la salle, A. Bayiha est déjà là, couchée sur un lit blanc, unique élément de décor (mais qui deviendra pendant un moment l’ébauche d’une table de restaurant). Rêve-t-elle où les deux personnages supplémentaires qui apparaissent lorsque les lumières s’éteignent sur les gradins sont-ils des créatures autonomes, comme la note d’intention nous invite à le penser ? Peu importe, en fait, car Mami Wata ne raconte pas vraiment une histoire. C’est une pièce plus visuelle que bavarde, une affaire d’instincts, d’élans brisés et repris, de corps qui se défient et s’entrechoquent. Avec deux ennemis qui peuvent néanmoins se montrer tendres et complices, Mami Wata et « Lui », la fille et le garçon, l’envers et l’endroit.

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« Billes de verre, éclats de plomb » de Thérèse Bonnétat

—Par Selim Lander —

Langue des signes. On a beau aller et re-aller au théâtre, assister à quelques dizaines de pièces chaque année, une surprise est toujours possible. On ne pense pas seulement aux grosses machines comme le festival d’Avignon les affectionne, qui jouent sur une esthétique parfaite (The Great Tamer de Dimitris Papaioannou, en 2017) ou vous frappent comme un coup de poing (Bestie di scena d’Emma Dante, la même année). On pense plutôt ici à des productions plus modestes, qui relèvent d’un théâtre expérimental. L’originalité de Billes de verre, éclats de plomb réside dans la présence sur la scène d’un interprète de la langue des signes à côté d’un conteur. Interprète et non pas simple traducteur : Carlos Carreras est un comédien à part entière, un mime à la gestuelle aussi précise qu’éloquente, qui rend le texte accessible aux malentendants tout en fascinant le public ordinaire (celui dont l’ouïe fonctionne encore à peu près).

Si C. Carrera semble le principal atout de cette pièce hors norme, il est au service du beau texte de Thérèse Bonnétat, une réminiscence poétique de Marseille, de son Vieux-Port, devenu le lieu d’une rencontre imaginaire entre deux figures capitales, néanmoins en marge, du XXe siècle français, le psychiatre Fanon et Arthaud l’insensé qui se rejoignent pourtant dans la conception d’un engagement sans concession et dont quelques citations bien choisies viennent émailler la partition écrite par Th.

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« Knee Deep » : les nouveaux acrobates

— Par Selim Lander —

Complètement à part dans l’univers du spectacle vivant, le Nouveau Cirque suscite chez les spectateurs des émotions sans pareille (à l’exception du patinage artistique, mais qui à l’occasion d’en voir ailleurs que sur un écran de télévision ?). Bien qu’il tende parfois à se rapprocher de la danse (comme c’est le cas dans certaines séquences de Knee Deep), il fait appel à un imaginaire différent, presque atavique, celui de l’enfance, des premiers émerveillements devant le gros nez des clowns, les lions rugissant, les écuyères debout sur leur monture, les jongleurs si adroits, les acrobates si audacieux. S’il n’y a plus d’animaux dans le Nouveau Cirque, et plus guère de clowns – bien que les adeptes de ce nouvel art mêlent volontiers l’humour à leurs exploits –, notre émerveillement demeure intact. Cela tient d’abord à l’étonnement suscité par des performances physiques que l’on peine à croire accessibles à des corps humains a priori semblables au nôtre. Or ce que nous voyons est bien réel : il n’y a pas de magie, pas de tour de passe-passe, tout cela qui paraît impossible à réaliser se produit sous nos yeux.

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« Moi Eve » : démonstratif

— Par Selim Lander —

On connaît et apprécie Ricardo Miranda pour sa fantaisie et sa créativité en tant que metteur en scène. Le voici de retour sur la scène du Théâtre municipal avec une pièce de « danse-théâtre» dont il est l’auteur et qu’il interprète avec deux comédiennes-danseuses. Le propos – donner la parole aux femmes dans un monde d’hommes – tombe à pic au moment où l’affaire Weinstein et quelques autres rappellent que, effectivement, les femmes ne sont trop souvent pour les hommes que des ménagères ou des objets de plaisir.

Passons sur la note d’intention qui peut laisser perplexe : « Quand on cherche des informations sur la femme en tant que groupe social, on constate l’absence d’historicité, d’études sur elles » (sic). N’y a-t-il pas plutôt pléthore dans ce domaine depuis – pour ne citer que deux noms français – Simone de Beauvoir et Françoise L’Héritier et le développement exponentiel des « études de genres ».

Peu importe, après tout, que R. Miranda se présente comme pionnier en matière de féminisme. Nous sommes au théâtre : ce qui compte, c’est moins le propos que la manière dont il est porté à la scène.

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« Teruel », danse de guerre et parade amoureuse

— Par Selim Lander —

Il n’est pas courant d’assister à une pièce de danse dotée d’une telle intensité. Les applaudissements rythmés, à la fin, qui semblaient ne jamais vouloir s’arrêter témoignaient suffisamment de l’état dans lequel se trouvaient les spectateurs de la salle Frantz Fanon de l’Atrium, remplie pour la circonstance. Si jamais des danseuses ont réellement brûlé les planches, les deux interprètes de Teruel sont en bonne position pour renouveler l’exploit, tant elles dépensent d’énergie tout au long de cette pièce dont le climat dominant est celui de l’affrontement et de la violence, même si elle sait ménager quelques moments de répit pendant lesquels affleure quelque chose comme de la tendresse.

