Deux danseuses noires + deux circassiennes blanches, une pièce 100 % femmes avec une intention féministe affichée. Les danseuses sont souvent quatre en réalité car les deux circassiennes se mettent également à danser dans les tableaux à quatre. Après un prologue superflu au cours duquel est délivré en voix off un premier discours militant (éloge de la « femme djok », i.e. poteau mitan) à la clé, le spectacle commence et sera un enchantement de début à la fin, faisant oublier aussi bien le discours inaugural que celui qui viendra interrompre brièvement la pièce. Dans cette veine, on aura préféré le moment où une danseuse, micro en main, s’adresse à sa partenaire (puis idem pour les circassiennes).
Il n’y a pas si longtemps, on voyait fleurir sur les plateaux des pièces parlant des migrants : c’est sans doute ce qu’attendaient les subventionneurs. Désormais la mode est pour les sujets « woke » (racisés, femmes, lgbtq…). Ainsi va le monde. Toutes ces vertueuses intentions n’empêchent heureusement pas de faire de bons spectacles. Et celui-ci en est un, son ramage sauvé par son plumage.



Ce mois de janvier 2022 a permis d’ouvrir au bénéfice du public martiniquais quelques « Fenêtres sur Haïti », selon le titre choisi pour cet ensemble de manifestations : cinéma, théâtre, musique, expositions. Si Haïti est en très mauvais état (et ce n’est, hélas, pas d’hier, on pourra consulter au premier étage de l’Atrium des panneaux sur lesquels sont rappelées quelques-unes des atrocités commises par François Duvalier), sa créativité est intacte. Ainsi ces diverses manifestations ont-elles fait souffler un peu d’air frais sur une Martinique trop longtemps privée d’événements culturels.
Les temps de pandémie rendent difficile l’organisation d’un exposition réunissant des œuvres venues d’ailleurs comme la Fondation Clément en organise chaque année. Il est en effet bien risqué d’engager les frais qu’entraînent de telles expositions sachant qu’elles peuvent être annulées du jour au lendemain en raison des impératifs sanitaires. La Martinique, de surcroît, particulièrement atteinte par la Covid 19 du fait du faible taux de personnes vaccinées, présente à cet égard un risque accru. Heureusement, la Fondation possède son propre fonds, riche de plus de 800 œuvres émanant de plus de 250 artistes, de quoi organiser plus d’une exposition.
Qui ne connaît, en Martinique, le PABE (Plastik Art Band Experimental), ce groupe d’artistes plasticiennes de tous âges et qui, sous la bienveillance houlette de Michelle Arretche, trouvent d’année en année leur chemin auprès du public martiniquais ? Qui les a suivies a pu mesurer les progrès accomplis au fil du temps, leur professionnalisme.
La Martinique demande l’inscription du site de la Montagne Pelée à l’inventaire du patrimoine mondial de l’UNESCO. Afin de soutenir cette candidature, la Fondation Clément a rassemblé quelques plasticiens contemporains autour de cette thématique précise, ou de celle, plus générale, de la Martinique, paysages et gens.
Les violents mouvements sociaux à la Martinique et à la Guadeloupe, un peu plus d’une décennie après ceux de 2009, illustrent une fois de plus l’impasse dans laquelle se trouvent tant les ultramarins que le gouvernement de la France. Contrairement à la Grande-Bretagne qui a su faire en sorte que ses colonies soient autonomes financièrement, la France a laissé s’installer des habitudes de dépendance des colonies par rapport à la Mère patrie. C’est sans doute pourquoi nul n’a vu d’objection, en 1946, quand les habitants des quatre « vieilles » colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion) de tous les bords politiques ont demandé par la voix d’Aimé Césaire, alors député communiste, leur transformation en départements. La France se trouve dès lors dans la situation pour le moins anachronique d’être légalement souveraine de territoires tropicaux peuplés majoritairement par des citoyens de couleur issus d’ancêtres esclaves, des citoyens habiles à mettre en avant ce passé douloureux pour faire pression sur un gouvernement adepte du « pas de vagues ». Conscient du rapport de force en leur faveur, les Antillais usent de la violence pour appuyer leurs revendications.

