L’ Afrique d’hier et d’aujourd’hui à la Fondation Clément

Exposition ouverte jusqu’au 6 mai 2018

Masque Dan (Côte d’Ivoire)

— Par Selim Lander —

Depuis que les locaux de la Fondation Clément se sont agrandis de nouveaux espaces muséaux, des expositions prestigieuses y sont organisées chaque année. Après la rétrospective Télémaque, en 2016, puis Le Geste et la Matière, en partenariat avec le Centre Pompidou, en 2017, voici, tirées des collections de la Fondation Dapper, une sélection d’œuvres majeures de la statuaire africaine accompagnée de quelques créations de plasticiens africains contemporains.

La découverte des sculptures africaines, masques, statuettes, par les artistes européens, Braque et Picasso en tête, au début du XXe siècle fut comme un coup de tonnerre. Elle leur a donné la liberté à laquelle ils aspiraient, apportant la confirmation que l’art et plus précisément la représentation de la figure humaine n’avaient pas besoin d’être réalistes pour être expressifs et même, d’une certaine manière, fidèles. Le cubisme est la manifestation la plus directe de l’influence africaine mais la tendance à l’épuration des formes – chez un Brancusi, par exemple – en procède également directement. L’inspiration née de la sculpture africaine se voit chez Picasso dans nombre de ses peintures, y compris les plus célèbres comme Les Demoiselles d’Avignon ou Guernica. Le constat vaut encore plus pour les tableaux et les gravures de Wifredo Lam dans lesquels les formes directement empruntées à l’Afrique sont omniprésentes.

Reliquaire Fang (Cameroun)

Stylisation, déformation dans une figuration qui demeure expressive et émouvante, tels sont les principaux apports de la statuaire africaine au « Musée imaginaire » de la sculpture mondiale. Relisons cependant Malraux : « Le surnaturel sauvage suggère un chemin, fût-il menaçant ; car vers l’immémorial, vers la caverne, le plus sinistre fétiche est un intercesseur. Le contraire du ciel étoilé. Il nous mène à travers la part brumeuse du monde, à travers la nôtre. Comme le mythe »[i]. C’est insister, chez Malraux, sur le sens originel, magico religieux, des œuvres. Le catalogue de l’exposition, rédigé par des auteurs aux frontières de l’anthropologie et de l’histoire de l’art, fait de même et nul ne se plaindra d’être informé de l’usage rituel des sculptures présentées à notre admiration. Il n’en demeure pas moins que si ces œuvres parlent, aujourd’hui, au plus grand nombre, si elles touchent des visiteurs de toutes sortes, parmi lesquels certains n’ont aucun lien avec l’Afrique, les Africains et leurs cultures ancestrales, si la découverte des statuettes et masques africains fut un tel choc pour les artistes européens au début du XXe siècle, cela n’a pas grand-chose à voir avec les rites pour lesquels ils furent fabriqués. Ces artistes y ont vu la manifestation de la révolution esthétique qu’eux-mêmes cherchaient encore à tâtons. Ils ont été confortés dans leur volonté de s’affranchir des règles apprises afin de laisser s’exprimer en eux la même puissance d’imagination que celle dont témoignaient les ouvrages des « primitifs ».

Encore cela ne suffirait-il pas pour émouvoir l’amateur d’art africain si beaucoup de ces sculptures dont certaines s’enfoncent dans la nuit des temps, et dont les auteurs n’ont laissé aucune trace, ne témoignaient d’une perfection technique et d’une sensibilité qui conduisent à les ranger sans hésiter parmi les chefs d’œuvre de l’humanité[ii].

Omar Victor Diop

Tout n’est pas de ce niveau dans la sélection de la Fondation Dapper montrée en Martinique, le souci de la commissaire, Christiane Falgayrettes-Leveau, présidente de la Fondation, étant plutôt de faire ressortir la diversité des œuvres tant dans leur usages que dans leurs origines, comme en témoigne l’organisation à la fois géographique et thématique des deux premiers volets de l’exposition.

