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« Cri de mes racines » : une réussite paradoxale

— Par Selim Lander —

Un spectacle de danse qui commence par un quart d’heure de projection vidéo, suivi pendant un autre quart d’heure d’un dialogue de théâtre entre les deux interprètes avant qu’elles se mettent enfin à danser une sorte de non-danse, le tout dans une sorte de demi-pénombre, voilà un programme qui pourrait rebuter. Mais les spectateurs n’étaient pas prévenus et l’eussent-ils été, qu’il eût été dommage qu’ils renonçassent car ce spectacle atypique se révèle une réussite de bout en bout. Nous nous laissons conduire à travers les étapes de ce parcours incongru, curieux de découvrir la suite et charmé par l’élégance et la tenue de ce que l’on ne saurait appeler une pièce de danse tant le spectacle apparaît composite.

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« A Beautiful Day » : joliment glauque

— Par Selim Lander —

Ce film de Lynne Ramsay a fait l’événement au début du dernier festival de Cannes, au point que les journalistes spécialisés le voyaient déjà remporter la palme d’or. Cependant le jury, on s’en souvient, lui a préféré The Square de Ruben Östlund, un choix qui n’apparaît pas malheureux pour qui les a vus tous les deux : malgré d’incontestables qualités formelles et une ambiance prenante (les deux étant en l’occurrence liés)  A Beautiful Day laisse finalement le spectateur sur sa faim.

Cela tient en particulier à l’histoire, un paradoxe quand on sait que le film a reçu le prix du meilleur scénario (à côté du prix du meilleur comédien). Ce n’est pas que A Beautiful Day ne soit astucieusement construit : les flash back sur le passé du héros et son enfance éclairent justement sa personnalité tourmentée. Simplement cette construction est mise au service d’une histoire de pédophilie dans le milieu de la haute politique qui n’est ni vraisemblable ni palpitante. 

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« L’Atelier », « The Florida Project », « Manon »… Une nouvelle année de cinéma

— Par Selim Lander —

La saison cinéma 2018 de Tropiques-Atrium a commencé avec trois films sur des « jeunes » quoique très différents. L’Atelier, de Laurent Cantet, s’intéresse à de jeunes adultes plus ou moins en perdition dans la France désindustrialisée. The Florida Project, de Sean Baker, se focalise sur trois enfants, pré-adolescents qui s’ébattent en toute liberté ou presque. Les premiers étant pris en charge par une écrivaine descendue de Paris pour les (re?)mobiliser autour de l’écriture collective d’un roman[i] et les seconds n’étant pas privés de familles, même si elles sont monoparentales et pour l’une monograndparentale. Quant à Manon Lescaut et au chevalier des Grieux, le couple de jeunes délinquants imaginé par l’abbé Prévost, il se meut dans un autre monde, celui de l’argent trop facilement gagné et vite perdu jusqu’à la fin tragique, prévisible.

The Florida Project laisse une impression mitigée. La situation est intéressante, le décor fascinant, les enfants sont attachants en dépit de leur propension à faire des bêtises : livrés à eux-mêmes pendant toutes les longues journées de vacances, il pourrait difficilement en aller autrement.

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« C’est comme ça que je t’aime »

— Par Selim Lander —

Mais c’est bien sûr, je t’aime, tu m’aimes mais je t’insupporte et toi tu ne me supportes pas. Tu es bête et je suis lourdingue, tu t’agites sans arrêt comme une folle et je traîne comme un vieux pachyderme, je te voudrais belle comme Venus mais je ne suis pas un Apollon, tu es toujours trop pressée et j’ai perdu mes lunettes, ou les tickets pour le théâtre, etc., etc. Tout cela – et bien d’autres griefs tous aussi légitimes aux yeux de celui qui les prononce – est présent dans le montage de textes concocté et mis en scène par Ludovic Pacot-Grivel.

Tandis que les blocs notes tombent du ciel comme le plat de choucroute, que les verres volent comme le bouquet de fleurs bientôt suivi par son vase, une comédienne, Taya Skorokodova et un comédien, Nadir Louatib, maniant la langue française avec une virtuosité que leurs patronymes ne laisseraient pas deviner, présentent diverses variantes du thème « je t’aime moi non plus ».

