Étiquette : Selim Lander

Avignon 2018 Anne Voutey – Vincent Roca – OFF

— Par Selim Lander —

Sur la route (la mort de Sandra Bland)

Une jeune afro-américaine est morte victime des violences policières. De ce fait divers réel Anne Voutey – dont la m.e.s. du Gardien (de Pinter), avait obtenu le prix du meilleur comédien aux Ptits Molières en 2015 – a tiré une pièce émouvante interprétée par trois comédiennes (en alternance, ce qui explique qu’elles soient cinq sur l’affiche). La comparaison avec La Reprise de Milo Rau présentée dans le IN cette année s’impose en raison de la proximité des thèmes. Dans La Reprise Ihsane Jarfi est battu à mort par de « pauvres types » parce qu’il est homosexuel et « arabe », dans Sur la route la victime d’un policier (on la retrouvera pendue dans sa cellule trois jours après son arrestation) est jeune et noire. A cela près, on a affaire à la même bêtise raciste chez les assassins. Or on ne peut imaginer des traitements plus différents de ces faits divers similaires que ceux imaginés par les deux auteurs-metteurs en scène. Là où Rau tourne autour du personnage d’Ihsane, en s’intéressant aux parents, aux meurtriers, etc.,

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Avignon 2018 Vandalem – Couperus/van Hove – IN

— Par Selim Lander —

Arctique

Anne-Cécile Vandalem avait marqué le festival, il y a deux ans avec Tristesses, déjà une sombre histoire de corruption mettant en scène une politicienne danoise, à ceci près que l’action se déroule non sur une île mais sur un paquebot désaffecté remorqué vers le Groenland (possession danoise) où il servira d’hôtel. La raison pour laquelle quelques passagers clandestins se retrouvent à bord demeure longtemps obscure. Par contre on comprend assez vite que le bateau a heurté une plate-forme pétrolière lors de sa première croisière, que des écologistes ont été déclarés responsables, jugés, que le mouvement écologiste danois a été de ce fait décapité et que son chef, Mariane Thuring, est morte pendant cette traversée. La suite est une série de coups de théâtre pour nous apprendre ce qu’il fut réellement et à quelle fin les passagers ont été attirés sur le bateau.

La mise en scène d’A.-C. Vandalem ne déçoit pas. L’usage de la vidéo se justifie ici pleinement car il permet de sortir du salon où sont réunis les comédiens face au public pour visiter divers lieux du paquebot (le pont, une coursive, une cabine de passager, la cabine du radio, la cale) construits dans un second décor derrière le premier.

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Avignon 2018 – Feydeau, Vian – OFF

— Par Selim Lander —

Feu le père de Monsieur

Aller voir un Feydeau de nos jours, n’est-ce pas trop ringard ? Les lecteurs de cette chronique se demandent peut-être ce qui nous a pris. En fait, confessons-le, l’acte ne fut pas prémédité. Souvent, en Avignon, lorsqu’on veut meubler le temps entre deux pièces que l’on a dûment programmées, on se retrouve à voir une pièce simplement parce qu’elle est jouée dans le quartier où l’on se trouve à l’heure qui convient. Et, curieusement, très souvent ces pièces à peine choisies se révèlent très bonnes, voire meilleures que celles qu’on ne voulait pas rater. Ce fut le cas, lors de ce festival, pour Zorba et, encore plus fort, pour Nous voir nous. Cette fois-ci, ce fut donc un Feydeau. Avouons que nous sommes entré dans la salle presque à reculons, sans avoir d’ailleurs percé le pourquoi de ce titre bizarre, avec « la mère » et « Madame » surchargées d’un « père » et d’un « Monsieur ». Féminisme quand tu nous tiens ! Les mots rayés sont ceux du titre originel choisi par Feydeau. Un certain Lucien revient du bal des Quat’ Z’arts fort tard dans la nuit ; il réveille sa femme et s’ensuit une scène de ménage inévitable ponctuée par les interventions maladroites d’un valet plus qu’à moitié endormi.

