Catégorie : Etudes Créoles

Sanctuariser et sacraliser les reliques de la réforme Bernard, un évangile aventureux au mitan du système éducatif haïtien

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

En Haïti, la nouvelle n’est pas passée inaperçue parmi les enseignants, les directeurs d’école et les associations d’enseignants : « Pour marquer les 40 ans de la réforme entreprise en 1982 par l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Joseph Charles Bernard, visant de grands changements dans le système éducatif (…) une cérémonie [commémorative a eu lieu] le lundi 4 avril 2022 au lycée national de Pétion-Ville ». Dans les propos officiels tenus durant cette commémoration, un hommage particulier à la réforme Bernard a retenu l’attention. Par cet hommage, l’on a notamment voulu « attirer l’attention sur l’importance de la « Réforme Bernard » considérée comme l’alpha de tous les actes de réforme entrepris dans le système éducatif haïtien depuis les années 80. Le ministre de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat, en a profité pour souligner les différentes actions en cours et en perspective, liées aux 12 mesures qui suivent presqu’à la lettre la « Réforme Bernard » qui vise le redressement du secteur en vue d’une éducation de qualité, accessible à tous. » (Source : communiqué du Bureau de communication, ministère de l’Éducation nationale, compte Facebook officiel, 4 avril 2022 ; voir aussi l’article « Éducation : le Menfp célèbre les 40 ans de la réforme Bernard, pour un redressement du système éducatif en Haïti », AlterPresse, 5 avril 2022.)

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L’aménagement linguistique en Haïti au regard de la Constitution de 1987 : regard actualisé sur les acquis et les défis

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Le 29 mars 2022 a marqué le trente-cinquième anniversaire de la promulgation de la Constitution haïtienne de 1987 et cette date charnière, dans l’actuel contexte politique de démembrement des institutions républicaines au pays, invite à la réflexion. D’une part, le référendum constitutionnel du 29 mars 1987 représente, aux yeux de nombreux juristes et institutions de la société civile, la plus significative manifestation de la souveraineté populaire depuis l’Indépendance de 1804. Par un vote largement majoritaire, il a doté Haïti d’une Charte fondamentale qui consigne les bases juridiques de la sortie d’Haïti de la longue nuit de la dictature duvaliériste et il a fourni au pays le cadre institutionnel du vivre ensemble au sein d’une République solidaire devant être gouvernée selon les règles de l’État de droit. D’autre part, en rupture avec la Constitution de 1918 votée durant l’occupation du pays par les États-Unis d’Amérique, en rupture, surtout, avec la Constitution tontonmakout de 1964 –qui a institué la « présidence à vie » de François Duvalier–, la Constitution de 1987, rédigée et votée en créole et en français, pose pour la première fois dans l’histoire contemporaine d’Haïti le principe fondamental de l’égalité des citoyens devant la loi, vise à garantir les droits fondamentaux des citoyens et à organiser la séparation des pouvoirs en vue d’assurer l’efficience de l’État de droit.

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Le système éducatif haïtien à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Le PSUGO (Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire) a été lancé en 2011 par le cartel politico-mafieux du PHTK alors dirigé par Michel Martelly. Il est avéré qu’il a été, à l’échelle nationale, une vaste opération de gabegie administrative, de corruption et de détournement de fonds publics au bénéfice des ayants droits et des supplétifs du PHTK néo-duvaliériste. En novembre 2021, le ministre de facto de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat, pourtant bien imbu des constantes critiques publiques formulées par les associations d’enseignants et en dehors de tout audit attesté, a reconduit le PSUGO en lien avec la réactivation de ses « 12 mesures » administratives destinées à « moderniser » la gouvernance du système éducatif national.

Quels sont les résultats mesurables du PSUGO et à combien s’élève le coût total de ses activités ? De 2011 à 2022, le ministère de l’Éducation nationale n’a publié aucun bilan qualitatif et quantitatif de l’ensemble des activités du PSUGO. De manière liée, une recherche documentaire multifacettes n’a pas permis d’obtenir des données chiffrées sur les coûts totaux du PSUGO depuis ses débuts : la gestion financière de ce programme demeure totalement opaque et elle n’a fait l’objet d’aucune évaluation au Parlement haïtien.