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Terrasse en Pawol : Jacques 1er de Faubert Bolivar

Un théâtre baroque

Par Selim Lander

Mise en bouche du dernier texte de Faubert Bolivar dans la salle de la Véranda à Tropiques-Atrium. Six comédiens, trois musiciens, pour une pièce ambitieuse dont la seule lecture (après coupures !) dure plus de deux heures. L’histoire est celle de Jacques Dessalines, libérateur d’Haïti, qui sera assassiné peu après avoir été reconnu empereur. Sorti du peuple, brut de décoffrage en quelque sorte, il fait tache au milieu de l’establishment de couleur. Jalousie, rivalité, intrigues, mulâtres contre bourgeoisie noire, général Pétion contre général Christophe. Sans compter que Célimène, la fille de Dessalines, est amoureuse d’un officier de Pétion, ce même Pétion auquel, dans le but de neutraliser un rival dangereux, l’empereur a justement promis Célimène. Le reste est histoire. Dessalines, tout héros qu’il soit, finira assassiné.

L’intérêt principal de la pièce de Bolivar n’est évidemment pas dans ce rappel historique en tant que tel mais dans sa théâtralisation. Les trois protagonistes principaux – les trois personnages masculins déjà cités – se différencient d’abord par leur manière particulière de s’exprimer, Dessalines n’hésitant pas à inventer quand un mot français lui fait défaut.

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Le Martinique Jazz festival 2017

— Par Selim Lander —

Un aperçu limité aux deux soirées qui se sont déroulées dans la grande salle de l’Atrium, aperçu très partiel d’un festival qui aura permis d’écouter en divers endroits de la Martinique une vingtaine d’ensembles plus ou moins étoffés. Les deux soirées de gala dans la salle Aimé Césaire ont permis chacune, comme il est désormais de tradition, de découvrir successivement deux ensembles différents. La chanteuse d’origine guadeloupéenne Tricia Evy a précédé l’Africain Ray Lema le 1er décembre. Le lendemain, le « souffleur » américain Kenny Garrett a succédé à sa compatriote l’organiste Rhoda Scott. Deux soirées éclectiques et de bonne facture. Ray Lema joue du piano et ajoute parfois sa voix chaude et grave. Son quintette rassemble un guitariste (basse), un saxo, un trompettiste, un batteur. Kenny Garrett est un surdoué du saxophone, admirateur de John Coltrane, qui accompagna Miles Davis pendant plusieurs années avant de prendre son envol. Accompagné par un pianiste, un contrebassiste, un batteur, un percussionniste, il se revendique de genres musicaux très variés et séduit particulièrement dans ses solos qui balancent entre virtuosité et lyrisme.

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Ciné Jazz : Janis Joplin

— Par Selim Lander —

En prélude au festival de jazz de Tropiques Atrium qui se déroulera du 26 novembre au 3 décembre en divers lieux de la Martinique, trois films sont projetés à Madiana à raison d’une seule séance par film, les 20, 21 et 22 novembre. Autant dire qu’il ne faut pas se réveiller trop tard.

C’était donc le premier, hier, consacré à Janis Joplin, pas un biopic, mais un documentaire qui combine des captations de concerts (Monterey, Woodstock…), les extraits d’un talk show, des bouts de lettres qu’elle adressait à ses parents, des bouts de film la montrant avec ses musiciens, des témoignages de proches, sa sœur, des musiciens… Autant dire immédiatement que ce film d’Amy Berg intitulé simplement Janis est un chef d’œuvre du genre. Cela tient avant tout, évidemment, à la personnalité de J. Joplin (1943-1970), à sa musique, à sa voix, à son destin météorique, à sa fin tragique.

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Théâtre documentaire

Le Jazz à trois doigts, La Fin de l’homme rouge        

— Par Selim Lander —

Hasard du calendrier, le Théâtre municipal de Fort-de-France et Tropiques-Atrium ont présenté simultanément deux pièces relevant du « théâtre documentaire ». Pour Lucas Franceschi, il s’agit de raconter des histoires nées dans la misère des petits métiers du monde » tandis que Stéphanie Loïk se propose de « parler du Monde et de l’être humain ». Certes tout théâtre « parle » (enfin, sauf exception !) et « raconte des histoires », néanmoins les deux déclarations d’intention, dans leur brièveté, indiquent suffisamment que le contenu importe ici davantage que le souci de l’intrigue. Sur le fond, sinon dans la forme, le propos est plutôt celui d’un conférencier que d’un dramaturge.

