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« Ô vous, frères humains », Théâtre des Halles, Avignon

— Par Michèle Bigot —

 o_freres_humains-1Théâtre des Halles, Avignon,
Ô vous, frères humains,
Adaptation théâtrale et mise en scène, A.Timar et Danielle Paume,
Avec : Paul Camus, Gilbert Laumord, Issam Rachyq-Ahrad,
Festival d’Avignon, théâtre des Halles, du 5 au 27 Juillet 2014

Revoici Albert Cohen, et son dernier texte revisité par A. Timar et D. Paume. C’est bien d’une adaptation qu’il s’agit, d’une juste adaptation au temps présent. Allégé de l’invocation lyrique au peuple juif, le texte ne perd aucunement sa force mais gagne une dimension universelle. Il est retravaillé, aménagé pour la scène : cette adaptation implique coupures, déplacements, choix et mise en relief. La structure dramatique requiert davantage de distance vis à vis de la linéarité. Des effets de rythme, de découpage, de changement de plan, de silence, d’intermèdes musicaux travaillent le texte dans le sens d’une profondeur inédite.
En outre, la mise en espace, l’incarnation dans le jeu des acteurs, le support du décor et de la lumière, les jeux de couleurs, le soulignement musical s’accompagnent ici d’une véritable interprétation contemporaine du texte. Texte vivant s’il en est, qui libère toute sa force grâce à cette lecture nouvelle.

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Une nuit d’été avec Mozart

— Par Michèle Bigot—

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L’Orchestre Régional d’Avignon Provence nous a invité à partager avec lui la douceur d’une nuit d’été dans un des plus beaux villages de la Provence, Buis les Baronnies, hier soir samedi 28 juin.
Et ce fut un enchantement de retrouver pour ce programme Mozart une formation parfaitement adaptée. Le chef Samuel Jean, lui-même pianiste, Premier Chef Invité de l’Orchestre Régional Avignon-Provence, qui dirige régulièrement, entre autres, l’Orchestre Philharmonique de Radio-France et l’Orchestre National d’Île-de-France a eu l’idée lumineuse de créer une tension en préparant ce sommet par l’ouverture de Don Giovanni, dont on sait ce qu’elle recèle de mouvements passionnés. Lui-même, dynamique et précis, non moins pédagogue que soutien sans faille de sa formation, a su communiquer sa conviction à son orchestre.

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« La Veuve et le lettré » de Zeng Jingping

— Par Michèle Bigot —

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Le théâtre de Liyuan, venu de Quanzhou, ville portuaire jadis décrite par Marco Polo, est un genre , vieux d’une tradition pluriséculaire. Il s’agit d’une forme théâtrale reposant sur des chants, des évolutions chorégraphiques et un récitatif qui déroule une histoire. Le spectateur occidental, habitué à marier théâtre et dialogue, est tout étonné devant cette quasi absence de répliques, et découvre, non sans stupeur qu’une intrigue peut être menée sans dialogue, reposant pour l’essentiel sur des monologues de personnages qui décrivent leur action et leurs sentiments tout en la mimant par des danses, une gestuelle et une évolution dans l’espace soulignée par la musique délicate du Nanyin.
Mêlant le code issu de cette tradition théâtrale et les innovations dignes de la création contemporaine, la troupe, brillamment menée par l’actrice vedette de Chine, Zeng Jingping réussit un véritable renouvellement du genre : miraculeusement épargné par le révolution culturelle, cet art ancestral revit dans un répertoire revisité et dans une forme sublimée par des lumières et une disposition scénique remarquables. L’auteur de cette Veuve et le lettré, Wang Renjie, considéré aujourd’hui comme l’un des auteurs du théâtre chanté (Xiqu) les plus en vue, écrit pour le style du Liyuna tout en lui apportant le souffle d’une modernité : il en modifie profondément la morale, retourne les idées reçues et se fait l’apôtre de l’émancipation féminine.

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« Frères de sang », création de la compagnie Dos à deux

 Artur Ribeiro , André Curti, Présence Pasteur, Avignon off, du 9 au 31 juillet

— Par Michèle Bigot—

 freres_de_sang-2Frères de sang est un spectacle théâtral total dans lequel la pantomime la danse, et plus largement la gestualité, accompagnées et rehaussées par le jeu des lumières, des mouvements des déplacements constituent un système de significations des plus denses.

Sans le secours d’aucune parole, les personnages installent peu à peu tout le jeu des relations complexes qui unissent et divisent les familles.

Toute la charge affective qui irrigue la fratrie, dans sa relation orageuse avec la mère est rendue sensible dans une série de scènes archétypiques de la vie familiale. Tout commence avec les retrouvailles des frères : le père vient de mourir, les frères se chargent de la toilette mortuaire.

