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RCM 2017 – Suite (1)

Jazmin et Toussaint, La Danseuse

— Par Selim Lander —

Jazmin et Toussaint de Claudia Sainte-Luce

Un film d’auteur autobiographique dans lequel la réalisatrice s’est d’autant plus investie qu’elle interprète elle-même son propre rôle. Claudia Sainte-Luce est mexicaine mais de père haïtien. Elle a avec ce dernier des rapports compliqués. Lorsqu’il tombe malade, elle s’en occupe plus par devoir que par amour filial véritable. Il faut dire que le père, autoritaire, et qui s’enferme de plus en plus dans son monde à partir du moment où son esprit commence à partir à la dérive, ne laisse guère entrevoir de tendresse.

La volonté de Cl. Ste-Luce de coller à la réalité l’empêche de développer un scénario débouchant sur autre chose que la situation posée au départ. Il y a bien quelques échappées sur la vie privée de la jeune femme, son (ses) boulot(s), ses amis et sur la vie passée du père (qui a passé sa jeunesse en Haïti, a vécu à New-York, au Venezuela avant le Mexique) mais le film prend très souvent la forme d’un huis-clos entre père et fille.

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RCM 2017 – premiers aperçus

Le Christ aveugle, Relève, histoire d’une création, Your Name

— Par Selim Lander —

L’abondante programmation des RCM 2017 est telle qu’elles ne cèdent rien à bien des festivals de cinéma : 36 longs métrages, dont 6 documentaires auxquels s’ajoutent 10 courts-métrages de la dernière Semaine de la critique ou de la sélection ADAMI (Cannes 2016), plus 8 courts métrages caribéens, des courts-métrages d’animation des élèves de l’École des Gobelins, 16 vidéo-clips, etc. et enfin, last bust not least, deux films pour les chères petites têtes noires (ou blondes). On espère que les Martiniquais mesurent bien la chance qui est la leur. En attendant, soulignons qu’un modeste chroniqueur ne saurait y suffire et pas davantage la tout aussi modeste équipe des critiques de madinin-art, d’autant plus qu’elle se trouve, en cette période cruciale, privée de son chef, le valeureux et talentueux Roland Sabra. Nous ferons donc ce que nous pourrons. Voici, en attendant la suite, une première moisson de films.

Le Christ aveugle de Christopher Murray

Commençons par le dernier visionné, celui qui est le plus frais dans notre tête, et certainement pas le moins intéressant.

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« Le Journal d’une femme de chambre », version minimale

Par Selim Lander

Le roman d’Octave Mirbeau est l’un de ceux qui ont « fait époque » au double sens où ils ont marqué les contemporains et où ils sont un reflet si fidèle de leur temps (aussi fidèle que peut l’être un roman) qu’ils prennent aux yeux des générations futures valeur de témoignage. Ceci explique que Le Journal d’une femme de chambre ait fait l’objet de plusieurs adaptations successives. Au cinéma, Jeanne Moreau et plus récemment Léa Seydoux ont rencontré un grand succès dans le rôle titre.

Le cinéma est incontestablement avantagé par rapport au théâtre car il peut reconstituer l’environnement des personnages avec une précision quasi parfaite. C’est en particulier le cas avec le film de Benoît Jacquot (avec Léa Seydoux – voir la photo) qui nous transporte dans l’univers de la Belle Époque comme si nous y étions. Or les objets pèsent lourd dans cette histoire : cirer les bottes, faire les lits, plier le linge, astiquer l’argenterie, servir à table, c’est le quotidien d’une femme de chambre. Comment faire spectacle (et non littérature) de ce quotidien sans montrer tous ces objets ?  

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Vénus et Adam

Par Selim Lander

Tous les grands prix Beaumarchais/ETC-Caraïbe ne se ressemblent pas : telle était la réflexion que l’on pouvait se faire en assistant pendant deux longues heures à la pièce d’Alain Foix (lauréat du prix 2004) qui mêle l’enquête policière et journalistique, la romance interraciale, les rites sanguinaires, la Tamise, Scotland Yard, le panthéon yoruba, la mythologie grecque, The Times, Libération et les dissections d’une médecin légiste à l’esclavage, à la vénus hottentote et aux saumons qui remontent les rivières. Non qu’on soit contre les mélanges de genres, au contraire, mais ici tout cela nous a paru plaqué et artificiel. On cherche – pardon, nous avons cherché – en effet vainement dans la pièce « l’alliance d’une esthétique brillante profondément humaniste [qui] fait merveille dans le roman [tiré de la pièce] » d’après le site Evène. (1)

Loin de briller, en effet, les dialogues ont semblé surtout plats et les bons mots désolants. On s’excuse ici auprès du lecteur, il faudrait en citer au moins un de ces bons mots mais, trop accablé par ce que nous étions en train de voir et d’entendre, nous n’en retînmes aucun.