Le Jazz à trois doigts de et avec Lucas Franceschi

Un comédien qui monologue accompagné par un accordéoniste, c’est une configuration assez banale. La prédilection des metteurs en scène pour l’accordéon (ici tenu par Bernard Ariu) s’explique par le caractère polyvalent d’un instrument aux tonalités proches de l’orgue mais d’un orgue populaire fait pour les chants nostalgiques autant que pour les danses endiablées.

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« Une vie violente » : la violence comme arme politique

— Par Selim Lander —

On ne saurait voir en Martinique ce film sur la Corse sans être sensible aux ressemblances et aux différences entre les deux îles. Ressemblances : le sentiment d’une minorité de la population de vivre en pays colonial avec la rancœur, le besoin de révolte que cela suscite immanquablement chez les personnes concernées… et l’incompréhension du reste de la population. Différences : la Martinique n’a pas la culture de la Corse basée sur un machisme exacerbé, un sentiment dévoyé de l’honneur, la vendetta, une accoutumance au crime organisé ; l’histoire des luttes pour l’indépendance dans chacune des îles témoigne suffisamment dans ce sens.

Il n’en reste pas moins que la Corse fonctionne comme un anti-modèle pour la Martinique, l’exemple même des erreurs à ne pas commettre. S’il reste encore des indépendantistes en Martinique, malgré des années de Césairisme, l’exemple corse pourra leur apprendre qu’il faut convaincre et non brutaliser, si l’on veut rendre sa cause populaire, et que les comportements mafieux ne sont pas de bons arguments.

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Le Caire confidentiel – A Ciambra

— Par Selim Lander —

Le Caire confidentiel de Tarik Saleh

On ne le dira jamais assez, le cinéma permet non seulement de voyager immobile, bien calé dans son fauteuil, mais encore il permet de se faire en une heure trente ou deux heures une idée bien plus précise sur le pays ainsi visité que si l’on devait supporter les inconvénients d’un long séjour. Car pour ce qui est des voyages organisés, qui croirait encore qu’ils font connaître quoi que ce soit ?

Il se trouve justement que le signataire de ces lignes a eu l’occasion il y a quelques années de passer une quinzaine de jours au Caire, à l’invitation d’un ami alors en poste à l’Ambassade de France. Jamais je ne prétendrai à l’issu de cette période pourtant pas si brève connaître la ville dont je n’ai aperçu que les aspects  les plus superficiels, comme un arbre dont on ne voit que l’écorce, ignorant de la sève qui l’innerve autant que des parasites qui grouillent dessous. Des parasites, justement, il n’en manque pas en Egypte, comme le film nous le fait découvrir, gens plus ou moins haut placés qui sucent le sang du peuple sans la moindre vergogne.

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Pierre Béziers dans « Baga » de Robert Pinget

— Par Selim Lander —

Une petite salle (en l’occurrence le théâtre des Ateliers à Aix-en-Provence) et un comédien seul sur la scène dans un décor simplifié à l’extrême : cette définition minimaliste du théâtre n’est pas la moins séduisante. C’est celle, en tout cas, qui permet le contact le plus étroit, le plus intime avec le comédien, parce qu’il est physiquement proche, parce qu’il est en permanence présent, parce qu’il concentre nécessairement l’attention. En contrepartie, cela exige de lui de la « présence » et une attention constante.

Le texte importe aussi, évidemment. Il le faut assez « fort » pour que, quel que soit le talent du comédien, l’attention, des spectateurs cette fois, se maintienne jusqu’au bout. À cet égard, il n’est pas absolument certain que le roman de Robert Pinget nous parle aujourd’hui autant que lors de sa publication, en 1958, une époque où l’absurde faisait davantage recette en littérature.

