De Schoelcher à Tombouctou

— Par Guy Flandrina —

schoelcher_larmeDans la nuit du 10 au 11 septembre 2013, la statue de Victor Schoelcher – réalisée depuis 1964 – située à l’entrée de la ville éponyme a été vandalisée. Dans l’oeuvre originale, Victor Schoelcher tenait, dans chacune de ses mains, des chaînes brisées, symbolisant la fin de l’esclavage. Il est debout sur un bas-relief comportant un extrait du décret d’abolition de l’esclavage : « Nulle terre française ne peut plus porter d’esclave » . Sur la statue qui vient d’être saccagée des inscriptions outrageantes et exprimant de l’intolérance sont tracées. Le ou les illuminés ou pseudo révolutionnaires savent-ils seulement que de leurs mains sacrilèges ils portent atteinte à l’oeuvre d’une grande artiste martiniquaise ?
Cette statue a été réalisée par Marie-Thérèse Julien-Lung-Fu, l’une des rares femmes à avoir, en son temps, été admise à l’école des Beaux-Arts à Paris. Femme poète, écrivain, conteur, sculpteur… viscéralement attachée à sa terre et à ses traditions, tout comme son ami l’artiste « Khoko » René-Corail. Ne nous a t-elle pas d’ailleurs légué les fameuses « Recettes de Da Elodie » ? N’est-ce pas à elle encore que nous devons différentes fables de Jean de La Fontaine, transposées en créole (…) ?
Le ou les ignares qui en quelques minutes d’égarement ont détruit un pan du patrimoine martiniquais, en cette nuit, veille du 11 septembre, se sont-ils identifiés à un quelconque commando d’Al-Qaïda ? Lesquels, à cette même date de l’année 2001, faisaient exploser deux avions sur les fameuses Twin Towers du World Trade Center de New York ; ouvrant l’ère nouvelle du terrorisme international. Nous savons comment les talibans, arrivés au pouvoir en Afghanistan au milieu des années 1990, y ont instauré un régime de terreur fondé sur leur vision de l’Islam.

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Une œuvre martiniquaise victime de l’ignorance et de la barbarie

« Talibanisme » tapi dans l’obscurantisme
Le Nord du Mali et la ville de Tombouctou sont, à la fin des années 1960 et au début des années 1990, les proies de touaregs armés. La région est secouée par de violentes insurrections dont l’objectif est d’obtenir plus d’autonomie et le désenclavement de cette région où ils sont majoritaires. Le 27 mars 1996, une cérémonie de « la Flamme de la paix » voit les insurgés brûler 3 000 armes. Les populations de la zone peuvent enfin espérer vivre plus sereinement et contribuer au développement de leur pays. En 1998, Tombouctou est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco pour ses richesses culturelles et historiques (…).
Mais, le 1er avril 2012, le Mouvement national pour la libération armée prend le contrôle du Nord Mali et tient l’armée du pays en échec. Très rapidement, les islamistes salafistes radicaux s’imposent. Le 28 juin 2012, l’Unesco classe la ville au « patrimoine mondial en péril » car elle craint le pire. Elle n’a pas tort : le 1er juillet sept des seize mausolées érigés pour certains des 333 saints que compte la ville sont détruits.
Du 30 juin à fin décembre, les islamistes des mouvements Aqmi et Ansar Dine se lancent dans la destruction systématique des tombeaux des saints musulmans et des mausolées de la ville ; une catastrophe pour la mémoire de l’Afrique, en particulier, et de l’humanité en général. La menace pesant sur un ensemble de près de cent mille manuscrits datant de la période impériale ouest-africaine (au temps de l’Empire du Ghana, de l’Empire du Mali et de l’Empire Songhaï) fait redouter le pire! Chaque fois, la barbarie plonge ses racines dans le même terreau d’un immuable triptyque : l’inculture, l’intolérance, la haine.
Si un certain islamisme radical sévit assurément de nos jours, les chrétiens ont jadis également été les auteurs de moult barbaries et autres autodafés à l’époque de l’Inquisition instituée par le pape Grégoire IX.
Les chapelles quelles soient : cultuelles, culturelles, politiques ou sociales ont rarement, dans l’Histoire, fait communier les hommes ; au sens noble du terme.
Faut-il encore remarquer que sur le buste saccagé de Schoelcher une phrase lui reproche son appartenance à la franc maçonnerie, tout comme l’aurait fait le régime nazi (1933/1945) de Adolphe Hitler. Ces actes témoignent, s’il en était encore besoin, que ni les portes de l’Inquisition, ni les tables d’un islamisme radical, ni les pages de « Mein Kampf » (1) ne sont encore totalement refermées…
Les monstres qui se nourrissent de l’intolérance et de la haine, sont tapis dans l’ombre. Ils peuvent à tout moment ressurgir, notamment en période de crise économique… Ni le refus d’assumer notre histoire dans toute son acception, ni le silence des uns et des autres, ni le regard tourné ailleurs pour les ignorer, ni les imprécations de quelque nature que ce soit ne les feront reculer. Seuls : la connaissance, la tolérance, le développement économique et la solidarité auront raison d’eux.
Peut-être serait-il temps de faire mentir Aimé Cesaire (2) qui parlant des Martiniquais observait, fort justement : « Cette foule (…) ne se mêle pas : habile à découvrir le point de désencastration, de fuite, d’esquive. Cette foule qui ne sait pas faire foule (…) » .
Alors que l’Europe a célébré, les 14 et 15 septembre, « les journées européennes du patrimoine, 19132013 : 100 ans de protection » , saurions-nous accepter que d’aucuns détruisent ce qui forge notre singulière identité plurielle ; tandis que nous semblons être dans une constante quête mémorielle ?
Guy Flandrina
(1) « Mein Kampf » : livre qui dévoile la doctrine de A. Hitler fondée sur l’ultra nationalisme, l’apologie de la force et du racisme.
(2) « Cahier d’un retour au pays natal » , Présence Africaine, 1956.