Money

— Par Michèle Bigot —

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Création Zoo Théâtre, écriture collective
Mise en scène Françoise Bloch,
Festival d’Avignon off, juillet 2014

Le théâtre est-il en mesure de malmener la « chose économique » ? On a quelque raison de penser qu’il peut du moins l’interroger, en démonter les mécanismes, en dénoncer la phraséologie, et qu’il est même très bien placé pour le faire⋅ L’univers économique, en ces temps de financiarisation intense, repose avant tout sur une logomachie, un discours oiseux emprunt de verbalisme, qu’un public naïf prend pour argent comptant, si on peut se permettre ce mot⋅ Le triomphe des marchés financiers repose sur des mécanismes occultes, mais non moins sur la crédulité des gogos⋅ Malheureusement, nous sommes tous des gogos face à nos banquiers et le discours de la classe politique, comme celui des media ne fait que renforcer cette duperie.
Et c’est là que le spectacle du Zoo Théâtre , judicieusement baptisé Money, met dans le mille. A commencer par son titre, qui nous renvoie au globish pratiqué par la sphère économique, pratique linguistique véhiculaire, idiome mondialisé, c’est-à-dire langue d’aucun pays et d’aucun peuple.
Le ton est donné, le reste est à l’avenant, jubilatoire de part en part. Le Zoo théâtre nous offre ici une comédie réjouissante et spirituelle, qui, dans la meilleure tradition comique est aussi une satire féroce de la banque et des marchés financiers. L’air de rien, cette comédie repose sur une vraie connaissance des leviers de la vie économique, le travail de documentation est des plus solides et donne force à la charge. Ce faisant elle remplit pleinement la fonction de la représentation théâtrale, en ce qu’elle énonce clairement les maux dont nous sommes accablés dans le secret de nos consciences ; elle remplit aussi une mission civique, politique au sens étymologique du terme, produisant sur le devant de la scène, en des termes compréhensibles par tous, les problèmes de la cité. Il y a plus : en nous faisant rire, la comédie sociale nous libère de nos angoisses collectives, en propose un partage, une verbalisation dans la communion et par conséquent une libération.
C’est donc à la fois une jubilation profonde qui s’empare du spectateur mais aussi une fête pour l’esprit, tant l’écriture est informée et subtile.
A tout cela il convient d’ajouter que le Zoo Théâtre a accompli un vrai tour de force théâtral, donnant une éclatante démonstration de travail collectif : le jeu des comédiens, d’une force et d’une netteté inouïes, le travail complexe de la vidéo, sobre mais juste et toujours nécessaire, les jeu des éclairages, et par dessus, tout la bande son, mettant le point d’orgue à l’ironie de l’ensemble. Imaginez que tous ces délires financiers, toute cette comptabilité accablante et rocambolesque se déroule sur le fond des Variations Goldberg !!
Dans ce spectacle totalement réjouissant et prophylactique, le moment le plus jubilatoire est celui où s’affiche sur l’écran vidéo quelques mots disant l’essentiel du drame qui se joue dans la parole entre le technicien de la finance et son malheureux client , et qui pourrait se résumer en quelques formules-chocs «  il sait ce que vous ne savez pas, vous savez qu’il sait ce que vous ne savez pas, mais il ne sait pas que vous savez qu’il ne sait pas. »
Sauf qu’un jour, dans ce jeu de dupes autour et par la parole, les rôles pourraient bien s’inverser !
Au service de ce montage d’idées, d’images, de jeux de lumières, la troupe des quatre comédiens (une femme, trois hommes, aux mimiques irrésistibles) se déchaîne dans un rythme ébouriffant, occupant le plateau dans un tournoiement effréné de tables et de chaises tournantes, propre à mimer la caractère hautement vertigineux des échanges financiers.
Chapeau bas pour cette troupe soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles. On pourra les voir à Bruxelles en novembre et aussi à Cergy-Pontoise au Théâtre 95 à la même époque.
Avignon, le 22 juillet 2014

Michèle Bigot