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« Spectral Evidence » et « La Stravaganza », deux pièces américaines de Preljocaj

— Par Selim Lander —

Deux commandes du New York City Ballet (datant respectivement de 2013 et 1997) au maître aixois, remontées pour notre plus grand plaisir avec des danseurs de sa compagnie. La première pièce est inspirée de l’histoire des sorcières de Salem, condamnées sur la foi d’une « preuve spectrale ». Les robes blanches des quatre danseuses sont marquées dans le dos d’une tache de sang  en témoignage de leur supplice, tandis que les quatre danseurs sont revêtus du costume noir à col ecclésiastique des inquisiteurs. Le dispositif scénique est aussi simple qu’efficace : une longue table qui se divise en quatre plans inclinés, lesquels à la fin, retournés et redressés, deviendront les brasiers où brûlent les sorcières. Il faut tout de suite souligner la qualité particulièrement remarquable de l’éclairage constamment centré sur les seuls danseurs, qui laisse tout le reste du plateau dans la pénombre. Et même si la musique de John Cage n’est pas une surprise dans la danse contemporaine, elle apparaît ici en parfaite adéquation avec le propos, en particulier le morceau où elle se résume à une série de souffles.

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Danse : « Negra / Anger » – sous le signe de Nina Simone et de Césaire

— Par Selim Lander —

Suite heureuse de l’année de la Colombie en France, une pièce proposée par Alvaro Restrepo qui dirige El Collegio del Cuerpo à Carthagène des Indes. Particularité de Negra / Anger : elle mêle à onze danseurs de la compagnie vingt et un collégiens et lycéens aixois. Mais on ne parlerait pas de cette pièce si elle n’avait que ce seul mérite à faire valoir. Il faut tout de suite souligner la performance réalisée par les jeunes amateurs[i] qui n’ont eu que très peu de temps pour s’entraîner avec les professionnels. Evidemment, les contributions des uns et des autres sont très inégales, les amateurs étant cantonnés à un rôle de figurant, ce qui n’enlève rien à leur mérite car un figurant, dans un ballet, ne reste pas inactif, il doit respecter la chorégraphie, bouger, danser en mesure et même, en l’occurrence, donner de la voix quand et comme cela lui est demandé. Il faut ajouter que la présence de ces vingt-et-un danseurs supplémentaires apporte une ampleur difficilement atteignable autrement et que leur nombre sert ainsi l’économie d’une pièce qui veut mettre en évidence la colère des noirs[ii] face aux mauvais traitements dont ils furent et sont encore les victimes.

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(La) « Logiquimperturbabledufou » au Théâtre du Jeu de Paume

— Par Selim Lander —

Zabou Breitman est comédienne. Elle est également une metteuse en scène audacieuse qui compose ses pièces comme un patchwork de textes, de bribes de textes empruntées, dans ce cas, à Tchekhov (La Salle n° 6), Shakespeare ou Lewis Caroll. Comme le titre le laisse deviner, Logiquimperturbabledufou raconte des histoires de fous enfermés dans un asile, lieu propre à susciter la poésie et l’absurde aussi bien que la souffrance, voire l’horreur. Passé quelques minutes d’hésitation – faut-il rire ou pleurer ? – la pièce ne quitte pas le registre de la fantaisie. L’auteur, au demeurant, renonce très vite à raconter une histoire, ses personnages ne prennent aucune consistance, on passe du coq à l’âne, les comédiens changent de rôle comme de chemise, les dialogues se réduisent à peu de choses (les auteurs cités plus haut n’ont donc aucune raison de sentir spoliés !) et l’attention se concentre de plus en plus sur les tableaux humoristiques concoctés par Z. Breitman.

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Théâtre : Bernhard, Le Bal, Séchaud

— Par Selim Lander —

Trois pièces jouées en ce moment dans deux salles du quartier Montparnasse à Paris, le Théâtre de Poche et le Guichet.

Au But de Thomas Bernhard

Thomas Bernhard (1931-1989) est un auteur à la mode en France même s’il n’est pas si fréquent que l’on y monte ses pièces. L’année dernière, en Avignon, Place des héros était joué en lituanien et mis en scène par un Polonais, Krystian Lupa[i] !Au But – qui consiste pour l’essentiel en un long monologue  – exige un monstre sacré. Or l’on peut appliquer sans hésiter ce qualificatif à la comédienne qui interprète le rôle principal avec une énergie et une justesse confondante. De l’énergie il en faut pour dire son texte de manière quasiment ininterrompue pendant presque deux heures d’horloge. Et Dominique Valadié est âgée de soixante-cinq ans !