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« Samo, a Tribute to Basquiat », cérémonie funèbre

— Par Selim Lander —

Jean-Michel Basquiat (1960-1988), né d’un père haïtien (d’où son prénom français) et d’une mère américaine, fut un mauvais garçon, un beau gosse aux mœurs « spéciales » (comme on disait naguère), avec au cœur la hargne, l’ambition, et surtout l’envie d’une existence sans frein. Promu par la grâce de la critique et des médias figure de proue du néo-expressionnisme new-yorkais, il devint un familier de la Factory d’Andy Warhol où se côtoyaient toutes sortes de gens, des célébrités et des voyous. Incapable de se détacher des drogues, il mourut à vingt-sept ans de l’overdose d’un mélange d’héroïne et de cocaïne. Les visiteurs présents à l’été 2015 à la rétrospective du Guggenheim-Bilbao ont pu apprécier ou en tout cas découvrir une peinture « sauvage », au sens où elle est à l’évidence guidée davantage par la rage de s’exprimer que par le souci de plaire.

Koffi Kwahulé est pour sa part l’un des dramaturges francophones contemporains parmi les plus doués. Le public martiniquais a pu voir très récemment sur scène son monologue Jaz et, en 2013, P’tite Souillure, une pièce qui fait intervenir un personnage maléfique, Ikédia, alors interprété par Nelson Rafaell Madel.

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« F(l)ammes » : il n’y a pas de gens ordinaires

— Par Selim Lander —

Merci, monsieur Ahmed Madani pour cette démonstration enthousiasmante portée par dix jeunes femmes de toutes couleurs et de toutes conditions, comme on dit, mais plutôt typées immigrées, même s’il y a parmi elles une Guadeloupéenne qui a toutes les raisons de se revendiquer française d’ancienne lignée. Quoi qu’il en soit, si l’on dit qu’il n’y a pas de gens ordinaires, ces jeunes femmes en particulier, on ne veut pas insister sur leurs différences apparentes qui les distinguent des Françaises dites (horresco referens !) « de souche », la peau noire des unes, les cheveux frisés des autres (il n’y a  pas d’Asiatiques parmi elles) : elles ne sont pas ordinaires comme l’est chacun d’entre nous, parce qu’elles ont chacune une histoire qui les rend uniques.

Nous sommes tous intéressants mais nous ne sommes pas tous capables de le montrer. Le grand mérite d’A. Madani est d’avoir su insuffler à chacune de ces dix jeunes femmes la force de s’exprimer avec une éloquence de bon aloi, sans gommer l’identité de chacune et surtout sans atténuer une émotion constamment palpable.

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Le Geste et la Matière (Paris 1945-1965)

Le quarantième anniversaire du Centre Pompidou à la Fondation Clément

— Par Selim Lander —

Après le peintre Télémaque qui inaugurait, début 2016, les nouveaux espaces de la Fondation Clément en Martinique, une autre exposition en partenariat avec le Centre Pompidou vient d’ouvrir ses portes. Elle s’inscrit – comme d’autres un peu partout en France – dans le cadre des manifestations du quarantième anniversaire de l’installation du musée national d’Art moderne dans le bâtiment de Renzo Piano. Les collections du musée sont riches de quelque 120 000 pièces ! Autant dire qu’il peut se répandre en d’autres lieux que son siège parisien sans dégarnir ses cimaises.

L’exposition de la Fondation Clément permet ainsi de voir des œuvres, souvent majeures, qui demeurent le plus souvent cachées dans les réserves du musée. Le thème retenu pour la présente exposition est particulièrement intéressant puisqu’il s’agit de montrer comment l’art abstrait (non géométrique) s’est développé parmi les peintres installés à Paris (dont un certain nombre d’étrangers) pendant l’après-guerre. Le commissaire de l’exposition, Christian Briend, a fort intelligemment regroupé les œuvres en fonction soit de ce qu’elles évoquent pour le regardeur, soit de la manière dont elles sont « fabriquées ».