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Financement des manuels scolaires en créole en Haïti : confusion et démagogie au plus haut niveau de l’État

Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

[Définition de] « poudre aux yeux » (n) : écran de fumée ; apparences flatteuses mais trompeuses ; faux-semblant ; miroir aux alouettes ; manoeuvre qui cherche à faire impression en faisant illusion (Dictionnaire électronique Reverso, n.d.)

En Haïti et en outre-mer, la nouvelle a retenu l’attention de nombreux enseignants, parents d’élèves, directeurs d’école, rédacteurs et éditeurs de manuels scolaires : « Le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (Menfp) annonce la fin du financement des matériels didactiques en langue française, pour les quatre premières années du cycle fondamental (…) Ce financement sera dirigé vers les matériels didactiques en créole, pour les quatre premières années du fondamental (…). » Et « À partir de l’année académique 2022-2023, l’État haïtien ne financera pas, ni ne supportera aucun matériel didactique [en] langue française qui doit servir dans l’apprentissage des élèves des quatre premières années du fondamental » (voir l’article « Suspension du financement des matériels didactiques en langue française pour les 4 premières années du cycle fondamental en Haïti », AlterPresse, 22 février 2022).

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Le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative

À la mémoire de Pradel Pompilus, pionnier émérite de la lexicographie haïtienne.

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

FRAUDE, subst. fém. − Action de tromper, d’abuser autrui

en contrevenant aux règlements, d’employer la ruse pour le mystifier. 

/ Synonymes : tromperie, escroquerie, truquage, tripotage, falsification, maquignognnage, artifice. (Dictionnaire vivant de la langue française, n.d.)

« (…) il n’est pas de production de connaissance robuste et fiable hors du collectif de scientifiques qui s’intéressent aux mêmes objets, faits et questions. La connaissance scientifique doit être mise à l’épreuve et vérifiée par des collègues ou pairs compétents, à savoir ceux qui sont préoccupés par les mêmes questions ou sont pour le moins familiers de la démarche scientifique concernant la matière spécifique (…). » (« Les sciences et leurs problèmes : la fraude scientifique, un moyen de diversion ? », par Serge Gutwirth et Jenneke Christiaens, Revue interdisciplinaire d’études juridiques 2015/1 (Volume 74).

Le sens et la pertinence des termes « fraude » et « frauder » sont apparus au périmètre de ma « mémoire sémantique » (Balota et Coan 2008 ; Laisney, Eustache et Desgranges 2009) lorsque j’ai lu attentivement l’article du linguiste Michel Degraff publié en Haïti dans Le National du 10 février 2022, « Verite se tankou lwil nan dlo ».

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« Pour promouvoir une lexicographie créole de haute qualité scientifique »

Lettre ouverte au MIT Department of linguitics 

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Chers collègues,

La présente lettre ouverte, adressée(*) en anglais et en français au Département de linguistique de l’une des plus prestigieuses institutions scientifiques américaines, le Massachusetts Institute of Technology (MIT), a pour but d’interpeller cette institution au vu et au su de tous, au grand jour, tout en soumettant au débat public une réflexion citoyenne sur le rôle de cette université dans la production/diffusion, à travers le système éducatif haïtien, d’un lexique anglais-créole pré-scientifique et pré-lexicographique de 848 équivalents « créoles » fantaisistes, erratiques et non conformes au système de la langue créole. Intitulé « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », ce lexique a été manifestement conçu par des anglophones peu familiers de la langue créole et de la culture haïtienne, dépourvus de compétence avérée en lexicographie professionnelle et il constitue l’unique outil lexicographique utilisé par le MIT – Haiti Initiative Project à l’école Matènwa (Île de La Gonâve). Il est également en usage dans des séminaires de formation d’enseignants en dehors de toute évaluation scientifique connue du ministère de l’Éducation d’Haïti.

