Medina Merika

— Par Michèle Bigot —

medina_merikaMise en scène, texte et musique de Abdelwaheb Sefsaf
Festival d’Avignon off 2016, Théâtre du Gilgamesh

Ceux qui ont manqué ce spectacle en janvier à la Maison des Métallos à Paris seront heureux de le retrouver à Avignon. On dira même que cette programmation s’imposait ! Merci au Théâtre du Gilgamesh, qui nous a gâtés, cette année ! Car le monde arabo-musulman et plus généralement oriental est à l’honneur au Festival d’Avignon : le In nous a gratifié d’un spectacle théâtral iranien (Hearing) sur Damas (Alors que j’attendais), d’un spectacle de danse libanais ( Fatmeh) . Le off n’est pas en reste. Dans sa chorégraphie intitulée We love Arabs, Hillel Kogan nous propose une rencontre inédite entre Juifs israéliens et Arabes israéliens. On a pu écouter également Place Tahrir, conçu par le conteur Jihad Darwihe à partir du témoignage de femmes égyptiennes. C’est un orient imaginaire que nous propose Abdelwaheb Sefsaf ; il n’en est pas moins une synthèse actuelle des aspirations du monde arabo-musulman telles que les ont exprimées les printemps arabes. Cette fable tragi-comique évoque successivement Beyrouth, Alger, Bagdad. Et nous propose un langage théâtral qui ferait la synthèse entre la tradition orientale et les formes les plus modernes de l’Occident (Médina + Amérika). Tout se passe dans la Médina, lieu de rencontres, des échanges mais aussi de toutes les frustrations. Toute Médina est aussi hantée par le désir d’Occident, et on y recueille les influences occidentales en matière de musique, de cinéma et de proposition politique.
Le propos imaginé par Abdelwaheb Sefsaf est librement inspiré du roman de Orhan Pamuk intitulé Mon nom est rouge, et de sa première phrase : « Maintenant, je suis mon cadavre. » Le mort, c’est Ali, jeune réalisateur avant-gardiste qui va payer de sa vie ses audaces novatrices et son goût pour le cinéma américain. Il est mort, et c’est son cadavre qui nous parle du fond du puits où son assassin l’a précipité. Son épouse Lila va se mettre à sa recherche et c’est un chien, héros involontaire de cette histoire qui mettra les gens sur la trace du corps d’Ali. Qui est l’assassin ? telle est la trame de ce thriller fabuleux dans lequel parlent les cadavres et les chiens. Quoique tragique sur le fond, la fable est présentée avec humour et malice ; elle se déroule dans un accompagnement musical sur la toile de fond d’un décor vidéo. Texte, vidéo, musique et chant se relaient pour ponctuer le déroulement du drame. La vidéo apporte les images des foules soulevées par l’espoir de libération ou la fièvre de la vengeance, mais elle peut constituer aussi un décor aux motifs orientaux. La musique et les chants sont particulièrement remarquables. Ils font plus qu’illustrer le récit. Ils lui confèrent un rythme et une tonalité. C’est un véritable soutien pour les acteurs et pour l’histoire. Une part originale dans la création. Musique et chant occupent le plateau. Très naturellement, le monologue est relayé par le chant. Tout comme le scénario, la musique raconte la rencontre entre Orient et Occident. Ecrite sur une structure électronique, elle s’appuie néanmoins sur les instruments traditionnels. Les musiciens sont présents sur scène. Les chansons écrites par Abdelwaheb Sefsaf et son ensemble « Aligator » font alterner les évocations lyriques et nostalgiques (Beirut), les histoires d’amour (Ali et Lila) les monologues fantaisistes, voire franchement drolatiques (Charba). La musique relève du Word électro enflammé. Elle porte naturellement les émotions les plus contrastées : tristesse, nostalgie, et rire ou espoir.
Ce spectacle d’une vitalité inouïe nous fait plonger dans un monde oriental imaginaire, mais très vraisemblable, dans lequel se heurtent le fanatisme obscurantiste et la modernité occidentale. Chant de bataille que cette scène orientale !
Michèle Bigot