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Avignon 2018 Guillaume Corbeil – Dorine Hollier – OFF

— Par Selim Lander —

Nous voir nous : le choc !

Faire une pièce de théâtre de la mode des selfies ? On ne sait trop a priori ce qu’il faut en penser ; le titre n’est pas tellement engageant ; on demande à voir. Eh bien, on aurait tort de ne pas y aller (voir). Cette production d’une compagnie du Nord de la France est pour nous en effet jusqu’ici le choc du festival. Il faut dire que ce texte d’un jeune auteur québécois a été plusieurs fois primé et que ce n’est pas pour rien. Guillaume Corbeil est un pur produit de l’Ecole nationale de théâtre du Canada, à Montréal, avec un département « écriture » dont nous n’avons pas l’équivalent en France. Nous voir nous est construit comme un oratorio avec les comédiens qui se coupent constamment la parole, ce qui permet de passer sans encombre une phase d’exposition qui pourrait, sans cela, lasser. Chemin faisant, les personnages (cinq jeunes adultes, trois femmes et deux hommes, joués par cinq comédiens), très semblables au départ, se différencient les uns des autres, des histoires individuelles se dessinent jusqu’au dénouement.

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Avignon 2018 (7) Pinter, Kazantzakis – OFF

— Par Selim Lander —

Trahisons

Sans doute la pièce la plus célèbre d’Harold Pinter. En tout cas la plus souvent représentée en Avignon. Et l’on ne se lasse pas de la revoir, tant elle met en évidence le génie quasi diabolique de Pinter lorsqu’il s’agit de bâtir une intrigue. Il faut ajouter, ce qui est tout aussi essentiel, que les comédiens s’y montrent en général inspirés. C’est incontestablement le cas dans la version mise en scène par Christophe Gand au théâtre Buffon. Les trois comédiens principaux qu’il serait dommage de ne pas citer – Gaëlle Billaut-Danno, François Feroleto et Yannick Laurent – sont parfaitement à l’aise dans des personnages complexes qui se trahissent à qui mieux mieux – comme le titre l’indique suffisamment – non sans garder toujours un flegme et une élégance très british. Il ne faut surtout pas dévoiler les méandres de cette histoire tant le spectateur prend de plaisir à les découvrir.

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Avignon 2018 : Racine, Koohestani, Shaheman – (In)

— Par Selim Lander —

Iphigénie m.e.s. Chloé Dabert

Le « tendre Racine » n’apparaît guère dans cette pièce où la jeune Iphigénie est promise au trépas par un caprice des dieux. La tendresse n’apparaît à vrai dire que dans la scène 2 de l’acte II, entre Iphignénie et son père Agamemnon. Ce dernier ne sait comment se comporter envers celle qu’il doit immoler et qu’il aime pourtant. Elle ne comprend pas son inhabituelle froideur :

« N’osez-vous sans rougir être père un moment ? »

Comment ne pas se réjouir a priori de voir Racine honoré dans le IN qui n’accable pas ses spectateurs avec les classiques ? Malheureusement, la mise en scène de Chloé Dabert déçoit quelque peu nos espérances. Le décor, même s’il n’emporte pas tous les suffrages, ne nous a quant à lui pas déçu : cette grande tour d’échafaudages, à jardin, qui pourrait aussi bien figurer la proue d’un navire de guerre (puisque la flotte des Grecs en guerre est bloquée dans le port, en attendant que le vent, délivré par les dieux, veuille bien se lever et conduire les vaisseaux jusqu’à Troie) permet des déplacements intéressants.

