2147 – Et si l’Afrique disparaissait ?

— Par Selim Lander —

« Tu n’as rien vu en 2147 », pourrait-on dire à Mark M. Brown, en paraphrasant le leitmotiv d’Hiroshima, mon amour de Duras-Resnais, ce M. M.M. Brown ne prévoyait-il pas en effet (en 2004) que l’Afrique devrait attendre jusqu’en… 2147 pour que la proportion des pauvres y diminue de moitié. Pourquoi 2147 exactement, pourquoi pas 2150, les prévisions des économistes sont-elles à ce point précises ? Il faut d’ailleurs constater qu’ils peuvent changer d’avis puisque les collègues de M.M. Brown voient désormais dans la terre-mère de l’humanité une zone en forte croissance et surtout riche de promesses pour l’avenir, au point que certains vont jusqu’à suggérer qu’elle pourrait devenir le centre d’une prochaine économie-monde. Puissent-ils ne pas se tromper, cette fois ! Confrontés aux réalités du présent, les Africains – du « Continent » ou de la diaspora – se montrent néanmoins moins optimistes en général. Tel est en particulier le cas de Moïse Touré qui a conçu et mis en scène ce spectacle dont le titre est suffisamment éloquent à cet égard.

2147 – Et si l’Afrique disparaissait ? est une pièce composite qui fait alterner récitation de textes emblématiques de la situation actuelle du Continent, marquée par toutes les tares qu’on ne connaît – hélas ! –  que trop bien, avec de rares envolées vers un futur différent, et des morceaux dansés chorégraphiés par Jean-Claude Gallotta. Ils sont six danseurs, trois garçons et trois filles (ou faut-il dire trois femmes et trois hommes ?), deux récitants, une chanteuse et un guitariste qui se produisent alternativement ou ensemble sur le plateau. Pas d’autres accessoires que deux tabourets et deux micros (plus les inévitables – !?! – micros d’oreille).

2147 – Et si l’Afrique disparaissait ? tient ses promesses : les extraits des textes empruntés à toute une pléiade d’auteurs sont pertinents et les pièces dansées, si elles n’exigent aucune prouesse technique, sont variées et bien réglées. Enfin, la musique enregistrée évite la monotonie de trop de « tubes » africains.

Pourquoi cet honnête spectacle n’a-t-il pas soulevé complètement notre enthousiasme ? Peut-être simplement à cause du montage de textes. Il ne suffit pas en effet d’être pertinent pour se montrer passionnant. Certes, l’Afrique est porteuse de trop de tragédies pour ne pas être – hélas ! – un bon sujet pour la littérature, comme tant d’écrivains l’ont prouvé, y compris parmi ceux qui sont mis ici à contribution. Mais réduits ici à l’état de patchwork, les textes ont paru se banaliser, même si certains retenaient davantage l’attention. Par exemple une sympathique utopie fouriériste (enregistrée par Stanislas Nordey) qui imagine toute la population de la terre regroupée dans une unique ville, située en l’occurrence en France en raison de son climat tempéré, et qui laisserait le reste de la planète revenir à la nature sauvage, en dehors des portions qui seraient tour à tour mises en culture par des escouades de travailleurs venus de cette unique ville.

 

PS/ La critique théâtrale étant un art et non une science, on confrontera utilement notre point de vue avec celui, ci-après, de Roland Sabra

 

En tournée à Tropiques-Atrium, Fort-de-France, le 14 avril 2018.