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« Le Client » d’Asghar Farhadi

— Par Selim Lander —

On connaît Asghar Farhadi, le plus célèbre des cinéastes iraniens (À propos d’Elie, Une séparation), spécialiste des drames intimes qui se nouent autour d’un couple. Ici, par suite d’un quiproquo, l’épouse est victime chez elle d’une agression. Disons-le tout de suite, si Le Client n’est pas le meilleur Farhadi, il se laisse voir néanmoins à cause de la direction d’acteurs, toujours parfaite (Shahab Hosseini a reçu le prix d’interprétation masculine à Cannes en 2016), et de tout ce qui entoure l’intrigue principale, tout ce que nous découvrons sur la vie d’un couple d’intellectuels dans un pays soumis au régime des mollahs. Lui est professeur de lycée, l’occasion de nous rappeler que, dans ce pays, il y a des livres interdits. Tous deux comédiens, ils jouent dans La Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller, l’occasion de nous rappeler, cette fois, que les censeurs du ministère de la Culture et de la Guidance islamique (sic – cf. le film No Land’s Song d’Ayat Najafi[i]) peuvent couper comme ils veulent dans les textes du répertoire.

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Le 6ème festival de marionnettes

— Par Selim Lander —

Pendant huit jours, du 4 au 11 février, à l’initiative de Jala et en collaboration amicale avec le CEMEA (Centre d’entraînement aux méthodes de l’éducation active), la ville de Case-Pilote organise le 6ème festival « BBM » (pour Bamboula Bwabwa et Marionnettes). Deux compagnies venues d’Amérique latine, un Français (Métropole), notre Jala enfin proposent quatre spectacles relevant de genres très différents. Le Prêcheur et Schœlcher (théâtre A’ZWEL) accueillent également chacun deux de ces spectacles.

Marottes : Bélie et Zélie au fil de l’eau

À tout seigneur toute honneur. On ne présente plus Jala qui combine les talents d’auteure, conteuse et marionnettiste ventriloque. Son spectacle tiré de l’album éponyme[i], qui s’adresse aux jeunes enfants, atteint parfaitement sa cible. Retenir l’attention des élèves de la petite section de maternelle pendant presque trois quarts d’heure d’horloge est en effet un exploit qu’elle semble accomplir sans peine. Il faut dire que les marionnettes qu’elle a confectionnées elle-même sont charmantes et que les séquences très variées s’enchaînent sans temps mort. Elle utilise le plus souvent des « marottes », c’est-à-dire des figures animées par une simple tige fixée à l’arrière.

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La visite d’un cirque kouglistanais en Martinique

— Par Selim Lander —

Prière aux grincheux de s’abstenir ! Comme son nom l’indique, ce cirque qui n’en est pas vraiment un ne débarque pas du Canada, et contrairement à ce que l’accent des trois bonshommes qui s’agitent sur la scène pourrait laisser penser, mais d’une lointaine planète – peut-être de l’étoile alpha II du Centaure, va savoir ? – où la rigolade et la fantaisie sont les principales règles de la vie politique. Puristes de l’art circassien, abstenez-vous itou, car vous ne verrez aucun numéro époustouflant, rien qui puisse accélérer les battements de votre cœur. Nous sommes dans le domaine du « presque rien » dont au sujet duquel j’ai déjà eu à vous causer mais pas tout-à-fait du « n’importe quoi » et c’est ce « pas tout-à-fait » qui fait  toute la différence ! Réussir un spectacle avec presque rien – ou si peu ! – c’est possible en effet tant que l’on ne fait pas « tout-à-fait » n’importe quoi ! La preuve avec ces Kouglistanais.

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Le festival des Petites Formes » – Un Bilan

— Par Selim Lander —

Pour la deuxième année consécutive, Tropiques Atrium Scène nationale a organisé dans la deuxième quinzaine de janvier un festival de théâtre qui se caractérise à la fois par l’économie de moyens (un ou deux comédiens au maximum dans chaque spectacle) et une présence massive des créations antillaises avec L’Aliénation noire de et avec Françoise Dô en ouverture le 17 janvier, Circulez de José Jernidier qui joue accompagné de son frère Joël le 21 janvier, Médée Kali de Laurent Gaudé avec Karine Pedurand le 24 janvier, Le But de Roberto Carlos de Michel Simonot avec Elie Pennont dans une MES d’Hassane Kouyaté. Unique exception un spectacle venu de Suisse, Le Relais de et avec Patrick Mohr. À noter que la plupart de ces spectacles ont été également présentés « en communes ».