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Avignon 2018 : Molière et Laurent Gaudé – (Off)

Par Selim Lander

L’Ecole des femmes : Molière retrouve les tréteaux

Décidément Molière a tout pour se sentir à l’aise en Avignon. Après Les Fâcheux dont nous rendions compte dans notre précédent billet, nous découvrons cette M.E.S. de L’Ecole des femmes dans le style de la commedia dell’arte. Certes, Molière ne reconnaîtrait pas exactement son texte ou plutôt il serait surpris par quelques ajouts (une conteuse, des intermèdes chantés) et suppressions (comme le personnage du notaire) car les alexandrins fameux sont bien là et donc le drame du vieil Arnolphe désespérément amoureux de la jeune Agnès. Ecoutons-le :

 

Chose étrange ! d’aimer, et que pour ces traîtresses
Les hommes soient sujets à de telles faiblesses

J’étais aigri, fâché, désespéré contre elle,
Et cependant jamais je ne la vis si belle

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Avignon 2018 : Molière, Lars Noren, Michèle Césaire – OFF

Par Selim Lander

Vraiment drôles ces Fâcheux

Les farces de Molières n’ont pas toutes passé les siècles sans dommage ; leur naïveté parfois déconcerte. On n’en dira pas autant de celle-ci qui a d’abord le mérite d’être écrite en vers. Et l’on sait combien Molière, quand il s’y mettait, savait tourner l’alexandrin (au point qu’on l’a soupçonné –  sans la moindre preuve – de n’être que le prête-nom d’un Corneille…). Quoi qu’il en soit, on se régale à écouter cette langue classique.

L’argument des Fâcheux, certes, est simplissime : Eraste a un rendez-vous galant avec Orphise dans une allée d’un jardin public ; las, de vrais ou faux amis ne cessent d’apparaître qui veulent absolument l’entretenir ou obtenir quelque chose de lui et dont il ne sait, à son grand dam, se débarrasser avant qu’ils aient débité leur histoire in extenso. Toutes ces « anecdotes » (détail secondaire mais plaisant… ici seulement pour celui qui la raconte !) s’enchaînent sur un rythme effréné. A peine Eraste a-t-il pu entrapercevoir sa belle qu’il est saisi par un ou plusieurs de ces fâcheux.

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« Mektoub my love » : Kechiche se laisse aller

— Par Selim Lander —

Un film qui s’étale sur près de trois heures, sans aucune intrigue véritable, avec des séquences qui durent jusqu’à plus soif : tout au plaisir de montrer son petit monde de Maghrébins installés sur la rive de la Méditerranée, côté français, Abdellatif Kechiche n’a pas cru devoir se retenir, quitte à user les nerfs des spectateurs… qui ont néanmoins, lors de la séance à laquelle nous avons assisté, tous (et nous donc) bu le calice jusqu’à la lie.

Il est vrai que le film commence très fort par une scène de lit entre la star du film, Ophélie (Ophélie Bau) et Tony (Salim Kechiouche), le coq de la bande de jeunes gars et filles qui sont les principaux personnages du film, séquence qui manquerait de piment – encore que : on sait depuis la Vie d’Adèle ce que Kechiche est capable de tirer de ce genre de scènes (ou de ces scènes de genre) – si elle n’était observée par Amin (Shaïn Boumedine), l’(anti)héros du film. En effet, contrairement à tous les autres mâles de Mektoub…, dragueurs impénitents, Amin a un problème avec les filles, n’osant même pas « s’attaquer » à celles qui le draguent ostensiblement (car il est plutôt beau gosse).

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Le geste organique de Ricardo Ozier-Lafontaine

Exposition « RESET » – Fondation Clément – 25 mai-18 juillet 2018

— Par Selim Lander —

Les plasticiens, aujourd’hui, se doivent d’être originaux. De plus en plus conceptuel, l’art s’éloigne de l’artisanat, au risque de paraître malhabile ou bâclé. La recherche de l’originalité apparaît d’ailleurs comme une gageure, le répertoire des formes et des couleurs étant par nature limité (et Picasso en a déjà exploré plus que sa part !). Si bien que le visiteur habitué des galeries et des musées d’art contemporain échappe rarement  à une impression de déjà-vu, pas nécessairement gênante, au demeurant : c’est un jeu pour l’amateur que de chercher des parentés entre les artistes.

