UAG : « Vive la crise si elle permet d’aller plus loin »

—Par Gilbert Pago—

uagJe suis abasourdi par les décisions catastrophiques du gouvernement, prises de manière cavalière :
— Aucune volonté de rechercher l’apaisement dans ce conflit et le dialogue entre les interlocuteurs,
— Mise à l’écart brutale de la gouvernance de l’UAG en Guyane,
— Désaveu et contournement de la présidente de l’U.A.G,
— Nomination d’une administratrice provisoire membre de ces groupes de recherche en Guyane indifférents (quand pour le moins, ils ne sont pas hostiles) à l’U.A.G,
— Mesures prises sous la coupe de Taubira et probablement de Lurel.
— Consultation seulement après les faits, de la direction de l’U.A.G, des parlementaires des deux îles et des conseils régionaux de Guadeloupe et Martinique
— Mesures qui loin de calmer les choses ne vont qu’amplifier la division entre Guadeloupéens, Martiniquais et Guyanais sous l’œil goguenard et condescendant des quelques uns de « nos observateurs ».
La crise dans l’U.A.G couvait, elle a éclaté et quoique trop tardivement il fallait réagir en positif aux réclamations guyanaises !
Il fallait répondre aux demandes des Guyanais en matière de moyens, pour des requêtes tout à fait fondées ! Mais il fallait aussi regarder la question des médiocres moyens de tout l’U.A.G même si on prévoyait de les assortir d’un rigoureux audit et de mesures de contrôle. En particulier, s’assurer que dans la répartition des moyens et des filières, les égoïsmes, le poids des mandarins, les rivalités régionales ne réduisent tel ou tel pôle ou territoire, telle ou telle faculté à n’obtenir que des miettes.
Il fallait peser dans le sens d’une réelle et efficiente autonomie des pôles, des trois pôles pour répondre aux retards des trois pays en matière d’enseignement supérieur!
Il fallait insister sur une revisite, une reconstruction, une refondation de cette U.A.G qui accole les termes Antilles et Guyane dans une définition géo-politique que de nombreuses personnes contestent (En tout cas fortement en Guadeloupe et en Guyane) !
Trois universités indépendantes pour des effectifs qui ne dépassent pas les 6500 en Guadeloupe voire 4500 en Martinique et 2500 en Guyane ne créent pas l’attractivité des étudiants originaires (les départs s’amplifieront !), ni celle des étudiants étrangers ni l’attrait des chercheurs internationaux (Je ne parle pas des chercheurs de postes, de primes et de carrière).

Il fallait donc commencer à discuter l’idée d’une U.A.C (Université amazonienne et caribéenne) c’est-à-dire qui en installant la stricte autonomie administrative des pôles, dans le même temps fixe, fiche, fige, façonne une recherche scientifique de valeur. Celle-ci ne peut prendre du poids et de l’allant qu’en ayant la contribution des Guadeloupéens, des Martiniquais et des Guyanais (mais pas d’antillo-guyanais !- vocable mais aussi concept politique rejeté) avec une véritable présidence universitaire tournante, rigoureusement tournante, pour affirmer que sa chacun a sa place entière « au rendez-vous de la recherche » et dans la répartition des filières

Il fallait à l’Université dite « des Antilles et de la Guyane », à cause de sa spécificité (répartition entre 3 pays sans frontière commune, éparpillement sur plus de 1500 kms, dispersion géographique d’un nombre restreint d’étudiants sur 3 pôles) un statut dérogatoire dans le cadre universitaire français. Mais il le faudra encore pour ce qui restera des ruines mises en place de l’outil universitaire dans les trois entités.
Plusieurs raisons le commandent :

Les trois pays développent des identités propres. L’archipel Guadeloupéen avec ses « dites dépendances » (voire particulièrement les collectivités à article 74 de Saint Martin et de Saint Barthélémy), tient à réaffirmer sa particularité. La Martinique forme juridiquement une unité insulaire plus homogène sans les regroupements différenciés des Saintois, des Saintbarthélémiens ou des Saintmartinois. La Guyane géographiquement est plus attirée par sa vocation continentale au moment où le Brésil, état frontalier, joue sur le plan mondial un rôle de plus en plus grand. La démarche n’est donc pas identique entre les trois territoires. De plus des rivalités, souvent montées en épingle mais attisées par les chauvinismes de tous, ne créent pas les moyens d’un regard commun vers un idéal partagé qui pourrait être caribéen au sens large du terme, ou accroché aux seuls trois périmètres.

