Catégorie : Arts de la scène

Avignon 2016 (14) : Het Land Nod, Rumeurs et petits jours

Par Selim Lander

Het Land NodHet Land Nod

Ce spectacle du collectif FC Bergman qui nous vient de Flandre n’est pas sans parenté avec celui d’Aurélien Bory puisque le décor joue un rôle important, avec des acteurs qui, pour certains, ont des dispositions pour la danse ou pour l’acrobatie. Et il s’agit à nouveau d’un spectacle captivant bien que sans parole. Il y a néanmoins des différences importantes. Le décor, d’abord, n’est pas mobile ; par contre il subira plusieurs dégradations au cours de la représentation. Ce décor reconstitue la grande salle d’exposition des tableaux de Rubens au musée d’Anvers. Musée en réfection, ce qui impose de décrocher les œuvres. Problème : le tableau Le Coup de lance est trop grand pour passer par la porte, comment le sortir de cette salle ? Plusieurs réponses possibles seront envisagées et expérimentées par l’un des employés du musée…

C’est le point de départ du spectacle mais il se passe bien d’autres choses dans cette salle ; bien que quasiment vide de tableaux, elle attire des visiteurs plus ou moins farfelus, sans compter le personnel du musée lui-même atypique.

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Medina Merika

— Par Michèle Bigot —

medina_merikaMise en scène, texte et musique de Abdelwaheb Sefsaf
Festival d’Avignon off 2016, Théâtre du Gilgamesh

Ceux qui ont manqué ce spectacle en janvier à la Maison des Métallos à Paris seront heureux de le retrouver à Avignon. On dira même que cette programmation s’imposait ! Merci au Théâtre du Gilgamesh, qui nous a gâtés, cette année ! Car le monde arabo-musulman et plus généralement oriental est à l’honneur au Festival d’Avignon : le In nous a gratifié d’un spectacle théâtral iranien (Hearing) sur Damas (Alors que j’attendais), d’un spectacle de danse libanais ( Fatmeh) . Le off n’est pas en reste. Dans sa chorégraphie intitulée We love Arabs, Hillel Kogan nous propose une rencontre inédite entre Juifs israéliens et Arabes israéliens. On a pu écouter également Place Tahrir, conçu par le conteur Jihad Darwihe à partir du témoignage de femmes égyptiennes. C’est un orient imaginaire que nous propose Abdelwaheb Sefsaf ; il n’en est pas moins une synthèse actuelle des aspirations du monde arabo-musulman telles que les ont exprimées les printemps arabes. Cette fable tragi-comique évoque successivement Beyrouth, Alger, Bagdad.

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La tête des porcs contre l’enclos

— Par Michèle Bigot —

la_tete_des_porcsPièce chorégraphique et texte de Marine Mane
Festival d’Avignon off 2016, Caserne des Pompiers, 9-26/07

Depuis plusieurs années, à la tête de la compagnie In Vitro, Marine Mane explore dans ses mises en scène les traces intimes qui dessinent les parcours individuels et collectifs. Son théâtre est un théâtre du corps, où la danse occupe une place prépondérante, accompagnée par des dispositifs sensoriels, visuels autant que sonores. La tête des porcs contre l’enclos est le fruit d’une écriture personnelle. Sa création date de 2015. Il s’agit d’une œuvre scénique où se mêlent plusieurs genres artistiques : le plasticien, le musicien, les danseurs-acrobates, les acteurs ont conjugué leur effort pour produire un spectacle total. Il s’agit de cartographier la mémoire d’une enfant blessée. Non pas de raconter un traumatisme mais d’en parcourir les traces : mémoire du corps, empreinte sensorielle, la mémoire effectue son travail en direct sur le plateau, restituant des impressions, des images, des émotions.
Une voix off surgit, qui nous dit à quel point les mots peinent à exprimer les affects liés au traumatisme.

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Avignon 2016 (13) : « Artaud-Mômo », « Jaz », « Hearing »

— Par Selim Lander —

artaud momoArtaud-Mômo

Ce spectacle proprement extraordinaire ne cesse de tourner et de revenir au théâtre du Chêne Noir où il a été créé en 2000 dans une mise en scène de Gérard Gelas avec Damien Rémy. Doublement extraordinaire à vrai dire et d’abord en raison du texte, celui de la fameuse Conférence du Vieux Colombier, là-même où Artaud s’était illustré comme comédien, sa dernière apparition publique. Une conférence que, à vrai dire, trop atteint par sa folie, il fut incapable de donner véritablement, tentant d’improviser quelque temps, accusant l’aliéniste de Rodez d’être responsable de son état à cause des électrochocs, avant de s’interrompre prématurément, non sans avoir plongé dans le malaise l’assistance nombreuse et choisie venue l’écouter.

