Schœlcher : Coupée Bouche

— Par Zakhyé —

La statue n’eut pas le temps de s’échapper. Malgré sa résistance d’aplomb, son socle armé et la force de ses années, la jeunesse eut raison d’elle. Fracassée, démembrée, décapitée, elle n’eut pas le temps de crier. Elles ne put se libérer de ces sangles bon marché vendues par le béké. Le Schœlcher de plâtre, de pierres, d’agrégats, de mémoire, de maçons, de paradoxes, de France, d’Alsace et de porcelaine, se mit à supplier :
Vous ! Vous parlez, vous écrivez, votre verbe est haut et doux. Il chante à mes oreilles de béton et de mauvais marbre. Sachez qu’il méprise, votre verbe, car il ne libère pas, il statufie. Ce n’est pas eux que je voulais fuir. Je voulais m’échapper de Vous. Je ne voulais pas entendre vos voix, et me voilà maintenant obligé. J’ai tant de fois tenté de Vous souffler à l’oreille que Vous n’aviez que peu de temps, mais Vous passiez devant moi, dans vos voitures climatisées. D’autres passaient à pieds avec leurs espoirs désenchantés ou réprimés. Combien de fois ai-je tenté de me libérer pour ne plus Vous regarder comme un produit que je ne pouvais imaginer alors. Qu’avez-Vous fait ? Vous avez continué à adorer le Veau d’or, Vous Vous êtes blottis dans les bras de vos anciens bourreaux et même moi j’en ai été dégouté.
Dès les premiers mouvements qui pouvaient l’entraîner, la statue tenta de se pencher sur le côté. Aucun de ces jeunes, pris dans une salve d’insultes, ne remarqua ces petits mouvements d’épaule destinés à créer une chute douce permettant de rompre avec le socle et de sauver la face pour être transporté dans une caisse de bois où elle pourrait reposer à jamais. Mais malgré cette résistance microscopique, elle alla s’étaler vers l’avant et, pour son plus grand malheur, ses oreilles survécurent, mais pas sa bouche.
J’entends d’ici vos leçons, vos polémiques, vos savoirs et vos connaissances étalées de part et d’autres. Je voulais de l’action, en voilà, mais je suis troublé. Il reste des rues, des bâtiments, des écoles, des mairies à déchouker. Je n’ai plus la bouche pour vous le souffler. Maintenant que vous êtes départementalisés, comment allez-vous faire, comment allez-vous vous diriger vers votre libération ?
C’est vrai, je ne suis rien dans tout cela, ou sinon pas grand-chose. J’entends et j’ai peur. Vous avez si peu changé. Changez la donne. Vous ! Vous qui dirigez, parlez, écrivez. Vous parlez race, couleur, identité.
J’ai peur comme une saison de machettes. J’ai peur comme un petit pays. Non, ça ce n’est pas vous ça, c’est eux… avant. C’est ailleurs.
En tombant j’ai envie de remercier mes sauveurs et je tente de leur demander, dans un dernier fracas : pourquoi ? Moi j’avais un projet, une nation, la grandeur d’un État à sauver de sa culpabilité. Une colonialitude à affirmer. J’avais tout prévu, une société, même mon symbole en plein soleil. Mais vous, où allez-vous ? Faites-moi tomber autant de fois qu’il le faudra, mais dites-moi où vous allez, rassurez-moi. Et voilà que je ferme les yeux, on m’enferme enfin dans ma caisse de bois.
Merci de m’avoir sorti de là. Mais au fait, pourquoi ? Pour quelques Likes ? Dites-moi que je me trompe.

Source:  France-Antilles