Compte rendu critique de : Patrick Chamoiseau, La matière de l’absence (Seuil, 2016)
—Par Loïc Céry (ÉdouardGlissant.fr) —
La légende dit que Jean Paulhan, le « pape de l’édition française » des années vingt aux années soixante, avait coutume en recevant ses invités à son hôtel particulier non loin des Arènes de Lutèce, d’expliquer à qui voulait l’entendre, la signification des deux imposantes piles de livres qui trônaient à l’entrée de l’intimidante demeure, comme des Himalayas inaccessibles à l’entendement. Les ouvrages provenant des envois de presse, tous neufs et souvent dédicacés par leurs auteurs, étaient rangés en rangs serrés, dans un équilibre instable et pourtant viable, mais dont la précarité elle-même intriguait les visiteurs, compte tenu de la hauteur impressionnante des deux colonnes. Les livres attendaient l’attention si salvatrice du démiurge, qui pouvait d’un coup vous propulser au firmament des gloires littéraires de Paris ou de sa seule indifférence vous laisser dans la moiteur de la confidentialité. Dans cet hôtel particulier qui a vu passer tout ce que la littérature française comptait de talents confirmés et d’espoirs en germe, les ouvrages reçus, innombrables et envahissants, n’échappaient jamais à cette sélection première, ce tri soigneusement pensé par le maître.