Les toiles de Ricardo Ozier-Lafontaine, peintre martiniquais né en 1973, saisissent d’abord par leur unité et leur rigueur. Rarement aura-t-on vu la série poussée aussi loin et avec une telle constance. Ozier-Lafontaine conjugue en effet le gigantisme et un soin du détail porté à l’extrême. Ses toiles font couramment 2x2m, rarement moins et bien davantage dans les portraits de famille des Intercesseurs (3,40x2m). Or dans les séries intitulées Le Vivant, le Réel la toile est intégralement couverte de petites figurines dont la juxtaposition constitue l’œuvre entière.

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« Ouaga girls » de Theresa Traore Dahlberg

— Par Selim Lander —

Pas un docu-fiction, Ouaga Girls est à ranger dans la catégorie des faux-vrais documentaires. Vrai parce que les personnages d’apprenties, de professeurs, de garagistes, etc. sont interprétés par de vrais apprenties, professeurs, etc. Faux parce que, sauf erreur, le film est scénarisé, les dialogues ont été répétés et les scènes rejouées autant de fois que nécessaire. Ceci admis, le film reste une formidable incursion dans un univers complètement exotique pour les spectateurs occidentaux auxquels ce film est destiné en priorité (produit avec des fonds suisses et français, présent dans les festivals internationaux), même s’il peut atteindre aussi, quoique plus difficilement, le public africain.

Sans vouloir faire la leçon à nos collègues critiques de cinéma plus patentés que nous-même, le statut de ces films qui visent deux publics radicalement différents (pour ne pas dire aux antipodes l’un de l’autre) mériterait d’être mieux examiné. Ouaga Girls, par exemple, est centré sur quelques élèves d’une institution burkinabé destinée à former des jeunes femmes (uniquement des jeunes femmes) aux métiers de l’automobile, héritage probable de l’ère Sankara et de l’orthodoxie communiste suivant laquelle, rappelons-le, il n’y a pas de métier spécifiquement masculin ou spécifiquement féminin.

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Othello, pirate des Caraïbe – Adaptation de José Alpha

Les 15, 16 & 17 juin 2018 au T.A.C. à 19h 30

— Par Selim Lander —

C’est depuis des décennies l’ambition de José Alpha et de son Téat’Lari que d’apporter le théâtre au public populaire. Il a ainsi, jadis, monté plusieurs pièces de Vincent Placoly en créole et/ou français. Souvent à l’œuvre dans la rue, voire dans le hall de la gare Saint-Lazare pour interpréter des textes de Césaire, ses comédiens font preuve d’une belle abnégation. C’est donc certainement pour eux une récompense de se produire sur le plateau du théâtre municipal de Fort-de-France dans un spectacle doublement ambitieux, au demeurant, autant par le choix d’une des pièces les plus célèbres du répertoire shakespearien que par le nombre des comédiens mobilisés : dix en comptant la brève apparition de J. Alpha lui-même dans le rôle de Brabandio, le père de Desdémone, épouse d’Othello, (malheureuse héroïne s’il en fut).

J. Alpha fait le choix de transposer Othello dans nos Caraïbes. Choix judicieux quand on fait appel à des comédiens qui – comme c’est malheureusement le cas en Martinique – n’ont pas la possibilité de jouer régulièrement.

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Pianos et pianistes à l’Atrium

– Par Selim Lander —

Piano kon sa ékri : du piano autant que vous en voudrez ! N’est-ce pas le cas quand quatre jeunes femmes habiles se succèdent sur les touches de deux pianos, tantôt une, tantôt deux et même toutes les quatre ensemble – deux sur chaque piano – pour le bouquet final ? Il y avait donc la Japonaise, Yayoi Ikawa, la plus expérimentée, la plus titrée. La Cubaine, Janysett McPherson, la plus belle présence, aussi à l’aise en français qu’en espagnol, qui sait enflammer une salle. La Martiniquaise, Florat Sicot, la plus riche voix des quatre quand elle chante le blues. Enfin la Réunionnaise, Valérie Chane-Tef complétait le quatuor.

