— Par Michèle Bigot —
Festival d’Avignon off 2017, Théâtre des Doms, 06 => 26/07
Le trio Michel Bernard (adaptation), Thomas Delord (mise en scène) et Angelo Bison (interprétation) fait merveille dans ce seul en scène proposé par Unités/nomade.
C’est d’abord un condensé du texte poignant de Louis Althusser.
Au petit matin du dimanche 16 novembre 1980, Louis Althusser, dans un état de totale confusion mentale, étrangle sa femme sans le vouloir. En fait il était en train de lui prodiguer un massage, selon leur commune habitude, quand il prend brusquement conscience que le regard d’Hélène est fixe et qu’un petit morceau de langue dépasse de ses dents. Crime pathologique, acte délirant. On a aussi parlé de suicide altruiste : emmener l’autre dans la mort, comme il semble bien que Hélène l’y invitait.
Le livre d’Althusser et son adaptation théâtrale représente des tentatives de réponse à la question : pourquoi ? Tout commence par ce passage à l’acte qui échappe à la conscience et reviendra sur cet acte pour terminer. Entre l’ouverture et le final se déroule le récit d’une vie, marquée par un profonde mélancolie.

C’est Jean-Charles Mouveaux, le metteur en scène, qui joue le rôle de Louis, le fils prodigue, mort au moment où il va nous raconter son histoire, celle de sa famille.C’est une performance pour les spectateurs d’affronter la langue de Lagarce. Une performance plus encore pour les acteurs de dire ce texte aux infinies répétitions du même mot, d’énumérations, de synonymes, de retour en arrière sur le même. On s’y noye, on perd le fil de l’histoire comme le reproche à Louis son frère Antoine, excellemment interprété par Philippe Calvaire. Jean-Charles Mouveaux s’est donc efforcé à chaque moment, à chaque mot, de donner du sens, de faire varier les intonations, d’enlever les ambiguïtés…Presque trop. L’écriture de Jean-Luc Lagarce est comme ces dessins dont le trait maintes fois repris semble hésiter alors que ses superpositions, maladroites en apparence, esquissent au contraire le mouvement. Les « non/si/peut-être , jamais/tout à l’heure/maintenant » qui se succèdent dans la bouche des personnages expriment moins leurs indécisions que leur désir de rendre compte de la dynamique et de la complexité de leurs pensées.C’est
Initiée depuis 2005 par le CASODOM, l’opération “ Talents de l’Outremer” distingue, tous les deux ans, des jeunes Français originaires de tous les Outremer , ayant réussi des parcours d’excellence en métropole ou qui y ont enrichi leurs compétences par des formations sélectives.
Ils sont cinq à table. Ou plutôt quatre, car il y a toujours une place vide pour la mystérieuse narratrice. La table est le symbole du cercle familial ; en tout cas, elle représente le lieu de la relation : on y mange, on y parle, on s’y retrouve ou bien on s’y querelle. Au fond, c’est comme un nouveau lieu scénique imbriqué dans le premier, car chacun joue un rôle dans la configuration familiale. Les caractères s’y affirment, les conflits y naissent : la place qu’occupe chacun autour de la table fonde et symbolise son rôle. La mère est près de la cuisine, le père trône en bout de table, et les enfants mâles tentent de se rapprocher de la place du père ou à la lui usurper en cas d’absence. Et les filles, elles ont ce qui reste : variables d’ajustement. Les révoltes et les insurrections commencent à table, lorsqu’il y en a un qui veut changer de place. Pour tout changer ne dit-on pas « renverser la table » ? c’est ce que fera la mère quand elle sera venue au sommet de son exaspération.
