Selim Lander

Hommage de la Martinique à Christiane Eda-Pierre

— Par Selim Lander —

Christiane Eda-Pierre, née en 1932 à Fort-de-Fance, décédée le 6 septembre 2020 à Faye-l’Abesse (Deux Sèvres), était issue d’une famille d’artistes. Sa tante, Paulette Nardal, est l’une des fondatrices de la revue l’Etudiant Noir, celle-là même où Césaire introduira le terme « négritude » dans un article. La mère de la future cantatrice, Alice Nardal, était professeur de musique et l’on compte également des musiciens parmi ses grands-parents. Quant à Christiane Eda-Pierre elle-même, après de très brillantes études au Conservatoire, à Paris (premier prix d’opéra, premier prix de chant, premier prix d’opéra comique), elle se fit rapidement connaître comme soprano lyrique virtuose  (car à l’aise dans les notes les plus aiguës) et entama une carrière qui prit bientôt une dimension internationale, l’amenant à se produire sur les scènes des plus grands opéras du monde.

La cantatrice s’est illustrée dans un vaste répertoire allant du baroque aux œuvres contemporaines. Elle connut ses premiers succès dans le Pécheur de perles de Georges Bizet, elle a beaucoup fréquenté Mozart, s’est fait remarquer dans les Contes d’Hoffmann mis en scène par Patrice Chéreau, a participé à plusieurs créations dont le Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen, etc.

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Danse par temps de Pandémie

Deux soirées danse comme pour augurer que la pandémie sera bientôt derrière nous et que la saison culturelle pourra reprendre normalement. Puisse le proche avenir le confirmer.

— Par Selim Lander —

Obsoletum de et avec Joss et Resist

Deux danseurs sur le plateau. Joss (Jean-Michel Garraud) accroupi pendant que Resist (Yves Milôme) joue avec une chaise en clamant un texte dont il est l’auteur. Après ce début qui paraît un peu laborieux, tout change lorsque Joss se réveille et se met à danser, bientôt suivi par son compagnon, en alternance conformément aux règles de la breakdance où chacun présente tour à tour son numéro. Avec les passages obligés comme lorsque Joss se met à tournoyer sur la tête. Les meilleurs moments, cependant, sont ceux où les deux se mettent à danser/jouer ensemble. Il se noue alors entre eux une réelle complicité lorsqu’ils se reconnaissent, se saluent. La chaise, quand elle est partagée, prend alors tout son sens. Si l’un apparaît plus fringant que l’autre et capable de figures plus compliquées, cela ne nuit pas à la qualité de cette pièce qui est justement destinée à montrer l’effet du passage des années sur le corps et la technique des danseurs.

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Vitalité du théâtre en Martinique

— Par Selim Lander —

En Martinique on cultive les lettres de longue date et si elle sont moins connues que sa poésie, Césaire s’est également illustré par ses pièces de théâtre. Bien que les auteurs contemporains soient contraints de s’en tenir à des formats plus modestes que le maître, la tradition se perpétue avec de belles réussites. L’association ETC (pour Ecritures théâtrales contemporaines) – Caraïbe, présidée par Alfred Alexandre, lui-même auteur talentueux, est au service des dramaturges martiniquais, guadeloupéens et, dans une moindre mesure, conformément à sa raison sociale, caribéens. Elle a organisé les 9 et 10 novembre 2021, en relation avec l’Université des Antilles, des « Théâtrales » qui sont autant d’occasions de rencontres avec des auteurs et des textes d’aujourd’hui. Des Antilles ou d’ailleurs car les auteurs doivent s’ouvrir au monde, particulièrement sur une île. En l’occurrence, c’est un auteur venu de France qui est venu apporter le vent du large.

Chemin forgeant de Bernard Lagier

A tout seigneur tout honneur, il est logique de commencer cette brève revue par celui qui fait désormais office de doyen du théâtre martiniquais.