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Le Festival dans la rue

— Par José Alpha —

festival_de_rue_j_alpha-1Le lancement du 45 eme Festival culturel de la ville de Fort de France, attendu par les Martiniquais et les nombreux juillettistes visiteurs du pays, a clairement affiché une orientation de plus en plus développée par les grands rassemblements internationaux des Arts de la rue : le Carnaval des Arts.

L’important public massé tout le long de la rue de la Liberté, a découvert avec ravissement , pour cette 6eme édition, la grande parade des artistes invités à surprendre, émerveiller et à questionner. Un peu comme durant ces jours gras du Carnaval caribéen avec ses explosions de couleurs, de musique et d’émotions créées par ses extraordinaires mises en scène, la soirée féérique du dimanche 3 juillet dernier a illuminé la savane de Fort de France jusque tard dans la nuit malgré les averses de fin de carême.

Les talentueux jongleurs de lumière, les cracheurs de feu, les masques et tous ces personnages insolites, fantômes, satires politiques, échassiers lumineux, marionnettes géantes, portés par les « vidés » des groupes musicaux et danseurs de rue, ont surpris les spectateurs ; ici par la magnificence du geste poétique , là par des imaginaires doucement détachables de l’être social comme ces étonnantes bulles et personnages lumineux qui mettent en lévitation des univers « extraterrestres » hantises des enfants et de « tous ceux qui le sont encore ».

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Avignon 2016 (12) : « ESPÆCE », « Looking for Alceste », « Sous la  glace »

Par Selim Lander

EspaeceESPÆCE

Le décor fait son théâtre

Le IN est un lieu d’expériences, ce qui ménage de bonnes comme de moins bonnes surprises. ESPÆCE d’Aurélien Bory fait partie des très bonnes. Son titre combine les deux termes du texte de Perec, Espèce d’Espace, dont A. Bory dit s’être inspiré, particulièrement de sa dernière phrase :

« Ecrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose : arracher quelques bribes au vide qui se creuse, laisser quelque part un sillon, une trace, une marque ou quelques signes »

La proposition est très générale et l’on pourrait l’illustrer de multiples façons. Dans ESPÆCE les traces sont non-verbales et quand des chants se font entendre on n’en comprend pas les paroles. Si ce spectacle est à classer dans le théâtre d’objets, l’expression n’est pas à prendre au pied de la lettre, de la lettre « S » précisément, puisqu’il n’y a ici – en dehors du prologue, un ballet de trois barres de fer suspendues horizontalement, aussi longues que la scène de l’Opéra d’Avignon est large – qu’un seul objet, mais géant : le décor, soit au départ  un simple mur gris qui ferme toute la scène (on imagine donc son ampleur).

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Iliade

— Par Michèle Bigot —

iliadeD’après Homère

Mise en scène : Pauline Bayle

Festival d’Avignon, off 2016, La Manufacture, 6-24/07

Le spectacle commence dans la cour de la Manufacture ; les spectateurs sont en train d’attendre l’entrée quand débarquent parmi eux d’abord Achille, puis Agamemenon.

Déroute dans la foule ; étonnement, incrédulité ! Le rôle d’Achille est interprété par une jeune femme d’une rare énergie. Soudain, confondu dans les rangs des spectateurs, surgit Diomède, qui tente d’apaiser les conflits. Achille est en colère parce qu’Agamemnon lui a volé sa prisonnière, la belle Briséis. Il a ainsi porté atteinte à son honneur devant toute l’armée grecque. Le conflit est inévitable. Achille se retire dans sa tente ; il jure de ne plus participer aux combats qui opposent les Grecs aux Troyens.

Comment faire revivre cette légende épique aujourd’hui , ce poème plein de bruit et de fureur et de sang ? On a bien réussi avec le Mahabharata, pourquoi pas avec l’Iliade ? telle est la gageure.

Pauline Bayle relève le défi, en compagnie des remarquables comédiens de sa compagnie, « A Tire d’Aile ».

