Par euphémisme, on a appelé dans la presse le procès qui s’est tenu à Fort-de-France du 5 au 7 novembre 2025 contre les casseurs (cinq femmes et six hommes de 24 à 54 ans) de plusieurs monuments publics martiniquais le « procès du déboulonnage ». C’était d’emblée minimiser les faits. Déboulonner c’est un acte respectueux, sinon de la personne en effigie du moins du travail de l’artiste qui l’a façonnée. Déboulonner c’est avoir conscience que les perspectives historiques changent et qu’un jugement concernant le passé ne saurait être définitif. Casser au nom de l’indignation d’un moment c’est un réflexe de voyou qui démontre l’absence de toute réflexion véritable. Or c’est bien de casse qu’il s’est agi, les œuvres en question n’existent plus. Le jugement, rendu le 17 novembre, a fait preuve d’une grande clémence puisque seuls deux accusés ont été reconnus coupables mais dispensés de peine, les autres innocentés alors qu’ils avaient reconnu les faits.
Rappel des faits
Empruntons à la revue Esprit ce rappel des faits.
« Le 22 mai 2020, journée de commémoration de l’insurrection d’esclaves de 1848, l’année de l’abolition de l’esclavage, démarrait une vague de destructions de statues sur l’île de la Martinique.



J’ai du mal à comprendre les gens qui disent qu’on leur a imposé l’image d’un « Schœlcher unique libérateur des esclaves ». C’est comme si ils n’avaient pas ou ils avaient perdu leur propre capacité de jugement. Peut-être « à l’insu de leur plein gré » ainsi que l’aurait prétendument dit un célèbre cycliste.
— Par Marie-Louise Ryback Jansen
La statue n’eut pas le temps de s’échapper. Malgré sa résistance d’aplomb, son socle armé et la force de ses années, la jeunesse eut raison d’elle. Fracassée, démembrée, décapitée, elle n’eut pas le temps de crier. Elles ne put se libérer de ces sangles bon marché vendues par le béké. Le Schœlcher de plâtre, de pierres, d’agrégats, de mémoire, de maçons, de paradoxes, de France, d’Alsace et de porcelaine, se mit à supplier :
Le 22 mai 2020, date de commémoration de l’abolition de l’esclavage en Martinique, deux statues de Victor Schoelcher ont été détruites. Parallèlement, les auteurs de cet acte ont fait connaître leurs motivations dans une lettre non signée. A la lecture, Il ressort une volonté de leur part de démontrer que Schoelcher, en prenant la décision de signer le décret d’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848, n’a été en rien « le sauveur du peuple noir martiniquais ». C’est sous la pression de la résistance séculaire des esclaves contre l’ordre esclavagiste qu’il aurait été contraint d’abolir l’esclavage. Pour cette raison, il conviendrait selon ces activistes de se montrer en phase avec la vérité historique en honorant dans l’espace public, non pas Schoelcher, mais les figures emblématiques de la résistance chez les esclaves.
— Par Didier Rykner —
— par Christiane Chaulet Achour —
— Par Marcel Dorigny (*) —
Je suis représentant du syndicat national des sculpteurs et plasticiens, nous faisons partie de ces artistes qui dénoncent la destruction des deux statues de Victor Schœlcher, le jour du 22 mai 2020.
« Il est très facile de casser et de détruire, disait Mandéla qui ajoutait que les héros sont ceux-là qui font la paix et qui bâtissent ». Dans une certaine mesure, et dans tous les sens, cela est vrai et surtout très sage. Il ne faut pas démolir pour démolir, ni chercher à « démolir » son prochain, ni non plus démolir les traces d’un passé que nos connaissances actuelles peuvent nous aider à reconsidérer.
En cette année 2020, le 22 mai, date reconnue de célébration de l’émancipation des esclaves à la Martinique, a été marqué par le renversement sonore de deux statues de l’abolitionniste français Victor Schœlcher. Cette action, revendiquée haut et fort par de jeunes du péyi, a frappé les esprits, faisant prendre conscience aux Martiniquais de tous bords de la gravité de la situation.
Les réactions extrêmement critiques qui ont déferlé suite au déboulonnement des statues de Victor Schœlcher sont symptomatiques de deux maux qui gangrènent la société martiniquaise : d’une part, son inertie face à un héritage colonial encore vivace ; d’autre part, le fossé grandissant entre une société vieillissante et embourgeoisée et sa jeunesse réclamant le changement social.
Le premier devoir des nouvelles générations à l’égard des ancêtres est de chercher à les comprendre, à faire corps avec leurs luttes, à étudier patiemment, avec empathie, leurs vies, hauts faits comme faiblesses, succès comme échecs, espoirs comme illusions, tout compris.
Dans la nuit du 10 au 11 septembre 2013, la statue de Victor Schoelcher – réalisée depuis 1964 – située à l’entrée de la ville éponyme a été vandalisée. Dans l’oeuvre originale, Victor Schoelcher tenait, dans chacune de ses mains, des chaînes brisées, symbolisant la fin de l’esclavage. Il est debout sur un bas-relief comportant un extrait du décret d’abolition de l’esclavage : « Nulle terre française ne peut plus porter d’esclave » . Sur la statue qui vient d’être saccagée des inscriptions outrageantes et exprimant de l’intolérance sont tracées. Le ou les illuminés ou pseudo révolutionnaires savent-ils seulement que de leurs mains sacrilèges ils portent atteinte à l’oeuvre d’une grande artiste martiniquaise ?
Sous prétexte de lever « l’épais voile colonial d’un oubli organisé », certains n’hésitent pas à revisiter notre histoire, en particulier la période de l’esclavage et de son émancipation, sans crainte de sombrer dans le révisionnisme.