Elles étaient soutenues par une section rythmique de trois musiciens – Alex Bernard à la basse, Dominique Bougrainville à la batterie et Alain Dracius aux congas, trois musiciens martiniquais qui ont noué une vraie complicité avec les pianistes, lesquelles ont d’ailleurs joué certaines de leurs compositions.

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« Hôtel  Salvation» de Shubhashish Bhutiani : mourir à Bénarès

— Par Selim Lander —

Mourir, est-ce enfin le moment pour l’âme de se libérer des tracas de l’existence ? Pour l’Occidental qui ne croit plus à dieu ni à diable, la croyance des hindous apparaît infiniment naïve, et même quelque peu contradictoire puisque l’âme est amenée à se réincarner dans une autre créature qui aura également son lot de tracas. Mais comment ce même Occidental ne serait-il pas envieux d’une culture qui apprivoise la mort à ce point-là ? Telle est certainement l’impression dominante qu’on retirera d’un film qui aborde ce sujet délicat entre tous avec une infinie délicatesse, gommant tous les aspects les moins ragoutants de la mort à Bénarès, la puanteur des bûchers, l’eau souillée du Gange dans laquelle les fidèles n’hésitent pas à s’immerger complètement, et même, réduits à la dernière extrémité, d’en boire l’eau réputée sacrée. Comment oserions-nous, au demeurant, critiquer ces mœurs ? Question pollution, nous n’avons rien à apprendre de personne. Les Parisiens en savent quelque chose qui boivent certes de l’eau potable mais respirent une atmosphère qui les rend malades. Quant aux Martiniquais qui boivent, avalent des produits chlordéconés et battent des records en matière de cancer, ils seront bien les derniers à se moquer des Indiens.

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« La Radio des bonnes nouvelles » de Gerty Dambury

— Par Selim Lander —

Que dire d’un spectacle qui ne nous était manifestement pas destiné sinon que ses évidentes qualités n’ont pas suffi à soulever notre enthousiasme.

Commençons donc par les qualités qui ont dû frapper tous les spectateurs, celle de la mise en scène, tout d’abord, assurée par l’auteure, qui traite toute la pièce sur un mode music hall, en mettant en vedette successivement différents personnages, avec un soin tout particulier apporté aux costumes, dont certains à paillettes et une coiffe en plumes, au décor transformable fait de quelques caisses en bois, au découpage nerveux. Notons enfin le jeu de deux comédiennes (sur trois) captivantes quoique sur des registres très différents : exubérant pour l’une, remarquable danseuse au demeurant, plutôt comique pour l’autre.

Ce qui ne nous a pas du tout séduit mais qui a pu plaire à d’autres. La présence sur la scène de deux musiciennes (batterie et basse) qui jouent pendant la plus grande partie de la pièce une musique 1) lancinante et 2) suffisamment forte pour imposer aux comédiennes l’usage honni du micro (comme nos lecteurs le savent déjà).

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« La Magie Cocteau » : magique !

— Par Selim Lander —

Un spectacle hors norme porté sur la scène par un magicien et virtuose des ombres chinoises et son pianiste mais qui va bien au-delà puisqu’il mêle des séquences de cinéma muet, et comme il se doit dans un hommage à Cocteau des extraits de ses films, quelques dessins recomposés sur grand écran par un usage sobre et intelligent de la vidéo, et quelques textes (poèmes ou autres) dits par François Morel.