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Hotel Paradiso, création collective de la troupe Familie Flöz

Théâtre du Chêne noir, Avignon, du 6 au 28 juillet

— Par Michèle Bigot —

hotel_paradisoFamilie Flôz est un collectif allemand de renommée internationale. Il présente ici une fantaisie burlesque sans paroles, reposant exclusivement sur un jeu de danses et de pantomimes masquées. L’ensemble est tout à fait réjouissant, témoignant d’une drôlerie mâtinée d’une bonne dose de noirceur (les masques des personnages sont tous emprunts de tristesse). Familie Flöz retrouve ici une tradition séculaire de farce pigmentée de macabre.
Sans le secours d’aucune parole, la construction dramatique repose un fil narratif manifeste :  la vie quotidienne telle qu’elle se déroule dans un hôtel familial, qu’on devine situé dans une quelconque station de vacances en montagne. Deux  générations se succèdent  à la direction de l’hôtel. Chacun investit le personnage correspondant à  son emploi avec justesse et drôlerie. Par son physique, son rythme propre,  sa gestuelle, chaque personnage  incarne un  type humain .

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« Le début de quelque chose », mise en scène de Myriam Marzouki

 D’après un texte de Hughes Jallon

— Par Michèle Bigot —

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L’intention est belle ; cette idée de touristes occidentaux isolés du monde dans un village de vacances pour CSP+, et n’ayant d’autre objectif que de tenir à distance le stress, la fatigue et les ennuis du monde moderne, pendant qu’à la porte de l’hôtel gronde la révolution a de quoi enchanter. Le soleil, la détente, le « lâcher-prise », et toute une organisation visant à vider les esprits et à laisser vivre les corps dans leur plus entière sensualité ; on sent bien que tout cela prête à une satire féroce des poncifs d’aujourd’hui qui préconisent le bonheur, quand l’heure est justement aux grandes inquiétudes, quand menace la panique et les bouleversements de l’ordre établi.

En somme, il y a de quoi refaire  La noce chez les petits bourgeois.

Alors pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Il faut croire que la magie du théâtre (comme le bonheur) se manifeste surtout quand elle s’en va.

Le drame s’ouvre et se clôt sur une scène de chasse apocalyptique, rendue par une image vidéo d’ombres et de couleurs en furie, pendant qu’une voix off, soutenue par un son saturé suggère la poursuite et la mise à mort des bêtes sauvages, des hommes sauvages ?

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« Re : Walden », création dramaturgique de J.-F. Peyret, d’après le livre de H.D. Thoreau Walden ou la vie dans les bois, Tinel de la chartreuse de Villeneuve lès Avignon

 — Par Michèle Bigot—

 re_waldenC’est en 1848 que Thoreau produit ce texte inclassable, brisant les catégories du récit, de l’essai philosophique et du journal intime. Il y relate sa vie quotidienne dans les bois,(2 ans, 2 mois et 2 jours) près de l’étang de Walden où il a construit lui-même sa cabane.

D’emblée le spectateur, confronté à ce tissu de méditations, observations, narration, s’interroge sur le titre et surtout sur son préfixe problématique. Le « re » vaut-il pour une reprise, une réponse, une réactivation ? C’est sans doute tout cela et surtout une réviviscence que nous propose J.-F. Peyret. Car son écriture théâtrale, faite d’une combinaison d’images fortes, de jeux de lumière, de magie numérique, le tout harmonisé par un concert de voix nous offre une relecture et une réactualisation de ce texte. Ce spectacle total étaye son rythme original sur une musique et un dispositif électro-acoustique dont la modernité est comme un défi à l’idéologie écologiste de Thoreau.

Une écriture dramatique des plus contemporaines et un travail intense et minutieux des multiples dimensions du spectacle théâtral soutiennent donc cette relecture.

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« Par les villages », Peter Handke, mis en scène par Stanislas Nordey

 — Par Michèle Bigot —-

 par_les_villagesSur le vaste plateau de la cour d’honneur, l’espace scénique est dessiné par une ceinture ouverte constituée d’une rangée de baraques de chantier : le tout forme une muraille bleue. Devant, seul en scène, l’écrivain. Sa voix s’élève parmi les cris des martinets déclarant l’arrivée de la nuit sur le palais. Ainsi commence le drame des perdants.