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Sonmiziksonpawol d’Annick Justin Joseph

— Par Selim Lander —

Il y a longtemps qu’Annick Justin Joseph porte ce projet d’hommage au musicien martiniquais Henri Brival (1933-), artiste lamentinois qualifié d’« extravagant », ce qui ne l’a pas empêché de voyager à travers le monde avec son « bwa ronflé » (ou « wonflé), instrument de son invention composé d’une caisse en bois (isorel) que l’on caresse avec un bâton et qui produit des sortes de barrissements. Sur la scène du théâtre municipal de Fort-de-France, un de ses disciples faisait la démonstration de cet instrument aussi rustique qu’original.

Sonmiziksonpawol mêle les chants, la danse et les chansons, par exemple « Alexandre pati » de Léona Gabriel-Soïme (dite « Estrella », 1891-1971), qui introduisit la biguine à Paris, et écrivit et interpréta de nombreuses chansons, en particulier cette fameuse « Alexandre pati » dont il reste d’ailleurs un enregistrement par elle-même. Cette diversité est l’un des atouts de Sonmiziksonpawol, une pièce servie ici par des interprètes appréciés des Martiniquais, y compris James Germain, grande voix d’Haïti, qui s’est produit à plusieurs reprises chez nous et qui impressionne toujours.

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Un collectionneur sous les tropiques

— Par Selim Lander —

Thierry Jarrin – Gardien 1 – 2007

Bernard Hayot, président du groupe éponyme qui s’étend bien au-delà Antilles mais dont la maison mère se trouve en Martinique, a constitué une collection de plusieurs centaines d’œuvres d’artistes caribéens, ou caribéens d’origine à l’instar d’Hervé Télémaque (Haïti) ou Philippe Thomarel (Guadeloupe), avec quelques rares exceptions (comme le Chilien Roberto Matta). Car le collectionneur, également mécène, s’avère un acteur incontournable du paysage artistique caribéen autant par ses achats que par les expositions qu’il organise sur les cimaises de son musée du François, voire hors de Martinique (Paris, Miami). Ce mécénat explique sans doute, au-delà des goûts du collectionneur, l’éclectisme d’une collection dont les quelques œuvres reproduites ici ne rendent absolument pas compte.

Hervé Télémaque – Et la narine d’Amin n°2 – 1977

Bruno Pedurand – La découverte – 2008 -détail

Celle-ci comporte en effet aussi bien des peintures que des sculptures sur divers supports, des assemblages ou des photographies, œuvres figuratives et abstraites qui traduisent tantôt une technique sophistiquée tantôt relèvent d’un art brut. En réalité, en dehors des grandes installations qui y font défaut, cette riche collection apparaît largement représentative de l’art actuel, « moderne » ou « contemporain ».

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Petites forme 2021 : Evan Placey, Ina Césaire, Alfred Alexandre

— Par Selim Lander —

Ces filles-là : rafraîchissant

Traiter un thème grave sans jamais se prendre au sérieux : n’est-ce pas le premier secret du théâtre moral ? Car on peut bien parler de « théâtre moral » à propos de cette pièce. Il ne s’agit pas en effet ici de dénoncer les injustices dont seraient victimes une catégorie sociale – comme l’exploitation d’une classe par une autre – auxquelles un changement de politique pourrait remédier, mais de faire prendre conscience d’un travers qui semble inhérent à la nature humaine, à savoir la recherche d’un bouc-émissaire : soit comment « oublier » ses propres travers en désignant un responsable de tous nos maux. Ainsi, en Martinique, on chargera la « caste béké » du péché du chlordécone comme si l’île « toute entière », c’est-à-dire plus précisément les planteurs petits et gros et les élus, avec la complicité des syndicats, ne s’étaient pas entendus pour demander dérogations sur dérogations (ce qui n’exonère évidemment pas une administration structurellement trop complaisante).

Evan Placey s’intéresse à un cas particulier de bouc-émissaire : le souffre-douleur des cours de récréation, ou plutôt la souffre-douleur, en l’occurrence.