François Dô dans L’Aliénation noire

Françoise Dô, jeune martiniquaise, est la lauréate du concours d’écriture théâtrale lancé par Tropiques Atrium en 2016 ce qui lui a valu une aide à la création. Elle signe cependant elle-même la MES, ce qui semble confirmer qu’ « aux âmes bien né/es, la valeur n’attend point le nombre des années », comme dirait un certain Corneille.

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« Circulez ! » de José Jernidier

— Par Selim Lander —

Peut-on encore évoquer le malaise antillais (le « problème identitaire ») sans tomber dans le déjà vu alors que ce thème n’a jamais cessé de hanter la conscience des auteurs antillais ? De la déréliction au ressentiment, on a déjà tout lu, tout vu. Il n’est évidemment pas question de nier la réalité du problème antillais, la vérité des sentiments qui s’expriment à ce propos sous différentes formes mais après Césaire (Le Cahier, 1939) et Glissant (Le Discours, 1979), cultiver ce thème s’avère risqué. Cela étant, l’art restera toujours  un moyen de se démarquer. En Martinique, par exemple, Chamoiseau parvient à tirer son épingle du jeu grâce à l’originalité de la langue qu’il déploie dans ses récits et Confiant s’en sort également mais sur le registre de la comédie. C’est cette deuxième veine qu’exploite avec un certain bonheur José Jernidier, un auteur guadeloupéen, dans Circulez !. L’humour, parce qu’il implique une distance par rapport au sujet, permet d’éviter la lourdeur de tant de textes qui brodent plus ou moins complaisamment sur le fameux malaise. 

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Coup de théâtre manqué à Beyrouth

— Par Selim Lander —

Un « Quatrième Mur » bondissant

Le Quatrième mur est un roman de Sorj Chalendon, un roman plutôt bien ficelé (prix Goncourt des lycéens en 2013) qui raconte une tentative de monter l’Antigone d’Anouilh au Liban avec une distribution multiconfessionnelle. L’action se passe à un moment crucial de l’histoire du pays, celui des massacres dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila (16-18 septembre 1982) effectués par les phalangistes avec la complicité de l’armée israélienne. Si le roman est un plaidoyer en faveur de la tolérance mutuelle, il se conclue sur l’impossibilité de la paix. Il montre en effet comment chacune des différentes communautés cultive des haines recuites à l’égard de toutes les autres depuis des décennies et combien sont fragiles les trêves qui peuvent survenir dans des contextes précis.

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Le vif saisit le mort

Réparer les vivants d’après Maylis de Kérangal

Par Selim Lander

Comment raconter le don d’organe ? Maylis de Kérangal en a fait un roman à succès (dix prix dont celui du magazine Lire) et Katell Quillévéré a tiré un film. La question des dons d’organes fait en France l’objet de débats surréalistes. Qu’y a-t-il en effet à débattre ? D’un côté, une personne qui se trouve soit en état de mort cérébrale, soit en train d’agoniser. Bref elle est ou bien déjà morte (qu’est-ce qu’un corps sans conscience ?) ou bien en train de mourir. Dans les deux cas ses organes ne lui servent plus à rien. De l’autre  côté, des personnes mal vivantes mais qui pourraient vivre normalement – ou bien mieux – si on leur greffait l’organe chez elles défaillant. La situation appelle une solution évidente : si le corps du mort peut encore servir à quelqu’un, à quelques-uns, qu’il le fasse ! La question du consentement – que ce soit le sien au préalable ou celui de ses proches – est sans fondement. Faut-il rappeler que la non-assistance à personnes à danger est un crime puni par la loi[i] ?

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Viktor Lazlo ; « Love me tender »

— Par Selim Lander —

Avant le festival des Petites Formes qui commence dès mardi, la fin de la semaine dernière a fait s’enchaîner deux spectacles « martiniquais » de grande qualité : jazz d’abord avec Viktor Lazlo ; danse ensuite avec Jean-Hugues Mirédin et la cie Art&fact.

