« Dieu est une femme » de Andrés Peyrot

•lundi 6 mai à 19h •mardi 7 mai à 14h •jeudi 16 mai à 14h
Par Andrés Peyrot, Elizabeth Wautlet
Titre original God is a Woman
Documentaire 3 avril 2024 en salle | 1h 25min |
Synopsis
En 1975, Pierre-Dominique Gaisseau, explorateur français oscarisé pour son documentaire Le Ciel et la Boue, se rend au Panama pour réaliser un film sur la communauté fermée des Kunas, où la femme est sacrée. Gaisseau, son épouse et leur fille Akiko vivent avec les Kunas pendant une année. Mais le projet fait faillite et la copie est confisquée par une banque. Cinquante ans plus tard, les Kunas attendent toujours de découvrir « leur » film, devenu une légende transmise par les plus anciens aux plus jeunes. Un jour, une copie cachée est retrouvée à Paris.. À travers sa forme et l’histoire qu’il raconte, Dieu est une femme interroge le rapport entre protagonistes et cinéastes de film documentaire dans une perspective de décolonisation du regard et du cinéma.

La presse en parle :
Culturopoing.com par François Armand
Beauté ultime du film, si les Kunas ne renient rien de ce qui les relie à la société des Blancs, c’est bien une voie d’émancipation qui se dessine.

La Septième Obsession par Jérémie Oro
À l’ère des réalisateurs démiurges, le cinéma n’a que rarement l’opportunité de montrer qu’il peut aussi avoir sa volonté propre. Dieu est une femme lui en offre une : se sachant vue par ceux qui doivent la voir, la pellicule respire.

L’Obs par Isabelle Danel
Le documentaire d’Andrés Peyrot, parfois maladroit mais toujours sincère, exalte finalement le pouvoir consolateur du cinéma. Où chacun trouve ce qu’il cherche.

Le Monde par M. Jo.
Près de cinquante ans plus tard, Andrés Peyrot se rend dans le village d’Ustupu, où le souvenir de cette visite reste vivace. Son documentaire contourne l’écueil qui s’offrait à lui : la critique, à cinquante ans de distance, du geste de Gaisseau serait chose trop aisée.

Les Fiches du Cinéma par Nicolas Nekourouh
Si le discours porté par « Dieu est une femme » est intéressant, ses choix esthétiques lui nuisent. En voulant éviter de tomber dans les travers du film dans les traces duquel il s’inscrit, Andrés Peyrot oublie de questionner la spécificité de son propre regard.

Libération par Sandra Onana
Le film n’est pas hyper engageant dans sa forme, mais donne du grain à moudre sur la valeur des images manquantes. La place accordée aux modes d’expression modernes de cette communauté, du rap aux études de cinéma, déjoue judicieusement le stéréotype du peuple figé dans la tradition, rendu à l’ici et maintenant.

Télérama par François Ekchajzer
À l’opposé de l’écrasement du réel que l’on devine dans certains plans de l’explorateur arrachés à l’oubli, le cinéaste helvético-panaméen signe un documentaire singulier, qui intègre à son processus d’élaboration les Kuna avec une justesse porteuse d’émotion.

aVoir-aLire.com par Laurent Cambon
Un long métrage dont il faut se méfier du titre mais qui témoigne une nouvelle fois de la puissance d’inventivité et de création du documentaire.

Première par Thierry Chèze
Andrés Peyrot raconte l’histoire de ce film et l’excitation des Kunas d’enfin le découvrir dans un geste à la fois cinématographique, sociologique et ethnologique. Mais dont une certaine primauté à la cérébralité tient un peu trop à distance.

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Les Kunas, également connus sous le nom de Tule, ne se contentent pas simplement d’être un peuple autochtone du Panama ; ils sont également réputés pour leur organisation sociale distincte et sophistiquée, qui a joué un rôle central dans leur histoire et leur résilience en tant que communauté.

Au cœur de la société kuna se trouve un système communal profondément enraciné, où les décisions importantes sont prises collectivement par le Conseil des Anciens, composé de sages et de leaders respectés. Ce conseil, appelé le « Onmaked Nega », est chargé de maintenir l’ordre social, de résoudre les conflits et de préserver les traditions ancestrales.

La structure sociale des Kunas, matrilocale, est également marquée par des liens familiaux forts et étendus, avec des clans matrilinéaires jouant un rôle essentiel dans l’identité et l’appartenance de chaque individu. Les terres et les ressources sont souvent détenues et partagées en communauté, favorisant ainsi la solidarité et la coopération entre les membres.

Un aspect notable de l’organisation sociale kuna est le rôle central des femmes dans la prise de décision et la vie communautaire. Les femmes kuna ont un statut élevé et occupent des postes de pouvoir au sein de la société, jouant un rôle clé dans la préservation des traditions culturelles, y compris la fabrication des célèbres molas.