Elles sont deux plus un, un homme cantonné d’abord dans un rôle de récitant avant de se mettre lui aussi en mouvement, sans qu’on puisse vraiment parler à son propos de danse véritable, plutôt la manifestation de la brutalité masculine quand il repousse les deux femmes qui voudraient faire sa conquête, ou celle du taureau quand elles agitent devant lui leurs jupes comme des capes de torero.

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« La Douleur » : pari tenté, pari risqué mais pari réussi

— Par Selim Lander —

Marguerite Duras. Certains l’appellent tout simplement Marguerite, d’autres La Duras, signe d’une célébrité hors norme. Les plus jeunes ne connaissent d’elle que les dernières années, lorsque, bien que sous l’emprise de l’alcool et n’étant plus tout à fait elle-même, elle était devenue un « personnage » plus qu’une personne. Ses livres resteront davantage que son théâtre et ses films, et pas seulement L’Amant qui l’a fait connaître au grand public. Qui n’a pas encore été ravi par la prose de Duras devrait se précipiter sans plus tarder sur Le Ravissement de Lol V. Stein.

Comme L’Amant, L’Amant de la Chine du Nord, La Douleur est directement autobiographique puisqu’il raconte une perte, celle du mari, Robert Antelme, déporté pour fait de résistance. Situation paradoxale, très durassienne, puisque elle avait déjà pris la décision de se séparer de lui avant son arrestation. Le film d’Emmanuel Finkiel (qui fut l’assistant de Godard et de Kieslowski) raconte comment Marguerite Antelme, à Paris en 1944, s’est battue pour avoir des nouvelles de son mari, comment elle essayé – en vain – de lui éviter la déportation, puis, la guerre finie, la longue attente dans l’espoir d’un retour de plus en plus improbable au fur et à mesure des mois, jusqu’à ce qu’on le lui ramène pratiquement à l’agonie.

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« Seule sur la plage la nuit », « Vers la lumière »

— Par Selim Lander —

 

Seule sur la plage… : Hong San-soo aime et s’amuse

Qui saurait mieux qu’un peintre ou un cinéaste glorifier la femme aimée, brosser d’elle le portrait dans lequel elle pourra elle-même se contempler au sommet de sa beauté et devenir un objet d’admiration pour les siècles des siècles ?  Seule sur la plage dans la nuit est cette sorte d’épithalame offert par Hong Sang-soo à la comédienne Min Hee Kim, sa nouvelle égérie. Le cinéaste, en effet, n’a d’yeux que pour la belle, constamment présente à l’écran, souvent en gros plan, qui focalise l’attention des autres personnages autant que celle des spectateurs du film.

Le cinéaste s’est amusé à écrire le scénario, par exemple lorsque l’héroïne, Younghee dans le film, se retrouve successivement dans « la plus belle ville d’Allemagne » (où se déroule la première partie) et « la plus belle ville de Corée » (au dire de ses compagnons) sans qu’il nous en montre rien, en dehors de quelques lieux d’une grande banalité. Autre jeu, celui qui consiste à mettre systématiquement dans la bouche de Younghee des commentaires sur l’apparence de ses partenaires, lesquels ont toujours l’air à ses yeux trop jeunes ou trop vieux.

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« La Belle et la meute » : l’honneur de la police

— Par Selim Lander —

« Mariam erre dans la rue en état de choc. Commence pour elle une longue nuit durant laquelle elle va devoir lutter pour le respect de ses droits et de sa dignité ». Ce résumé de La Belle et la meute est très soft. En réalité, le film de Kaouther Ben Hania nous plonge dans l’horreur de bout en bout. Dès le prologue, où l’on voit l’héroïne se préparer pour une fête étudiante, le cinéaste insinue chez le spectateur un sentiment d’angoisse qui ne fera que monter crescendo. Nous l’avons déjà écrit : les vrais films d’horreur ne mettent pas en scène des monstres de fiction à grand renfort d’effets spéciaux et de sang dégoulinant, ils se contentent de dépeindre la réalité sous son jour le plus cru. On ne racontera pas l’histoire mais l’on peut dévoiler ce que le résumé implique déjà : «  Lors d’une fête étudiante, Mariam, jeune Tunisienne, croise le regard de Youssef. Quelques heures plus tard, Mariam erre dans la rue en état de choc », etc. On se doute bien qu’elle a été violée mais ce qu’on ignore encore, et qu’on apprend bientôt en regardant le film, c’est qu’elle l’a été par des policiers dans leur véhicule de patrouille, tandis que le nommé Youssef, loin d’être le méchant de l’histoire, restera auprès d’elle aussi longtemps que possible pour l’aider dans sa quête de justice.