Si le spectacle fascine c’est sans nul doute en partie justement parce qu’il est hors norme. Et d’abord parce qu’il met un magicien sur le plateau. Il fut un temps où les salles de spectacle présentaient régulièrement des magiciens. Le public populaire, qui remplissait alors ces salles, était habitué et paradoxalement plus blasé que le public « culturel » (à défaut d’être toujours cultivé !) qui fréquente désormais les  théâtres. Par contre, le mélange des genres ne surprend pas ce deuxième et actuel public. Néanmoins, l’humanité n’ayant pas fondamentalement changé depuis 100 ans, aujourd’hui comme alors, « habitué » et « blasé » sont des traits de caractère éminemment « volatiles » au sens où il suffit que la qualité soit au rendez-vous pour que l’enthousiasme reprenne le dessus.

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Ymelda met le Tout-monde en musique

— Par Selim Lander —

« Nous allons ainsi le cercle ouvert de nos esthétiques relayées »
Édouard Glissant, Philosophie de la relation, Poétique III, 1990.

A tous ceux qui croiraient que le concept glissantien de Tout-Monde est sympathique mais peu réaliste la chanteuse d’origine haïtienne Ymelda Marie-Louise apporte le meilleur des démentis. Rappelons que selon Glissant lui-même, « la totalité [le Tout-monde] n’est pas ce qu’on dit être l’universel. Elle est la quantité finie et réalisée de l’infini détail du réel » (Traité du Tout-monde, Poétique IV, 1997). Ymelda réalise ce programme, pour autant qu’on puisse l’accomplir à une échelle humaine, en conjuguant – non pas mêlant – des êtres de chair et de sang, des musiciens haïtiens, martiniquais, burkinabé et qatari dans une œuvre polyphonique réunissant Orient et Occident.

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« Victoire Magloire dit Waro »

À la guerre comme à la guerre

— Par Selim Lander —

On assiste toujours avec curiosité à un spectacle venu de la lointaine Réunion (deux océans à franchir, soit au bas mot une vingtaine d’heures d’avions, sans compter l’escale évidemment) parce que, en l’occurrence, les similitudes superficielles (le passé colonial et l’actuelle dépendance, l’usage du créole) n’empêchent pas une différence culturelle forte avec nos Antilles, laquelle se remarque, au théâtre, aussi bien dans les thèmes retenus que dans la manière dont ils sont abordés.

Contrairement aux Antillais, les Réunionnais ne sont pas mal (ou sont moins mal) dans la France. À preuve leur refus de toute consultation sur l’abandon éventuel du département et de la région au profit d’une collectivité unique. Impossible également de ne pas remarquer qu’ils sont moins obsédés que nous par le passé esclavagiste ou par l’inceste, sujets récurrents sous nos cieux.

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Neuvième biennale de danse : Aurélien Bory/Stéphanie Fuster

La biennale se termine en apothéose

— Par Selim Lander —

Difficile d’imaginer un plus beau cadeau aux spectateurs de la biennale que cette pièce née de la « Toulouse connection », le metteur en scène Aurélien Bory se mettant au service de la danseuse flamenco Stéphanie Fuster. Chez Aurélien Bory la scénographie est toujours un élément essentiel du spectacle, au point parfois d’en devenir le sujet principal[i]. Si ce n’est pas le cas ici où la danseuse, constamment présente, tient à l’évidence le premier rôle, il contribue pour une grande part à faire de cette pièce intitulée sans raison apparente Qu’est-ce que tu deviens ? tout autre chose qu’une démonstration de flamenco. Donc, à jardin, un réservoir (dont on se demande longtemps à quoi il peut bien servir), au centre un espace carré délimité par une bordure de quinze centimètres de haut environ, à cour un container dont l’intérieur est visible à travers une large vitre, trois éléments qui n’ont rien de gratuit.

La pièce commence par un prologue, trop long au point que nous faillîmes bien désespérer, au cours duquel, la danseuse bien installée dans son carré joue avec sa robe rouge, qui n’en est pas une (de robe) mais une simple façade derrière laquelle elle se dissimule avant de se mettre à jouer avec elle.

