« Juste la fin du monde » de Jean-Luc Lagarce. Théâtre du Petit Louvre, Avignon 2017

— par Dégé —
C’est Jean-Charles Mouveaux, le metteur en scène, qui joue le rôle de Louis, le fils prodigue, mort au moment où il va nous raconter son histoire, celle de sa famille.C’est une performance pour les spectateurs d’affronter la langue de Lagarce. Une performance plus encore pour les acteurs de dire ce texte aux infinies répétitions du même mot, d’énumérations, de synonymes, de retour en arrière sur le même. On s’y noye, on perd le fil de l’histoire comme le reproche à Louis son frère Antoine, excellemment interprété par Philippe Calvaire. Jean-Charles Mouveaux s’est donc efforcé à chaque moment, à chaque mot, de donner du sens, de faire varier les intonations, d’enlever les ambiguïtés…Presque trop. L’écriture de Jean-Luc Lagarce est comme ces dessins dont le trait maintes fois repris semble hésiter alors que ses superpositions, maladroites en apparence, esquissent au contraire le mouvement. Les « non/si/peut-être , jamais/tout à l’heure/maintenant » qui se succèdent dans la bouche des personnages expriment moins leurs indécisions que leur désir de rendre compte de la dynamique et de la complexité de leurs pensées.C’est une gageure pour le metteur en scène et les acteurs de ne pas déstabiliser, ou ennuyer le public avec le jeu constant d’un même verbe à des temps ( je croyais, je crois, j’ai cru ) ou des modes différents ( je penserais, je pense, je dois penser). Et ils le disent avec conviction et une belle énergie, notamment celle de Vanessa Cailhol qui tient le rôle de Suzanne, la petite sœur. L’effet psalmodié du texte ressort des longs monologues que chaque personnages produit tour à tour où chacun se reprend, se répète, se précise. Depuis des silences les plus pleins à la colère la plus profonde pour s’approcher enfin de son authenticité, de ses vérités. On peut y voir la palette d’expressions de chaque comédien.
Le décor de Raymond Sarti, s’inscrit dans une arche de La Chapelle des Templiers qui semble avoir été faite pour représenter le nid renversé de cette famille dévastée par la si longue absence de Louis. Dévastée par l’énigme de son départ tout autant sans doute que celle de son retour. La « scénographie paysage » nous propose un chaos de tables renversées comme autant de niches refuges, de lieux à conflits, de salle à manger, de viaduc à suicide possible…Parfois un faisceau unique de lumière, tel un bistouri, plonge au cœur même d’un personnage.
Lagarce est devenu un auteur classique, la famille qu’il nous décrit ici dans ses amours comme ses déchirements, ses inaptitudes, ses bonheurs et ses échecs, peut être la nôtre. Nous l’écoutons et la regardons avec nostalgie dans l’espoir vain qu’elle deviendra, qu’elle a été, qu’elle est, qu’elle pourrait être meilleure. Avec Aznavour, sollicité en chanson, nous l’attendons…
Par Dégé. Avignon 2017 THÉÂTRE DU PETIT LOUVRE, Chapelle des Templiers.