On comprend par conséquent que les revendications de la Guyane ont un aspect très marqué d’un autonomisme fort, mais qui existe aussi dans les deux îles.

Les restes de l’Empire des «Isles d’Amérique et de Guyane » ont longtemps fait réfléchir a une alliance dans les temps immédiatement contemporains en une « Grande région antillo-Guyanaise », comme ce fut le schéma lors du gouvernement général des îles aux XVII et XVIII èmes siècles. Mais cette chimère a peu vécu, car elle ne tenait pas compte de l’originalité de chacun.

D’abord la vision régionale a été un échec sur le plan politique. En 1969-1972, l’idée d’une Région antillo-guyanaise a suscité une levée de boucliers des milieux commerciaux et industriels en Guadeloupe et en Guyane soutenus par les représentations politiques locales. Le personnel politique martiniquais soutint la politique gouvernementale du rêve gaulliste (dans un grand souci de chauvinisme !), mais n’arrivait pas à rendre ce projet crédible ni à entraîner la complicité des milieux de gauche. On alla donc vers les fameux départements-région qui de fait devenaient une négation du projet de régionalisation mis en place en France voulant unifier plusieurs départements sous la coupe d’une région.
Ensuite le fonctionnement dit « antillo-guyanais » fut un revers sur le plan administratif tant pour l’Académie des Antilles et de la Guyane que pour l’IUFM des Antilles et de la Guyane: l’Académie des Antilles et de la Guyane a duré 22 ans, en concentrant sa gouvernance principalement en Martinique, répartissant mal ses trop maigres moyens tant sur le plan matériel qu’en personnels entre les trois pays. L’échec fut spectaculaire et le château de cartes s’écroula sous une grève de novembre 1996, en Guyane (sic !). L’IUFM des Antilles et de la Guyane dont le siège était en Guadeloupe a tenu 10 ans, avec pour conséquence un éclatement en trois entités et les mêmes remarques sur l’inégalité de répartition des moyens et des investissements.
Enfin la cohésion universitaire des trois pôles est totalement chahutée et entraîne le déboire actuel. L’U.A.G dont le siège est en Guadeloupe a pu tenir plus longtemps. Mais tant les aspects administratifs que la gestion de la recherche scientifique n’ont cessé de poser des problèmes. Les deux blocs guadeloupéen et martiniquais ont pu maintenir une certaine cohésion avec l’alternance entre les deux îles, de la présidence de l’institution. Par contre la Guyane a été écartée, d’abord parce qu’elle avait peu d’étudiants, peu d’enseignants guyanais, et que la plupart des chercheurs en milieu amazonien étaient des français de France absolument déconnectés des Antilles. Enfin la résidence en Guadeloupe pour un président guyanais posait quelques problèmes de logistique familiale vue la difficulté des transports et l’exigence d’être sur les trois pôles et la France. Finalement l’alternance arrangeait bien les « partageurs » antillais. Ainsi donc avec moins de moyens, moins d’étudiants et moins de professeurs, la Guyane vivait à l’écart où on elle se sentait enfoncée. Lorsqu’elle put arguer d’un plus grand nombre d’enseignants-chercheurs et qu’elle se mit à présenter enfin un candidat à la présidence, on fit remarquer que l’alternance devait se terminer et qu’il fallait voir la compétence des candidats. La question des rivalités personnelles reprit toute son ampleur dans les trois pôles, pour la dernière campagne présidentielle.
Cette crise débutée en Guyane montre que le temps d’une U.A.G telle qu’elle fonctionnait est mort. Il n’empêche que les méthodes pour mettre à l’écart la direction de l’U.A.G et la gouvernance en Guyane est cavalière et ne fournit pas de réponse quant à la suite des événements pour les deux autres pôles.