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L’autre Bord joue au massacre

— Par Selim Lander —

Jeux de Massacre d’Eugène Ionesco mis en scène par Guillaume Malasné et Caroline Savard.

Il y a plusieurs Ionesco. Le plus connu, l’absurde, remporte un succès constant depuis l’origine, ou presque. La Cantatrice chauve n’a tenu que 25 représentations lors de sa création, en 1950, mais la pièce qui est jouée désormais, avec La leçon, au théâtre de la Huchette à Paris sans interruption depuis 1957 approche les dix-neuf mille représentations dans ce seul théâtre[i] ! Et puis, il y a un autre Ionesco, plus ambitieux, plus démonstratif, plus tardif, comme ce Jeux de massacre (1970, l’année où Ionesco est élu à l’Académie française : il ne faut pas vieillir !) qui se veut aussi bien méditation sur la mort que réflexion sur la nature humaine (égoïste), la lutte des classes (avec les riches dans les rôles des « salauds » de Sartre), la corruption, etc. Soit : on n’a jamais interdit à un auteur de théâtre de réfléchir ! La seule question : a-t-il théâtralisé sa réflexion ? On ne dira pas que Ionesco y a réussi ici mais un bon metteur en scène peut faire des miracles… a fortiori deux.

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Neuvième Biennale de danse : « Tel quel » par le CCN de Tours

— Par Selim Lander

« Je te clame à tout vent futur roi buccinateur d’une lointaine vendange » (Aimé Césaire)

Ils sont quatre jeunes du Centre chorégraphique national de Tours, deux danseurs grands et minces, affublés de la barbiche « hypster » de rigueur et deux danseuses de proportion plus modeste (et heureusement sans barbiche !) Ces quatre jeunes gens se produisent dans une pièce intitulée Tel quel chorégraphiée par Thomas Lebrun, une œuvre passionnante par ce qu’elle nous révèle des tendances d’une certaine danse contemporaine. L’expression corporelle, le mime, le music hall sont mobilisés tour à tour, reléguant souvent au second plan la danse stricto sensu. On se prenait même à penser que cette pièce aurait pu tout aussi bien trouver sa place dans un spectacle labellisé « nouveau cirque ». C’est dire combien nous sommes loin de la définition courante du « ballet ».

Les CCN sont des lieux d’expérimentation, Tel quel en est un exemple particulièrement réussi. Cela commence par une marche militaire comme on voit également sur certains plateaux où la danse se conjugue avec le théâtre, par exemple dans le si remarquable Bestie di scena d’Emma Dante[i].

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Neuvième Biennale de danse : Seydou Boro, Kaori Ito

— Par Selim Lander —

Après l’effet de sidération produit par les douze danseurs bodybuildés de la pièce Ce que le jour doit à la nuit (vendredi 27 avril) virevoltant sur le plateau dans un désordre savamment organisé par Hervé Koubi, il fallait une pièce au moins aussi forte pour lui succéder[i]. Quels que soient les mérites de Seydou Boro et de ses danseurs, force est de constater qu’ils supportent difficilement la comparaison avec les diables blancs[ii] d’H. Koubi. On ne dira pas la même chose de Kaori Ito (voir la photo), étonnante danseuse mais dont la pièce pèche, hélas, d’un autre côté.

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Dans un décor évoquant un village de la savane africaine, avec un rideau de branchages en fond de scène, évoluent les quatre danseurs et la danseuse du Cri de la chair, accompagnés par un musicien (chant et harpe traditionnelle) et une chanteuse. Concernant cette dernière, si l’on salue les méandres de son chant a capella, nous sommes obligé de dénoncer l’absence de tout surtitre. Nous pressentons en effet que la danse est ici au service d’un texte primordial (au sens d’originaire) qui nous demeure malheureusement étranger.

