Iliade

— Par Michèle Bigot —

iliadeD’après Homère

Mise en scène : Pauline Bayle

Festival d’Avignon, off 2016, La Manufacture, 6-24/07

Le spectacle commence dans la cour de la Manufacture ; les spectateurs sont en train d’attendre l’entrée quand débarquent parmi eux d’abord Achille, puis Agamemenon.

Déroute dans la foule ; étonnement, incrédulité ! Le rôle d’Achille est interprété par une jeune femme d’une rare énergie. Soudain, confondu dans les rangs des spectateurs, surgit Diomède, qui tente d’apaiser les conflits. Achille est en colère parce qu’Agamemnon lui a volé sa prisonnière, la belle Briséis. Il a ainsi porté atteinte à son honneur devant toute l’armée grecque. Le conflit est inévitable. Achille se retire dans sa tente ; il jure de ne plus participer aux combats qui opposent les Grecs aux Troyens.

Comment faire revivre cette légende épique aujourd’hui , ce poème plein de bruit et de fureur et de sang ? On a bien réussi avec le Mahabharata, pourquoi pas avec l’Iliade ? telle est la gageure.

Pauline Bayle relève le défi, en compagnie des remarquables comédiens de sa compagnie, « A Tire d’Aile ». La pièce est créée en 2015 et se joue au Théâtre de Belleville.

Alors, quelle actualité pour cette pièce ? En quoi le courroux d’Achille nous concerne-t-il ? A-t-on besoin de héros surhumains dans le siècle où nous sommes ? Ou au contraire, les héros commencent-ils à nous fatiguer ? C’est que, selon Pauline Bayle, Agamemnon, Achille, Ulysse et consorts n’ont pas grand-chose de surhumain ! au contraire, ils sont ballottés par le sort, malmenés par les Dieux. Confrontés à leur destion sanglant, ils ont à rencontrer une mort violente, sans jamais renoncer à la gloire attachée à leur nom. Fantasmes virils ? La mise en scène déjoue cette facilité en faisant endosser les rôles masculins les plus héroïques par des femmes, et les rôles de femme fatale par des hommes : partie égale pour Achille et Aphrodite, joués par Charlotte Van Brevesselès. Idem pour Jade Herbulot, qui endosse avec la même force de conviction les rôles de Thétis et Hector.

Cette note burlesque, inscrite dans la longue tradition de la littérature française, n’en reste pas moins toujours réjouissante. Elle présente l’intérêt de ramener l’héroïque à l’humain, et d’actualiser brutalement la légende, en la rendant prosaïque. Le respect le cède ici au rire, et rien n’est plus salutaire. Surtout aujourd’hui, à une époque où de soi-disants héros sèment la terreur parmi les hommes. Il y a dans notre rire de la revanche et un désir de récupérer une humanité ordinaire, loin des sacrifices et du désespoir.

La mise en scène gère parfaitement ce mélange de poésie épique, de note tragique et de gros comique. Quelle allégresse de franchir ces frontières réputées infranchissables ! Nombre de belles trouvailles de mise en scène, dans la scénographie, les lumières, les objets scéniques, sont ravissantes (au sens étymologique du terme). Le sang se répand généreusement, enduisant de rouge les bras des héros, projeté au sol par des éponges imbibées de couleur, dans une danse effrénée. Les armes sont figurées par des paillettes dorées, couvrant les bras et le visage des guerriers. Magnifique effet, beau et convaincant à la fois : c’est ici qu’on observe ce que le théâtre doit au déplacement , à la transposition. Voilà le geste théâtral à l’état pur, épuisant dans les actes leur trivialité et leur dimension anecdotique pour les transmuer en geste pétique à valeur symbolique forte. Le spectacle est formidablement visuel et plastique. Le corps des acteurs, chevelure, peau, visage, costume, y tient une place prépondérante.

Dans cette entreprise à hauts risques, Paulien Bayle et ses acteurs travaillent à l’unisson. La direction d’acteur est essentielle et tous possèdent un rare talent. Leur gestuelle pleine d’énergie n’a d’égale que leur époustouflante articulation. Il en faut du travail de diction pour réussir à débiter avec clarté et dans un rythme effréné le nom des guerriers grecs dont Homère est si friand !

Metteure en scène et acteurs sont issus du CNSAD. Leur complicité est manifeste. Même âge, mêm formation, même désir de brûler les planches. Ce spectacle confirme le rajeunissement généralisé de la scène théâtrale française et européenne qu’a donné à voir le festival d’Avignon 2016.

Michèle Bigot