« A Beautiful Day » : joliment glauque

— Par Selim Lander —

Ce film de Lynne Ramsay a fait l’événement au début du dernier festival de Cannes, au point que les journalistes spécialisés le voyaient déjà remporter la palme d’or. Cependant le jury, on s’en souvient, lui a préféré The Square de Ruben Östlund, un choix qui n’apparaît pas malheureux pour qui les a vus tous les deux : malgré d’incontestables qualités formelles et une ambiance prenante (les deux étant en l’occurrence liés)  A Beautiful Day laisse finalement le spectateur sur sa faim.

Cela tient en particulier à l’histoire, un paradoxe quand on sait que le film a reçu le prix du meilleur scénario (à côté du prix du meilleur comédien). Ce n’est pas que A Beautiful Day ne soit astucieusement construit : les flash back sur le passé du héros et son enfance éclairent justement sa personnalité tourmentée. Simplement cette construction est mise au service d’une histoire de pédophilie dans le milieu de la haute politique qui n’est ni vraisemblable ni palpitante. 

Si l’ambiance du film est malgré tout prenante, cela est dû à plusieurs facteurs, comme le découpage qui enchaîne les séquences sans jamais s’attarder, le rythme qui varie entre les séquences « d’action », très rapides, dans lesquelles la violence est seulement évoquée, et les séquences plus lentes qui montrent le héros solitaire en proie à ses démons.

A côté de cette « syntaxe » savante, le « vocabulaire » de la cinéaste a également sa part dans la réussite du film : les images souvent tremblées, la lumière jamais trop crue, les logements cossus de la haute aristocratie parlementaire américaine qui contrastent avec les rues et les boutiques des quartiers misérables, la caméra soudain braquée sur des personnages sans rapport avec l’histoire (un clochard fouillant dans une poubelle, les jambes d’une fille qui marche dans un couloir d’hôtel, une autre qui fume sur la plate-forme d’un escalier de secours…).

Si la préciosité de la mise en scène et le souci des belles images (par exemple quand le héros immerge un cadavre dans un lac) peuvent agacer par moments, on reste dans l’ensemble subjugué par la virtuosité déployée par L. Ramsay. Cela étant, le succès du film repose largement sur Joe, le personnage principal, magistralement interprété par Joaquin Phoenix, constamment présent à l’écran, justement récompensé par le prix du meilleur interprète masculin. Le physique massif, les cheveux longs dépeignés, les vêtements informes sont à l’image du mental plein de confusion de son personnage, un vrai dur quand il faut passer à l’action (il a été dressé pour cela dès la petite enfance : « tiens-toi droit, tu n’es qu’une pisseuse » lui répétait son père, et plus tard par l’armée), un faux dur dès qu’il est en présence d’un être vulnérable (sa vieille maman, une adolescente victime des pédophiles).

Un film pour cinéphiles à déconseiller aux amateurs de films d’action.

 

Encore deux représentations à venir à Madiana : les 12 et 16 janvier 2018 à 19h30.