We love Arabs

we_love_arabsSpectacle chorégraphique
Texte et chorégraphie Hillel Kogan
Interprètes : Adi Boutrous, Hillel Kogan
Festival d’Avignon off, La Manufacture 6-24/07/2016

Voici certainement la meilleure surprise du off 2016 ; elle ne nous vient pas du théâtre à proprement parler, mais de la danse. En tout cas, de ce genre de spectacles dans lesquels se marient heureusement texte, danse, lumière et musique. On peut parler ici de véritable texte, quoique celui-ci ne soit pas toujours parlé. Ainsi le préambule, où Hillel Kogan est encore seul en scène, nous fait part des difficultés que peut éprouver un auteur à exprimer. Exprimer quoi ? Exprimez comment ? C’est bien la question que l’auteur traduit dans un langage corporel, soutenu par l’énonciation de quelques paroles articulées à grand peine. Le jeu des mains, qui miment la difficulté d’exprimer, traduit dans l’espace ce que la parole peine à exprimer dans le temps. Rétrospectivement, on comprendra que la difficulté tient à toute création mais aussi au thème abordé : comment vivre avec les Arabes quand on est un Juif de Tel Aviv ? Et qui est cet Arabe tant redouté ? La découverte se fera dans un corps à corps conduit par la chorégraphie. Hillel est le chorégraphe, Adi est le danseur invité. Le premier invite le second à danser la question de l’identité : identité comme fait d’être identique, et identité comme fait d’appartenir à une communauté ethnique et culturelle. Les deux sont-ils incompatibles ? Ou au contraire parfaitement conciliables ? Telles sont les questions graves que pose le spectacle. Et Hillel Kogan, le Juif, (puisque c’est lui qui initie la parole, Adi ne fait que répondre ou obéir à des injonctions, reproduisant ainsi la condition de subalternes que vivent au jour les jour les Palestiniens et les Arabes israéliens) va trouver réponse à ses interrogations dans un dialogue plein d’humour et de malice : par exemple, quand Hillel, plein des préjugés qui habitent ordinairement les Juifs israéliens demande à Adi de quel village il vient, celui-ci répond : « de Tel-Aviv ». Quand Hillel lui propose de marquer son identité sur le corps de chacun, pour que le spectateur puisse s’y retrouver, il propose à Adi de lui dessiner sur la poitrine une étoile de David, et lui-même dessine sur le front de Adi un croissant ! Celui-ci réplique : « Mais je suis chrétien ! »
Tout est à l’avenant, et de part en part, le spectateur se régale de tant de drôlerie, de tant d’intelligence ! La danse elle-même, dans sa gestualité parfois un peu folle traduit la difficulté de se rencontrer, mais sur le mode humoristique. Ce n’est pas si souvent que la danse est drôle et spirituelle !
Parodie systématique des clichés culturels, autant que des conventions chorégraphiques (le chorégraphe est un modèle dans le genre satisfait et autosuffisant !), ce spectacle est décapant et totalement réjouissant. On ne saurait manquer d’être attentif à leur future tournée, à Paris et en province. Le succès leur est déjà acquis, si on considère le nombre de spectateurs qui se bousculent à la Manufacture pour obtenir des places.
Michèle Bigot