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Aperçus des Francophonies en Limousin – 2017

— Par Selim Lander —

Dans l’ordre où nous les avons vues, les pièces de notre programme au festival de Limoges. Pour ce qui concerne la visite de la ministre de la Culture au festival, le 25 septembre, passer directement au compte-rendu de la dernière pièce.

Tram 83 d’après Fiston Mwanza Mujila

Au cœur de la « Ville-Pays » dirigée par un « général dissident », se trouve un bar nommé Tram 83, hanté par des demoiselles aguicheuses, « biscottes », « canetons » et des clients en mal de sexe, « creseurs » échappés pour un bref moment de l’enfer des mines de diamants ou trafiquants et autres « touristes à but lucratif ». Pas d’intrigue véritable dans cette pièce mais un fil conducteur : Lucien, un client, venu de « l’arrière pays », souhaite publier un livre dénonçant la pourriture qui règne partout dans le pays. Il en est fortement dissuadé par Cercueil, complice d’un pouvoir corrompu, tandis que l’un des « touristes », suisse, s’engage au contraire à le publier.

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Le théâtre aux Antilles – un numéro d’« Africultures »

— Par Selim Lander —

Il n’est pas trop tard pour signaler un numéro d’Africultures (trimestriel), numéro double, qui fournit un panorama très complet de la création théâtrale aux Antilles françaises, même s’il ne rend pas compte, par la force des choses, des développements les plus récents puisqu’il fut publié au début de cette décennie. Cette réserve n’empêche pas qu’il constitue encore un instrument extrêmement précieux pour connaître les acteurs du théâtre antillais, toutes les personnes interrogées étant encore en activité. En effet, les entretiens avec ces personnalités du monde théâtral ne sont pas les morceaux les moins intéressants de cette publication qui, davantage qu’un numéro de revue, a toutes les apparences d’un ouvrage collectif (dirigé par Sylvie Chalaye et Stéphanie Bérard).

Sous la signature de la seconde, ce numéro d’Africultures s’ouvre sur une brève histoire du théâtre aux Antilles françaises depuis le XVIIIe siècle (la construction d’un « vrai » théâtre remonte à 1780 à Pointe-à-Pitre, en 1786 à Saint-Pierre de la Martinique) jusqu’à nos jours, avec les péripéties liées à la Révolution française, les tournées des troupes métropolitaines, les premières écritures insulaires, la division entre théâtre populaire et théâtre bourgeois, l’évolution des thématiques de la comédie vers les pièces engagées à partir de l’impulsion donnée par Césaire dans les années 1950 et 1960 : traductions en créole de pièces du répertoire, pièces ressuscitant des figures héroïques de la geste antillaise célèbres ou anonymes, pièces plus intimistes mettant en scène sous une forme ou sous une autre ce qu’il convient d’appeler le « malaise antillais ».

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Le MNAC, un musée à découvrir

— Par Selim Lander —

Barcelone est une ville à la mode, particulièrement chez les Français. Les touristes qui viennent ici en cohortes aiment arpenter les Ramblas, errer dans les rues étroites du Barri Gótic, s’étonner devant les édifices construits par l’architecte Gaudi. Ils sont bien peu nombreux, pourtant, ceux qui ayant escaladé les pentes du parc Monjuic pour contempler la ville d’en haut ont l’idée de pénétrer à l’intérieur du Palais National qui clôt la perspective depuis la place d’Espagne. On y accède à partir de cette même place par l’avenue de la reine Marie-Christine, un ensemble monumental  qui fait se succéder deux gigantesques tours vénitiennes, une vaste fontaine, quatre colonnes géantes, enfin une cascade artificielle. L’avenue est flanquée de part et d’autre par les bâtiments de la foire de Barcelone qui furent construits à l’occasion de l’exposition universelle de 1929, de même que le palais qui en constitue le couronnement et qui abrite désormais le Musée National d’Art de Catalogne.

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Avignon 2017 (18) « L’avenir dure longtemps », « Santa Estasi – Atridi : Otto Ritrato di famiglia »

— Par Selim Lander —

L’Avenir dure longtemps de Louis Althusser (OFF)

Louis Althusser (1918-1990) est un philosophe français structuralo-marxiste qui, quoique membre du PCF, eut une grande influence sur le mouvement gauchiste. Agrégé préparateur de philosophie à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, il devint tout naturellement le maître à penser de nombre de jeunes philosophes qui s’engagèrent dans la mouvance maoïste dans les années 60 et 70 du siècle dernier.

