« Livret de famille » au théâtre Essaïon

— par Dégé —

C’est parfait, une pièce parfaite, comme on les attend pour se distraire.

Un décor parfait de Olivier Hébert : une mansarde à deux fenêtres donnant sur un toit en zinc où l’on aimerait méditer. Un texte parfait de Eric Rouquette qui signe aussi la mise en scène, tout aussi irréprochable…Des acteurs parfaits : Christophe de Mareuil et Guillaume Destrem, dans une vraie complicité fraternelle et professionnelle. Un thème innovant celui d’Oedipe mais inversé : Qui à un moment ou un autre ne souhaite, n’a souhaité ou ne souhaitera tuer sa mère ?

Marc est un écrivain raté, un homme à la vie ratée non parce qu’elle lui aurait échappé car il prétend la diriger. Avec cet objectif : réussir ses échecs. Quoi alors de supérieur à un matricide ? A moins que sous son aspect bourru…?

Son plus jeune frère, lui, à toutes les apparences de la réussite sociale : cadre compétitif, père de famille modèle, mari aimant toujours sa femme qui l’a préféré à son aîné…serait-ce l’origine de la tension entre les deux frères ? Les ambiguïtés sont nombreuses dans leur relation et objet de nombreux rebondissements dans la pièce.

Sans que cela soit un thriller, des suspens, des fausses pistes soutiennent l’attention du spectateur. Ainsi Marc en proie à des difficultés pécuniaires fait des recherches sur la vie des assassins. Est-ce lui, si étrangement expérimenté,qui a fait disparaître sa mère ? Mais pourquoi pas le plus jeune frère si parfait, si honnête, si lisse dont on voit peu à peu l’admiration trouble, la jalousie qu’il éprouve pour Marc, son rival endémique dans le cœur de leur mère…?

L’argent, la fraternité infernale ou solidaire, les relations familiales sont les ressorts de cette pièce dans la tradition bourgeoise mais dont l’accent est plus porté sur la psychologie des personnages que sur leur patrimoine ce qui la rend à la fois plus plaisante et violente.

On ne peut donc reprocher à « Livret de famille  » que sa perfection dans le genre. C’est-à-dire son absence de prise de risque. Pas de dérèglements du langage, du temps, des comportements, de la logique…? Pas de passage à l’acte scandaleux ? Une fin très probable. Certes. Mais pourquoi bouder son plaisir ?

>Par Dégé. Avignon 2017.