Enfin, la société kuna est également caractérisée par son système de gouvernance unique, qui combine des éléments traditionnels et modernes. Bien que les Kunas aient leur propre système de gouvernement local, ils sont également intégrés au gouvernement panaméen, avec des représentants élus pour les représenter au niveau national.

Cette organisation sociale complexe et équilibrée a joué un rôle crucial dans la préservation de l’identité culturelle des Kunas, tout en leur permettant de s’adapter aux défis modernes tout en restant fidèles à leurs valeurs traditionnelles.

M’A

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La résurrection d’un film-fantôme : « Dieu est une femme »

Andrés Peyrot, cinéaste intrépide, se lance dans un périple cinématographique aussi fascinant que captivant à travers son documentaire du même nom dont les conditions de réalisation sont elles aussi hors du commun.

Un Retour aux Sources

Le voyage débute au Panama, terre natale de la mère d’Andrés Peyrot, où il se découvre une passion pour l’art cinématographique. Panama, pays de multiples identités, est le théâtre d’une histoire complexe, forgée par une immigration diversifiée venue construire le célèbre Canal du Panama. C’est dans ce creuset de cultures qu »Andrés Peyrot fait la rencontre d’Orgun, un cinéaste Kuna, qui le convie à partager la vie de sa communauté sur l’île d’Ustupu. C’est là que surgit l’évocation d’un film mystérieux, « Dieu est une femme », réalisé par Pierre-Dominique Gaisseau en 1975 et dédié aux Kunas.

À la Recherche des Bobines Perdues

Fasciné par cette histoire, ‘Andrés Peyrot s’engage dans une quête pour retrouver les traces de ce film disparu. Les Kunas, gardiens de la mémoire, se souviennent vaguement de « Monsieur Akiko », le réalisateur, mais les bobines restent introuvables. Le réalisateur décide alors d’explorer le passé de Gaisseau, laissant transparaître l’ombre d’un réalisateur oublié, pourtant lauréat d’un Oscar en 1962. Les récits sur Gaisseau décrivent un homme jovial, mais l’expérience du tournage laissa un sentiment d’inachèvement chez les Kunas, une déception face à un film qui n’a jamais vu le jour.

Les Mots de Turpana

La rencontre avec Arysteides Turpana, poète et figure importante de la communauté Kuna, ouvre une nouvelle porte sur l’histoire des Kunas. Les poèmes de Turpana, chargés de politique et d’engagement, révèlent un passé de lutte pour la reconnaissance et l’autonomie. Andrés Peyrot décrit un rapport intime avec ces textes, sublimés par la mort de Turpana en 2020, offrant un éclairage puissant sur l’histoire des Kunas et leur combat contre le racisme.

Déconstruire le Regard Occidental

Le documentaire d’Andrés Peyrot interroge la vision occidentale des peuples autochtones, en remettant en question l’objectif du film de Gaisseau. Si ce dernier se concentre sur les aspects rituels et « matriarcaux »(*) de la communauté Kuna, il omet les événements majeurs, comme la lutte pour l’autonomie. Pour les Kunas, le film devient le symbole d’une appropriation culturelle, un combat pour la restitution et la déconstruction des images exotiques.

Une Réappropriation Cinématographique

Le film d’Andrés Peyrot s’inscrit dans une démarche de réparation et de réappropriation des images par les Kunas. En mettant en avant le cinéaste Kuna Orgun, le documentaire célèbre l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes autochtones, capables de raconter leurs propres histoires. Les ateliers de cinéma organisés par Orgun offrent un espace d’expression et de réflexion sur l’identité culturelle et la perception de soi.

Le Retour des Images

La projection du film de Gaisseau marque un tournant dans l’histoire des Kunas. Si initialement critiques envers les choix du réalisateur, les spectateurs s’abandonnent finalement à la magie des images, redécouvrant leur passé avec émotion et nostalgie. Les images reprennent vie, s’affranchissant de la voix de Gaisseau pour retrouver leur place au cœur de la communauté.

Conclusion

« Dieu est une femme », le film-fantôme ressuscité par Andrés Peyrot, est un voyage dans le temps et dans l’âme d’une communauté, une exploration des méandres de l’appropriation culturelle et de la réappropriation cinématographique. À travers les mots de Turpana et les images de Gaisseau, c’est toute une histoire qui se raconte, celle d’un peuple en quête de son identité et de sa voix dans le monde du cinéma.

(*)Le matriarcat est un mythe. Inventé par les Grecs pour justifier leur supériorité par rapport aux peuples barbares. Les Grecs n’ont pas de mot pour désigner le pouvoir des mères, mais ont inventé celui de « pouvoir des femmes » ou gynécocratie.
Selon l’anthropologue et féministe française Françoise Héritier, le matriarcat est un mythe et le pouvoir appartient toujours aux hommes.
Pour la philosophe et chercheuse allemande Heide Goettner-Abendroth il y a des sociétés matrilinéaires où l’économie est entre les mains d’hommes. Mais [elle] appelle exclusivement “matriarcat” les sociétés matrilinéaires où l’économie est entre les mains des femmes.”

M’A