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L’Académie du créole haïtien : autopsie d’un échec banalisé (2014 – 2022)

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

L’accession toute récente à la présidence de l’Académie du créole haïtien (Akademi kreyòl ayisyen, AKA) du pasteur-linguiste Rogeda Dorcé Dorcil ne semble pas annoncer la fin de ce qui est perçu par certains observateurs en Haïti comme étant une relative emprise du facteur magico-religieux au creux de cette microstructure auparavant dirigée par un pasteur protestant, Pauris Jean-Baptiste, puis par un évêque catholique, Monseigneur Pierre André Pierre. Le pasteur-linguiste Rogeda Dorcé Dorcil dirige une église évangélique, l’Église chrétienne de l’unité à Fort-Jacques/Fermathe et, à Pétion-Ville, un Institut de théologie évangélique. Présumé spécialiste en ethnolinguistique, on ne lui connaît toutefois aucune étude majeure sur le créole haïtien ces trente dernières années, aucun article scientifique sur le créole publié dans une revue de linguistique, aucun livre dédié à l’aménagement du créole dans le système éducatif national…

L’arrivée d’un pasteur-linguiste à la présidence de l’Académie du créole haïtien, qui ne compte que quatre linguistes en son sein, est l’occasion d’actualiser le bilan de l’action de cette microstructure prématurément créée par la Loi du 7 avril 2014. L’idée d’actualiser le bilan de l’action de l’AKA procède, à l’aune du principe de la reddition des comptes dans l’Administration publique, du souci de soumettre à l’analyse critique toute entreprise en lien avec l’aménagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le créole et le français.

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Haïti a-t-elle besoin d’un « Observatoire national de l’éducation »  ou d’une politique linguistique éducative ?

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue—

Le système éducatif haïtien, que certains observateurs qualifient de « champ de ruines » ou de « patient abonné aux urgences de l’hôpital », fait régulièrement la « Une » de la presse nationale et des médias sociaux. De tels échos médiatiques nous remettent en mémoire le fait que depuis une quarantaine d’années ce système est ausculté sous toutes les coutures par des experts de différentes disciplines à la demande d’instances nationales et internationales. Sous perfusion de l’« aide » internationale, en quête perpétuelle de solutions miracle pour survivre, le système éducatif haïtien est tour à tour l’objet de « réformes curriculaires », de « programmes » divers, de « Pacte national », de « Plan décennal », de « directives » et autres mesures administratives destinées en théorie à le « réformer », à le « moderniser », voire à le diriger vers les sommets d’une « gouvernance » exemplaire qui lui permettra d’atteindre l’objectif d’une éducation inclusive et de qualité. De l’inaboutie réforme Bernard de 1979 à nos jours, le domaine de l’éducation est sans doute l’espace régalien national où les agences internationales ont le plus investi en Haïti, contrairement à l’État haïtien qui n’y consacre que des budgets très largement insuffisants.

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Plaidoyer pour une lexicographie créole de haute qualité scientifique

— Par Robert-Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

De la nécessité de promouvoir un lexicographie créole de haute qulité scientifique et de soumettre à l’analyse critique ainsi qu’au débat public tout pseudo «  modèle lexicographique » créole fantaisiste, rachitique et amateur contraire à la méthodologie de la lexicographique professionnelle.

À la suite de la parution en Haïti, dans Le National du 11 novembre 2021, de mon article titré « De l’usage du créole dans l’apprentissage scolaire en Haïti : qu’en savons-nous vraiment ? , j’ai enregistré divers commentaires confirmant qu’il y a communauté de vue entre nombre d’enseignants oeuvrant en Haïti et moi. Cette communauté de vue se rapporte aux différents problèmes que soulève l’usage du créole dans l’apprentissage scolaire et à la nécessité d’une véritable qualification didactique pour l’enseignement en langue maternelle créole. L’un de mes interlocuteurs me demande toutefois de préciser ma pensée sur la situation linguistique d’Haïti, notamment au regard de la production de matériel didactique en créole. La réponse à cette demande emprunte la voie d’un plaidoyer pour une lexicographie créole de haute qualité scientifique, et ce plaidoyer s’adresse aux enseignants, aux linguistes, aux didacticiens, aux directeurs d’écoles, aux rédacteurs et éditeurs de manuels scolaires ainsi qu’aux cadres du ministère de l’Éducation nationale.