Viktor Lazlo, chanteuse d’origine martiniquaise qui poursuit une brillante carrière internationale chante le jazz tel qu’on l’aime. Si cela avait un sens, on dirait que le meilleur concert du Martinique Jazz Festival 2016 a eu lieu hors festival, le 13 janvier 2017, et que c’était le récital de Viktor Lazlo. Pourquoi apprécions-nous tant cette interprète ? Pas tellement pour sa voix, belle mais pas exceptionnelle, mais parce qu’elle a l’humilité de faire entendre la quintessence du jazz sans aucune esbroufe. On peut déjà en juger par les instruments qui l’accompagnent : piano, guitare et basse. Oui, vous avez bien lu ! Pas de batterie[1], alors qu’elle fut omniprésente pendant le festival, avec même certains batteurs leaders.

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« Paterson » : Petites conversations entre amis

— Par Selim Lander —

Paterson, New Jersey, la ville des poètes, celle de feu William Carlos Williams en particulier, l’idole d’un chauffeur d’autobus apprenti poète qui porte – le hasard fait bien les choses – le nom Paterson. Il vit avec Laura, sa muse, plus amoureux d’elle (pour autant qu’on puisse en juger) sur son carnet secret (« secret book ») que dans la vraie vie. Laura est d’ailleurs l’incarnation d’un certain type de femmes qui fait rêver autant qu’il peut agacer : la femme enfant aussi adorable qu’irresponsable. Alors que lui est sans doute trop responsable, effrayé qu’il est par toute dépense non prévue dans son budget. Et si peu habitué à « sortir » que lorsqu’il accepte, entraîné par Laura, une soirée cinéma, le bouledogue de la maison dévore son carnet, réduisant à néant toute son œuvre de poète…

Le film de Jim Jarmusch vaut d’abord pour la peinture de ce couple à des années lumières de la plupart des amoureux de cinéma. Mais il vaut plus encore pour les rencontres que fait Paterson en dehors de chez lui : dans son bus, où il se contente d’écouter ce que racontent les passagers, et celles dont il est acteur quand il promène le chien ou au cours de sa halte rituelle dans un bar tenu par un noir paternel et passionné d’échecs.

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« Baccalauréat » (passe ton bac d’abord !)

— Par Selim Lander —

Face à un film tel que Baccalauréat, le spectateur s’avoue perplexe. Le film, après avoir reçu le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes, a fait l’objet à sa sortie en Métropole d’une promotion ronflante dans tous les médias, avec des articles sur le film, sur le metteur en scène Cristian Mungiu (palme d’or à Cannes en 2007 pour 4 mois 3 semaines 2 jours) et sur le principal comédien, Adrian Titieni. Impossible donc d’aller voir ce film sans en connaître la trame principale. Dans une Romanie en proie à la corruption endémique, un médecin connu pour son intégrité se sent contraint de faire une entorse à ses principes afin que sa fille, excellente élève au demeurant, obtienne le baccalauréat en dépit d’un incident  fâcheux qui l’a privée momentanément d’une partie de ses moyens. Passe ton bac d’abord ! Ce parchemin lui est indispensable pour profiter de la bourse qui l’enverra faire des études en Angleterre, hors de l’enfer du pays natal. Sujet intéressant, sans nul doute, qui combine le drame psychologique avec une étude de cas sur les mécanismes de la corruption.

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« Captain Fantastic », film anti-système

— Par Selim Lander —

Dans l’une des séquences de Captain Fantastic (au titre bien mal choisi), on entend une petite fille de huit ans rappeler que le free speech est un droit constitutionnel aux Etats-Unis. Rien n’illustre mieux le principe que ce film qui dénonce le consumérisme et le laxisme de l’éducation moderne, qui pointe du doigt la laideur des obèses, ridiculise les croyances des adeptes du christianisme et qui va jusqu’à bafouer le tabou du respect dû aux morts en montrant un père et ses enfants dansant, après l’avoir déterré, autour du cadavre de la maman bien-aimée en train de se consumer sur le bûcher qu’ils viennent d’allumer, avant de se conformer aux dernières volontés de la défunte en jetant ses cendres dans la cuvette des toilettes d’un aéroport. A-t-on jamais vu un film qui invoque les fondements juridiques de la démocratie américaine pour s’attaquer aussi directement à des valeurs de la classe moyenne aussi intangibles que la Bible ou le capitalisme ?