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« Le Déparleur » au Saint-Esprit le 17 mai à 19h

« Tu sais quelquefois on se demande à quoi que ça sert, tout ça, tout ce mal qu’on se donne. Et les matins qui se répètent. Putain de Dieu. Y a des jours où je voudrais être déjà dans le trou. D’ailleurs j’ai jamais été bien que dans des trous… ». Ainsi débute Le Déparleur. Un personnage se raconte, il est au bout du rouleau, il se remémore les principales étapes d’une vie de misères plus que de bonheurs qui l’ont conduit là où il est enfin parvenu, sur un bout de trottoir d’où il harangue les passants.

Ce « seul en scène » est un monologue adressé au public, divisé en dix brèves parties, chacune traitant d’un thème particulier, récit d’un épisode vécu ou considérations plus générales (l’alcool, les trafics de drogue, la démocratie, la révolution, la médecine, etc.), tous sujets à propos desquels le personnage « déparle », nourri par son expérience et ses lectures. Une chanson enregistrée ouvre la pièce et quelques poèmes en voix off sont insérés au fil du spectacle. Durée : une heure.

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Courtes Lignes dans le « Jardin d’Alphonse »

Par Selim Lander

Décourageant.e.s ces sacré.e.s Courtes Lignes. Pour ceux qui l’ignoreraient encore – mais qui en Martinique le pourrait, tant leur renommée y est avérée après des années de tournées triomphales ? – les Courtes Lignes sont des comédiens guadeloupéens spécialistes du Boulevard dans ce qu’il a de meilleur, celui qui fuit la vulgarité et fait rire sans oublier d’émouvoir. Décourageants pour le critique qui ne peut que rendre une fois de plus hommage au talent de cette troupe, celui qu’elle montre en l’occurrence dans le Jardin d’Alphonse de Didier Caron, un huis clos familial (même s’il se passe dans le plein-air d’un jardin) seulement troublé par un couple d’amis « hauts en couleur » (comme dit justement le programme). De cette famille, on ne verra pas l’Alphonse du titre, il en est le grand-père que l’on vient d’enterrer. Il sera donc question d’héritage mais seulement en passant. On s’intéresse plutôt aux secrets de famille, lesquels, comme il se doit au théâtre, finiront par être dévoilés. Pourquoi cette rumeur faisant d’Alphonse un accapareur des biens des juifs sous l’Occupation ? Pourquoi Magali, la petite-fille d’Alphonse est-elle ainsi sur les nerfs et semble tellement en vouloir à Jean-Claude, son père (et fils d’Alphonse) et pourquoi son frère Serge est-il lui aussi sur les nerfs au point de se montrer grossier ?

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Bonnes feuilles : « La Mutine », roman

La Mutine, petite île des tropiques, fait face à une grève générale. Les syndicats soutenus par la majorité de la population réclament une hausse du niveau de vie tandis que les patrons s’inquiètent pour leurs profits. Chaque camp manœuvre afin de se mettre l’État français dans la poche. Pendant ce temps, les indépendantistes avancent leurs pions… Michel, professeur de philosophie venu de Métropole, assiste à ce cirque avec consternation. Lui continue de faire cours tout en coulant des jours heureux avec Belle, une Créole à la sensualité torride, artiste-peintre à ses heures. Face aux tensions sociales qui s’exacerbent, au racisme qui se réveille, l’enseignant prône les vertus de la raison. Mais le destin de l’une de ses élèves, fille de l’un des grands Blancs de l’île, va basculer jusqu’au meurtre… La Mutine est une fresque haute en couleur aux allures de roman policier et aux accents de pamphlet politique. S’inspirant du conflit social qui paralysa la Martinique et la Guadeloupe en 2009, l’auteur, désormais directeur de Mondesfrancophones / qui collabore de temps à autre à Madinin-art (dernièrement avec un article sur la politique commerciale d’Air France), fabrique une fable édifiante sur ces / nos territoires insulaires où la température monte plus facilement qu’ailleurs.