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La valse des anglicismes dans la presse écrite en Haïti

Problématique des emprunts : pistes de réflexion

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

À l’instar de ce qui se passe en France parmi les locuteurs et dans la presse écrite, la valse des anglicismes –soit le recours à l’emprunt de mots anglais–, s’expose de manière constante dans les journaux et sur les sites Internet haïtiens publiés en français tant en Haïti qu’en outre-mer. Paru à Port-au-Prince dans le Nouvelliste du 23 novembre 2021, un article illustre à l’envi l’appétit d’un grand nombre de journalistes haïtiens pour les anglicismes : « Le data mobile en Haïti : « Un coupe-gorge pour les consommateurs, les entrepreneurs et l’État ». Pour le lecteur peu familier du sens habituel de ce terme, il faut rappeler que le Larousse définit comme suit l’« anglicisme » : « Mot, tour syntaxique ou sens de la langue anglaise introduit dans une autre langue. » Le Larousse précise également que l’« anglicisme » est un « solécisme consistant à calquer en français un tour syntaxique propre à l’anglais ». De manière liée, ce dictionnaire consigne que le « solécisme » est une « Construction qui n’est pas conforme aux règles de la syntaxe d’une langue à une époque donnée ou qui n’est pas acceptée dans une norme ou un usage jugé correct.

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Le SINAbécédaire de Sinaray

— Par Térèz Léotin —

Le SINAbécédaire que l’on pourrait littéralement nommer l’abécédaire de Sinamal, (Sinaray dans ses caricatures), vient de paraitre. Comme son nom l’indique, il est le fruit de l’imagination au service de la plume de feu Raymond Sinamal. Cet artiste caricaturiste a conçu la matière première si l’on peut dire, mais, trop tôt disparu, il n’a pas vu naitre l’ouvrage.

Page après page avec des mots choisis, Raymond Sinamal a illustré son œuvre, avec des objets dont le nom comporte le son dont on veut indiquer la graphie.

Il a construit ainsi un tapuscrit d’alphabétisation au service de la vulgarisation du créole martiniquais. Il s’agit ici de la graphie dite Standard GEREC 2, la plus exploitée.

L’homme explique l’orthographe des mots créoles, il avance avec la minutie de l’artiste qui se montre un très bon militant de la cause, ce dont nul n’en doute. Son approche pédagogique est méticuleuse et cette qualité l’aidera à vaincre les plus obtus détracteurs du créole écrit.

C’est grâce à la volonté et surtout la ténacité de Daniel Boukman que cet ouvrage qui aurait pu s’intituler aussi : Sinabésédè a pu voir le jour, sous l’égide de Krey Matjè Kréyol Matinik (Association d’Écrivains Martiniquais en langue créole).

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L’aménagement du créole dans l’École haïtienne : entre surdité, mal-voyance et déni de réalité

Le ministre de facto de l’Éducation Nesmy Manigat et l’aménagement du créole dans l’École haïtienne : entre surdité, mal-voyance et déni de réalité

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Au défilé des drames quotidiens qui endeuillent aujourd’hui la société haïtienne (insécurité généralisée, enlèvements contre rançon, impunité, etc.), l’installation surréaliste d’un « nouveau » gouvernement par le premier Ministre de facto Ariel Henry, le 24 novembre 2021, a vu le retour de Nesmy Manigat à la direction du ministère de l’Éducation nationale. Auparavant, de 2014 à 2016, Nesmy Manigat avait occupé le même poste dans le gouvernement des « bandits légaux » de Michel Martelly (2011 – 2016), président-clown misogyne qui proclame ouvertement son affiliation au duvaliérisme au sein du PHTK, le « Parti haïtien tèt kale », sorte de cartel politico-mafieux au pouvoir depuis dix ans en Haïti. Michel Martelly avait été « téléporté » à la présidence d’Haïti, de manière frauduleuse, par les soins empressés de la Fondation Clinton (voir le dossier du « Center for Economic and Policy Research » de Washington : « Clinton E-Mails Point to US Intervention in 2010 Haïti Elections » / « Ce que révèlent les emails de Clinton sur l’élection de Martelly en 2010 », 7 septembre 2016).

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Controverse autour de l’apparition du pronom « iel » dans la version en ligne du dictionnaire Le Robert