Puisqu’à un moment ou un autre le dialogue devrait reprendre, si on veut effectivement une véritable vie universitaire vivifiante de trois territoires qui se coordonnent (En tous cas cela devrait être la vision d’élus politiques et des dirigeants universitaires qui pensent au devenir de ces trois pays- Je doute que les politiques français aient perçu, ou aient même cherché à percevoir cette donnée du problème) il faudra réaffirmer et redéfinir les points suivants que l’U.A.G. se divise ou qu’elle se maintienne:
— L’Autonomie administrative effective des pôles.
— Le statut dérogatoire de l’Université sise en Guadeloupe, Martinique et Guyane.
— La rigueur pour la coopération scientifique universitaire indispensable entre les trois pôles.
— Le respect par le gouvernement du rôle des universitaires de l’U.A.G. dans les négociations et dans les perspectives d’avenir, sans continuer à attiser les ferments de division.

L’autonomie administrative effective des pôles.

Que chaque territoire se gère totalement sur le plan des actes administratifs et des décisions pour le fonctionnement, pour les investissements, pour l’entretien, les amortissements, la programmation pluriannuelle.

Statut dérogatoire pour la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane :

Permettre une université (que l’on maintienne ou non l’U.A.G) en 3 pôles vraiment autonomes contrairement à ce qui se fait en France. (Dérogation à acter)

Revoir les critères d’attribution pour la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane et ne pas les aligner sur les autres universités françaises quant aux critères d’attribution de crédits de fonctionnement et d’investissement (Tenir compte de la notion d’éloignement des milieux universitaires français et européens, de la cherté des déplacements entre la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, et dans la Caraïbe anglophone et hispanophone)(Dérogation à acter)

Ne pas raconter que l’Université dite « des Antilles-Guyane » est sur-dotée en moyens administratifs et en postes d’enseignement quant on la met avec ses 13 000 étudiants en comparaison avec des universités qui ont 40 ou 60000 étudiants et quelquefois voisines de plusieurs universités dans un périmètre restreint comme celui de la région parisienne où fleurissent 13 universités publiques, plusieurs universités privés, de nombreuses grandes écoles supérieures. La petitesse de l’U.A.G, son éclatement- dispersion sur une zone qui s’étend sur plus de 1500kms exige des moyens administratifs à démultiplier et un encadrement pédagogique conséquent à adapter. (Dérogation difficile à expliquer dans une période de rigueur en particulier aux Universités françaises qui se plaignent des restrictions).

Ne pas attribuer les postes administratifs selon les critères numériques d’attribution mis en place en France. (Dérogation à acter)

Equiper ce réseau universitaire d’importants et nombreux moyens de la visio-conférence pour permettre des cours en sur les trois pays en même temps. Généraliser les cours de télé enseignement, pas comme un remplacement des cours mais comme une nouvelle démarche pédagogique.

Rigueur pour la coopération scientifique universitaire.

Si la gestion administrative est totalement décentralisée, la recherche s’oblige aux démarches scientifiques avec les experts, les chercheurs, le contrôle de haut niveau et la question de la taille (effectifs d’étudiants et d’étudiantes, cohorte de chercheurs et de chercheuses, publication de haut niveau, tenues de colloques, échanges avec les autres universités de la Caraïbe, d’Europe, de la France et du monde).

Voir comment trois états indépendants (Jamaïque, Barbade, Trinidad) dont la Barbade moins peuplée que la Martinique, ont pu créer une Université des West-Indies (U.W.I) avec des annexes dans les petits états de la Caraïbe (Sainte Lucie, Saint Vincent, Antigua, etc). Ils arrivent à fonctionner, à produire des scientifiques de haut niveau et des cadres de très bien formés.

Il fallait lancer l’idée de mise en place d’une Université d’études amazoniennes et caribéennes avec une présidence tournante entre les trois pays, pour atteindre une taille numérique bien plus forte pour le travail de recherche.

Gilbert Pago
Ancien PRAG (professeur agrégé) de l’U.A.G.
Ancien responsable adjoint du département d’histoire de la faculté de lettres
Ancien directeur adjoint de l’IUFM des Antilles et de la Guyane
Ancien formateur MAFPEN (mission académique de la formation des personnels de l’Education nationale) attaché à la préparation du Capes interne d’histoire et de géographie en Guadeloupe, Guyane et Martinique et aussi de l’agrégation interne d’histoire et de géographie.
Ancien directeur de l’IUFM de Martinique.


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