Si la chronologie est absente de ces deux volets où les masques et statuettes ne sont, par la force des choses, le plus souvent pas datées, la dernière partie de l’exposition s’intéresse aux plasticiens contemporains, le plus connu étant Ousmane Sow  (seul Africain membre de l’Académie française des Beaux-Arts) représenté ici par une impressionnante statue de Toussaint Louverture plus grande que nature. Cette section rassemble dix peintres à côté de cinq photographes et deux sculpteurs. À noter la présence de seulement trois femmes, un déséquilibre qui, il est vrai, n’est pas propre à l’Afrique.

Si l’on n’a rien à redire à la sélection des artistes contemporains présentés ici, tous capables de communiquer des choses personnelles dans une forme plaisante à l’œil (eh oui ! quoi qu’on en dise, l’art a encore à voir avec le beau pour la plupart d’entre nous), il n’en demeure pas moins que le contraste entre la situation de ces quelques artistes d’aujourd’hui lancés dans le circuit international et les sculpteurs de la vieille Afrique plongés dans l’anonymat peut laisser une impression de malaise. Comme si l’on pouvait mettre sur le même plan des trésors de la statuaire mondiale produits par des personnes dont nous ignorons tout mais dont la maîtrise et le talent éclatent aux yeux et des œuvres – qui encore une fois ne déméritent pas dans le paysage contemporain – mais qui portent fatalement les stigmates d’une époque où l’art est de plus en plus marqué par la facilité, la recherche du gag et plus généralement une désinvolture que la prétention à théoriser de certains de ses acteurs ne parvient pas à dissimuler.

Chéri Samba

 

 

Masque Dan (Côte d’Ivoire)

Depuis que les locaux de la Fondation Clément se sont agrandis de nouveaux espaces muséaux, des expositions prestigieuses y sont organisées chaque année. Après la rétrospective Télémaque, en 2016, puis Le Geste et la Matière, en partenariat avec le Centre Pompidou, en 2017, voici, tirées des collections de la Fondation Dapper, une sélection d’œuvres majeures de la statuaire africaine accompagnée de quelques créations de plasticiens africains contemporains.

La découverte des sculptures africaines, masques, statuettes, par les artistes européens, Braque et Picasso en tête, au début du XXe siècle fut comme un coup de tonnerre. Elle leur a donné la liberté à laquelle ils aspiraient, apportant la confirmation que l’art et plus précisément la représentation de la figure humaine n’avaient pas besoin d’être réalistes pour être expressifs et même, d’une certaine manière, fidèles. Le cubisme est la manifestation la plus directe de l’influence africaine mais la tendance à l’épuration des formes – chez un Brancusi, par exemple – en procède également directement. L’inspiration née de la sculpture africaine se voit chez Picasso dans nombre de ses peintures, y compris les plus célèbres comme Les Demoiselles d’Avignon ou Guernica. Le constat vaut encore plus pour les tableaux et les gravures de Wifredo Lam dans lesquels les formes directement empruntées à l’Afrique sont omniprésentes.

Reliquaire Fang (Cameroun)

Stylisation, déformation dans une figuration qui demeure expressive et émouvante, tels sont les principaux apports de la statuaire africaine au « Musée imaginaire » de la sculpture mondiale. Relisons cependant Malraux : « Le surnaturel sauvage suggère un chemin, fût-il menaçant ; car vers l’immémorial, vers la caverne, le plus sinistre fétiche est un intercesseur. Le contraire du ciel étoilé. Il nous mène à travers la part brumeuse du monde, à travers la nôtre. Comme le mythe »[i]. C’est insister, chez Malraux, sur le sens originel, magico religieux, des œuvres. Le catalogue de l’exposition, rédigé par des auteurs aux frontières de l’anthropologie et de l’histoire de l’art, fait de même et nul ne se plaindra d’être informé de l’usage rituel des sculptures présentées à notre admiration. Il n’en demeure pas moins que si ces œuvres parlent, aujourd’hui, au plus grand nombre, si elles touchent des visiteurs de toutes sortes, parmi lesquels certains n’ont aucun lien avec l’Afrique, les Africains et leurs cultures ancestrales, si la découverte des statuettes et masques africains fut un tel choc pour les artistes européens au début du XXe siècle, cela n’a pas grand-chose à voir avec les rites pour lesquels ils furent fabriqués. Ces artistes y ont vu la manifestation de la révolution esthétique qu’eux-mêmes cherchaient encore à tâtons. Ils ont été confortés dans leur volonté de s’affranchir des règles apprises afin de laisser s’exprimer en eux la même puissance d’imagination que celle dont témoignaient les ouvrages des « primitifs ».