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Instants / instantanés : les « Haïkus Martinique » de Michel Herland

— Par Daouia Gacem —

Le signe calligraphié d’un H parcourt le petit recueil poétique « Haïkus Martinique » de Michel Herland, universitaire, économiste, essayiste, romancier, poète.

Il s’inscrit ici dans la lignée des auteurs français francophones comme P. Claudel, P. Eluard, Stéphanie Le Bail…, lesquels, séduits par la force de cette forme ultra courte de la poésie japonaise, se sont efforcés de la transcrire dans notre langue. Les difficultés de l’exercice sont multiples car il ne suffit pas en effet d’amaigrir un alexandrin trop bavard, d’enfermer un sonnet dans un tercet.

Cinq syllabes, puis sept et à nouveau cinq rythment les trois lignes de vers enrichis d’allitérations, d’assonances, de sonorités suggestives, quelques rares rimes. La versification seule pourrait faire japonisant mais ne ferait pas le haïku. Il y faut aussi toutes les richesses d’un instant évoqué.

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Cinéma de Russie – « Arythmie »

— Par Selim Lander —

Dans le panorama des cinémas du mode auquel nous convie régulièrement Steve Zebina, retour en ce mois de mai vers la Russie. Il est toujours surprenant de constater combien les cinémas nationaux gardent leur spécificité malgré la mondialisation culturelle. Le cinéma démontre en effet qu’il ne suffit pas d’avoir un Mac Do au coin de sa rue et des séries américaines au programme de la télé pour perdre totalement son âme. Cette résilience des identités nationales (ethniques, religieuses, …) est-elle un bien, un mal ? Un bien, sans doute, puisque la diversité est une richesse et un mal sans davantage de doute puisque les nations, ethnies, religions ne sont que trop portées à se faire la guerre.

Le cinéma russe contemporain affectionne les personnages déprimés qui cherchent à soigner leur chagrin dans les boissons fortes et les décors mélancoliques. Un homme au cerveau embrumé par l’alcool (vodka) qui erre dans la brume, voilà un personnage typique des films russes. Pour le cinéma sud-coréen, ce serait plutôt un homme au cerveau embrumé par l’alcool (de riz) qui déblatère dans une gargote.

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Exposition « Pictural » : peinture actuelle en Martinique

Par Selim Lander

Après l’exposition tirée du fonds de l’entreprise Renault, présentant quelques grands noms des arts plastiques du XXe siècle, la Fondation Clément a eu l’excellente idée de réunir trente-cinq artistes martiniquais toujours actifs dans une exposition collective intitulée Pictural. « Pictural » comme peinture, même si l’on n’est pas surpris de trouver des exceptions au châssis rectangulaire habituel, tant les frontières entre peinture, sculpture, installation se sont désormais estompées.

Si l’art contemporain, on ne le sait que trop, trop souvent déçoit (« le n’importe quoi ou le presque rien » selon la formule célèbre de Jean Clair), ce n’est nullement le cas des œuvres rassemblées ici, à quelques réserves inévitables près. Aucune mièvrerie dans cette exposition, et si les silhouettes « approximativement » dessinées sont de rigueur, ce n’est pas gaucherie ou maladresse mais simplement parce que l’avènement de la photographie a « tué » le dessin académique (sauf chez de rares récalcitrants qui font parfois figure désormais de révolutionnaires. Voir le portrait par Claude Cauquil reproduit en tête de cet article). On sait d’ailleurs, depuis Münch et d’autres, qu’une physionomie n’a pas besoin d’être exacte ni même précise pour être réaliste et expressive.

