« Teruel », danse de guerre et parade amoureuse

— Par Selim Lander —

Il n’est pas courant d’assister à une pièce de danse dotée d’une telle intensité. Les applaudissements rythmés, à la fin, qui semblaient ne jamais vouloir s’arrêter témoignaient suffisamment de l’état dans lequel se trouvaient les spectateurs de la salle Frantz Fanon de l’Atrium, remplie pour la circonstance. Si jamais des danseuses ont réellement brûlé les planches, les deux interprètes de Teruel sont en bonne position pour renouveler l’exploit, tant elles dépensent d’énergie tout au long de cette pièce dont le climat dominant est celui de l’affrontement et de la violence, même si elle sait ménager quelques moments de répit pendant lesquels affleure quelque chose comme de la tendresse.

Elles sont deux plus un, un homme cantonné d’abord dans un rôle de récitant avant de se mettre lui aussi en mouvement, sans qu’on puisse vraiment parler à son propos de danse véritable, plutôt la manifestation de la brutalité masculine quand il repousse les deux femmes qui voudraient faire sa conquête, ou celle du taureau quand elles agitent devant lui leurs jupes comme des capes de torero.

La chorégraphie est inspirée en effet par un texte de Pierre Imhalsy intitulé Rhône Saga faisant une large place à la corrida vue comme une métaphore du rapport entre les sexes : une relation empreinte pour le moins de rudesse et cela des deux côtés. On n’a pas lu le livre mais dans la traduction qu’en donnent les deux chorégraphes Géraldine Lonfat (également l’une des deux danseuses avec Sara Dotta) et Stéphanie Boll, la violence est portée par les deux sexes. Avant les allusions explicites à la corrida, qui n’arrivent pas tout de suite, Teruel pourrait être simplement une pièce sur la guerre. Le récitant est accroupi, à l’arrière plan, les deux danseuses entament une sorte de danse de mort. Un tas de copeaux évoque un tumulus tant qu’il n’est pas dispersé d’un coup de pied rageur, devenant alors, comme il apparaîtra plus tard le sable de l’arène.

Cette pièce puissamment expressionniste n’est pourtant pas aussi explicite – sauf dans quelques figures – que les commentaires précédents pourraient le laisser croire. Le spectateur, fasciné par l’énergie et la technique des deux danseuses – reste néanmoins libre d’interpréter à sa guise ce qu’il voit. La présence d’un récitant ne suffit pas à neutraliser l’imagination du spectateur, d’autant que ses paroles sont souvent couvertes par la musique, superbe, qui porte cette chorégraphie, malgré le micro dont il est pourvu.

Seul bémol : était-il vraiment besoin de projeter pendant quelques minutes des images de corrida, renforçant, pour le coup, un peu lourdement la métaphore développée dans la pièce ?

 

Compagnie Interface (Sion, Suisse). En tournée à Tropiques-Atrium le 2 février 2018.