Encore cela ne suffirait-il pas pour émouvoir l’amateur d’art africain si beaucoup de ces sculptures dont certaines s’enfoncent dans la nuit des temps, et dont les auteurs n’ont laissé aucune trace, ne témoignaient d’une perfection technique et d’une sensibilité qui conduisent à les ranger sans hésiter parmi les chefs d’œuvre de l’humanité[ii].

Omar Victor Diop

Tout n’est pas de ce niveau dans la sélection de la Fondation Dapper montrée en Martinique, le souci de la commissaire, Christiane Falgayrettes-Leveau, présidente de la Fondation, étant plutôt de faire ressortir la diversité des œuvres tant dans leur usages que dans leurs origines, comme en témoigne l’organisation à la fois géographique et thématique des deux premiers volets de l’exposition.

Si la chronologie est absente de ces deux volets où les masques et statuettes ne sont, par la force des choses, le plus souvent pas datées, la dernière partie de l’exposition s’intéresse aux plasticiens contemporains, le plus connu étant Ousmane Sow  (seul Africain membre de l’Académie française des Beaux-Arts) représenté ici par une impressionnante statue de Toussaint Louverture plus grande que nature. Cette section rassemble dix peintres à côté de cinq photographes et deux sculpteurs. À noter la présence de seulement trois femmes, un déséquilibre qui, il est vrai, n’est pas propre à l’Afrique.

Si l’on n’a rien à redire à la sélection des artistes contemporains présentés ici, tous capables de communiquer des choses personnelles dans une forme plaisante à l’œil (eh oui ! quoi qu’on en dise, l’art a encore à voir avec le beau pour la plupart d’entre nous), il n’en demeure pas moins que le contraste entre la situation de ces quelques artistes d’aujourd’hui lancés dans le circuit international et les sculpteurs de la vieille Afrique plongés dans l’anonymat peut laisser une impression de malaise. Comme si l’on pouvait mettre sur le même plan des trésors de la statuaire mondiale produits par des personnes dont nous ignorons tout mais dont la maîtrise et le talent éclatent aux yeux et des œuvres – qui encore une fois ne déméritent pas dans le paysage contemporain – mais qui portent fatalement les stigmates d’une époque où l’art est de plus en plus marqué par la facilité, la recherche du gag et plus généralement une désinvolture que la prétention à théoriser de certains de ses acteurs ne parvient pas à dissimuler.

Chéri Samba

 

 

Afriques – Artistes d’hier et d’aujourd’hui, Fondation Clément, Le François, Martinique, du 21 janvier au 6 mai 2018.

Catalogue sous la direction de Christiane Falgayrettes-Leveau, préface de Patrick Chamoiseau. Paris, Éd. Hervé Chopin et Fondation Dapper ; Le François (Martinique), Fondation Clément. 2018, 240 p., 28,50 €.

 

 

[i] André Malraux, La Métamorphose des dieux, III – L’intemporel, Gallimard, 1976. Repris in André Malraux, Écrits sur l’art (II), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2004, p. 915.

[ii] Le marché de l’art s’est emparé des objets africains. Les plus rares, pourvus d’un pedigree convaincants, atteignent désormais des sommets. Par exemple un million d’euros pour un simple appui-nuque Lega (RDC) proposé à la Tefaf Maastricht.

Afriques – Artistes d’hier et d’aujourd’hui, Fondation Clément, Le François, Martinique, du 21 janvier au 6 mai 2018.

Catalogue sous la direction de Christiane Falgayrettes-Leveau, préface de Patrick Chamoiseau. Paris, Éd. Hervé Chopin et Fondation Dapper ; Le François (Martinique), Fondation Clément. 2018, 240 p., 28,50 €.

 

 

[i] André Malraux, La Métamorphose des dieux, III – L’intemporel, Gallimard, 1976. Repris in André Malraux, Écrits sur l’art (II), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2004, p. 915.

[ii] Le marché de l’art s’est emparé des objets africains. Les plus rares, pourvus d’un pedigree convaincants, atteignent désormais des sommets. Par exemple un million d’euros pour un simple appui-nuque Lega (RDC) proposé à la Tefaf Maastricht.