Bien qu’il fut cet intellectuel très brillant qui initia une nouvelle lecture de Marx, il souffrait de crises récurrentes qui le conduisirent à séjourner en hôpital psychiatrique à plusieurs reprises. En 1980, à une époque où il se trouvait particulièrement perturbé, il étrangla sa compagne de toujours, Hélène Ryman. Il bénéficia alors d’un non-lieu en vertu de l’article 64 du code pénal : « il n’y a ni crime ni délit lorsque l’accusé était en état de démence au moment des faits ». Cependant un doute planait sur sa culpabilité dans la mesure où Hélène Ryman était sur le point de le quitter au moment des faits. C’est pour s’expliquer sur le meurtre mais également sur l’évolution de sa philosophie qu’Althusser écrivit L’Avenir dure longtemps qui parut après sa mort.

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Avignon 2017 (17) « Une maison de poupée », « Les Larmes amères de Petra von Kant »

— Par Selim Lander —

Une Maison de poupée d’Henrik Ibsen (OFF)

Dans un billet précédent nous émettions l’hypothèse qu’Ibsen est le plus grand dramaturge du XIXe siècle, toutes langues confondues. Ce n’est pas Une Maison de poupée, reconnue comme l’une de ses meilleures pièces, qui nous fera changer d’avis, surtout dans l’interprétation qu’en donnent Florence Le Corre (Nora) et Philippe Calvario[i] (Torvald Helmer) dans la M.E.S. de Philippe Person (qui joue lui-même Krogstad).

Il n’est peut-être pas anodin de savoir que cette pièce féministe (écrite en 1879) fut inspirée d’un fait réel. Une certaine Laura, une amie du couple Ibsen, vécut une histoire semblable à celle de Nora de la pièce, en plus tragique. Nora comme Laura ont emprunté de l’argent pour soigner leur mari malade, mais là où la Nora de la pièce voit son problème résolu par un « miracle » et quitte son mari la tête haute, la vraie Laura fut contrainte au divorce et internée dans un asile !

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Avignon 2017 (16) « Bestie di scena », « L’Age libre », « Gros Chagrins, etc. »

— Par Selim Lander —

Bestie di scena d’Emma Dante (IN)

Emma Dante est déjà venue en Avignon en 2014 avec Sorelle Macaluso. Elle disait alors : « Pour moi le théâtre consiste pour l’artiste à mettre en scène sa propre réflexion sur le présent – sa propre vision du monde contemporain et du monde dans lequel il vit. Un théâtre social signifie révéler les malaises et les problèmes que les gens ont tendance à refouler ».

Pourtant, à la sortie de Sorelle Macaluso , nous nous disions « enthousiasmé, euphorisé par le dynamisme du spectacle, l’inventivité de la mise en scène, le bonheur des interprètes… mais pas vraiment  touché par le message social » [i]. La pièce qu’elle présente cette année, Bestie di scena, est d’une autre veine. Elle illustre plutôt une définition proposée par Romeo Castellucci selon qui le théâtre « sert à soulever un voile qui s’est posé sur le monde, le temps de l’entrevoir ».

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Avignon 2017 (15) « Cap au pire » – « Racine » – « La Fille de Mars »

—Par Selim L ander —

Cap au pire de Beckett (OFF)

Ce texte qui se présentait à l’origine comme un bref roman et non une pièce de théâtre été publié d’abord en anglais (Worstward Ho, 1983) avant d’être traduite en français par Edith Fournier (1991). C’est un exercice formel qui intéresse avant tout à ce titre-là. Impossible de parler de ce texte sans en donner quelques extraits. Voici ceux choisis par des lecteurs et mis sur Babelio.

Encore dire encore soit dire encore tant mal que pis encore jusqu’à plus mèche encore soit dit plus mèche encore
Pénombre obscure source pas su. Savoir le minimum. Ne rien savoir non. Serait trop beau. Tout au plus le minime minimum. L’imminimisable minime minimum.
Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore.
Lentement ils disparaissent. Tantôt l’un. Tantôt la paire. Tantôt les deux. Lentement réapparaissent. Tantôt l’un. Tantôt la paire. Tantôt les deux. Lentement ? Non. Disparition soudaine. Réapparition soudaine. Tantôt l’un. Tantôt la paire. Tantôt les deux.