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« Noir, la couleur qui tue », un livre de Lucien Cidalise-Montaise

Sé pa tout’ poule ki chanté ki pond

— Par Michel Herland —

Un architecte, engagé dans diverses opérations d’intérêt général liées à l’habitat au cours de sa vie professionnelle, a pris la plume, la retraite venue, pour défendre les nombreuses causes qui lui tiennent à cœur, au-delà de la dénonciation du racisme évoquée par le titre. Les textes rassemblés ici, dont certains ont été déjà publiés sur Madinin-art ou dans France Antilles, témoignent avant tout de la désespérance d’un homme n’ayant jamais abandonné sa foi communiste et son idéal révolutionnaire devant l’absence de perspective pour notre île.

Dans ces chroniques, on le voit tout à tour honorer Mandela, se réjouir des élections successives d’Obama, appeler à voter Mélanchon lors des dernières présidentielles françaises. Mais c’est la Martinique qui l’intéresse au premier chef. On n’est pas surpris de le voir pourfendre la gouvernance de la CTM, alliance contre-nature de la carpe et du lapin, et, plus généralement, dénoncer « la lâcheté, l’évanescence morale de nombreux politiciens ». S’il s’abstient, en général, de nommer les personnes, il fait des exceptions remarquables pour Yann Monplaisir, personnification du capital honni, et, de manière moins attendue, pour Chamoiseau.

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« Seulaumonde » de Damien Dutrait avec N.-R. Madel

— Par Selim Lander —

Dans un récent billet[i], nous nous interrogions sur le paradoxe du comédien tenu de « jouer vrai ». On exige de lui qu’il s’accapare son personnage de telle sorte que les spectateurs puissent y croire, tout en restant constamment conscient qu’il ne fait que jouer. Evidemment, les spectateurs, qu’ils adhèrent ou non au personnage – du moins les spectateurs aguerris, ceux qui forment le public habituel des théâtres – ne peuvent eux-mêmes pas ignorer que ce qui se déroule sur le plateau n’est qu’un jeu : l’illusion n’est pas complète. Sauf que, n’en déplaise à Diderot, il n’est pas rare qu’un comédien, même un bon, se laisse par moments envahir par son personnage au point de s’oublier lui-même. Les mots sortent de sa bouche comme les siens, il oublie qu’il récite le texte d’un autre qu’il a appris par cœur. Et dans ce cas, il n’est pas rare que les spectateurs – même aguerris – oublient par moments, eux aussi, où ils se trouvent et identifient le comédien à son personnage, voire s’identifient eux-mêmes au personnage.

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RCM 2019 – Cinq courts métrages du GREC

— Par Selim Lander —

Le Groupe de recherches et d’essais cinématographiques sélectionne des projets auxquels il accorde une modeste bourse pour leur réalisation, une aide pour un premier film. Les cinq films présentés lors des RMC témoignent de l’éclectisme des comités de sélection, même si l’on peut regretter que trois d’entre eux – Cilaos, Pays rêvé/pays réel et Francilia/Braids of Space and Time – entretiennent un rapport plus ou moins lointain avec l’outre-mer. Si cela partait certainement d’un bon sentiment, sans doute aurait-il mieux valu proposer aux réalisateurs martiniquais présents lors de la projection à l’Atrium des expériences les éloignant de l’univers qu’ils ont naturellement tendance à explorer.

D’autant que, bien malencontreusement, les trois films fléchés outre-mer sont justement ceux qui nous ont le moins intéressé.

Cilaos de Camilo Restrepo (Colombie) est tourné dans un entrepôt de la banlieue parisienne. Qui l’ignorerait pourrait croire que l’équipe s’est déplacée à la Réunion, ce qui n’est pas le cas. Cette mystification est un point positif du film. Par ailleurs, les comédiens imposent leur présence et la photo instaure un univers glauque en accord avec le propos : une jeune femme part à la recherche de son père, dit « Bouche » qu’elle n’avait jamais rencontré ; quand elle arrive « sur place », à Cilaos, elle apprend qu’il vient de mourir et qu’il était de surcroît un individu peu recommandable.