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Depuis quelques jours, l’apparition du pronom « iel » dans la version en ligne du dictionnaire Le Robert suscite la controverse dans plusieurs pays francophones. La presse parlée et écrite s’en est fait l’écho en Belgique (La libre Belgique, RTBF), en Suisse (la Tribune de Genève, RTS), en France (le Nouvel Obs, Le Figaro, Le Monde, France culture, France inter, RFI) et au Québec/Canada (Le Devoir, Radio Canada, La Presse, Le Droit). En effet, Le Robert en ligne consigne le terme « iel » comme suit : « iel ​, iels ​​​pronom personnel / Rare – Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre. L’usage du pronom iel dans la communication inclusive. – Rem. On écrit aussi ielle ​, ielles ». Dans la presse écrite et parlée, des lecteurs/auditeurs, des linguistes et de lexicologues s’opposent à la « consécration » du pronom « iel » / « iels » dans Le Robert, dictionnaire généraliste de la langue française, tandis qu’un nombre indéterminé de locuteurs se dit en faveur sinon attentif à l’arrivée de ce nouveau-né… Le pronom « iel » visant à désigner, selon la définition du Robert, « une personne quel que soit son genre », les arguments avancés de part et d’autre sont de nature linguistique et lexicographique, ou relèvent d’une lecture « militante », principalement idéologique, de cette « évolution naturelle » de la langue dans la société.

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De l’usage du créole dans l’apprentissage scolaire en Haïti : qu’en savons-nous vraiment ?

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Quarante-deux ans après la réforme Bernard de 1979, trente-quatre ans après la co-officialisation du créole et du français dans la Constitution de 1987, que savons-nous réellement de l’usage du créole dans l’École haïtienne ? Pour mémoire, il y a lieu de rappeler que la réforme Bernard, qui a institué l’usage du créole comme langue d’enseignement et langue objet dans le système éducatif national, n’a pas été étendue à l’ensemble du territoire national. Faiblement financée par l’État, insuffisamment dotée d’outils didactiques en langue créole, frappée de suspicion par un nombre élevé de parents créolophones et de directeurs d’écoles et boycottée par les grands requins de la dictature de Jean Claude Duvalier parmi lesquels le ministre tonton macoute Jean-Marie Chanoine, elle a été interrompue en 1987 et elle est depuis lors dans un coma qui a scellé sa mise au rancart de facto (voir notre article « L’aménagement du créole en Haïti et la réforme Bernard de 1979 : le bilan exhaustif reste à faire », Le National, 16 mars 2021 ; voir aussi l’article de Guy Alexandre, « Matériaux pour un bilan de la réforme éducative en Haïti », Le Nouvelliste, 6, 11, 16 mai 1999 ; voir également Pierre Vernet, « La réforme éducative en Haïti », revue Études créoles, VII, 1-2, 1984, pp.

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Contribution à l’avancée de la langue créole (1984)

— Par Fernand Fortuné —

Notre rapport à la langue.

Selon ULLMAN, « tout système linguistique renferme une analyse du monde extérieur qui lui est propre et qui diffère de celles d’autres langues ou d’autres étapes de la même langue. Dépositaire de l’expérience accumulée de générations passées, il fournit à la génération future une façon de voir, une interprétation de l’univers »1.

C’est pourquoi, selon nous, la relation à notre langue est une relation à la terre, donc à la poésie, donc à la création. Elle est par conséquent une relation à la mère, un cordon ombilical essentiel qui nous singularise, et en même temps nous préserve de la solitude.

La langue s’exprime alors comme patrimoine, c’est-à-dire comme un lieu non clos où s’engrangent drus, les temps forts de notre vécu. Dans ce contexte, le parler d’un peuple signifie volonté d’amour et acte de fidélité.

La langue, c’est nous-mêmes, mais c’est encore le contact, la présence, l’existence même de l’Autre. En effet, toute langue est à un certain degré ce mouvement multiforme vers une fraternité partageable, une communauté à essentialiser.

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Analyse d’un texte poétique en créole de Jean-Claude Martineau : sa portée par rapport à la réalité socio-économique et politique de l’époque.

Par Fortenel THELUSMA, linguiste et didacticien du FLE —

Résumé

Le créole est la langue première (L1) des Haïtiennes et Haïtiens nés et élevés en Haïti. La réforme éducative du Ministre Joseph C. Bernard en 1979, en l’introduisant pour la première fois dans l’enseignement-apprentissage en Haïti, l’a consacré langue-objet et langue-outil aux côtés du français langue seconde. Cette introduction a été considérée comme l’une des plus grandes innovations de cette réforme dans le système éducatif haïtien. Et la constitution de 1987 est venue lui donner le statut juridique de langue officielle et langue nationale.