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Avignon 2016 (11) : « Les Créanciers », « Après la pluie », « 24 heures de la vie d’une femme », « Fight Night »

— Par Selim Lander —

affiche OFFEh non, le théâtre n’est pas encore complètement mort en Avignon ! Il existe encore des metteurs en scène et des comédiens qui bravent la mode de l’adaptation d’un roman ou autre « écriture de plateau » pour se saisir d’un bon vieux texte de théâtre, i.e. écrit pour être joué sur une scène, et essayer de le traduire fidèlement (ce qui n’interdit évidemment pas de faire preuve de modernité : la matière théâtrale n’est pas figée, le même texte peut donner lieu à bien des interprétations, et chaque époque a sa propre lecture du passé).

Même dans le IN, il peut arriver de tomber sur une (vraie) pièce de théâtre (voir notre billet n° 10 consacré au Radeau de la Méduse). C’est plus fréquent dans le OFF, sans que l’on puisse dire pour autant que ces pièces y soient les plus nombreuses, car il laisse de plus en plus de place aux adaptations d’œuvres littéraires, aux seuls en scène (comiques ou non), à la danse, au (nouveau) cirque, etc.

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Tous contre tous

— Par Michèle Bigot —

tous_contre_tousTexte de A. Adamov, mise en scène et scénographie : Alain Timar
Festival d’Avignon, off 2016, Théâtre des Halles, 6-28/07

Le texte d’Adamov est adapté en coréen, puis traduit en français. Cette curieuse alchimie n’est pas inintéressante : son moindre mérite n’est pas d’actualiser un texte dramatique, qui, sans cela paraîtrait aujourd’hui historiquement daté, d’une facture trop classique pour les oreilles des contemporains habituées à des récits polyphoniques et à des textes pluriels, plus denses et bigarrés. Ici la ligne du récit est monophonique et purement chronologique. Il sent la facture des années cinquante. Ce n’est pas vraiment une pièce à thèse, mais le propos politique y est très explicite et didactique. La mise en scène d’Alain Timar sauve le spectacle à force de scénographie et de chorégraphie. Ce qui manque de couleur, de rythme et de variation dans le texte est largement compensé par la dramaturgie. Le second mérite est d’avoir réactualisé un texte au niveau politique. Certes, le texte lui-même n’est pas dépourvu de portée universelle, racontant les conflits qui opposent, au sein d’un pays indéfinissable, réfugiés et population d’accueil.

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Tirésias

— Par Michèle Bigot —

tiresiasTexte et mise en scène Philippe Delaigue

Création sonore et musicale Philippe Gordani

Festival d’Avignon, off 2016, Théâtre Gilgamesh, 7/30/07.

Dans son antre intemporel, le vieux Tirésias, rend ses oracles par internet, assisté par sa fille, Manto. Il a tout du vieillard fatigué. Pourtant, dans sa jeunesse, par la magie des aventures mythologiques, il a été femme. C’est cette condition d’androgyne qui lui valut de trancher dans la querelle entre Zeus et Héra, lesquels se disputaient pour savoir qui des hommes et des femmes connaissait le plus de plaisir. Héra se venge sur lui d’un jugement qui lui a déplu en le rendant aveugle. Zeus le dédommage en lui offrant le don de prophétie.

Un jour, via Internet, Léo, un jeune homme désespéré, le consulte sur la meilleure façon de mettre fin à ses jours. Tirésias puise alors dans les Métamorphoses d’Ovide le récit de plusieurs morts possibles. Toutes paraissent horribles au jeune homme, qui perd peu à peu le désir de mourir.

Tirésias, ayant obtenu le Zeus une longévité harassante, le voici propulsé dans le XXIème siècle ; réjouissante actualisation du mythe !

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Avignon 2016 (10) : « Le Radeau de la Méduse », « Wanamat Show »

— Par Selim Lander —

Le Radeau de la MéduseLe Radeau de la Méduse

Thomas Jolly intervient auprès des élèves de troisième année de l’école du Théâtre National de Strasbourg. Ils sont douze, six filles et six garçons, exactement le nombre de personnages de la pièce de Georg Kaiser, Le Radeau de la Méduse (douze auxquels il convient d’ajouter un figurant muet). Cette pièce écrite en 1942 est complètement d’actualité aujourd’hui, puisqu’elle traite des préjugés à l’encontre des étrangers, ou simplement des gens différents, du rejet de l’autre.