Captain Fantastic commence comme un conte de fées. Un père et ses six enfants vivent une existence de Robinsons dans la forêt.

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Danse : Les turqueries de Christian Rizzo

— Par Selim Lander —

Tropiques-Atrium, comme chacun sait, a obtenu/retrouvé le label scène nationale jadis perdu par le défunt CMAC. C’est une chance pour les Martiniquais qui ont ainsi accès à un large panorama de la création contemporaine dans les domaines de la danse, de la musique, du théâtre. Cela étant, les artistes vivants, dans la mesure où ils ne se contentent pas de répéter le passé, encourent le risque de heurter le public. Qui dit création dit nouveauté ; qui dit nouveauté dit danger. Un danger partagé : l’artiste risque de se heurter à l’incompréhension du public ; le public risque de s’ennuyer, voire d’être heurté dans ses convictions intimes. Comme nous l’avons signalé à plusieurs reprises, le risque est d’autant plus grand, aujourd’hui, que les artistes se sont accordés, en matière de création, une liberté inimaginable par les générations antérieures aux Duchamp, Picasso, etc. « Le presque rien, le n’importe quoi » côtoient désormais les œuvres conjuguant une imagination puissante et un véritable savoir-faire. 

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Les tableaux enchanteurs de Lorène Bihorel

— Par Selim Lander —

Monde enchanté, grâce, émerveillement, performance, modestie, talent, tels sont quelques-uns des mots qui viennent à l’esprit devant Lorène Bihorel en train de créer ses tableaux. Le monde enchanté, la grâce et l’émerveillement sont pour ceux-ci ; la performance, la modestie et le talent pour celle-là. S’il fallait trouver un équivalent au spectacle offert par L. Bihorel, on ne verrait guère que le film de H.-G. Clouzot montrant Picasso en train de peindre et le tableau qui se construit progressivement sous nos yeux sans aucune interruption, aucune hésitation apparente. Mais L. Bihorel, quant à elle, travaille avec du sable, ou plutôt des sables de teintes légèrement différentes et c’est merveille de la voir dessiner une fleur, un oiseau, un visage, un chamelier, une pin-up sans avoir jamais besoin de se reprendre. Ce qui témoignerait d’une maîtrise déjà étonnante du dessin si elle utilisait la plume ou le crayon devient exceptionnel quand on utilise un matériau qui a tendance à se répandre n’importe où, … comme savent tous ceux qui ont essayé de bâtir des châteaux de sable.

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Danse : « Poil de carottes » et autres pièces

— Par Selim Lander —

Les ballets classiques racontent des histoires que les amateurs d’antan connaissaient généralement par cœur. Si le public des ballets a passablement changé depuis la IIIe République, si l’opéra n’est plus cet endroit mondain où se rencontraient des habitués sélectionnés par l’argent, les arguments des ballets classiques sont suffisamment clairs pour être facilement compris par des spectateurs moins « imprégnés » que jadis.

La danse contemporaine, c’est une autre histoire. Quand on regarde une sculpture de Rodin (par exemple), on voit tout de suite de quoi il s’agit. On n’en dira pas autant d’une sculpture contemporaine faite de trois bouts de ferrailles (ou de ficelles !) : il est préférable que l’artiste nous explique ce qu’il a voulu dire ! Il en va souvent – mais pas toujours – de même avec la danse contemporaine, à ceci près, bien sûr, qu’il n’y a aucune tricherie possible : on ne s’improvise pas danseur comme on peut le faire dans les arts plastiques.

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« Les Cavaliers » au théâtre

— Par Selim Lander —

On ne lit plus guère Joseph Kessel et c’est bien dommage. Il y a des modes en littérature… Les Cavaliers est pourtant le roman sans doute le plus stupéfiant de Kessel, celui qui nous immerge dans un univers où la sauvagerie s’accompagne d’un sens sourcilleux de l’honneur. Un gros roman qui tourne autour de ce qui fut le sport national afghan, le bouzkachi, avant les pick-up et les kalachnikovs, un sport de guerriers, certes, qui se disputaient à cheval la dépouille d’un bouc, une sorte de polo, donc, beaucoup plus farouche et brutal, qui ne manquait cependant pas d’une certaine d’élégance.