Beaucoup d’avancées ont été répertoriées, notamment sur son fonctionnement (publication de grammaire linguistique, de dictionnaire, etc.). Mais d’autres travaux importants restent à effectuer, comme sur son instrumentalisation. Dans la perspective de valoriser les œuvres écrites en créole haïtien, un natif du pays a décidé d’y consacrer un important ouvrage, une compilation des textes écrits en créole sous la plume des meilleurs écrivains du 18ème au 20ème siècle dans des domaines variés (littérature orale, poésie, théâtre, contes, récits, essai, textes bibliques et liturgiques, etc.). Jean-Claude Bajeux (17 septembre 1937-5 août 2011), poète, enseignant, écrivain, est l’auteur de cette œuvre colossale écrite en créole puis traduite en français et publiée en 1999, aux Editions Antilia sous le titre : Mosochwazi pawòl ki ekri an kreyòl ayisyen / Anthologie de la littérature créole haïtienne.

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De Ricardo Seitenfus à Helen La Lime, l’aveuglante et impériale manufacture du « consentement » politique en Haïti

—Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue

Ces derniers mois, la détérioration accélérée de la situation sécuritaire et politique en Haïti a mis en lumière le jeu macabre des contradictions et des intérêts communs de ses différents protagonistes, les acteurs nationaux et étrangers, ces derniers étant regroupés au sein d’une bienveillante et hyperactive coterie internationale dénommée « Core Group » (qui comprend les ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis d’Amérique, de France, de l’Union européenne, du Représentant spécial de l’Organisation des États Américains et de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies). À l’opposé des justes revendications de la population portées par la société civile, le cartel politico-mafieux connu sous le nom de PHTK (Parti haïtien tèt kale ouvertement néo-duvaliériste) cristallise et organise depuis dix ans, avec l’aval décomplexé du « Core Group », une gouvernance du pays caractérisée par la dilapidation des fonds publics et des fonds du programme PetroCaribe (3,8 milliards de dollars), le blanchiment d’argent à grande échelle, l’extinction programmée des droits citoyens, la décapitation des institutions de l’État, la violente répression des protestations citoyennes publiques par l’instrumentalisation des corps répressifs de la Police nationale, la tolération et/ou la complicité de l’Éxécutif dans les assassinats ciblés et les massacres dans les quartiers populaires, la banalisation de la corruption et du népotisme installés à tous les étages de l’édifice social.

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Jean Pruvost et la fabrique des dictionnaires, un modèle pour la lexicographie haïtienne

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

En Haïti comme ailleurs, le recours aux dictionnaires de la langue usuelle (Le Robert, Le Larousse, Le Littré, etc.) passionne tant les élèves, les étudiants que les enseignants. On prend plaisir à découvrir le sens des mots, on les suit dans leurs trajectoires migratoires et historiques, on voyage avec eux pour appréhender la signification des nouveaux mots, etc. Toutefois, très peu d’usagers des dictionnaires savent comment sont fabriqués ces imposants et indispensables livres de référence, selon quelle méthodologie et procédés ils sont élaborés, et en fonction de quelles qualifications des rédacteurs ils ont vu le jour. Selon nos besoins et nos ressources, nous faisons appel à l’objet-livre, au format papier, ou à l’objet-livre dématérialisé, au format électronique et accessible sur Internet, mais nous ignorons presque tout au chapitre de son élaboration. Règle générale, l’usager ne sait pas qu’il y a en amont du processus de fabrication des dictionnaires des linguites-lexicographes et leurs équipes, tous arrimés à la théorie de la lexicographie et à la modélisation de leur travail lexicographique : Jean Pruvost en est un fort instructif exemple.

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Propositions pour un enseignement-apprentissage efficace du français langue seconde en Haïti

— Par Fortenel Thelusma, linguiste et didacticien du français langue étrangère (FLE)

Introduction

Les langues enseignées en Haïti

En raison de la situation géopolitique d’Haïti, quatre langues sont enseignées dans les institutions scolaires, universitaires, etc. L’anglais, la langue la plus parlée dans la caraïbe, est aussi celle du géant voisin américain, les Etats-Unis où résident un grand nombre d’Haïtiennes et d’Haïtiens. L’enseignement de l’espagnol s’impose non seulement par la proximité de la République dominicaine avec laquelle Haïti partage l’île mais aussi du fait de sa relation avec d’autres pays de la zone et de l’Amérique latine. Quant à l’enseignement-apprentissage du français en Haïti, il est vieux d’environ deux siècles avec la création même de l’école haïtienne après l’indépendance obtenue de haute lutte de la France. Ironie du sort, c’est en 1979, grâce à la réforme éducative initiée par Joseph C. Bernard, Ministre de l’Education nationale d’alors, que la seule langue parlée par la majorité de la population haïtienne, le créole, a été introduite officiellement pour la première fois à l’école dans le pays. Par ailleurs, la Constitution de 1987 consacre la co-officialisation du créole et du français.