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« Héritiers du Vietnam » : un questionnement, une réussite

— Par Roland Sabra —

heritiers_du_vietnamA travers l’histoire d’une famille composée, décomposée, recomposée entre Vietnam et Martinique Arlette Pacquit fait émerger une histoire douloureuse, enfouie au fin fond des mémoires : celle des couples mixtes caribéo-annamites nés lors de la guerre d’Indochine. Certains dissidents, ces jeunes martiniquais qui avaient répondu à l’appel du 18 juin, une fois la seconde guerre mondiale terminée se sont retrouvés embarqués dans les dernières guerres coloniales menées par les gouvernements français. D’autres se sont engagés à la fin des années quarante. Par choix ? Par inconscience ? Tous n’avaient pas l’envergure d’un Frantz Fanon. Qui pourrait leur en faire le reproche ?

Des couples se sont formés, ballottés par les événements militaires et politiques, la débâcle de Diên Biên Phu et la première indépendance du Vietnam, le rapatriement chaotique des débris de l’armée française. A l’écran l’histoire d’une de ces familles partagée entre Hanoï, le Robert et Le Morne Rouge dit la douleur de l’absence de ceux dont elle est séparée, mais aussi la douleur de l’ostracisme, la douleur xénophobe qui s’est abattue sur elle, ici et la-bas.

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Avignon 2016 (9) : « La Dictatura de lo Cool »

— Par Selim Lander —

La Dictatura de lo CoolUne troupe chilienne, La Re-Sentida, dirigée par Marco Layera, s’attaque en l’actualisant à un sujet déjà traité par Molière (la référence est explicite chez M. Layera) : comment ridiculiser les petits maîtres d’aujourd’hui, ces personnes tellement persuadées de leur supériorité qu’elles sont incapables de voir leurs ridicules. Le misanthrope, ici, est un jeune plasticien chilien qui vient d’être nommé ministre de la culture. Il invite ses amis pour fêter ça. Croient-ils, car, en réalité, le nouveau ministre veut donner un bon coup de pied dans la fourmilière. Choqué par le caractère élitiste de la culture officielle (seulement dans son pays ?), il a décidé de nommer aux postes de responsabilité du ministère non pas ses propres amis – qui n’attendaient que ça – mais d’authentiques représentants de la culture populaire. Il le fait savoir sans prendre de gants au cours de la fête. L’esprit de la pièce de Molière est bien là : dénoncer des maux réels mais d’une manière tellement excessive qu’elle en devient elle-même ridicule.

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Un Batman dans ta tête

— Par Michèle Bigot —

De David Léon

Mise en scène : Hélène Soulié

Avec Clément Bertani

Festival d’Avignon, off 2016, Artéphile, 7-30/07

On n’en sort pas indemne. David Léon n’en finit pas d’explorer les dérangements de l’esprit. Dans un monologue traversé par nombre de paroles étrangères, Matthieu, un adolescent schizophrène nous dévoile le cheminement qui le conduit de l’enfance d’un garçon mal aimé au délire violent de l’adolescent éperdu. Son seul compagnon d’errance est une figure de Batman, qui lui tient lieu d’alter ego, d’inspirateur et de mentor. Batman représente pour lui la figure idéale du pouvoir et du dépassement de soi.

Loin des criailleries de celle « qui ne voulait pas être une maman », parfois accompagné de son double, Matthieu s’isole dans son délire. Le texte du monologue suit le mouvement ; passant de la narration aux paroles rapportées, il se présente comme un patchwork de voix, qui résonnent dans l’esprit de Matthieu. Chaos d’idées, de sensations, de souvenirs, sa tête est la caisse de résonnance des émotions qu’il n’a pas su contrôler. Alors Matthieu se réfugie derrière sa console, à l’abri de la fureur du monde.

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Olivier Py : « Être debout est notre force »

vivre_deboutOlivier Py, le directeur du festival d’Avignon, estime que son festival oeuvre comme un acte de résistance après l’attentat de Nice

« Applaudir ensemble les forces de la vie plutôt que se résigner à une minute de silence. » Vendredi midi, au commencement du premier spectacle joué après l’attentat de Nice, celui de la Piccola Familia au jardin Ceccano, Avignon a choisi son camp : « Celui de dire notre douleur et notre solidarité aux victimes sans interrompre la vie ». L’idée vient du directeur du festival, Olivier Py. « Être debout est notre force, le fait d’aller au spectacle est un geste de résistance », dit-il.
« Ce festival éminemment citoyen reste le plus beau du monde »

Dans la Cité des papes, où la présence de gendarmes et militaires va de soi, les consignes de sécurité n’ont jamais été aussi drastiques. « Il est vrai que ce n’est pas très agréable de se voir confisquer sa bouteille d’eau ou des objets supposés dangereux avant un spectacle, mais le public s’y prête avec beaucoup de bienveillance. Ce festival éminemment citoyen reste le plus beau du monde. 