Grégor, L’écrivain revient au village natal ; il est le protagoniste autour duquel vont évoluer les autres personnages, satellites de cet astre solitaire : sa femme (Jeanne Balibar, figée dans un corps qui n’est qu’organe de la parole), sa sœur ( Emmanuelle Béart, jouant avec passion , de tout son corps), son frère (Laurent Sauvage) humilié et pourtant habité pourtant par une force qui transcende sa condition d’humiliés. Et autour de ce drame familial de l’héritage, qui déchaîne la violence des sentiments unissant et déchirant la fratrie, se déroule le ballet des compagnons ouvriers, avec Hans (S.Nordey) leur porte-voix, qui dit la geste du monde ouvrier.

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« Projet Luciole », Nicolas Truong, Chapelle des Pénitents blancs

 

—Par Michèle Bigot —-

projet_lucioleExpérimenté sous forme réduite en 2012 à Avignon, Projet Luciole revient cette année en grand format.

En 1975, Pier Paolo Pasolini écrit pour la presse italienne un texte dans lequel il dénonce la disparition des lucioles ; autant dire que pour lui, l’embrigadement de masse engendré par l’industrie culturelle et la télévision tue dans l’œuf toute lueur de contre-pouvoir ; un nouveau fascisme, pire que le précédent tue toute pensée. La grosse lumière du consensus télévisuel aveugle et paralyse la pensée. En cela il fait suite à W.Benjamin qui stigmatisait déjà cette forme irréversible de destruction.

A ces penseurs du pessimisme moderne, G. Didi-Huberman répond en 2009 (Survivance des lucioles) qu’on peut « organiser le pessimisme » et qu’il faut pour cela associer modernité et archaïsme, briser le consensus en fracturant le langage.

Et c’est à une telle entreprise que se livre Nicolas Truong dans sa création théâtrale, soulevé par un enthousiasme communicatif, une énergie de la pensée, qui font de son pessimisme la plus acérée des armes pour envisager l’avenir. La parole des philosophes d’aujourd’hui se mêle heureusement à celle des penseurs d’hier.

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Recension du roman de Yann Garvoz :Plantation Massa-Lanmaux

 

par Michèle Bigot*,

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Flagellation d’une femme esclave. Surinam. 1770

–Plantation Massa-Lanmaux est le premier roman d’un jeune écrivain qui ne manque pas de verve. La dimension romanesque de cet ouvrage le dispute à sa fibre poétique et à sa force réaliste.

L’originalité de l’ouvrage consiste avant tout dans le contexte qu’il met en place ; l’univers est celui d’une plantation dans une des îles de Guadeloupe à la veille de la révolution. Dans ce cadre propice à tous les débordements, vont s’affronter les idéologies progressiste et conservatrice autour des enjeux moraux et matériels spécifiques de l’exploitation des esclaves dans une économie de plantation. Chacun de ces courants de pensée est incarné par les deux protagonistes, père et fils, M de Massa et son fils Donatien. Celui-ci est le digne héritier du divin marquis dont il porte le prénom, épigone aussi ambigu que son maître, comme lui philosophe des lumières, anticlérical, athée, porteur des idées de progrès et comme lui porteur d’un érotisme associé à des actes impunis de violence et de cruauté (fustigations, tortures, meurtres, incestes, viols, etc.). Celui-là incarne une figure de maître débonnaire et hypocrite, surtout versé dans un scientisme mathématique (nouveau d’Alembert exploitant les données du calcul infinitésimal) qui fait bon ménage avec le clergé tant que celui-ci protège ses intérêts d’esclavagiste.

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« Plantation Massa-Lanmaux », de Yann Garvoz

par Michèle Bigot

Recension du roman

 

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Flagellation d’une femme esclave. Surinam. 1770

 

Plantation Massa-Lanmaux est le premier roman d’un jeune écrivain qui ne manque pas de verve. La dimension romanesque de cet ouvrage le dispute à sa fibre poétique et à sa force réaliste.

 

L’originalité de l’ouvrage consiste avant tout dans le contexte qu’il met en place ; l’univers est celui d’une plantation dans une des îles de Guadeloupe à la veille de la révolution. Dans ce cadre propice à tous les débordements, vont s’affronter les idéologies progressiste et conservatrice autour des enjeux moraux et matériels spécifiques de l’exploitation des esclaves dans une économie de plantation. Chacun de ces courants de pensée est incarné par les deux protagonistes, père et fils, M de Massa et son fils Donatien. Celui-ci est le digne héritier du divin marquis dont il porte le prénom, épigone aussi ambigu que son maître, comme lui philosophe des lumières, anticlérical, athée, porteur des idées de progrès et comme lui porteur d’un érotisme associé à des actes impunis de violence et de cruauté (fustigations, tortures, meurtres, incestes, viols, etc.).

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