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L’aménagement du créole à Sainte-Lucie à l’épreuve de son ancrage institutionnel

Par Robert Berrouët-Oriol, Linguiste-terminologue —

Le site Web officiel du gouvernement de Sainte-Lucie a fait paraître en anglais, le 31 août 2021, un communiqué titré « Saint Lucia works to institutionalize kwéyòl language » (« Sainte-Lucie travaille à l’institutionnalisation de la langue kreyòl »). Ce communiqué annonçait la tenue, le même jour, d’une « conférence virtuelle de planification de la mise en œuvre de la politique linguistique nationale ». Voici en quels termes a été consignée cette annonce qui, dans la formulation même de l’énoncé, présuppose qu’il y aurait une politique linguistique d’État à Sainte-Lucie :

« Le ministère de l’Éducation, de l’innovation, des sciences, des technologies et de la formation professionnelle, par l’intermédiaire de l’Unité de développement des programmes et des matériels (CAMDU), tiendra sa conférence virtuelle de planification de la mise en œuvre de la politique linguistique nationale le mardi 31 août 2021, de 10 heures à 13 heures.

« À ce jour, dans le cadre du programme Early Learners (ELP) de l’OECS USAID, un projet de politique a été élaboré, sur la base des réactions d’un échantillon représentatif de la société saint-lucienne.

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«Entendre battre le cœur»

Le grand vent sahélien

Le réputé critique littéraire du journal montréalais Le Devoir, Hugues Corriveau, publie ce 14 août 2021 un remarquable compte-rendu de lecture de «Simoun», huitième livre de poésie de Robert Berrouët-Oriol (Éditions Triptyque, Montréal, mai 2021). Ce compte rendu porte le titre évocateur de «Le grand vent sahélien» et fait partie d’un grand ensemble dont le titre général est «Entendre battre le cœur». En voici le texte intégral, que j’ai grand plaisir à partager avec vous:

Le grand vent sahélien

«Dans un tout autre champ d’écriture, Robert Berrouët-Oriol nous propose encore sa haute parole, son langage ultrachâtié qui obombre une simplicité parfois plus souhaitable. Ainsi, dès le premier poème, nous faut-il saisir cette parole « fleurant fastes festivités / et ritournelle d’apnée.» Convenons que ce n’est pas peu. Tournons la page de Simoun­ et nous serons immédiatement confrontés « au surjet primipare des alvéoles / liant d’anabase pour l’hommage persien ». Vraiment, on se sent immédiatement un peu décalé, renvoyé à quelque obscur complexe devant un tel étalage de ce savantissime vocabulaire. Mais qu’y a-t-il donc qui nous sollicite tant chez ce poète, que recèle donc cette parole poétique méticuleuse, pleine d’embûches et d’entourloupes ?

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Le traitement lexicographique du créole dans le « Leksik kreyòl » d’Emmanuel W. Védrine

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

« Le créole représente à mes yeux plus qu’un simple procédé pédagogique, mais un moyen d’opérer la réconciliation avec nous-mêmes, susciter le respect de nous-mêmes, gage du respect des autres… Ce que je défends dans ce livre, c’est, au-delà d’un vrai bilinguisme, l’unité et la solidarité nationale sans quoi il n’y a pas de vrai développement. » (Pradel Pompilus : « Manuel d’initiation à l’étude du créole », Éditions Impressions magiques, Port-au-Prince, 1983.)

Diffusé au printemps 2021 sur le site Potomitan, le lexique d’Emmanuel W. Védrine a pour titre complet « Leksik kreyòl : ekzanp devlopman kèk mo ak fraz a pati 1986 » ; il est daté de l’été 2000 et l’auteur ne mentionne aucune mise à jour depuis l’année 2000. Dans cet article nous en faisons une lecture critique à partir des critères méthodologiques de la lexicologie professionnelle et nous nous attacherons en particulier à déterminer si ce lexique a été élaboré selon ces critères. Nous tâcherons ainsi de savoir si ce court travail de 12 pages constitue un apport à la lexicologie créole et s’il peut être recommandé pour l’apprentissage en créole des savoirs et des connaissances, en particulier dans les domaines scientifiques et techniques.