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Mon Festival d’Avignon 2016

— Par Dominique Daeschler—

avignon-2016Festival d’Avignon 2016

De ce que nous avons vu on retiendra l’omniprésence de la vidéo (avec plus ou moins de bonheur), une volonté de jouer à cour et à jardin plutôt qu’au centre du plateau (réservé souvent à l’effet rassembleur et au message), l’alternance de dialogues et de récits, la présence de musiciens sur scène, l’importance de scénographies impliquant fortement les dramaturgies, un goût pour des textes allemands valorisant la nature, le pouvoir, l’excès avec une quasi omniprésence des questionnements actuels sur populisme et nationalisme.

A tout seigneur tout honneur : le IN

6 A.M. How to disappear completely

Au Théâtre-opéra, le Blitztheatregroup, collectif de création grec monte une adaptation d’une élégie du romantique allemand Hölderlin en neuf temps traduite en neuf tableaux. Jusqu’au tableau final, le spectacle se déroule dans la pénombre pour mieux occulter la logique de la réalité matérielle et fuir le déroulement d’une histoire. Volonté d’entrer dans un univers poétique sans chercher à comprendre, de faire du verbe une parole qui suscite l’émotion et réveille nos imaginaires : nous voilà dans une zone mal définie tantôt forêt tantôt usine où l’on entend une voix sans que les acteurs se parlent entre eux.

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Avignon 2016 (8) : « Inconcevable silhouette du nouveau futur qui tue »

— Par Selim Lander —

Rascar CapacElie Salleron est un jeune auteur, animateur de la compagnie « Rascar Capac » (les tintinophiles apprécieront). Il a écrit au pied levé, pour occuper un créneau qui venait de se libérer dans une petite salle du OFF, un spectacle pour deux comédiens et une comédienne qui ne manque ni d’impertinence ni de pertinence. Il est en effet sinon outrecuidant du moins réellement impertinent de brocarder tout du long l’éditorial d’Olivier Py, le directeur du IN comme chacun sait, plus précisément son introduction au programme du « festival » (le festival tout court, i. e. le IN).

Verbatim : « Quand la révolution est impossible il reste le théâtre. Les utopies y attendent des jours propices, les forces novatrices y inventent encore un demain, les vœux de paix et d’équité n’y sont pas prononcés en vain. Quand Hamlet voit l’impossibilité de la révolution, il convoque le théâtre pour y faire une révolution de théâtre qui dit que tout est encore possible, qu’il faut réanimer le désir de jours enivrés de devenirs.

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Un terrifiant paradoxe

— Par Jean-Pierre Han —
les_damnesLe spectacle d’ouverture du 70e Festival d’Avignon, tant attendu, laisse un goût amer, pour ne pas dire plus. Les Damnés, d’après le scénario de Luchino Visconti.
Mise en scène d’Ivo Van Hove. Cour d’Honneur du palais des Papes. Jusqu’au 16 juillet à 22 heures.

Je ne sais si, pour reprendre le titre du livre de Marie-José Mondzain, grande spécialiste de la question, l’image peut tuer ou non (L’image peut-elle tuer ?), ce qui est sûr c’est que dans le spectacle que vient de donner Ivo Van Hove dans la cour d’Honneur du palais des Papes, à partir du film de Visconti, les Damnés, elle mériterait d’être longuement analysée et réfléchie.
Ce qui n’est malheureusement pas le cas ; elle anéantit du coup tout plaisir – toute intelligence, a-t-on envie d’ajouter – théâtral, ou en tout cas elle le déplace de très étrange manière. Car enfin la saga imaginée et filmée de manière somptueuse et impitoyable par Luchino Visconti naguère (en 1969) qui narre la descente aux enfers d’une grande famille d’industriels allemande qui gère ses aciéries avec succès et suscite la convoitise des nazis, à partir de 1933, année de l’incendie du reichstag et de l’annonce par Himmler de la création du camp de Dachau tout juste après, cette saga nous est restituée par Ivo Van Hove dans un déploiement d’images qui ne nous autorise aucune respiration ni aucune réflexion.

