Allen Iverson, symbole de la condition des basketteurs noirs de NBA

— Par Rue 89 Sports —

allen_iversonAllen Iverson, joueur le plus spectaculaire de la NBA il y a une dizaine d’années, a pris sa retraite dans l’anonymat. Le sport spectacle n’a pas aidé cet individu fragile à sortir de sa condition précaire
Allen Iverson, star de la NBA au tournant du millénaire – MVP en 2001 –, a annoncé le 1er novembre l’arrêt de sa carrière de basketteur. Si l’on s’y intéresse ici, ce n’est pas seulement parce qu’il a été le plus spectaculaire de sa génération, le trait d’union entre les ères Jordan et Bryant.

Iverson a eu durant ses 14 années sur les parquets de la NBA l’image d’un enfant terrible. Présenté très jeune comme une future icône, sa carrière a été bien moins riche en succès – une présence en finale NBA – que prévue. Il a aussi connu toutes sorte de déboires judiciaires et financiers. Comment, un individu promis à une carrière exceptionnelle en vient-il à se perdre, se mettre en danger pour finalement annoncer sa retraite dans un relatif anonymat ?

Allen Iverson a grandi dans en Virginie, ancien Etat sudiste, où les séquelles de la ségrégation raciale sont encore très présentes. Durant son enfance, la mère d’Iverson élève seule son fils, le père de l’athlète étant décédé à seulement 27 ans et son beau-père effectuant de nombreux séjours en prison.
L’université grâce au basket

Le jeune Iverson connaît une enfance difficile dans le quartier disqualifié de Hampton. De ce fait, l’enfance d’Iverson cristallise deux grands traits particuliers des problèmes sociaux de population noire américaine : la précarité et l’isolement social des femmes – plus de 60% des femmes noires américaines vivent seule et dans une très grande pauvreté – et le taux d’incarcération plus élevé que la moyenne chez les hommes – environ plus de la moitié des détenus sont Afro-Américains.

A l’adolescence, Allen Iverson lui-même se fait incarcérer pour une bagarre déclenchée suite à des injures racistes proférées à son encontre. Innocenté par un témoignage, il intègre un lycée pour jeunes en difficulté où il pratique intensément le basket. C’est en se faisant repérer par un entraîneur de l’équipe de basket de l’université de Georgetown qu’il pourra rejoindre l’établissement.

Cette entrée dans le monde universitaire nous permet de revenir sur deux constats : d’une part, le faible taux d’Afro-Américains entrant dans une grande université américaine, et d’autre part, le fait que le sport est souvent leur seule filière d’accès à ces mêmes universités. Par ailleurs, le fait d’intégrer une filière sportive les fragilise d’autant plus sur le marché de l’emploi, puisqu’ils vont surinvestir la pratique afin de d’être recrutés le plus tôt possible, réduisant ainsi leurs chances de sortir diplômés et mieux armés au moment de la futur reconversion.

A contre-courant d’une population blanche qui s’oriente dans des cursus parallèles à la pratique sportive afin d’obtenir des diplômes plus en phase avec le monde des instances décisionnelles du sport (entraineurs, managers, etc..), secteur idéal pour une reconversion.

On compte de nos jours 80% des joueurs d’origine afro-américaine en NBA alors qu’une dizaine de managers sur 30 est issue de cette communauté. La part des Noirs américains dans les institutions sportives est encore plus faible (aux alentours de 22%).
Un grand fragile à l’étiquette de bad-boy

Iverson, recruté en première position à la draft, signe chez les 76ers de Philadelphie et termine meilleur rookie – joueur de première année – de la saison en 1997. Il signera un contrat publicitaire avec la marque Reebok qui le surnommera « The Answer », en référence au départ de Michael Jordan qui avait posé la question de sa succession.

Bien que talentueux, Iverson est aussi présenté par les médias comme un joueur caractériel et agressif, en raison notamment de ses disputes incessantes avec son coach de l’époque, Larry Brown. Ses nombreux tatouages et son attrait pour la culture hip-hop – il sort un album de rap jugé violent – lui collent l’étiquette de bad-boy.

Lorsque sa femme décide de divorcer et obtient la garde des enfants, le joueur bascule dans l’alcoolisme. Sa fragilité le tuera sportivement. Les conditions dans lesquelles il a grandi, communes à plus de 30% des Afro-Américains, ont contribué à forger sa manière d’être que la NBA ne va pas manquer d’exploiter.

Dans un article universitaire publié en 2012, le sociologue David Sudre et l’ethnologue Matthieu Genty retracent la trajectoire de la communauté noire dans l’histoire du basket américain. Ces chercheurs montrent comment la NBA a tiré son essor du style de jeu développé par les Noirs américains et leur intégration progressive.
Le basketteur noir, objet de consommation

A partir des années 50, la NBA le premier championnat aux Etats-Unis au détriment du basket universitaire, majoritairement blanc. Afin de produire un spectacle nouveau, le NBA décide d’intégrer les premiers joueurs issus d’une équipe composée de Noirs américains, les Globetrotters de Harlem, dont les prestations scéniques connaissent un véritable succès.

Dès lors, le jeu proposé au sein de la NBA change et se veut plus spectaculaire car improvisé, rapide et physique. Il s’éloigne du style de jeu dit blanc, plus figé et stratégique, et légitime la place des Afro-Américains dans le monde de l’élite sportive nationale. Instantanément, le recrutement des joueurs de couleur augmente en même temps que les revenus de la NBA.

Les nouvelles icônes (« Magic » Johnson, Abdul-Jabbar, Jordan) permettent de conserver des spectateurs majoritairement blancs, qui voient en eux l’« American Dream » et la représentation positive du Noir américain. Le basketteur noir à la fois « exotique » et « domestiqué » devient un objet de consommation.

Lire la suite sur Le NouvelObs
http://tempsreel.nouvelobs.com/sport/20131115.OBS5702/allen-iverson-symbole-de-la-condition-des-basketteurs-noirs-de-nba.html