Une nuit d’été avec Mozart

— Par Michèle Bigot—

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L’Orchestre Régional d’Avignon Provence nous a invité à partager avec lui la douceur d’une nuit d’été dans un des plus beaux villages de la Provence, Buis les Baronnies, hier soir samedi 28 juin.
Et ce fut un enchantement de retrouver pour ce programme Mozart une formation parfaitement adaptée. Le chef Samuel Jean, lui-même pianiste, Premier Chef Invité de l’Orchestre Régional Avignon-Provence, qui dirige régulièrement, entre autres, l’Orchestre Philharmonique de Radio-France et l’Orchestre National d’Île-de-France a eu l’idée lumineuse de créer une tension en préparant ce sommet par l’ouverture de Don Giovanni, dont on sait ce qu’elle recèle de mouvements passionnés. Lui-même, dynamique et précis, non moins pédagogue que soutien sans faille de sa formation, a su communiquer sa conviction à son orchestre.

Le choix des œuvres est des plus judicieux⋅ Le rapprochement de l’Ouverture de Don Giovanni, du concerto N°20 pour piano en ré mineur K.466 et la symphonie n°35 en ré majeur kv.385 dite Haffner est particulièrement heureux, du fait de la cohérence des tonalités, surtout pour les deux premières œuvres, qui partagent le même sens dramatique. Le quatrième mouvement de la symphonie Haffner tend à les rejoindre dans leur intensité, même si les autres mouvement paraissent plus décoratifs. La palette tonale de Mozart est donc largement dominée ici par le ré mineur, tragique et démonique . Cette tonalité souveraine dans le concerto se retrouve dans la scène de la damnation de Don Giovanni et dans le Requiem. A ce registre s’oppose le ré majeur glorieux et doré, alliant la force et la puissance intime tel qu’on le retrouve dans le quatrième mouvement de la symphonie Haffner. Mais cette opposition fait complétude et l’ouverture présente les deux registres, l’un grave et solennel (andante) , l’autre un vif allegro , où l’on retrouve la puissance et la fougue du héros. En cela, le chef rappelle à notre mémoire combien l’Ouverture de Don Giovanni mérite pleinement son titre d’ouverture, dans un « avant-dire » porteur à lui seul de tout le drame musical ; elle montre de façon spectaculaire que toute l’action est dans la musique.

Pourtant c’est dans le mitan du concert que l’émotion était à son paroxysme. Le jeune pianiste, Rémi Geniet , dont le talent fut récemment salué par le 2è prix du Concours International Reine Élisabeth de Belgique, a montré toute l’étendue de son talent.
Sans craindre de faire suite à F. Gulda (2007) dont l’interprétation est marquée par la retenue et l’intensité dramatique, à M. Argerich (2011), plus intériorisée, feutrée et quasi douloureuse, ni à celle plus récente de M. Joao Pirès (2012) solaire, brillante et colorée, ce pianiste nous livre dans sa juvénile ardeur une interprétation fiévreuse propice à exprimer toute la passion et la force dramatique de cette œuvre fougueuse. Son interprétation se présente comme libre, claire, détachée et enthousiaste. Par surcroît, son jeu, aussi puissant que varié permet de libérer la force et la densité des silences. Peu d’interprètes se montrent capables de faire vivre le silence dans toute son intensité, toile de fond sur laquelle peut s’élever toute la diversité colorée de la mélodie. Moment de saisissement intense où la tension du public répond à la transe de l’interprète.

Un grand merci à toute cette formation qui a su faire revivre pour nous la quintessence de ce XVIIIème insurpassable quant à cet esprit : synthèse hautement paradoxale trouvant ici à s’exprimer en un jaillissement qui aujourd’hui encore nous laisse interdits. C’est tout à la fois l’élégance et la force d’un Casanova, le drame de Diderot, l’esprit d’un Voltaire et la passion d’un Goethe, qui cherchant une musique pour le Faust disait « C’est Mozart qui aurait dû composer le Faust » (Goethe à Eckermann, 12 fév. 1829).

Tout cela laisse augurer le meilleur pour le Festival de musique classique à venir Sérénades en Baronnies, qui nous promet pour les 14, 15, 16 18 et 18 juillet un programme varié alliant tradition, romantisme et modernité.