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Du béton dans les plumes

— Par Michèle Bigot —

du_beton_ds_les_plumesFestival d’Avignon, off 2016, La Manufacture, 6-13/07/2016

Ecriture et mise en scène : Axel Cornil

Scénographie : Thomas Delord

Dramaturgie : Meryl Moens

 La terre façonne les hommes. Même quand celle-ci est cachée sous la pierre, le bitume ou l’asphalte, même quand elle est meurtrie. Surtout quand elle est meurtrie.

Ce préambule, extrait du texte d’Axel Cornil, donne le ton de ce spectacle, du moins en partie, car autant le texte peut être grave et poétique pour évoquer cette région de Mons, dévastée par l’industrialisation puis la désindustrialisation, ravagée par les guerres, où la jeunesse se désespère et ne rêve que d’ailleurs, autant il peut être drôle, féroce et dérangeant.

Quatre comédiens fougueux se partagent le rôle de Pétrone, jeune homme de 25 ans aux prises avec une impossible succession. Il hérite en bloc des guerres, des mutilations, des sacrifices, des désespoirs conjugués et d’une maison en ruine. Sa famille elle-même est en ruine. Fils d’un architecte déchu du nom d’Icare, et d’une mère noyée dans l’alcool, nommée Europe, aussi dévastée que le continent du même nom.

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We love Arabs

we_love_arabsSpectacle chorégraphique
Texte et chorégraphie Hillel Kogan
Interprètes : Adi Boutrous, Hillel Kogan
Festival d’Avignon off, La Manufacture 6-24/07/2016

Voici certainement la meilleure surprise du off 2016 ; elle ne nous vient pas du théâtre à proprement parler, mais de la danse. En tout cas, de ce genre de spectacles dans lesquels se marient heureusement texte, danse, lumière et musique. On peut parler ici de véritable texte, quoique celui-ci ne soit pas toujours parlé. Ainsi le préambule, où Hillel Kogan est encore seul en scène, nous fait part des difficultés que peut éprouver un auteur à exprimer. Exprimer quoi ? Exprimez comment ? C’est bien la question que l’auteur traduit dans un langage corporel, soutenu par l’énonciation de quelques paroles articulées à grand peine. Le jeu des mains, qui miment la difficulté d’exprimer, traduit dans l’espace ce que la parole peine à exprimer dans le temps. Rétrospectivement, on comprendra que la difficulté tient à toute création mais aussi au thème abordé : comment vivre avec les Arabes quand on est un Juif de Tel Aviv ? Et qui est cet Arabe tant redouté ?

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Avignon 2016 (7) : « Alors que j’attendais »

— Par Selim Lander —

Alors que j'attendaisSi le IN d’Avignon est avant tout la vitrine du théâtre « contemporain », au sens formel du terme, comme on parle d’« art contemporain » en matière d’arts plastiques, il peut faire preuve également d’ouverture vers des productions de pays sans grande tradition théâtrale. Alors que j’attendais porte justement témoignage sur les drames vécus quotidiennement par les Syriens depuis cinq ans. L’auteur, Mohammad Al Attar, a construit autour du cas d’un jeune homme, Taim, plongé dans le coma à la suite d’un accident, une histoire qui fait intervenir la mère, la sœur, la petite amie, un ami. Parallèlement, un autre jeune homme, rescapé des prisons du régime raconte les sévices et autres atrocités qui y sont commises.

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Le Festival d’Avignon ne perd pas le nord

Ivo van Hove magistral, Angélica Liddell diabolique, Julien Gosselin démesuré, Anne-Cécile Vandalem incisive et drôle : le 70e Festival d’Avignon démarre tambour battant. Revue critique.
Fort d’un taux de réservation exceptionnel, de 84% pour une jauge de 125.000 places sur trois semaines, Avignon In démarre sous de bons auspices cette année. De quoi faire râler les spectateurs qui n’arrivent plus à réserver en dernière minute, mais pas ­Olivier Py! Douché l’an dernier par le succès très mitigé de son Roi Lear, confronté en 2014 à la grève des intermittents, le ­directeur du festival respire un peu. Mieux, son Prométhée ­enchaîné, d’après ­Eschyle, sous forme itinérante dans les faubourgs extra-muros de la ville, bénéficie déjà de bons échos.