En Martinique on cultive les lettres de longue date et si elle sont moins connues que sa poésie, Césaire s’est également illustré par ses pièces de théâtre. Bien que les auteurs contemporains soient contraints de s’en tenir à des formats plus modestes que le maître, la tradition se perpétue avec de belles réussites. L’association ETC (pour Ecritures théâtrales contemporaines) – Caraïbe, présidée par Alfred Alexandre, lui-même auteur talentueux, est au service des dramaturges martiniquais, guadeloupéens et, dans une moindre mesure, conformément à sa raison sociale, caribéens. Elle a organisé les 9 et 10 novembre 2021, en relation avec l’Université des Antilles, des « Théâtrales » qui sont autant d’occasions de rencontres avec des auteurs et des textes d’aujourd’hui. Des Antilles ou d’ailleurs car les auteurs doivent s’ouvrir au monde, particulièrement sur une île. En l’occurrence, c’est un auteur venu de France qui est venu apporter le vent du large.
Il y a longtemps qu’Annick Justin Joseph porte ce projet d’hommage au musicien martiniquais Henri Brival (1933-), artiste lamentinois qualifié d’« extravagant », ce qui ne l’a pas empêché de voyager à travers le monde avec son « bwa ronflé » (ou « wonflé), instrument de son invention composé d’une caisse en bois (isorel) que l’on caresse avec un bâton et qui produit des sortes de barrissements. Sur la scène du théâtre municipal de Fort-de-France, un de ses disciples faisait la démonstration de cet instrument aussi rustique qu’original.



« Tu sais quelquefois on se demande à quoi que ça sert, tout ça, tout ce mal qu’on se donne. Et les matins qui se répètent. Putain de Dieu. Y a des jours où je voudrais être déjà dans le trou. D’ailleurs j’ai jamais été bien que dans des trous… ». Ainsi débute Le Déparleur. Un personnage se raconte, il est au bout du rouleau, il se remémore les principales étapes d’une vie de misères plus que de bonheurs qui l’ont conduit là où il est enfin parvenu, sur un bout de trottoir d’où il harangue les passants.
Décourageant.e.s ces sacré.e.s Courtes Lignes. Pour ceux qui l’ignoreraient encore – mais qui en Martinique le pourrait, tant leur renommée y est avérée après des années de tournées triomphales ? – les Courtes Lignes sont des comédiens guadeloupéens spécialistes du Boulevard dans ce qu’il a de meilleur, celui qui fuit la vulgarité et fait rire sans oublier d’émouvoir. Décourageants pour le critique qui ne peut que rendre une fois de plus hommage au talent de cette troupe, celui qu’elle montre en l’occurrence dans le Jardin d’Alphonse de Didier Caron, un huis clos familial (même s’il se passe dans le plein-air d’un jardin) seulement troublé par un couple d’amis « hauts en couleur » (comme dit justement le programme). De cette famille, on ne verra pas l’Alphonse du titre, il en est le grand-père que l’on vient d’enterrer. Il sera donc question d’héritage mais seulement en passant. On s’intéresse plutôt aux secrets de famille, lesquels, comme il se doit au théâtre, finiront par être dévoilés. Pourquoi cette rumeur faisant d’Alphonse un accapareur des biens des juifs sous l’Occupation ? Pourquoi Magali, la petite-fille d’Alphonse est-elle ainsi sur les nerfs et semble tellement en vouloir à Jean-Claude, son père (et fils d’Alphonse) et pourquoi son frère Serge est-il lui aussi sur les nerfs au point de se montrer grossier ?
ans le panorama des cinémas du mode auquel nous convie régulièrement Steve Zebina, retour en ce mois de mai vers la Russie. Il est toujours surprenant de constater combien les cinémas nationaux gardent leur spécificité malgré la mondialisation culturelle. Le cinéma démontre en effet qu’il ne suffit pas d’avoir un Mac Do au coin de sa rue et des séries américaines au programme de la télé pour perdre totalement son âme. Cette résilience des identités nationales (ethniques, religieuses, …) est-elle un bien, un mal ? Un bien, sans doute, puisque la diversité est une richesse et un mal sans davantage de doute puisque les nations, ethnies, religions ne sont que trop portées à se faire la guerre.
Après l’exposition tirée du fonds de l’entreprise Renault, présentant quelques grands noms des arts plastiques du XXe siècle, la Fondation Clément a eu l’excellente idée de réunir trente-cinq artistes martiniquais toujours actifs dans une exposition collective intitulée Pictural. « Pictural » comme peinture, même si l’on n’est pas surpris de trouver des exceptions au châssis rectangulaire habituel, tant les frontières entre peinture, sculpture, installation se sont désormais estompées.
— Par Michel Herland —
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