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RCM 2019 – Images en temps de grève

— Par Selim Lander —

Les RCM ont marqué l’anniversaire des dix ans de 2009 par un hommage à une initiative originale dans le domaine audiovisuel, la Télévision Otonom Mawon qui fonctionna quelques semaines lors des événements. Christian Foret qui fut à l’origine de l’entreprise a présenté un montage des images captées pendant la brève période de fonctionnement de la TOM, des images qui furent diffusées à l’antenne et des images tournées dans les locaux du TOM (le Théat Otonom Mawon) mis à la disposition de la télévision libre par la mairie de Fort-de-France. Ce documentaire, monté ex post pour les RCM, rend agréablement compte de cette expérience éphémère où l’autogestion s’apprenait au jour le jour.

Les émissions de la TOM fabriquées avec des bouts de ficelle – des collaborateurs bénévoles et des moyens techniques minima – étaient reprises par la chaîne KMT et diffusées également sur le net. Quel était leur impact sur le mouvement ? La chaîne avait-elle une ligne claire, favorable au mouvement ou déontologiquement neutre ? Ou chacun faisait-il ce qu’il voulait dans un désordre à peine organisé ?

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RCM 2019 – « Samouni Road » de Stefano Savona

— Par Selim Lander —

Après Un homme est mort (notre billet précédent) un autre film politique, une docu-fiction relatant une bavure de l’armée israélienne, soit une vingtaine de morts civils dans une famille élargie lors de l’opération « Plomb durci » (le nom, à lui seul, est tout un programme) dans la Bande de Gaza. On connaît la brutalité de Tsahal qui n’hésite pas tuer froidement une centaine de Palestiniens (par bombardement ou tirs à bout portant) pour tout Israélien tué : entre le 27 décembre 2008 et le 19 janvier 2009, 1315 Palestiniens ont été tués contre 13 Israéliens selon Wikipedia. Il s’agit de terroriser les terroristes en se montrant encore plus cruels qu’eux. A voir comment ils votent, les Israéliens sont majoritairement favorables à cette politique dont on imagine mal, pourtant, qu’elle puisse conduire à la paix. Il est vrai qu’ils y sont encouragés par les puissances grandes et moyennes, Arabie saoudite comprise, qui se bornent à financer la reconstruction des bâtiments et installations diverses bombardées par Israël sans jamais lui présenter la note.

Là-dessus se greffent le souvenir de la Shoa et la dénonciation de l’antisémitisme et de l’antisionisme.

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RCM 2019 – « Un homme est mort » d’Olivier Cossu

— Par Selim Lander —

Brest, 1950. Après les bombardements alliés, la ville est un immense chantier de construction. Puisque, en effet, la guerre c’est d’abord détruire et après, bien sûr, reconstruire… jusqu’à la prochaine. En ce temps-là, malgré les acquis de 36 et de la Résistance, les temps sont durs pour les ouvriers. Certes, ils ne vivent pas dans la hantise du chômage comme aujourd’hui mais les salaires sont bas et le travail se fait encore, pour l’essentiel, à la main. Alors on se met en grève et on manifeste. Autre différence avec aujourd’hui où, face aux gilets jaunes, la police a la consigne d’éviter à tout prix un accident mortel, à l’époque les gardes-mobiles étaient équipés non de flash-ball mais d’armes à feu. Quand un manifestant était tué, les autorités ne s’émouvaient pas plus que ça ; elles étaient même d’accord avec le patronat pour juger que cela pourrait hâter la fin de la grève. Rien de tel qu’une démonstration de force pour calmer les esprits, n’est-ce pas ?

Tel est le cadre du film d’Olivier Cossu, directement inspiré de la BD éponyme d’Etienne Davodeau et Kris.