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Avignon 2017 (14) « The Great Tamer » – « Livret de famille » – « La Fuite »

— Par Selim Lander —

The Great Tamer de Dimitris Papaioannou (IN)

Un spectacle inclassable entre cirque (acrobatie) et performance dans un décor qui évoque une vague ou une dune de couleur grise uniforme, fait de grandes plaques d’isorel que l’on peut soulever, déplacer, dévoiler des trou d’où surgiront des mains, des bras ou des jambes, des corps… ou de simples accessoires comme un pot de fleur. Dans l’une des séquences de cette pièce proprement extraordinaire qui fait appel autant à des mythologies anciennes que modernes, un astronaute vêtu d’une combinaison blanche immaculée, avec un énorme casque-hublot et le bruit amplifié de sa respiration, surgit de derrière la dune (?) et se dirige vers un point précis où il se met à creuser, déterre quelque pierres et finalement extrait un homme entièrement nu. Lorsque l’astronaute se débarrasse de sa combinaison pour apparaître le buste découvert, on s’apercevra qu’elle est du sexe féminin. Les corps se montrent en effet très souvent nus. Peut-être une réminiscence des Grecs anciens qui pratiquaient les sports ainsi, puisque The Great Tamer vient de la Grèce. Les corps sont d’ailleurs beaux comme des académies.

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Avignon 2017 (13) « Le Misanthrope politique », « La Putain respectueuse », « La Violence des riches »

— Par Selim Lander —

Le Misanthrope (politique) de Molière (OFF)

Voilà une M.E.S. (de Claire Guyot) qui dépoussière joliment une pièce du répertoire classique sans jamais la trahir. Le titre est trompeur, de même que le résumé dans le catalogue du OFF qui évoque une « version cinématographique du chef d’œuvre de Molière » alors que ce Misanthrope se joue fort honnêtement sur les planches sans le truchement d’une caméra ni de micros. Quant à l’aspect « politique », il correspond tout au plus à un prologue (muet) et à la première scène pendant lesquels Alceste et Philinte travaillent côte à côte sur un bureau, l’un à signer des parapheurs, l’autre à corriger un texte sur un ordinateur portable. Car c’est surtout en cela que la M.E.S. est moderne, grâce aux costumes et à une utilisation très astucieuse des instruments qui ont envahi notre vie quotidienne, tablettes et téléphones mobiles. Par exemple Philinte n’a pas besoin d’être présent dans la même pièce qu’Alceste. Il peut dialoguer avec lui grâce au téléphone d’Éliante en position haut-parleur. De même le valet de Célimène est-il commodément remplacé par un interphone.

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Avignon 2017 (12) « Les Parisiens », « Phèdre »

— Par Selim Lander—

Les Parisiens d’Olivier Py (IN)

Dans un très beau décor de Pierre-André Wetz, Olivier Py a adapté son roman Les Parisiens (2016), fresque foisonnante dont les multiples personnages font partie à un titre ou à un autre au groupe des « importants » dans la capitale de la France, ceux qui comptent, ceux que, en d’autres temps, on aurait appelé des « notables » mais le terme est trop restrictif car il y a des  prostitué(e)s et autres gigolos dans le monde décrit par Py. Cette satire des gens de pouvoirs et de leurs favoris ne manque pas d’intérêt ; on sent que l’auteur sait de quoi il parle même s’il grossit évidemment les choses. Py a retenu pour son adaptation vingt-trois personnages sur les quatre-vingt de son roman et un fil conducteur, la nomination d’un nouveau directeur à l’Opéra de Paris.

La quasi-totalité des personnages sont des individualistes farouches, incapables d’amour mais obsédés par le sexe auquel ils semblent consacrer l’essentiel de leur énergie, le reste étant mobilisé pour faire avancer leur carrière. Quelques rares exceptions : Jacqueline, reine de l’intrigue qui se régale de manipuler les importants pour pousser tel ou tel qui aspire à faire partie du groupe, lui aussi, ou à monter dans la hiérarchie.

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