« Il est vain d’opposer théâtre de recherche et théâtre populaire, le ­public réclame aussi des artistes qu’il ne connaît pas, des découvertes, de l’émergence », a-t-il souligné lors de sa première conférence de presse mercredi. Autre bonne surprise : le triomphe des Damnés, magistrale mise en scène du Flamand Ivo van Hove d’après le scénario du film de Luchino Visconti dans la Cour d’honneur.

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Nadejda

— Par Michèle Bigot —

nadejdaNadejda
Une œuvre scénique de Jacques Kraemer
En collaboration avec Aline Karnauch
A partir des souvenirs de Nadejda Mandelstam (contre tout espoir)
Et des textes de Ossip Mandelstam (Poèmes et proses)
Avec Aline Karnauch et Jacques Kraemer
Après avoir publié une première pièce, mettant en scène Ossip Mandelstam, Trois nuits chez Meyerhold, J. Kraemer revient sur l’écriture poétique de Mandelstam, en tant qu’elle est liée au destin tragique qui fut le sien. Poète précurseur de la modernité russe, il participe dès 1912 avec Anna Akhmatova à la fondation du mouvement Acméiste. Il publie essais et recueils de poésie dès l’année suivante. Figure emblématique de l’opposition à Staline, en raison de la diffusion inopinée de son Epigramme contre Staline, « Le Montagnard du Kremlin », il connaîtra l’exil le bannissement. Brodsky dit de lui que c’était le plus grand poète russe du XXème siècle, il n’en finira pas moins ses jours en 1938, au camp de la Kolyma, d’épuisement et de faim.
Poursuivi, harcelé, arrêté à plusieurs reprises par le NKVD, il ne peut plus rien publier.

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Toute ma vie, j’ai fait des choses que je ne savais pas faire.

— Par Michèle Bigot —
toute_ma_vieDe Rémi De Vos,
Mise en scène Christophe Rauck
Avec Juliette Plumecocq-Mech
Festival d’Avignon, La Manufacture 6-24/ O7/2016

A la demande de Christophe Rauck, Rémi De Vos a écrit un monologue pour la comédienne Juliette Plumecocq-Mech. Ce trio n’en n’est pas à son coup d’essai. Pur produit du Théâtre du nord, qui n’en finit pas de nous conter les affres du pays noir, sans jamais donner dans la couleur locale. Les personnages de Rémi De Vos (on se souvient de Occident) sont souvent de simples quidam attablés dans un pauvre rade, à noyer leur mal-être dans une chope de bière. C’est le monde qui vient à eux, le plus souvent sous des formes violentes. Cette fois-ci, un client boit sa bière tranquillement dans son coin dans un bar plutôt désert ; le patron est parti faire un peu de rangement dans l’arrière-boutique, quand entre un malabar, qui vient agresser directement notre homme sans autre forme de procès. Juste parce qu’il lui trouve une gueule qui ne lui revient pas. Il bloque l’entrée en encadrant la porte et se livre à un déluge d’injures en bonne et due forme.

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Avignon 2016 (6) : « Les Damnés »

— Par Selim Lander —

Les Damnés1Cette adaptation théâtrale du scénario des Damnés de Visconti par le metteur en scène hollandais Ivo Van Hove (déjà en Avignon en 2014 avec The Foutainhead, d’après Ayn Rand) avec les comédiens de la Comédie Française est le clou de cette saison avignonnaise aussi bien selon les festivaliers que selon les critiques. Nous ne rabattrons rien de cet enthousiasme, bien au contraire.

On ne sait quoi louer en premier. Alors pourquoi pas la performance des acteurs ? Il faut dire que depuis Jean Vilar, la manière de faire du théâtre a beaucoup évolué. La nudité, par exemple, n’est pas seulement une manie d’Angélica Liddell ; elle est devenue banale, comme nous le soulignions dans nos chroniques de l’année dernière. Foin des préjugés, mais songeons ce que cela peut vouloir dire pour un acteur prestigieux et vieillissant comme Denis Podalydès de se balader complètement « à poil » sur l’immense plateau de la Cour d’honneur du Palais des papes, puis de se lancer dans une glissade à plat ventre dans une marre de bière, de se bagarrer amicalement avec un partenaire dans la même tenue (l’absence de tenue) que lui, et, pour finir, d’entrer, toujours dans le plus simple appareil mais couvert de sang, dans un cercueil.

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