Festival d’Avignon off 2017, Théâtre des Doms, 06 => 26/07
Le metteur en scène Simon Stone, pour la première fois à Avignon nous offre une lecture très fouillée de l’univers d’Ibsen sur lequel il a longuement travaillé avec ses acteurs. Ce n’est pas une adaptation mais une transposition du sujet où se mêlent réflexion autobiographique et apport spécifique des acteurs dans la création des personnages. Nous entrons dans la vie ordinaire d’une famille qui se réunit dans une maison de vacances, réalisée sur scène sur un plateau tournant (très beau travail de scénographie de Lizzie Clachan). Par les larges baies vitrées nous avons accès à toutes les pièces : nous voilà voyeurs-violeurs de l’intime, entrant de plein pied dans la pathologie d’une famille du non dit. « Le temps ne fait rien à l’affaire », les générations se succèdent et on continue à se mentir, à se parler s’en s’entendre : inceste, homosexualité, drogue, rapports professionnels pipés où l’on se pique les projets, brouilles, arnaque immobilière….Le spectateur est mis en situation de travailler avec sa mémoire, il est sans cesse en train de refaire la généalogie car le récit n’est pas linéaire.
C’est parfait, une pièce parfaite, comme on les attend pour se distraire.
Festival d’Avignon off 2017
Il est loin le temps ou des mouvements black révolutionnaires faisaient défiler « Femme nue » sur les images d’une main noire caressant le corps d’une femme blanche dénonçant ainsi l’hypocrisie senghorienne.
En choisissant d’ouvrir les portes du in à des élèves comédiens (CNSAD) dans deux spectacles : On aura tout, Claire, Anton et eux, Olivier Py a eu souci de rappeler qu’être comédien est un métier….
Prendre le petit escalier en colimaçon et s’arrêter au premier : à droite, à gauche ça bourdonne autour des téléphones, des ordinateurs, des imprimantes. On charge les photos ,consulte la presse, revoit un texte, prend des rendez vous ,s’occupe d l’intendance au sens premier ( les buffets du Toma font appel à tous les talents culinaires de la maison) et si l’on s’écroule dans le divan du petit salon ( esprit « puces » garanti) c’est encore pour prendre le temps d’expliquer, de résoudre, de rencontrer…C’est le domaine de Marie Pierre Bousquet codirectrice qui officie dans un petit bureau surchargé de paperasse rebelle en compagnie de Séverine l’administratrice : les murs cependant attestent avec consignes et planning d’une vraie conscience organisationnelle !
Dans un billet précédent nous émettions l’hypothèse qu’Ibsen est le plus grand dramaturge du XIXe siècle, toutes langues confondues. Ce n’est pas Une Maison de poupée, reconnue comme l’une de ses meilleures pièces, qui nous fera changer d’avis, surtout dans l’interprétation qu’en donnent Florence Le Corre (Nora) et Philippe Calvario
Emma Dante est déjà venue en Avignon en 2014 avec Sorelle Macaluso. Elle disait alors : « Pour moi le théâtre consiste pour l’artiste à mettre en scène sa propre réflexion sur le présent – sa propre vision du monde contemporain et du monde dans lequel il vit. Un théâtre social signifie révéler les malaises et les problèmes que les gens ont tendance à refouler ».
Chacun l’aborde à sa façon. Depuis 2014 Olivier Py conduit un atelier de création avec Enzo Verdet au centre pénitentiaire du Pontet. Après Prométhée enchaîné, Hamlet est répété, joué l’an dernier dans le cadre de la prison et cette année au festival dans le salon de la mouette dans le cadre prestigieux de la Maison Jean Vilar pour trois représentations données, vu la petite jauge, à une poignée de spectateurs tirés au sort. Les détenus ont choisi Hamlet le révolté qui affronte l’autorité, la loi et le pouvoir et clame l’effondrement du politique. Hamlet impuissant à agir sur le monde se réfugie dans le théâtre. Le pont était lancé. Sur une scène dépouillée à l’extrême (une toile peinte en fond de scène et se déroulant au sol), Hamlet est empoigné à bras le corps et chacun joue sa partition avec un verbe qui sonne, vibre. Ces voix qui s’entendent, s’écoutent redonnent vie aux corps grandis par la dignité de la verticalité. Force des mots qui à travers le lien social introduisent le jeu avec des gestes à soi et de temps à autre des mots repères comme délinquant, petite pute, vieux con, pourri.
Retour sur Jaz. La Camara Oscura.
