Ibsen Huis-Toneelgroep-In

— par Dominique Daeschler —
Le metteur en scène Simon Stone, pour la première fois à Avignon nous offre une lecture très fouillée de l’univers d’Ibsen sur lequel il a longuement travaillé avec ses acteurs. Ce n’est pas une adaptation mais une transposition du sujet où se mêlent réflexion autobiographique et apport spécifique des acteurs dans la création des personnages. Nous entrons dans la vie ordinaire d’une famille qui se réunit dans une maison de vacances, réalisée sur scène sur un plateau tournant (très beau travail de scénographie de Lizzie Clachan). Par les larges baies vitrées nous avons accès à toutes les pièces : nous voilà voyeurs-violeurs de l’intime, entrant de plein pied dans la pathologie d’une famille du non dit. « Le temps ne fait rien à l’affaire », les générations se succèdent et on continue à se mentir, à se parler s’en s’entendre : inceste, homosexualité, drogue, rapports professionnels pipés où l’on se pique les projets, brouilles, arnaque immobilière….Le spectateur est mis en situation de travailler avec sa mémoire, il est sans cesse en train de refaire la généalogie car le récit n’est pas linéaire. On bouge dans le temps, revient en arrière puis fait un bond en avant suivant la maison manège qui se dégarnit, se construit, se vide se déconstruit. Il n’est pas innocent que le personnage « nœud » des conflits soit architecte. C’est vif, enlevé, sans psychologie, au cœur de « l’ich drama » d’Ibsen. Les comédiens sont excellents. A méditer sur la survie et la résilience.

Ramona-Théâtre Gabriadze-In

Dans le cadre intimiste du salon de la mouette de la maison Jean Vilar, Rezo Gabriadze, avec l’amour de deux locomotives Ramona et Ermon, nous offre un intense et émouvant moment de poésie. Dès la première image on est transporté dans un monde où règne l’imaginaire : sur fond noir, des trains se croisent, partent dans tous les sens ; on distingue seulement les lumières des wagons comme autant d’étoiles dans un ciel d’été. Comment peut-on se piquer au jeu de croire en l’amour de deux locomotives ? Rez Gabriadze convoque, à la Fellini, ses souvenirs d’enfance en Russie soviétique : son amour des locomotives et du cirque. C’est extravagant et plein d’humour. Ramona la petite locomotive qui reste à quai « assignée à résidence » est mariée à Ermon qui parcourt le pays au gré des aiguillages mais cette Pénélope des rails bravera l’autorité des gardes, la délation pour aller au secours d’un petit cirque qu’elle conduira à destination. Las, las son Ulysse d’acier arrivera trop tard quand l’imprudente meurt en jouant les fils de fériste. . Gabriadze qui met en scène, crée les marionnettes, la scénographie et le texte parle aussi de surveillance dans un système totalitaire, de solidarité, de libre arbitre. Les marionnettes miniatures sont fabuleuses dans le détail et la possibilité de jeu. Le train des travailleurs se déroule comme un leporello, un paysage défile sur un fil, des jambes écrivent…C’est magique parce que soigné, inventif, très bien manipulé nous rappelant que l’enfance est le terreau de la création. Un des plus beaux spectacles d’Avignon.

Dominique Daeschler