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 RCM 2019 – « Nos batailles » de Guillaume Senez

— Par Selim Lander —

Tendresses

Le cinéma comme on l’aime. Rien d’extraordinaire pourtant. Ou serait-ce justement pour cela qu’il plaît, parce qu’il n’a rien d’extraordinaire ? Un film comme on sait les faire en France, sans grand moyen, sans intrigue ronflante, un film fait de tranches de vie, des vies ordinaires, des existences difficiles pour des gens qui refusent néanmoins de se laisser abattre, en dépit des épreuves, des injustices. Ici le personnage principal, Olivier, est marié à Laura et père de deux enfants en bas âge. Il est chef d’équipe dans l’entrepôt d’une société de vente par correspondance et syndicaliste. Un beau matin, Laura quitte le domicile sans prévenir personne. Le spectateur qui se demande pourquoi elle a abandonné ainsi enfants et mari et si elle reviendra, restera sur sa faim mais il se sera laissé submerger par des émotions et en premier lieu par la tendresse qui unit les principaux personnages.

Celle de Laura et d’Olivier pour leurs enfants, celle des enfants entre eux, celle – un tantinet maladroite – de la grand-mère, celle de la sœur d’Olivier envers son frère et ses enfants, celle de la « camarade » syndicaliste pour Olivier (qui ne la lui rendra pas autant qu’elle l’aurait voulu), etc.

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RCM 2019 – « Les oiseaux de passage »

— Par Selim Lander —

Agréable surprise, ce film mexicano-colombien de Ciro Guerra et Cristina Gallego en cinémascope est projeté sur un écran incurvé, autant dire qu’on en a plein les yeux, du moins au début car on oublie la technique assez vite, les réalisateurs des oiseaux de passage ne s’en servant guère. Il reste que bien maniée elle peut à notre avis remplacer avantageusement la 3D et qu’il est dommage que l’on ne voit pas davantage de films réalisés ainsi.

Les oiseaux de passage sont une sorte de thriller en pays indien (d’Amérique du Sud) avec revolvers et 4×4 en veux-tu en voilà et moult gros plans sur les visages menaçants ou inquiets des principaux personnages : au pays de la marijuana, la vie humaine ne vaut pas grand-chose en effet. Le film, qui couvre les dernières décennies du XXe siècle, raconte les conséquences de l’introduction du business de la drogue dans les communautés indiennes. Difficile pour un spectateur comme nous, qui n’est pas un connaisseur des problématiques de l’Amérique Latine, de juger de la fidélité du film par rapport à la réalité.

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RCM 2019 – « I Philip », « Have a Nice Day »

— Par Selim Lander —

Les Martiniquais se rendent-ils suffisamment compte de la chance qu’ils ont de pouvoir, grâce aux Rencontres Cinémas Martinique, visionner autant de films, rencontrer autant de professionnels du cinéma ? Une centaine de films sont programmés lors de la présente édition ! De quoi satisfaire tous les âges et tous les goûts.

Fasse au Ciel que les RCM donnent aux jeunes classes l’envie de découvrir d’autres œuvres que les blockbusters débiles vers lesquels ils se précipitent spontanément. Culture de masse / culture élitiste ? Les enseignants constatent avec effarement que le fossé, loin de se combler, est plus profond que jamais. Les déclarations des ministres n’y changeront rien : l’école n’est pas de force pour contrebalancer les médias de masse. Raison de plus pour espérer des RCM – puisque des projections scolaires sont au programme – qu’elles fassent bouger les lignes.

I, Philip : réalité virtuelle

Pour la première fois cette année, une section est consacrée à la réalité virtuelle (VR) avec 6 œuvres au programme (visibles à travers un masque). Bonne pioche : le court métrage I, Philip de Pierre Sandrowicz, film français même si ni le titre, ni la langue qui y est parlée (l’anglais dans les deux cas), ni le nom du réalisateur ne le laissent deviner.

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« Compartiment fumeuses » et « Choisir de vivre »

— Par Selim Lander —

Compartiment fumeuses : 100% féminine

Une pièce de Joëlle Fossier, M.E.S. Anne Bouvier, avec Bérengère Dautun, Sylvia Roux et Nathalie Mann.