Tout d’abord il faut signaler l’attention particulière que porte Olivier Py aux jeunes spectateurs. Depuis 2014 un lieu leur est consacré dans le in (Chapelle des pénitents blancs) et des tarifs particulièrement attractifs (jusqu’à 9 euros la place) sont pratiqués. Mieux, un guide du jeune spectateur réalisé avec élèves d’écoles et collèges, animateurs, professeurs indique spectacles et lieux, retrace l’histoire du festival, présente la cour d’honneur, initie au vocabulaire technique du théâtre etc…Intelligemment il permet de, comme le dit le directeur du Festival, « reconsidérer le réel au prisme des artistes » et de ne pas oublier que « l’émerveillement est bien plus une question qu’une réponse ».
Un ring aux cordes de Leds rouges. C’est donc que pour elles, l’amour c’est un combat. Et elles en ont du punch ces quatre filles dont une violoncelliste qui ajoute un peu de romantisme à toutes ces historiettes, ces « fragments amoureux » qu’elles nous rapportent en pleine énergie et fraîcheur et sincérité. Parfois en dansant, parfois en chantant, en déclamant, toujours avec humour. Même lorsqu’elles abordent le douloureux tableau des « PLEURS » où elles accompagnent leurs sanglots simulés de force oignons puants . Le public, sollicité , déconcerté au début sort d’autant plus heureux qu’il a pu participer aux rengaines et apprécier cet air de liberté insufflé par les années Barthes et qui ne se mêle plus de censurer sexe, genres…Au théâtre des Barriques on peut également voir dans les mêmes thématiques, par la compagnie Avant l’aube, Boys don’t cry », un peu plus hard, ou encore « Ground zéro « , plus inspiré par A . Ernaut et tout aussi « révolutionnaire « .
Un spectacle inclassable entre cirque (acrobatie) et performance dans un décor qui évoque une vague ou une dune de couleur grise uniforme, fait de grandes plaques d’isorel que l’on peut soulever, déplacer, dévoiler des trou d’où surgiront des mains, des bras ou des jambes, des corps… ou de simples accessoires comme un pot de fleur. Dans l’une des séquences de cette pièce proprement extraordinaire qui fait appel autant à des mythologies anciennes que modernes, un astronaute vêtu d’une combinaison blanche immaculée, avec un énorme casque-hublot et le bruit amplifié de sa respiration, surgit de derrière la dune (?) et se dirige vers un point précis où il se met à creuser, déterre quelque pierres et finalement extrait un homme entièrement nu. Lorsque l’astronaute se débarrasse de sa combinaison pour apparaître le buste découvert, on s’apercevra qu’elle est du sexe féminin. Les corps se montrent en effet très souvent nus. Peut-être une réminiscence des Grecs anciens qui pratiquaient les sports ainsi, puisque The Great Tamer vient de la Grèce. Les corps sont d’ailleurs beaux comme des académies.
Festival d’Avignon off 2017, Présence Pasteur 7>30 juillet
M.E.S. Thierry Bedard
Voilà une M.E.S. (de Claire Guyot) qui dépoussière joliment une pièce du répertoire classique sans jamais la trahir. Le titre est trompeur, de même que le résumé dans le catalogue du OFF qui évoque une « version cinématographique du chef d’œuvre de Molière » alors que ce Misanthrope se joue fort honnêtement sur les planches sans le truchement d’une caméra ni de micros. Quant à l’aspect « politique », il correspond tout au plus à un prologue (muet) et à la première scène pendant lesquels Alceste et Philinte travaillent côte à côte sur un bureau, l’un à signer des parapheurs, l’autre à corriger un texte sur un ordinateur portable. Car c’est surtout en cela que la M.E.S. est moderne, grâce aux costumes et à une utilisation très astucieuse des instruments qui ont envahi notre vie quotidienne, tablettes et téléphones mobiles. Par exemple Philinte n’a pas besoin d’être présent dans la même pièce qu’Alceste. Il peut dialoguer avec lui grâce au téléphone d’Éliante en position haut-parleur. De même le valet de Célimène est-il commodément remplacé par un interphone.