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Le « français régional » d’Haïti sous la loupe du linguiste Renauld Govain

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Le linguiste haïtien Renauld Govain a publié l’an dernier un article de haute voilure, rigoureux et fort bien documenté, « Le français haïtien et le « français commun » : normes, regards, représentations ». Paru en mai 2020 dans le numéro 23 de la revue Altre Modernità (Università degli Studi di Milano, Italie), cet article semble peu connu parmi les linguistes, les enseignants et les didacticiens alors même qu’il s’appuie sur un appareillage conceptuel cohérent et pertinent et sur une recherche originale menée sur le terrain. Docteur en linguistique, enseignant-chercheur et doyen de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti, coordonnateur du Laboratoire langue, société, éducation (LangSÉ), Renauld Govain est également membre du Comité international des études créoles et coauteur du livre de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (Berrouët-Oriol et al, Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, mai 2021). Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques en dialectologie, en créolistique et en phonologie, parmi lesquels « Normes endogènes et enseignement-apprentissage du français en Haïti », Études créoles, no 1 et 2, 2008, et « Le français haïtien et l’expansion du français en Amérique », dans Le(s) français dans la mondialisation, Véronique Castellotti (dir.),

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Installer sur des fauteuils d’égale prestance langue française et langue créole…

— Par Daniel Boukman —

Mésiézèdanm, bel bonswè !… Lonnè épi respé ba lasosiyasion MICELA (Maison Interculturelle des Ecrivains et des Littératures d’Améri-caraïbes) MICELA ki ba mwen lokazion vini l’AMEP pou vréyé douvan an kozé lantou Créolophonie, créolographie kivédi an fransé : parler, lire, écrire la langue créole.
Epi an bel mèsi tou ba zot ki pran anlè tan-zot an moman tan pou vini oswè-a l’AMEP pou nou bokanté pawol.
Une langue, c’est un ensemble de signes oraux ou écrits propre à une communauté d’individus qui l’utilisent pour s’exprimer et communiquer entre eux … A ajouter à cette définition que la formation d’une langue procède de circonstances historiques spécifiques. C’est ainsi que la langue française puise son origine dans un système de domination coloniale dont le latin, la langue de l’empire romain, s’est imposée aux langues de la Gaule sans toutefois parvenir à leur élimination totale ; en effet la langue dominante, le latin populaire parlé par les colons romains, a été en quelque sorte « contaminée » par l’apport des langues dominées des Gaulois, ; il s’ensuivit au fil des siècles la naissance en Europe d’ une famille de langues dites romanes : le romain, l’italien, le français, l’espagnol, le portugais, langues romanes devenues plus tard langues nationales.

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Le droit à la langue maternelle créole en Haïti et l’acquisition précoce de la langue seconde à l’École de la République : pistes de réflexion

— Par Robert Berrouët-Oriol,linguiste-terminologue —

La complexe question du droit à la langue maternelle créole dans l’École haïtienne et de ses rapports avec l’acquisition précoce de la langue seconde, le français, préoccupe depuis plusieurs années nombre d’enseignants, de didacticiens, de linguistes et de spécialistes de l’élaboration du curriculum. Deux séquences historiques doivent être prises en compte dans la poursuite d’une réflexion sur cette problématique : d’une part la réforme Bernard de 1979 qui a introduit le créole, dans le système éducatif national, comme langue d’enseignement et langue enseignée ; d’autre part, la Constitution haïtienne de 1987 qui a consacré, en son article 5, la co-officialité du créole et du français, les deux langues de notre patrimoine linguistique historique. Il est attesté que la réforme Bernard de 1979, promue par les agences internationales de coopération et boycottée par les grands caïds de la dictature de Jean-Claude Duvalier, a posé les bases programmatiques et institué une vision de l’enseignement en langue maternelle créole juste en son principe. Issue de la loi du 18 septembre 1979, cette réforme est incontestablement la première conquête institutionnelle du créole dans le système éducatif national, mais peu ou mal implantée tant dans la capitale qu’en province, elle n’a pas su atteindre véritablement ses objectifs.

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