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« François d’Assise » de Joseph Delteil

— Par Selim Lander —

Joseph Delteil est l’un des quelques écrivains, à l’instar de Jean Giono, qui font l’objet d’une sorte de culte au sein d’une petite secte de fidèles… tout en laissant les autres lecteurs passablement indifférents. C’était donc un acte de foi, de la part des programmateurs des « Petites Formes », que de programmer Delteil en clôture du festival, et doublement puisque son texte conte l’histoire de saint François d’Assise.

A partir de là, la réaction face à ce spectacle sera évidemment très différente suivant qu’on adhère ou qu’on n’adhère pas à l’écriture de Delteil et/ou à la foi chrétienne. L’auteur a bien déclaré qu’il voulait parler de « François d’Assise », l’homme plutôt que le saint, mais enfin les envolées mystiques ne manquent pas dans son texte et l’hymne à la nature et aux petits oiseaux épuise vite ses vertus… théâtrales.

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« Argent amer » : les écailles du dragon

— Par Selim Lander —

Pour clôturer la première session « cinéma » de l’année, un documentaire très impressionniste sur la jeunesse chinoise déracinée qui survit dans la jungle de l’économie informelle chinoise. Une plongée dans le lumpen proletariat moderne dont on attendait beaucoup tant on est avide de savoir ce qui se passe réellement en Chine, au-delà des gratte-ciel de Shanghai. C’est peu dire que l’Empire du Milieu fait peur. Si l’expression « péril jaune » a pu paraître excessive à sa naissance, elle est parfaitement justifiée à l’heure où la Chine est en passe de devenir le nouvel hégémon, si ce n’est déjà fait. Les Etats-Unis, qui voudraient bien conserver leur domination sur la planète, n’en peuvent mais. Ils sont liés par une consommation excessive qui les a rendus débiteurs de l’atelier du monde. En caricaturant, aux Etats-Unis on consomme, en Chine on fabrique (y compris les produits « américains » d’Apple et autres). Avec 3000 milliard de dollars de réserve, la Chine tient les Etats-Unis et la planète dans sa main. L’offensive économique qui se traduit en particulier par le rachat de fleurons de l’économie occidentale (le Club Med, Peugeot… pour s’en tenir à la France) se double d’une offensive plus brutale, comme en mer de Chine du sud où des îlots contestés sont occupés à la barbe des autres Etats riverains.

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« Ladjablès, femme sauvage » de Daniely Francisque

20 janvier 2018 Tropiques Atrium à 20h

—Par Selim Lander —

Daniely Francisque est d’abord une comédienne, et qui fait de plus en plus parler d’elle. Elle est aussi auteure de théâtre et l’on se souvient de sa pièce Cyclones, reprise l’année dernière au festival d’Avignon. Ladjablès, son nouvel opus, dont elle a assuré la mise en scène, est d’une tonalité toute différente. Abandonnant l’ambiance sombre, chargée d’un lourd secret de Cyclones, elle est passée à un univers proche de l’héroïc fantasy. Le thème, pourtant est toujours ancré dans la Caraïbe, sa diablesse en est une figure mythologique, mais la manière dont il est traité évoque immanquablement les personnages de ces sagas situées dans un ailleurs improbable auxquelles les adolescents d’aujourd’hui font un succès, que ce soit sous forme de livre ou de film. La diablesse de D. Francisque interprétée par Rita Ravier est une reine fascinante, somptueusement parée et il faut ici, sans tarder, souligner la perfection des costumes réalisés par Melissa Simon-Hartman et Sylviane Gody : les trois revêtus successivement par la comédienne au cours de la pièce, tous plus impressionnants les uns que les autres, et la tenue carnavalesque uniformément rouge de Patrice Turlet (Siwo dans la pièce) avec une coiffe en bec d’oiseau, également fort réussie.

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« Les Hommes » de Charlotte Delbo – théâtre et bons sentiments

— Par Selim Lander —

Charlotte Delbo (1913-1985) était un personnage extraordinaire comme seules les périodes les plus troublées (guerres, révolutions) peuvent en produire, celles où l’on risque sa vie pour un idéal (pour peu – mais c’est beaucoup, évidemment – qu’on ait en soi cette foi et ce courage qui permettent d’accepter de mourir pour une juste cause). Ch. Delbo est une héroïne de la Résistance et si, contrairement à son mari, elle n’y a pas laissé sa peau, elle a connu l’horreur d’Auschwitz et fut l’une des rares rescapées d’un convoi de 230 femmes françaises arrivé au camp en 1943. Il se peut que certains de nos lecteurs aient comme nous en mémoire la série d’émissions sur France Inter, rediffusée naguère, dans laquelle elle racontait sa guerre et où elle se montrait éblouissante, avec la même flamme que dans sa jeunesse.

Il n’est pas superflu de préciser, puisqu’il est question ici de théâtre, que Ch. Delbo fut, avant guerre et pendant plusieurs années, l’assistante de Louis Jouvet. C’est pourquoi, de la part d’une femme brillante, au destin de résistante exceptionnel, plus que versée en matière théâtrale, on ne pouvait qu’espérer un chef d’œuvre de la pièce qu’elle a tirée de son passage à la prison de transit du fort de Romainville.

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