Comment rendre le bouzkachi au théâtre, les chevaux pressés les uns contre les autres autour du bouc, les cris des cavaliers, puis l’un d’eux qui se détache, emportant la dépouille au galop, immédiatement poursuivi par les autres parmi lesquels l’un, plus rapide, plus adroit, s’emparera du bouc avant d’être poursuivi à son tour par la meute, et ainsi de suite ? Une gageure.

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Aperçu sur le Festival de jazz 2016

— Par Selim Lander —

festival-de-jazz-2016Copieuse programmation étalée sur deux semaines avec des concerts dans la grande salle de l’Atrium et d’autres décentralisés à Sainte-Marie, au Prêcheur, à Rivière-Salée, à la Pagerie.

Après le concert d’ouverture au musée Saint-James à Sainte-Marie, la première soirée à l’Atrium, le 25 novembre, a permis de faire connaître les créations de Maher Beauroy, un Martiniquais de trente ans qui parfait actuellement sa formation aux États-Unis au Berklee College of Music (Boston). Il s’est produit avec une formation comprenant quatre autres élèves avec lesquels il a enregistré un disque, An lot solèy, qu’il a donc présenté ce soir-là. Sa formation exprime bien la diversité tant géographique que musicale qui caractérise une grande école de musique comme le Berklee College. En témoigne la présence d’un vibraphone et surtout d’un violon (à côté d’une basse électrique et de la batterie). Maher Beauroy joue fort agréablement au piano de longues compositions caractérisées par un grand éclectisme et le groupe témoigne d’une belle cohésion. Le violoniste (le Français Antoine Beux) a interprété en solo une de ses compositions très modern jazz et l’on aurait aimé entendre davantage le vibraphone, un instrument qu’on ne rencontre plus si souvent dans les formations de jazz.

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Cinéma : « D’une famille à l’autre », « Brooklyn Village »

— Par Selim Lander —

dune-famille-a-lautreDifficile de communiquer les sensations provoquées par ce film. Peut-être le lecteur de cette chronique qui n’aura pas vu D’une famille à l’autre comprendra-t-il mieux ce que nous tentons d’exprimer s’il a eu la chance d’avoir entre les mains le livre d’Édouard Louis[i] En finir avec Eddy Bellegueule (Seuil 2014). Pour mémoire, Eddy Bellegueule est un garçon efféminé né dans une famille pauvre d’un village du nord de la France où, par tradition, on ne fait pas d’étude longue, où les filles se font engrosser prématurément tandis que les garçons partent vite à l’usine et se saoulent le samedi soir. Dans un tel milieu, Eddy ne peut que devenir l’objet des moqueries générales et le souffre-douleur des plus méchants. Toute la jeunesse d’Eddy ne sera donc qu’une suite de rebuffades, de brimades, d’efforts désespérés pour ne pas (trop) perdre la face. Il ne s’en sortira que grâce au théâtre, au collège, où il se fera remarquer, ce qui lui ouvrira la porte du « grand » lycée du chef lieu du département où il trouvera des garçons qui lui ressemblent.

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Cinéma : En avoir ou pas (Bellochio et Gomez)

— Par Selim Lander —

02AIl faut rendre grâce à Steve Zébina, qui programme les films en V.O. pour Tropiques Atrium, pour son éclectisme qu’il affiche d’ailleurs clairement, avec un intérêt particulier pour le cinéma d’auteur. Grâce à lui, le spectateur martiniquais peut ainsi avoir un bon aperçu sur la filmographie contemporaine dans toute sa diversité, de l’Asie à l’Amérique latine, des films tout public aux films pour happy few. Car il en va du cinéma comme de l’art plastique. Les cinéastes les plus encensés par les spécialistes ne sont pas nécessairement ceux qui ont le plus de succès. Certaines palmes d’or, à Cannes, en font la démonstration évidente : combien de spectateurs enthousiastes pour Oncle Boonmee du grand (?) Apichatpong Weerasethakul ? Et ce n’est qu’un exemple. En ce mois de novembre, S. Zébina a décidé de présenter à la fois un classique du cinéma qui ressort en salles dans une copie rénovée, Les Poings dans les poches de Marco Bellochio (1965) et Les Mille et une nuits de Marco Gomez (2015). Le premier, chef d’œuvre incontesté, le second, un film pour « amateur éclairé », présenté (mais non primé) à la quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes.

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