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Ce que le jour doit à la nuit : Hervé Koubi transcende la danse de rue

Ce soir, vendredi 27 avril, 20h à l’Atrium

Voici ce que nous écrivions à propos de cette pièce après l’avoir découverte, il y a cinq ans de celà, à Aix-en-Provence? Selim Lander.

Ce que le jour doit à la nuit est d’abord le titre d’un roman de Yasmina Khadra, cet ancien militaire reconverti dans la littérature qui se trouve actuellement diriger le Centre culturel algérien de Paris. Hervé Koubi est pour sa part un Français issu de l’immigration algérienne (suivant l’expression consacrée). Le titre de sa nouvelle création – qui met en scène douze danseurs hommes, algériens à l’exception d’un seul, burkinabé – traduit son propos plus clairement peut-être qu’il ne le laisse entendre dans ses notes d’intention : qu’est-ce qu’un jeune Français comme lui, éduqué complètement en dehors de la culture maghrébine (études de pharmacie et de danse) doit au pays des origines ?

 

Pour le découvrir, il est parti à la rencontre du peuple d’Algérie et plus particulièrement des jeunes hommes adeptes du hip hop, peut-être la seule danse authentiquement populaire d’aujourd’hui. Sa compagnie est née de ces rencontres.

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Chavela Vargas, Pina Bausch, Ohad Naharin au cinéma

— Par Selim Lander —

Trois artistes exceptionnels étaient au programme des films de Tropiques-Atrium à Madiana en ce mois d’avril 2018. Trois individualités très fortes appartenant pour l’une au monde de la chanson, pour les deux autres à l’univers de la danse, trois personnalités qui nous font rêver, nous pauvres mortels sans grandes qualités, tout en nous communiquant une certaine fierté puisque, après tout, nous partageons avec elles le fait d’appartenir à une même humanité. Il se trouve que, avant de voir ces films, j’avais le projet d’écrire quelque chose sur notre monde d’abrutis (dont je ne m’exclue pas, tout étant dans ce domaine une question de degré) – car il faut être aveugle ou doté d’une bienveillance à toute épreuve pour ne pas voir leur signature inscrite partout (les bouteilles de plastique et les cartons d’hamburgers qui « décorent » nos lieux de promenade n’étant qu’un exemple des plus bénins). Heureux retournement de circonstance, après avoir vu ces trois films j’aurais plutôt envie d’écrire une ode à l’humanité qui engendre d’aussi bons génies.

Chavela Vargas (1919-2012) est une chanteuse populaire mexicaine qui a fait l’objet d’un documentaire de Catherine Gund et Daresha Kyi.

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« Zig Zag », la leçon de théâtre de Xavier Lemaire

— Par Selim Lander —

On connaît bien en Martinique Xavier Lemaire et sa complice Isabelle Andréani et c’est un plaisir sans cesse renouvelé de les découvrir dans une nouvelle création. Celle-ci est à part, une pièce sur le théâtre et la mise en scène. X. Lemaire se met lui-même en scène avec un double rôle, celui de conférencier chargé d’expliquer son métier au public (avec des références empruntées à quelques monuments de la profession : Jouvet, Vitez, Mnouchkine) et celui de directeur d’acteurs, en l’occurrence les deux comédiens confrontés aux personnages de Martine et Sganarelle dans le Médecin malgré lui (quel autre auteur que notre grand Molière, en effet, aurait pu s’imposer pour ce genre d’exercice ?)

En guise de démonstration des possibilités de la mise en scène, Isabelle Andréani et Frank Jouglas (que nous découvrons pour la circonstance en impeccable partenaire de la première dans des rôles de comédie) sont chargés d’interpréter de trois manières différentes la première scène de la pièce. La première qui se veut fidèle à Molière, en costumes d’époque et décor « réaliste », n’intéresse pas en tant que telle mais par la distance qu’elle révèle entre nous et le public du XVIIe siècle.

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