Rencontres Cinémas Martinique 2018 (4) – « Moving Parts », « Selva », « Möbius »

— Par Selim Lander —

Moving Parts d’Emilie Upczak. Quelques heures après la projection à Madiana du film Human Flow[i] consacré aux migrations par le Chinois Ai Wei Wei, un film venu de Trinidad qui raconte les tribulations d’une jeune immigrée chinoise, Zhen Zhen (Valerie Tian), était présenté dans la salle Frantz Fanon de l’Atrium, toujours dans le cadre des RCM. D’abord employée dans la cuisine d’un restaurant, Zhen Zhen sera forcée de se prostituer pour rembourser les dix mille dollars dus au passeur.

S’il n’y avait que cela, le film pourrait passer pour une docu-fiction. Une grande part de l’intérêt soulevé par Moving Parts tient en effet à son aspect documentaire, en particulier à tout ce qui concerne l’organisation de la diaspora chinoise, depuis les travailleurs des chantiers jusqu’aux bars à hôtesses en passant par les inévitables restaurants. Cependant la cinéaste (jeune Américaine installée à Trinidad depuis quelques années) a introduit, à côté de Zhen Zhen et de son frère, un troisième personnage important, une autre jeune femme (interprétée par Kandyse McClure) qui appartient, elle, à la classe supérieure (elle gère une galerie d’art contemporain) et s’intéresse à Zhen Zhen jusqu’à la prendre sous son aile secourable. Bien que pauvre en rebondissements, l’histoire est adroitement filmée, principalement dans des intérieurs plutôt glauques : une boite de nuit, la cuisine d’un restaurant, une chambre qui sert en même temps de débarras…

Moving Parts était précédée par Salty Dog d’Oliver Milne, également de Trinidad, qui a fait lui aussi appel à Kandyse McClure, étoile montante du cinéma de ce pays, dans un autre rôle de bourgeoise. Bien que ce « court » soit nettement plus imparfait que Moving Parts et surchargé de poncifs, la juxtaposition des deux films permet une intéressante comparaison entre deux directions de la même actrice. Paradoxalement, alors que Kandyse McClure interprète une épouse soumise dans Salty Dog, contrairement à Moving Parts où elle joue le rôle d’une femme active, elle « crève l’écran » dans le premier film, ce qui n’est plus le cas dans le second. Est-ce parce qu’elle était filmée par un cinéaste dans Salty Dog, un cinéaste qu’on imagine subjugué par la beauté de son actrice, ce qui n’était probablement pas le cas, ou pas au même degré, de la cinéaste de Moving Parts ?

 

Courts métrages de la Semaine de la critique de Cannes 2017

Selva

Sept courts métrages étaient programmés pour cette séance, parmi lesquels Le Visage de Salvatore Lista, dont le sujet – la réalité virtuelle – paraissait particulièrement alléchant, mais qui n’a finalement pas été projeté. Parmi les six films présentés, on retiendra surtout Selva de Sofia Quiros Ubeda (Costa-Rica) et Möbius de Sam Kuhn (USA-Canada), deux films centrés sur de grands adolescents mais aux antipodes l’un de l’autre, le premier situé dans un monde de paysans et de pêcheurs misérables, le second dans une high school impeccable que les spectateurs connaissent bien pour en avoir vu tant de semblables dans les films d’Amérique du Nord. Selva et Möbius sont aussi des histoires de deuil mais traitées de manière complètement différente. Dans la première, on apprend seulement à la fin la mort du jeune héros, tandis que la seconde s’intéresse à la manière dont le personnage principal, une jeune fille, réagit à la mort (par suicide ?) de son petit-ami. Les deux films sont surtout remarquables pour leur esthétique. Le sombre domine dans Selva (celui de la peau des personnages, des sous-bois, des bars enfumés) et le clair dans Möbius (celui de la peau presque diaphane de l’héroïne et de ses camarades, de l’aube ou des crépuscules, ou de la lumière trop crue des néons). Les deux films (qui ne durent pourtant respectivement que 20 et 17 min.) sont également marqués par la lenteur. Notons enfin dans Selva la présence lumineuse d’une petite fille, la sœur du garçon qui disparaîtra, et la façon dont la tendresse entre le grand frère et la petite sœur est évoquée.

Möbius

 

[i] Faute d’avoir assisté à la projection de Human Flow et donc de pouvoir en parler nous suggérons, sur ce thème et toujours sur Madinin-art, la lecture du poème « Migrations » de Michel Lercoulois.