Les irrévérencieux

— Par Michèle Bigot —

les_irreverencieuxLes irrévérencieux
Compagnie du Théâtre des Asphodèles,
Festival d’Avignon off, Théâtre Golovine, juillet 2014

« Quand la commedia dell’arte rencontre le Human Beatbox et la danse Hip hop »

La troupe du Théâtre des Asphodèles nous donne ici un spectacle singulier et résolument contemporain, qui emprunte pourtant beaucoup à la Commedia dell’arte. elle avait déjà remporté un vif succès dans le off 2013, à la Chapelle du Verbe Incarné, mais cette année elle fait un tabac⋅ Au cours de l’année 2014, ces comédiens se sont produits au Festival Cap Excellence de Guadeloupe⋅ Emportée par la thématique de l’irrévérence, comme vecteur d’insolence, d’irrespect et de novation, la troupe renouvelle l’approche de l’écriture théâtrale en puisant aux sources du théâtre populaire, tout en lui insufflant une inspiration nouvelle, tirée de la culture Hip-hop.
Cette écriture repose sur un canevas dans lequel on reconnaît les personnages archétypiques de la Commedia dell’arte, comme le protagoniste Pantalone, avec tous les traits de son type : la vieillesse, la revendication d’un pouvoir tyrannique sur ses filles, l’appât du gain. Comme il est de tradition dans ce genre comique , il sera dupé par ses filles, qui nouent des alliances avec les force de l’amour, de la nature et du fantastique. C’est une belle occasion pour dénoncer la société de consommation future que le duc Orlando tente de vendre à Pantaleone.
L’argument repose sur un conflit entre les forces du mal, figurées par l’alliance entre le vieux père Pantaleone et le jeune ambitieux Orlando, et les forces du bien, incarnées par les filles, alliées à la servante et à toutes sortes de forces naturelles et surnaturelles. Rien de bien original, donc, dans le scénario, mais comme on sait, dans la Commedia dell’arte, tout l’intérêt repose sur l’improvisation et le jeu des comédiens à partir.
Et c’est là qu’excelle la troupe, en relevant le canevas comique par les moyens propres à la culture Hip-hop, en l’occurrence l’apport du human beatbox, cette technique de chant a capella consistant à imiter les percussions en utilisant la voix. L’effet comique est garanti, parce que cela assure contraste des plus plaisants avec les costumes et la trame de la tradition italienne, et aussi parce que c’est en soi une performance réjouissante. A cela s’ajoute le jeu des acteurs, série d’acrobaties endiablées et de figures au sol puisées dans la technique de la breakdance.
L’ensemble est franchement hilarant et impulse à l’ensemble un rythme frénétique. Concourt également à l’effet comique le mélange des langues et des accents : ainsi l’anglo-américain caricatural pratiqué par la servante, l’espagnol passionné parlé par une des filles, le supposé finnois parlé par une autre et que vient à parler miraculeusement son amoureux, comme si la langue s’apprenait par contagion. Une Babel infernale, reposant sur des clichés linguistiques, qui ajoute à la haute fantaisie du scénario. Tout un peuple de petites personnages fantastiques, quasi-shakespeariens, des elfes, des fées, plus déjantés les uns que les autres apportent une note burlesque.
L’ensemble brille par son inventivité : l’imagination débridée est au pouvoir sur scène et produit une vraie jubilation sur le public. La chorégraphie est toujours exécutée avec précision, et le jeu des acteurs, pour naturel qu’il paraisse, est le fruit d’un travail exigeant. La scénographie aurait gagné à apporter le même soin aux éclairages qu’aux costumes.
Quoiqu’il en soit, le pari est réussi : établir une passerelle entre les genres, faire collaborer tradition et contemporain, le tout formant un cocktail profondément réjouissant et roboratif. La fantaisie, la satire, la danse et la musique, la complicité avec le public, tout cela mené sur un rythme endiablé, maintenu de part en part, et le spectateur ressort réjoui et galvanisé. Le message de tolérance délivré in fine par Pantaleone est passé sans coup férir.

Avignon, le 23/07/2014

Michèle Bigot