Les indications précédentes indiquent déjà que nous sommes en présence d’une pièce à 100% par les femmes : écrite par une femme, mise en scène par une autre femme et interprétée par trois comédiennes. Compartiment fumeuses – qui se déroule en outre dans une prison de femmes – est-elle aussi une pièce pour les femmes ? Un homme que la pièce ennuie est en droit de se poser la question : peut-être n’a-t-il tout simplement pas la sensibilité requise, qu’elle soit innée ou acquise – ne prenons pas partie ici pour ou contre la théorie des genres – pour apprécier à sa juste valeur les subtilités de l’histoire qui lui est contée.

D’un rapide sondage, il s’avère que la déception produite par Compartiment fumeuses dépasse les différences de genre. Pour ma part, j’incriminerai en premier un texte qui ne quitte jamais le premier degré. Les deux personnages principaux, présents de bout en bout sur le plateau sont deux prisonnières partageant la même cellule : l’une, Blandine, après quelques minauderies, avoue qu’elle est inculpée du meurtre sur son père non sans préciser aussitôt qu’elle a droit à toutes les circonstances atténuantes, puisque ce dernier n’a cessé de la violer depuis l’âge de huit ans.

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Le gang de la « résidente » a encore frappé

Par Martin Troufion[i]

Après Le Talisman de la présidente signé par Corinne Mencé-Caster, voici L’Enlèvement du Mardi-Gras de Raphaël Confiant. Deux ouvrages sur l’affaire dite du Ceregmia qui a défrayé la chronique martiniquaise ces dernières années. Dans les deux cas, plutôt que de produire un compte-rendu des faits qui aurait pu être discuté, critiqué, l’ancienne présidente de l’ex-Université des Antilles de la Guyane et celui qui, en tant que doyen de la faculté des lettres, fut à la manœuvre à ses côtés, ont préféré chacun la forme du roman à clé qui permet toutes les fantaisies, toutes les approximations, le but n’étant pas de dire la vérité mais de présenter un plaidoyer pro domo en exagérant les torts de l’adversaire et en gommant soigneusement toutes les fautes, toutes les irrégularités commises par son parti (comme par exemple le fait de bloquer l’accès à l’université).Tout cela pour finir par un appel au lecteur invité à compatir au sort de deux héros, pures victimes du conflit, la première si épuisée par le combat qu’elle ne put assumer davantage la charge de la présidence (alors qu’elle était tenue de laisser la place à un autre), le second « sujet à de fréquents et violents maux de tête » et « conscient de bâcler ses livres depuis quatre ans »[ii].

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« Et pendant ce temps Simone veille » par les Buv’Art

— Par Selim Lander —

Salle comble au théâtre municipal, à l’occasion de la Journée de la femme, pour la reprise de cette pièce qui avait déjà connu un grand succès l’année dernière en Martinique. Toujours emmenées par Marie Alba, les comédiennes nous rappellent dans la bonne humeur les principales étapes des luttes des femmes et des avancées du féminisme depuis l’obtention du droit de vote en 1946. Elles sont trois représentatives respectivement du milieu populaire, de la classe moyenne et de la classe supérieure. Trois comédiennes qui incarneront chacune successivement trois générations de femmes prises en 1970, 1990 et 2010. Trois plus une, laquelle, depuis son pupitre, apportera les précisions historiques indispensables (chiffes, dates, lois). Sait-on par exemple que les femmes n’ont été légalement autorisées à porter le pantalon qu’en 2013 ? Encore s’agit-il d’un sujet bénin pour lequel les mœurs avaient depuis longtemps précédé le droit. Mais ce n’est pas toujours le cas, loin de là : jusqu’à l’adoption de la loi Veil légalisant l’avortement, combien de femmes se sont trouvées assumer une maternité non désirée à moins de se remettre entre les mains d’une « faiseuse d’ange » clandestine avec l’angoisse de n’en pas sortir vivantes ?

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